Aussi loin que remontent ses
souvenirs, Kochan, jeune japonais des années 40 et narrateur de Confession
d'un masque, tente de comprendre quel germe implanté au fond de lui-même,
quelle force maligne a pu inverser la polarité de ses affinités émotionnelles,
au point de faire basculer son être intime dans "l'anormalité".
Avec la conscience adulte de
celui qui écrit, et s'adresse parfois directement à son lecteur, Kochan tente
de décoder les non-dits. Ce qu'il croyait imposé par une éducation
traditionnaliste et puritaine étouffait en réalité une vérité inavouable. Dans
ce roman, dont on ne doute pas qu'il puisse être autobiographique, Mishima
décortique le lent processus de la prise de conscience d'une différence. Son
innocence originelle pressent, puis identifie pour finalement se mortifier de
son penchant homosexuel. La révélation s'est insinuée en lui selon un long
processus de maturation émotionnelle. Il lui a fait négliger la silhouette bien
prise et le soyeux de la peau des filles pour s'émouvoir à la vue du corps
masculin.
Les muscles saillant sous une
peau glabre, un "physique d'esclave et les traits d'un prince", la
représentation du martyr de Saint-Sébastien, sera pour lui un symbole à plus d'un
titre. Celui de la beauté du corps de l'éphèbe en premier lieu, le symbole du
supplicié pour sa seule différence ensuite. Celui enfin d'un visage tendre et
impassible qui a la volonté de ne pas mépriser ses bourreaux et reçoit la mort
comme une délivrance.
Une fois avéré et admis, ce
mauvais penchant n'inspirera finalement que le dégoût à Kochan. Il se prend
alors à attendre alors la mort "avec une sorte d'impatience",
convaincu d'avoir découvert "le véritable but de sa vie". Ce désespoir
est vécu à la japonaise. Tout en pudeur et discrétion, sans épanchement, encore
moins de lamentation. Les traits figés. Comme ceux d'un masque impassible
plaqué sur un visage torturé.
Marguerite Yourcenar avait
été intriguée par cette quête de l'issue libératrice. Avec Mishima
ou La Vision du vide, elle scrutait dans l'oeuvre de cet auteur froid et
talentueux les prémices de la mort planifiée de longue date. Mishima a mis un
terme à sa vie vingt ans plus tard de la manière la plus violente qui soit. La
fascination de Kochan pour le sang, la mort, le suicide sont évoqués à maintes
reprises dans cet ouvrage. Sauf peut-être le décorum morbide et spectaculaire
avec lequel Mishima passera à l'acte dans la plus pure tradition samouraï, le
lecteur ne pourra envisager d'autre épilogue à telle vie de tourments.
Dans un style dépouillé, austère,
Mishima décrypte cette sombre alchimie qui l'a rendu incapable de conjuguer
sensualité et sexualité, attirance et convenance. Pourtant, de la capacité
d'aimer son coeur ne manquait pas. Mais son penchant abhorré, imposé par une
volonté supérieure, lui a dérobé la plénitude nécessaire à toute harmonie dans
la vie affective.
Ce récit est d'autant plus
touchant lorsque l'on sait que l'auteur est allé au bout de ses tendances
suicidaires. Il a choisi pour mettre fin à ses jours de s'infliger la sentence
traditionnelle de ceux dont l'honneur a été bafoué.
Le texte pourrait souffrir de
quelques longueurs si le lecteur ne les percevait pas comme nécessaires à
l'imprégnation du malaise vécu par son narrateur. Tout en retenue, cet ouvrage
trouve sa beauté dans la pudeur qui l'inspire, même quand son héros y évoque
ses "mauvaises habitudes".