Puisqu'il faut aller à l'autre bout de la terre, par 5000 m
d'altitude et moins 20 degrés de température pour trouver un animal épargné par
la domestication, si ce n'est par l'éradication, Sylvain Tesson n'hésite
pas, il y va. L'attente, la patience sont contre nature chez lui mais l'idée de
trouver un être qui échappe à la mise en coupe réglée de la nature par l'homme
balaie ses réticences et comble ses aspirations. Lorsque Vincent Munier l'invite
à la rencontre de la panthère des neiges, il n'hésite pas. Il sait qu'il a rendez-vous avec les
origines de la création. Même si le rendez-vous n'est pas honoré par l'animal
convoité, l'affût sera une quête salutaire. Une quête philosophique qui ouvrira
à la réflexion sur la place de l'homme dans ce monde qui l'a vu naître et
prospérer.
Prospérer au point d'occuper toute la place. Homo sapiens n'a plus de
prédateur. Après avoir éliminé tous ses concurrents, il est au sommet de la
chaîne alimentaire. Une chaîne qui est aujourd'hui mécanisée et n'a plus rien
de naturel. En dépit des promesses de la publicité qui a investi les écrans et
vante une nature aseptisée. Les animaux sont étiquetés dans les oreilles et
élevés en batterie. Les herbivores s'habituent tout doucement à consommer des
farines animales. À consommer contre nature.
Au-delà de la beauté virginale de la nature, c'est autant l'espoir de rencontre
avec un symbole qui pousse Sylvain Tesson à
affronter les solitudes glacées du Tibet. Stimulé par son goût de l'aventure,
épaulé par tous les philosophes et autres auteurs illustres dont il s'est
nourri des écrits, il répond à l'invitation de Vincent Munier.
La réputation de ce dernier n'est plus à faire en matière de photographie
animalière. Et c'est de nos jours par la force des choses dans les lieux les
plus inhospitaliers de la planète que se sont réfugiés les spécimens rescapés
de voracité de l'homme.
La
panthère des neiges. Beauté et noblesse de l'animal sauvage que l'homme n'a
pas encore avili. Que l'homme n'a pas encore entaché de ses jugements à
l'emporte-pièce entre le beau et le laid, le bien et le mal, le vice et la vertu,
le doutes et la certitude. Quand il est repu l'animal peut dormir une journée
entière. Pas besoin de raison pour vivre encore moins de croyance pour espérer.
Pas besoin de confort ni de ce superfétatoire qui empuantit la planète à force
de consumer ses ressources. C'est la pureté animale. Cette aurore des temps
préservée que Sylvain
Tesson est venu chercher si loin, si haut, dans le froid mordant. Et
se convaincre finalement que les instants de grâce qu'il aura glanés dans ces
affûts incommodes et douloureux lui vaudront enseignement pour la vie. Pour
l'observation des moineau, cigale et autre gardon qui luttent pour exister dans
les interstices que l'aménagement du territoire leur abandonne en leurre de sa
bonne conscience de préservation de la nature.
Animal versus homme : instinct de vie contre déterminisme fatal. Avec Sylvain Tesson chaque
pas sous toutes les altitudes et latitudes est un pas dans les méandres de la
raison pour disséquer cette obstination qu'a l'homme à se précipiter vers sa
perte. C'est fort de réflexion et asséné à grands renfort d'aphorismes et de
formules comme il en a le secret. C'est scandé comme une marche obstinée sur
des sentiers empierrés, martelé dans les pages d'un livre qu'homo sapiens lira
dans son canapé, se disant que c'est beau la nature dans les ouvrages de Vincent Munier.
Et l'ouvrage de Sylvain Tesson toujours
aussi évident de bon sens désespéré - en peine perdue ? -aride de croyance,
cristallisé de pudeur, avec toutefois une pensée aimante pour « sa pauvre mère
», mais surtout avec les mendiants du plateau tibétain l'espoir de « ne pas
être réincarné en chien, ou pire en touriste ».
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Ouvrages par genre
jeudi 19 août 2021
La panthère des neiges ~~~~ Sylvain Tesson
mardi 25 mai 2021
Eloge de l'énergie vagabonde ~~~~ Sylvain Tesson
Sylvain
Tesson a-t-il le besoin d'écrire, il prend son vélo, ses chaussures de
marches et court la planète nettoyer son cerveau des scories de la vie urbaine
et en extraire le distillat de ses cogitations. le pédalier de son vélo fait
jaillir les réflexions de son esprit comme le chevalet de pompage dont la tête
oscille obstinément dans les plaines américaines fait jaillir le pétrole des
tréfonds du sous-sol. L'absolu de ses pensées est une encre qui vient abreuver
la page blanche du produit de son esprit vagabond.
Un périple de plusieurs milliers de kilomètres le long d'un tube d'acier qui
conduit le brut vers le ventre des pétroliers c'est d'abord la solitude propice
à la méditation, la chaleur de l'astre source de toute vie, la fatigue,
quelques rencontres, mais pas trop pour ne pas distraire de l'objectif, des
bouquins piochés ça et là et se nourrir de l'intelligence des autres. le
résultat c'est Éloge
de l'énergie vagabonde.
Le sujet c'est l'énergie justement sous toutes ses formes mais fossile de
préférence en ce siècle d'empuantissement de l'atmosphère. L'assèchement des
ressources par une population qui croît à une cadence exponentielle sur une la
planète qui reste quant à elle dans ses dimensions originelles. Deux siècles
pour consumer ce qui a mis des millions d'années à se constituer. Et après ?
L'après, on y pensera quand la source sera tarie. Qui vivra verra. Parvenu au
bout du pipe-line les questions demeurent. Voilà un ouvrage lourd de
culpabilisation d'Homo sapiens. Il a éliminé tous ses concurrents. Va-t-il
s'éliminer lui-même avec sa frénésie consumériste. Bonne nouvelle
l'intelligence survivra nous dit Yuval Noah
Harari dans Homo
Deus une brève histoire de l'avenir. Mauvaise nouvelle, elle sera
artificielle. Sera-t-elle plus lucide quand à sa survie ? Résoudra-t-elle le
problème de cette énergie si mal répartie mais qui aura disparu des profondeurs
de la croute terrestre ?
Ouvrage lourd de réflexions puisées à coup de pédale pour conclure du bout des
lèvres que l'avenir de l'homme sur terre ce serait peut-être la décroissance.
Qui commence ?
Ouvrage écrit à la sueur d'un corps qui s'échine par monts et par vaux, par
tous temps. Une écriture toujours aussi riche de formules percutantes, de
références érudites, d'à propos humanistes, de croyances qui ne croient que ce
qu'elles voient. C'est pour cela que Sylvain Tesson va
au bout du monde à la vitesse de ses pieds, au mieux de son vélo, pour prendre
le temps et le recul d'entrevoir l'avenir que se prépare Homo sapiens. Une
philosophie de la sueur, du muscle sec, de l'esprit qui s'ouvre aux espaces
infinis. Ni optimiste, ni pessimiste, un constat lucide et si habilement
formulé.
vendredi 21 octobre 2016
Sur les chemins noirs ~~~~ Sylvain Tesson
En écoutant Sylvain Tesson dans
son intervention lors de l'émission de la Grande librairie, je me suis fait une
fête d'apprendre la parution de son dernier ouvrage : Sur
les chemins noirs. D'une part il y évoquait, une fois n'est pas coutume de
sa part, un périple en notre hexagone. D'autre part, et plus attendu par moi,
il nous promettait un ouvrage d'exploration tant de ce qui subsiste de sentiers
pittoresques en notre campagne profonde - à son grand regret revue et corrigée
par le remembrement et l'urbanisation débridée - que l'exploration de ses
chemins intérieurs. J'escomptais alors quelque introspection philosophique
intimiste de la part de qui, après un accident dont les séquelles visibles ne
sont certainement pas les plus traumatisantes, avait entraperçu l'éblouissement
de la nuit éternelle.
Mais les chemins noirs sont restés obscurs. Ô pudeur quand tu nous tiens !
L'homme est resté aussi impénétrable que les ronciers qui lui ont barré la
route. Vivre est-il une joie ou une souffrance pour ce boulimique du temps et
de l'espace, je ne saurai le dire. Il ne sait que trop bien se dissimuler
derrière son formidable sens de la formule et les confidences attendues le sont
restées. le périple intérieur s'est transformé en un inventaire des balafres
infligées au temple sacré de la Nature. Une profanation pour qui ne cherche pas
son dieu dans la voute céleste mais dans les replis de la terre. Car lorsqu'on
parle de nature avec Sylvain Tesson,
il faut y mettre un N majuscule. "Il avait Dieu, je me contentais du
monde". Fallait-il qu'il aille le saluer ce dieu végétal et minéral,
audible et respirable, le remercier du sursis consenti après cette chute qui
aurait dû le tuer.
La France en diagonale ne vaut que 150 pages. Et la qualité n'a pas compensé la
quantité. Après un stress hydrique de plusieurs mois pour ce cep suceur de
cailloux, on espérait une concentration en sucres, littéraires ceux-là. Mais il
a fallu recourir à la chaptalisation, et là ça été l'overdose. Cela donne un
ouvrage sans chaleur, le distillat d'un esprit ensauvagé contraint à une course
grimaçante dans des espaces domestiqués. Une convalescence de rouleau
compresseur opiniâtre qui refuse de se laisser dicter sa conduite par une
colonne vertébrale brochée.
L'instinct de conservation est quand même là. Il écoute les recommandations de
la faculté de médecine au point de préférer le viandox à la bière ou à la
vodka. La frustration est palpable. Cela présage de l'attente fébrile d'un
autre départ dans les épaisseurs de la taÏga ou autre aridité à dos de chameau.
du sérieux que diable !
Voilà un ouvrage hexagonal qui témoigne aux yeux de son auteur de la place de
notre vieux pays, lifté comme une vieille actrice de cinéma, dans le concert
des nations. Cela reste quand même une formidable répartie de bout de plume
dans lequel les rencontres humaines ne servent malheureusement qu'à la relance
de l'inspiration pour la chaîne de montage des bons-mots.
La convalescence, certes active, du corps a été à mes yeux aussi celle de
l'inspiration pour cet auteur qui m'avait séduit sur les traces des grognards
de Napoléon ou dans la cabane au bord du lac Baïkal. A moins que ce ne soit
notre pays qui n'inspire plus ?
jeudi 13 octobre 2016
S'abandonner à vivre ~~~~ Sylvain Tesson
Les nouvelles auraient-elles été créées pour qui n'a pas le
temps de lire ? Les nouvelles auraient–elles été inventées par qui n'a pas le
temps d'écrire ?
Sylvain
Tesson nous livre quelques tranches de vie, quelques pérégrinations
philosophiques à l'emporte-pièce, de celles qui peuvent germer dans son esprit
de voyageur infatigable. L'occasion pour lui de tailler à grand coup de serpe
de son humour incisif dans l'intimité de héros choisis au hasard et livrés en
pâture à un lecteur qu'il veut aussi impatient que lui.
Quelques nouvelles pour dire qu'il est là, impatient de vivre et de nous le
dire, impatient de repartir. Quelle que soit la destination, avec quand même
une préférence pour les endroits les plus improbables où le touriste moderne ne
mettra jamais les pieds. Peut-être même à Paris. Une prédilection quand même
pour les confins asiatiques, la grande Russie. Pourvu qu'il y ait un vieil ours
qui n'aurait jamais imaginé qu'on parle de lui.
Quelques nouvelles, romans d'un quart d'heure, debout dans le train. Pas besoin
de marque page.
mercredi 21 septembre 2016
Dans les forêts de Sibérie ~~~~ Sylvain Tesson
Sylvain
Tesson était déjà venu au bord du lac Baïkal. Il s'était promis d'y
revenir. Il n'imaginait pas alors qu'il déciderait un jour d'y vivre en ermite.
Six mois seul, dans une cabane, face à la seule personne qui subsisterait dans
le paysage : lui-même. le besoin ressenti de briser la coquille de sédiments
culturels dans laquelle la civilisation enferme toute personne et exposer ainsi
sa nudité originelle aux "solitudes sacrées" du Baïkal dans son écrin
de montagne et de forêt.
Raphaël Personnaz qui interprète le rôle au cinéma - film sorti cette année -
n'a pas pu ressentir le même sentiment de plénitude sous l'oeil des caméras.
Pareil défi n'était pas seulement une quête de soi. Il y avait aussi la volonté
de se réconcilier avec le temps. Celui qui met tant d'obstination à fuir.
Quitter l'angoisse de le voir courir et consumer l'être peu à peu. Et puis ce
besoin d'accommodement avec une nature que l'homme met tant d'acharnement à
détruire.
Aventurier qui ne connaît ni frontière à son besoin de liberté ni entrave sa
soif de connaître, Sylvain Tesson est
le narrateur de ses propres pérégrinations planétaires. Berezina, son
épopée moderne à side-car sur les traces des grognards de Napoléon, m'avait
donné le goût de me frotter une nouvelle fois à son style trépidant. Il a un
formidable sens de la formule, soutenu par une culture livresque affichée. Ce
dernier aspect pourrait en revanche être de nature à vexer le lecteur
susceptible parce qu'en retrait de connaissances littéraires. Ce style est parfois
lapidaire, télégraphique, tout droit sorti du carnet de notes, mais il vous
bouscule, vous emporte sur les sommets surplombant le Baïkal, dans la
profondeur de la taïga, par tous les temps. Il sait être imagé, parfois
poétique, pour décrire celle au chevet de laquelle il s'enflamme à lui rendre
hommage : la nature. Mais ses tournures poétiques ne n'alanguissent pas
longtemps. Un humour piquant et spontané, qui n'appartient qu'à lui, cueille à
froid celui dont l'esprit se serait laissé griser aux vapeurs de la vodka qui
coule à flot ou étourdir à la fumée des cigares qui embrument la cabane.
Faut-il s'engourdir l'esprit pour tutoyer le sublime ?
Sylvain
Tesson a la conviction que les idées ne doivent pas être pensées, mais
vécues. Il est de ceux qui vont au bout de leurs idées. Quitte à mettre en
péril plus que sa propre vie, celle de son couple. Extase et amertume
seraient-elles deux soeurs inséparables ?
Mais au fait, était-il vraiment seul en son ermitage précaire ? N'était-il pas
déjà avec son lecteur ? Alors mystificateur Sylvain Tesson ?
Surement pas. La sincérité perle à tous les pores de la peau de celui qui consomme
la vie par toutes les extrémités et pour qui impossible n'existe pas au
vocabulaire. J'ai beaucoup aimé ce récit enflammé d'une expérience où il est
fait la preuve que la richesse peut venir du dénuement. "Être heureux,
c'est savoir qu'on l'est". Tout simplement.
dimanche 24 avril 2016
Berezina ~~~~ Sylvain Tesson
Je suis encore engourdi par le froid à la fermeture de cet ouvrage. Mais J'ai aimé la formule. Récit d'aventure sur fonds de commémoration historique d'un événement que l'on préfère effacer notre mémoire collective.
C'est oublier dans tout ça les êtres humains perdus dans l'immensité glaciale, lacérés par le blizzard, tenaillés par la faim, harcelés par les cosaques, ne trouvant nul autre refuge que les griffes du général hiver dans leur retraite honteuse. C'est cette perspective à l'issue fatale que Sylvain Tesson tente d'appréhender en refaisant le parcours de la retraite de Russie de 1812. Elle a laissé dans notre vocabulaire cette expression imagée symbole d'une déroute monumentale : Berezina. Il a voulu s'imprégner du paysage, se frotter aux frimas pour s'approcher de l'état d'esprit qui a pu tomber sur les têtes de ces soldats aux uniformes autrefois chamarrés devenus des pauvres hères promis à la mort.
Sylvain Tesson y fait le parallèle entre la mentalité qui pouvait animer les contemporains de 1812, galvanisés par l'empereur, au point d'aller mourir dans ses folles équipées guerrières, tout en lui conservant étonnamment leur vénération, et celle de notre époque, pour une question : pareille équipée serait-elle envisageable de nos jours ?
Mais il pose une autre question en corollaire. Que serions-nous capables de supporter qui approche les souffrances endurées par nos ancêtres ? Nous qui n'acceptons plus les lois de la nature, nous qui sommes prompts à protester et à nous plaindre dès que notre confort est écorné un tant soit peu.
Voilà un ouvrage qui ne se donne pas de prétention philosophique mais qui pourrait quand même en afficher. Il est en outre plaisant à lire avec l'humour froid de son auteur, pas autant que le climat des steppes russes, mais bien piquant quand même. J'ai beaucoup aimé.