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« Dieu a fait des différences, l'homme en a fait des inégalités ». Cette assertion que j'emprunte à Tahar Ben Jelloun trouve tout son sens chaque fois qu'il est question de race chez notre espèce dite humaine. Et c'est bien le fonds du sujet de cette très belle biographie écrite par Alexandra Lapierre. Elle parvient, avec cet ouvrage, à dénoncer la haine qui peut naître du fait de la différence abaissée au rang d'inégalité. Elle a exploité cet écueil chez un personnage que l'histoire a un quelque peu occulté et qui a pourtant joué un rôle significatif dans une page de l'histoire de son pays.
Belle n'était pas le qualificatif que lui aurait valu son apparence physique,
car elle était effectivement belle, Belle était son prénom, son vrai prénom.
Parce que pour ce qui était de son nom, elle avait dû le travestir, autant que
ses origines, certes en forme de reniement, pour se donner une chance de
promotion sociale dans l'Amérique raciste de la première moitié du 20ème
siècle.
Belle a commencé par être subsidiairement la bibliothécaire de J. P. Morgan, un
des hommes les plus riches et plus influents de son temps aux Etats-Unis. Elle
est devenue par son charisme, son intelligence et à force de volonté la
personne de confiance de ce personnage richissime au point de se voir donner
carte blanche, avec les fonds qui correspondaient, pour négocier et faire
l'acquisition des œuvres littéraires anciennes, rares et précieuses et autres œuvres
d'art sur lesquels le magnat de la finance avait jeté son dévolu. Belle avait
acquis une compétence saluée si ce n'est jalousée par ses pairs.
Elle a prospéré sous la protection de son bienfaiteur au point de devenir
elle-même reconnue, riche et célèbre. Tous statuts reposant cependant sur un
mensonge. Belle avait en effet monté avec sa famille l'incroyable scenario
destiné à cacher ses origines métissées. La dilution des gênes dans le temps
était telle qu'elle put s'afficher « sans une goutte de sang noir ». La
révélation de cette vérité lui eut valu le rejet cruel de la majorité blanche.
Et c'est pourtant bien ce qui est arrivé.
Car ce n'est pas spolier que de le révéler. Alexandra Lapierre le
cite en prélude de son ouvrage. Les circonstances et la lettre qui dévoilèrent
son subterfuge sont d'une cruauté inouïe, à l'encontre d'une personne qui
s'était hissée dans la société à force de travail, d'abnégation, de volonté,
mais aussi de fidélité intéressée, disons-le tout net, auprès de son
protecteur. La complicité manifestée entre eux fut un véritable jeu de chat et
de la souris, mais non dénuée d'une certaine tendresse.
Cette biographie est remarquable. Fort bien écrite, documentée et construite,
elle est autant une dénonciation de la haine raciste que l'histoire d'un
personnage. Un personnage fascinant, habile et brillant, rattrapé sur la fin de
sa vie par le mensonge qui lui avait permis son ascension sociale. Mensonge
poussé à son extrême, jusqu'à s'interdire toute descendance au risque que le
gêne de la négritude resurgisse dans sa progéniture. Belle Greene est
un ouvrage historique poignant sans être larmoyant, et son sujet un personnage
attachant du fait de l'opiniâtreté qu'il met à tenter de se défaire d'une
différence devenue inégalité.