Etat satellite des grandes puissances européennes la Roumanie a peiné à s'émanciper et à se constituer en état indépendant dans les frontières qu'on lui connaît aujourd'hui. Avec Eugenia, Lionel Duroy ouvre une fenêtre de son histoire au cours de laquelle les boucs émissaires aux difficultés du pays en quête d'identité étaient tout désignés parmi les membres de la communauté juive du pays.
Lorsque la seconde guerre mondiale s'annonce le nationalisme roumain fait
pencher la balance des alliances vers les forces de l'axe, alors que la
Roumanie s'était alliée à la France et l'Angleterre lors de la première guerre
mondiale. Les Juifs de Roumanie feront les frais de ce choix au cours de
pogroms, dont celui de Jassy en 1941, qui ont entaché l'histoire de ce pays
convoité en ce temps sur ses frontières par l'URSS en Bessarabie (aujourd'hui
partagée entre Moldavie et Ukraine), l'Autriche Hongrie en Transylvanie.
Jeune étudiante en université lorsque les premières manifestations hostiles aux
Juifs se déclarent avant la guerre, Eugenia prend
spontanément leur défense. Y compris lorsqu'un de ses frères devient un des
meneurs de la terreur menée contre eux. Devenue journaliste et résistante
pendant la guerre, elle poursuit son combat pour plaider la cause de ce
peuplement confessionnel dont on connaît trop bien le sort funeste qui lui fut
réservé en cette période noire de l'histoire de l'Europe.
Au travers du combat de la jeune Eugenia appliqué
à des références historiques vérifiables, Lionel Duroy ouvre
la réflexion sur la cause du ressentiment meurtrier et instinctif qui s'est
manifesté à l'encontre d'une communauté confessionnelle intégrée de longue date
au coeur du pays ; alors que la politique roumaine du moment n'était nullement
gangrénée par une idéologie ségrégationniste comme en Allemagne. Il ouvre
également sur l'évolution du métier de journaliste qu'Eugenia veut
promouvoir de simple relation des faits en une approche moderne, plus humaine,
en quête du ressenti des personnes face à l'actualité. Clin d'oeil également et
accessoirement sur la culture d'un pays dont on oublie les accointances qu'il a
eues avec le nôtre. La langue française y était répandue dans une part non
négligeable de la population.
Bel Ouvrage que celui-ci qui sous la plume de Lionel Duroy a
pris le nom de son héroïne. Au-delà de la page d'histoire d'un pays qui dans
notre inconscient nombriliste s'est fait voler la vedette par les grandes
puissances de la seconde guerre mondiale, voilà une façon de nous remettre en
mémoire que le fleuve de l'antisémitisme qui se déversait dans l'océan de haine
des camps de la mort était alimenté par des ramifications qui prenaient leur
source dans tous les recoins de la vieille Europe.