Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire
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vendredi 22 janvier 2021

1984 ~~~~ George Orwell


 

Je ne regarderai désormais plus de la même façon ces caméras qui s'installent dans tous nos espaces publics. Je viens de lire le plus célèbre roman de George Orwell1984, dans la nouvelle traduction de Josée Kamoun. Version modernisée, adaptée aux formes linguistiques et idiomes contemporains. La novlangue qu'ont connue les lecteurs francophones de la première traduction de 1950 est devenue le néoparler. Mais Big Brother est resté Big Brother. Il a survécu au temps, s'y est incrusté, et a même prospéré, pas seulement dans le langage. Ne l'avait-il pas prophétisé ?

Je sors de cette lecture un tantinet oppressé. J'ai besoin d'air pur. Si la traduction est réussie au goût du lecteur tardif que je suis, je suis heureux que prenne fin la torture de ce talent littéraire. Talent immense et incontestable. Au point qu'il peut enfermer le lecteur dans son monde pervers et remettre en question ni plus ni moins que son plaisir de lecture. Et ne lui donner qu'une seule hâte, celle de sortir des griffes de Big Brother.

Et pourtant, dans les griffes de Big Brother, nous autres lecteurs du 21ème siècle nous y précipitons volontairement de nos jours à grands pas, par le truchement de ces appareils qui ne quittent plus nos poches, se sont installés chez nous, ces autres qui suivent les déplacements de notre carte bancaire, et tant d'autres encore. George Orwell en grand visionnaire d'une époque où n'existait encore ni internet, ni reconnaissance faciale avait envisagé cette ère qui est déjà là. Une ère qui au petit homme retire son libre arbitre pour l'inclure avec son assentiment inconscient, à l'insu de son plein gré, selon une expression désormais galvaudée, dans ce que Yuval Noah Harari dans son ouvrage Homo Deus, une brève histoire du futur, appelle la grande bulle de données. Bonne nouvelle l'intelligence survivra. Mauvaise nouvelle, elle sera artificielle. A qui profite le crime ? L'être humain devient la cible du grand marchandage planétaire. Et quid du sentiment dans tout ça ?

Sentiment dont George Orwell vide la conscience humaine, y compris le plus noble : l'amour. L'individu n'existe plus. Il est part d'un tout. Absorbé, phagocyté par une organisation aux contours mal définis mais omnipotente, laquelle a pouvoir de vie et de mort sur terre y compris de retirer à l'individu ce qui fait prospérer l'humanité, le corollaire de l'amour : l'instinct sexuel. Et de gérer la reproduction, la perpétuation de l'espèce sur un plan comptable et non plus affectif.

Au sortir de la seconde guerre mondiale et de l'avènement du communisme, George Orwell est inspiré par ces grandes tyrannies broyeuses d'individus qui s'ingénient à faire des individus des êtres décérébrés, dépourvus de toute velléité de pensée autonome, inféodés à une idéologie totalitaire. le régime s'autogère de façon collective et se perpétue par voie biologique. Eugénisme, sélection, assujettissement, bienvenue dans le monde de Big Brother. "Le pouvoir, rien que le pouvoir pur". le pouvoir n'est pas un moyen, il est une finalité.

La grande idée étant la réécriture du passé, l'abrogation de la mémoire, le modelage de la pensée aux contingences du moment. le présent abolit le passé. le mensonge est institué en vérité. La grande idée c'est aussi le "Ministère de la paix en charge de la guerre, celui de l'amour qui s'occupe de la torture, le Ministère de la vérité de la propagande et celui de l'abondance de la disette". Tout cela savamment orchestré pour entretenir et diriger la rancoeur de la grande masse des "prolos" vers des boucs émissaires. C'est du grand art. C'est déprimant à souhait. Voyage dans les abysses du désespoir, de la résignation, pour la prospérité du Parti et d'une minorité qui a fomenté tout cela à son grand bénéfice. Comme d'habitude, on ne refait pas le monde. La Ferme des animaux nous le confirme.

Archétype de dystopie, un ouvrage qui vous lave le cerveau. Vous fait promettre de ne pas le relire. A moins que…

A moins que la réécriture du passé vous fasse oublier sa lecture et qu'un d'optimisme inconsidéré guide votre main vers sa reliure sur le rayon de la bibliothèque, que vos yeux se portent sur les premières lignes : "C'est un jour d'avril, froid et lumineux et les pendules sonnent 13:00." … Et vous voilà de nouveau sur les pas de Winston Smith à ne plus pouvoir vous en extirper jusqu'à vous convaincre d'amour pour Big Brother. La boucle est bouclée. Bonne chance à vous.


jeudi 30 novembre 2017

Auprès de moi toujours ~~~~ Kazuo Ishiguro

 


Jusqu'à ce que le mot qui lèvera le tabou soit prononcé en milieu d'ouvrage, l'esprit du lecteur est entretenu dans le mystère d'un vocabulaire éludant le sujet avec habileté. C'est ainsi qu'à Hailsham, dans cet établissement dont on comprend qu'il se tient à l'écart de la société civile au milieu de la campagne anglaise, le lecteur se familiarise avec ceux qui sont les gardiens, les juniors, futurs accompagnants, puis donneurs lorsque devenus adultes.

Des juniors que l'on chouchoute dans ce centre très particulier, hors de leur famille, on comprendra pourquoi, entretenu dans l'idée que leur avenir n'est pas d'en fonder une eux-mêmes, même si les relations sexuelles ne leur sont pas interdites. On ferme les yeux avec une tolérance pudique sur le sujet. C'est de toute façon sans risque.

L'âge de l'interrogation venu, sans remettre en cause leur statut, une obsession les tenaille : trouver leur "possible". Et espérer ainsi, sans oser le dire, devenir comme les autres.

Un pas a été franchi dans l'éthique. Le lecteur pénètre dans l'univers déprimant d'un monde bienveillant mais sans amour. Il en découvre la raison par infimes insinuations. Son sang se glace à la découverte de la raison de ce climat si particulier.

"Science sans conscience n'est que ruine de l'âme". Le cœur n'y trouve pas son compte non plus. La montée en puissance très progressive de l'intensité dramatique du thème de cet ouvrage est réussie par une construction très habile. Un roman qui fait froid dans le dos car ce qui voulait être de l'anticipation ne l'est plus aujourd'hui. Il suffirait que … Mais bon ! Comptons sur la puissance de l'amour, si ce n'est de la raison.