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mardi 27 juin 2023

Hôtel Castellana ~~~~ Ruta Sepetys

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« La fillette lui caresse les cheveux.
- Señorita, pourquoi tu pleures ?
Puri secoue la tête et se force à sourire.
Estamos más guapas con la bocca cerreda.
C'est vrai. Nous sommes réellement plus belles avec la bouche fermée. » (Editions Folio - page 477)

Chape de plomb sur L'Espagne. Franco est au pouvoir. C'est le règne de la peur. le silence est salvateur. Mais « le silence est aussi une voix ». Une voix qui attend son heure. Comme peut l'attendre la réalisation de cette idylle impossible née entre un jeune américain fortuné et une femme de chambre de l'hôtel dans lequel il est descendu : l'Hôtel castellana.

Même si le prix en a été élevé pour les opposants au dictateur, patience et longueur de temps ont eu raison de la tyrannie. C'est l'histoire qui nous le dit. Auront-elles raison de l'obstacle à l'amour, il faut pour cela lire cet ouvrage de Ruta Sepetys. Oui, il faut lire cet ouvrage. Il est d'une justesse et une authenticité incroyables.

Cela fait déjà quelques temps que je n'avais été autant en phase avec pareil ouvrage dans mon genre de prédilection : le roman historique. J'ai rarement vu une fiction se fondre aussi naturellement dans les faits authentiques. Une fiction parfaitement maîtrisée par Ruta Sepetys. Elle parvient à susciter l'émotion sans sombrer le moins du monde dans le pathos ou la mièvrerie. le risque était pourtant grand, s'agissant d'enfants souffrant de la funeste entreprise du régime de Franco : le vol d'enfants à leurs parents républicains et leur vente à des fins de purification politique.

« Franco considère les opinions républicaines comme une maladie héréditaire, alors, pour qu'elle soit éradiquée, les enfants doivent être autant que possible élevés par des franquistes. » (page 376).

La construction de l'ouvrage est judicieuse, l'intrigue est entretenue sans aucune baisse de rythme avec ses chapitres courts et ses encarts de notes officielles émanant de différentes sources, dont des témoins de l'époque, qui viennent à l'argumentation et au rappel de la réalité. Et quelle réalité !

L'autrice réussit à auréoler ses personnages d'une forme de pureté, comme si les affres de la guerre les avaient dépouillés de leur vanité sans leur ôter leur fierté. L'intensité dramatique est empreinte de la prudence des humbles. Ça sonne vraiment juste.

L'histoire d'amour impossible qui nait entre Ana et ce client américain est traitée avec beaucoup de pudeur. La sensualité est dans les aspirations contenues. Cette histoire constitue la colonne vertébrale de l'ouvrage, elle lui confère un souffle romanesque maîtrisé qui ne vole en rien la vedette aux faits périphériques. C'est judicieusement construit.

« le peuple obéit parce qu'il est épuisé. Il y a une tension entre l'histoire et la mémoire : certains veulent désespérément se souvenir, mais d'autres veulent désespérément oublier. » (Page 375).

Histoire et mémoire, où se situe ce roman de Ruta Sepetys ? Au juste milieu serait-on tenté de répondre. L'Espagne a eu ce talent d'évoluer vers une transition douce, non revancharde, avec le retour à la démocratie à la mort du tyran. le roman de Ruta Sepetys a le génie de se fondre dans ce contexte comme il a celui de ne pas trahir l'histoire ni de pervertir la mémoire à succomber aux sirènes d'un misérabilisme racoleur.

Je salue la performance de Ruta Sepetys. Elle a su conserver recul et objectivité pour produire un ouvrage d'une grande justesse sur un sujet ô combien délicat et douloureux. En le rehaussant d'une histoire sentimentale touchante, parce que crédible et parfaitement intégrée, elle produit un très bel ouvrage fort bien écrit et construit. Je lui dis bravo.

vendredi 23 septembre 2022

Les diables de Cardona ~~~~ Matthew Carr

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Pour ma 666ème chronique il fallait que j'invite le diable à la fête sur Babelio. Bien qu'avec cet ouvrage de Matthew Carr, le diable n'est pas forcément celui qu'on croit.

Dans l'Espagne de sa majesté très catholique en cette fin de XVIème siècle la justice du roi ne peut ignorer les menées de cette autre institution qui quant à elle veut faire appliquer la justice de Dieu : la bien nommée Inquisition. Or nous savons depuis déjà fort longtemps qu'au Créateur du ciel de la terre on a pu faire dire tout et son contraire, puisqu'il brille par son silence, surtout quand il s'agissait de préserver quelque monopole bien lucratif.

En cette fin de siècle post Reconquista lorsque le prêtre de Belamar de la sierra est assassiné l'inquisiteur a tôt fait de désigner le coupable, lequel se ferait appeler « le Rédempteur », dans les rangs de ceux qu'on désignait alors sous le vocable de morisques. Il n'était autre que ces maures n'ayant eu d'autre choix que de se convertir au christianisme ou quitter l'Espagne dans laquelle ils étaient nés.

Un magistrat, Bernardo de Mendoza, est désigné pour mener l'enquête. Sa majesté a beau être très catholique elle ne veut pas laisser à l'Inquisition le soin de désigner elle-même des coupables qu'elle aura tôt fait avouer sous le fer rouge ou l'estrapade.

Enquête mouvementée et à rebondissements pour notre magistrat. Il devra faire la part des choses entre conflits religieux et autres intérêts plus triviaux lorsque la belle et riche comtesse de Cardona se retrouve veuve, et donc fort convoitée. Les prétendants pourraient alors bien être à l'origine de complots bien orchestrés pour détourner les regards de leur responsabilité. En pareille contexte le diable est bel et bien à rechercher parmi ceux qui affichent un visage d'ange.

L'intrigue est ponctuée de moultes péripéties qui donnent un rythme effréné à ce roman. le fonds historique est bien documenté et témoigne d'une solide culture de son auteur en matière de religion. Là où cela se gâte à mes yeux c'est dans le dénouement. Les gènes américains de l'auteur ont refait surface et transformé le roman de cape et d'épée en western. Qu'on en juge par quelques citations : « les mains en l'air et ne bouge pas », « vous êtes en état d'arrestation dit Mendoza », ou encore par des combats qui font plus parler les pistolets, qui n'avaient rien d'automatique au 16ème siècle, que fendre les épées ou piquer les dagues. Chassez le cow-boy et il revient au galop pour que justice soit rendue et le coupable pendu haut et court. Et l'infidèle soustrait à la justice divine au grand dépit de l'inquisiteur lequel lui aurait forcément dicté des aveux.

Cette dérive entache quelque peu le roman d'un anachronisme de situation et de langage. Il reste pourtant de bonne facture et trouve son intérêt quand il s'agit se remémorer un contexte historique et dénoncer des pratiques judiciaires d'un autre temps : selon que vous serez puissant ou misérable, etc… etc…


samedi 16 août 2014

Les révoltés de Cordoue ~~~~ Ildefonso Falcones

 


Comment se faire une idée de ce que pouvait être la vie des petites gens dans le sud espagnol, à la fin de la Reconquista, si ce n'est en lisant Les révoltés de Cordoue.

Des êtres sur le qui-vive perpétuel, dans un monde où règne la loi du plus fort. Des animaux traqués en quête de leur subsistance quotidienne, dans une société régie par les coutumes et la foi. La hiérarchie était celle de la naissance, la légitimité de toute position sociale celle de Dieu et la loi dictée par la religion. Bien piètre perspective pour le mal-né, le manant. Il n'avait alors de salut que dans le choix d'une mort fidèle à sa foi religieuse.

S'il est une constante en ce monde ce sont bien les conflits inter religieux. Notre actualité nous le prouve tous les jours. En cette fin de XVIème siècle en Espagne, après les juifs, un siècle plus tôt, les musulmans d'Andalousie à leur tour n'ont d'autre choix que se convertir ou s'expatrier, après sept siècles de coexistence confessionnelle.

C'est l'atmosphère dans laquelle évolue Ibn Hamid, alias Hernando Ruiz, maure espagnol traqué par une inquisition triomphante à l'heure où le christianisme reprend le monopole des consciences. Et pourtant, en dépit du double handicap d'être né maure et au bas de l'échelle sociale, notre héros va naviguer en eaux troubles, rejeté par les siens, mal accueillis par les chrétiens, et curieusement monter dans l'échelle sociale grâce aux sauvetages que sa philanthropie lui dicte aux hasard de ses revers de fortune.

Né d'une femme violée par un prêtre, il consacrera sa vie à tenter de mettre en évidence les traces dans la genèse de chaque religion qui pourraient les rapprocher et les faire vivre en harmonie. Il gardera au coeur l'amertume de voir ces deux mondes restés irréconciliables
Les cruautés sont le lot quotidien de ces êtres enchaînés par leur foi. On s'étonne de la froide détermination des tortionnaires à tailler dans les chairs, briser les membres, faire couler le sang, arracher les enfants à leur mère. On s'étonne encore plus à voir les suppliciés chevillés à leur foi, lui rester fidèles sous le calvaire de la question. Doux euphémisme qui ne traduit pas son lot d'horreur et de souffrance. Les sentiments, les convictions sont d'autant plus forts que le contexte dans lequel il s'exprime est féroce.

C'est un ouvrage qui montre la force de l'ancrage de la religion transmise à la naissance, perpétuée par l'éducation, la force des femmes qui, plus que les hommes, endurent les conséquences des conflits, la force des sentiments de cette époque régie par des valeurs dont notre monde d'aujourd'hui se démunit.

Toutefois, l'écueil potentiel avec ce genre de gros volume est de provoquer des longueurs dans l'intrigue. La plume facile d'un auteur capable de produire une telle fresque historique romancée peut fort bien être trahie par son souci du détail et se trouver à la peine pour conserver l'attention de son lecteur au long de certains chapitres. C'est un peu ce qui se produit avec cet ouvrage d'Ildefonso Falconnes. Il n'aurait pas démérité avec une réduction d'un bon tiers de son nombre de pages. A l'instar de la cathédrale de la mer qui m'avait incité à m'attaquer à ce nouveau roman de son auteur.

La traduction a-t-elle aussi peut-être modernisé certaines expressions au point de les rendre presque anachroniques ? Les révoltés de Cordoue, qui aurait pu conserver son titre original, La main de Fatima, n'en reste pas moins un excellent ouvrage remarquablement documenté sur une période douloureuse de l'histoire de l'Espagne. Je le recommande aux amateurs de beaux romans historiques.


jeudi 8 mai 2014

La cathédrale de la mer ~~~~ Ildefonso Falcone

 


Je déconseille fortement la lecture de cet ouvrage à qui veut rester maître de son temps. Dans le train vous laisserez passer votre arrêt, votre rendez-vous chez des amis. C'est un livre qui vous soustrait à votre quotidien. On est emporté au fil des pages qui se tournent, et lorsque la lecture fait une pause, par obligation, il faut se réapproprier le présent.

Ce parcours de vie dans la Barcelone médiévale est rythmé, haletant, soutenu. Il n'y a ni longueur, ni relâchement.

C'est un ouvrage sur l'inhumanité des relations sociales du moyen-âge avec ses extrêmes dans les conditions de vie. C'est un ouvrage sur la force des sentiments, sans mièvrerie ni attendrissement. C'est un livre sur la tolérance entre religions quand le Christianisme revendique l'exclusivité.
On y ressent la douleur des corps sous le poids des charges, la moiteur de la peau dans le labeur exténuant, les odeurs pestilentielles des locaux d'incarcération, le frôlement de la peau duveteuse des rats dans les cachots, l'angoisse des esprits sous la menace de l'inquisition, la ferveur des consciences pour lesquelles la croyance est la seule bouée de sauvetage.

On touche la sécheresse des corps décharnés atteint par la maladie et la malnutrition. On s'imprègne du désespoir et de la résignation. On enrage d'injustice.

Heureusement qu'il y a le sourire de la Vierge.

C'est poignant de vérité, touchant de sensibilité, vibrant de ferveur, glaçant d'angoisse, mais aussi parfois palpitant de sensualité contenue. Les cinq sens sont mis à contribution dans ce roman d'immersion spatiale et temporelle. Mais aussi ce que ne perçoivent pas les sens et qui fait que des corps s'attirent, se repoussent, s'unissent, se déchirent.

Bien sûr il y a quelques raccourcis dans les parcours de vie qui s'écartent et se recroisent et mettent à mal la vraisemblance, mais globalement c'est criant de vérité, évocateur d'histoire.