J'ai la certitude que, dans le même temps où je poste sur
Babelio ces petites phrases qui ne feront jamais de moi un candidat à
l'édition, Pierre
Lemaître est à sa table de travail pour nous concocter la suite de cet
ouvrage que j'ai absorbé goulument. À sa table de travail, du côté de ce
Fontvieille où ne tourne plus beaucoup les ailes de moulin mais où je suis
obligé de croire que descend encore de l'azur limpide l'onde pure qui a inspiré
un autre conteur. Celui-là même qui nous fit entendre la plainte d'une chèvre
guettée par le loup.
Dans leur naïve croyance en une justice en ce bas monde, ceux qui ont lu le grand
monde se disent qu'on ne peut en rester là. Ce n'est pas possible. On
ne peut pas jeter aux oubliettes la mémoire de ceux, et surtout celles, qui
l'ont été physiquement. Pierre Lemaitre ne
va tout de même pas les renvoyer à une justice divine dont on ne connaît les
rigueurs que de propos imaginés par des prêcheurs en mitre et chasuble. Il y
aura donc une suite au Grand monde.
Car monsieur Lemaitre sait
mieux que quiconque que l'humaine nature qui a fomenté tant de guerres, tant de
subterfuges pour nourrir sa cupidité va lui donner du grain à moudre pour faire
languir des lecteurs naïfs à quémander amour et justice. Pour qu'enfin
l'honneur de la créature se glorifiant immodestement d'intelligence soit sauf,
avant que de se présenter devant Celui qui l'a créée. Si l'on en croit le
scénario imaginé par une croyance laquelle veut battre en brèche les tenants de
la raison.
Auteur n'a jamais si bien porté son nom. Est-ce par malice de la généalogie
que Lemaitre s'écrit
en un seul mot et escamote l'accent circonflexe. Car il pourrait bien se dire
le maître de l'intrigue, du romanesque ce monsieur. Utiliserait-il un
pseudonyme qu'il pourrait reproduire la supercherie mise en oeuvre par un
ancien qui avait la vie devant soi pour leurrer l'Académie. Car nous le savons
tous, le Goncourt c'est à la fois une bénédiction et une malédiction. La
gageure étant de vivre après. Et vivre pour un écrivain, c'est écrire. C'est
être lu. C'est être à la hauteur de l'attente suscitée par la consécration.
Aussi disons-le tout net, pour nous adresser des fictions qui s'insèrent si
bien dans les replis de l'histoire sans que des coïncidences assassines
viennent raccrocher les faits les uns aux autres, en tirant à rebours les fils
de l'écheveau pour nous ramener en ce lendemain de la grande boucherie où la
valse des masques tentait de dissimuler la monstruosité de ceux qui avaient
perdu figure humaine, pour nous adresser des fictions qui glissent si bien sous
nos yeux écarquillés et s'insinuent dans nos esprits à leur faire oublier le
quotidien morose, pour tout cela, pour nous ses lecteurs anxieux d'une suite,
sans doute aussi dépourvue de vertu que la nature humaine est bouffie de
suffisance, Lemaitre pourrait
s'écrire le maître.
Et me voilà donc piégé à guetter la suite. Ça s'appelle le talent ou je n'y
connais rien.
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Ouvrages par genre
vendredi 12 août 2022
Le grand monde ~~~~ Pierre Lemaitre
mercredi 7 octobre 2020
Sacrifices ~~~~ Pierre Lemaitre
J'ai commencé par la fin de la trilogie Verhoeven. Il me manque donc d'avoir lu les deux autres tomes pour mieux connaître le commissaire à la taille de nain. On apprend dans cet ouvrage que ce limier doit cette obligation de lever la tête pour croiser le regard des autres au tabagisme de sa mère. Cela ne nous dit pas pourquoi Pierre Lemaître a fait de son héros un nain. Sans doute parce qu'une taille de 1,45m imposera à celui qui en est affublé un surcroit de volonté et de détermination pour s'imposer à son entourage, mais aussi et surtout aux géants de la délinquance que son métier met sur sa route.
La nature a fait des différences, l'homme en a fait des inégalités nous dit Tahar Ben Jelloun. Inégalités qui requièrent des prouesses de caractère pour être combattues. Le commandant Verhoeven de la brigade criminelle semble ne pas en manquer tout en conservant une certaine sensibilité. Il faut dire que la vie ne l'a pas épargné en lui prenant sa bien aimée quatre ans auparavant. Avec Sacrifices, celle qui comble sa solitude de temps à autres est elle aussi menacée. Quel métier !
Ce flic, petit par la taille mais grand par la conscience professionnelle,
n'échappe pas au sort des héros : il est solitaire. C'est donc dans un déficit
de soutien qu'il devra conduire cette enquête dont il fait une affaire
personnelle en dépit de la règle du métier selon laquelle un enquêteur ne peut
travailler sur un cas qui le touche de près. le sentiment est forcément mauvais
conseiller dans les affaires professionnelles. Verhoeven le
sait mieux que quiconque. Il persiste. Il met sa carrière en jeu. Advienne que
pourra, il se fait un devoir de coffrer le tortionnaire de celle qui partage sa
vie. Autant que puisse être partagée une vie de flic.
Seul face à la hiérarchie. Seul face à la justice. Seul face aux truands. Mais
au fait, pourquoi ces derniers ont-ils épargné celle qu'il tenait au bout de
leur canon de fusil, au risque d'être reconnus, après l'avoir copieusement
maltraitée au point de la rendre méconnaissable ? Verhoeven est
seul pour échafauder les hypothèses. Seul mais déterminé.
Le temps est compté pour le flic qui se lance sur les traces des voyous sans avoir l'aval de la hiérarchie, policière autant que judiciaire. le roman est minuté. Les cruautés ne manquent pas au tableau. Autant physiques que psychologiques. Sans doute une marque de fabrique chez Pierre Lemaitre, chez qui la compromission se paye cher. A héros atypique, polar atypique. Anti héros serait-on tenté de dire. Pierre Lemaitre nous offre un beau baroud d'honneur pour ce flic qui ne veut pas d'une sympathie compatissante.
J'ai fait une infidélité à Adamsberg de Fred Vargas avec
ce polar. Mais l'un comme l'autre me font prendre goût au polar. Nos yeux
courent sur les lignes comme le flic aux fesses des truands. le suspens y est
habilement dosé, la qualité des énigme, construction et dialogue n'a pas besoin
des effets spéciaux qu'on se croit obligé de nous servir trop souvent désormais
pour compenser certaines pauvretés. Avec un épilogue comme je les aime. Un
épilogue qui ouvre l'avenir autant qu'il le ferme.
dimanche 4 janvier 2015
Au revoir là-haut ~~~~ Pierre Lemaitre
Frileux de nature avec les œuvres primées, j'ai laissé le temps faire son œuvre, la fièvre de la consécration retomber et, sans l'avoir consultée au préalable, la critique forger sa maturité avant de m'intéresser à cette œuvre. Je me suis même fait prier encore un peu. J'ai attendu la chaude recommandation d'une amateure avisée – on peut désormais l'écrire au féminin - pour me décider à découvrir cet ouvrage. Ma propre opinion n'aura été influencée que par cette ingérence, bénéfique au final, dans mes goûts littéraires.
Et là, le piège s'est refermé, plus possible de m'extraire de ce livre avant
son épilogue.
La vie va tellement vite de nos jours qu'un événement chasse l'autre à peine
survenu. Il est donc devenu primordial de ne pas céder à la précipitation et
faire durer les aubaines de qualité. Celles qui émergent du lot. Il n'y en a
pas tant que cela. Cela permet d'en reparler un an après sa parution et de
prolonger son intérêt, alors que Lydie Salvayre a
pris la place dans l'actualité. Je ne regrette pas d'avoir lu cet ouvrage en
décalé et lui prédis une séduction durable, au-delà de la fièvre médiatique -
dont on sait qu'elle est à la fois définitive et éphémère - qu'il a suscitée.
14-18, deux nombres réunis dans une expression qui ne dit plus son horreur. Pour les contemporains du XXIème siècle, ce n'est désormais plus qu'un index dans l'inventaire des cataclysmes. Une nomenclature qui banalise l'inconcevable. C'est sans doute ce qui a incité Pierre Lemaitre à écrire, en 2013, un ouvrage sur cette période noire de l'histoire de notre vieille Europe. Pour crier à la face du monde que les guerres, et celle-là en particulier, ne peuvent pas se réduire à une banale comptabilité de vies perdues.
14-18, ce ne sont pas des millions de morts, c'est une vie arrachée à
l'affection des siens, des millions de fois.
Pierre Lemaitre choisit de nous remettre en mémoire l'horreur de cette boucherie planétaire au travers des yeux d'un soldat devenu spectateur de sa propre disparition. Parce qu'au sortir de cet enfer, en perdant son visage, sa voix, Edouard Péricourt est mort socialement, affectivement et même administrativement, puisqu'il n'a pas voulu que son nom reste attaché à cette gueule cassée. de son visage ne restent en effet que les yeux, pour voir la vie continuer sans lui. Sans espoir de réintégrer le monde de ceux qui peuvent encore pleurer. Il est devenu un monstre.
Autrefois fils de bonne famille, créatif, espiègle, en butte à un père sans
amour, ce monstre n'a désormais plus qu'une issue : organiser et mettre en
scène sa disparition physique. Finir le travail que la grande machine à tuer
n'a fait qu'ébaucher. Mais avant de disparaître, il décide toutefois, en
dernière facétie, de reprendre la main sur ce destin macabre et de berner cette
société dans laquelle il avait peiné à trouver sa place et qui a fini par
l'éjecter de ses rangs. Peu importe s'il doit se jouer de la compassion
orchestrée par le souvenir patriotique. Car c'est bien la cupidité des
puissants qui a organisé l'horreur absolue et fait se jeter les uns contre les
autres la cohorte des humbles sous un déluge de fer et de feu. Des êtres
simples que la raison des Etats a broyés comme une matière consommable. Cette
raison-là peut perpétrer le crime en toute légalité, sous couvert de grands
sentiments patriotiques.
Le point fort de cet ouvrage est l'analyse psychologique des personnages
élaborée avec réalisme et lucidité, dans une intention satirique à peine
voilée, à l'encontre de cette société archaïque du début du 20ème siècle qui
vacille sur ces bases moralistes.
Cette grande guerre ne sonnera pas seulement le glas de toute une génération d'hommes dans la force de l'âge, mais aussi de l'ordre social rigide qui prévalait en Occident à cette époque. Edouard Péricourt, insoumis à son capitaine d'industrie de père du temps de sa jeunesse, sera le symbole de cette rébellion contre l'ordre établi. Sur son visage perdu, la valse des masques, confectionnés avec la complicité de Louise, sa petite voisine, représente autant de pied-de-nez à cette société qui a trop voulu contraindre sa créativité et son goût de la liberté.
Pierre Lemaitre construit avec brio une caricature de la société qui s'est fourvoyée dans la grande tragédie de cette guerre. Son style sobre et son vocabulaire accessible confèrent à cet ouvrage une simplicité taillée sur mesure pour ces êtres modestes, extirpés de leur foyer et jetés en pâture à la fureur des canons et de la mitraille. Il sait nous faire frissonner de terreur dans l'assaut de la cote 113, nous faire pénétrer le subconscient de ces pauvres bougres dépassés par la folie collective et qui ne peuvent émerger de leurs tranchées glauques que pour aller se faire tailler en pièces, au bon vouloir de la soif de gloriole d'un nobliau déchu. Il sait nous faire ressentir leur peur, leur résignation, leur révolte. Sans oublier non plus le penchant trivial de leur rusticité. En témoigne la relation de leurs ébats sexuels qui ne met pas exactement la femme à l'honneur. C'est peut être le seul sujet pour lequel l'auteur s'affranchit du vocabulaire pudique qui caractérise sa relation à la grande tragédie de 14-18.
Avec ce coup d'éclat Pierre Lemaitre nous fait la démonstration qu'il n'est pas prisonnier de son style littéraire de prédilection. On retiendra toutefois de l'auteur de polar sa capacité à nous tenir en haleine jusqu'à la dernière page et trouver à cet ouvrage un dénouement à la hauteur d'une intrigue fort bien construite.