C'est
fortuitement que Clémentine Beauvais apprend avoir eu une lointaine aïeule
religieuse, au XVIIème siècle. Cette dernière a été sanctifiée sur le tard sous
le nom de sainte Marguerite-Marie. Elle avait écrit le journal de sa vie et
c'est contre sa volonté que ce texte fut conservé. Elle avait en effet demandé
sur son lit de mort à son infirmière de procéder à la destruction du manuscrit.
Elle fut désobéie sur ce point.
Au XVIIème siècle on le sait les femmes n'écrivent pas, ou si peu. Encore moins des romans, genre qui n'existe pas encore. Et encore moins imaginent-t-elles être éditées. Il leur manque cette chambre à soi chère à Virginia Woolf dans un monde gouverné par les hommes qui seuls avaient l’espoir d’être édités. Mais peut-être ces intimité et solitude nécessaires à l’écriture, Marguerite-Marie les avait-elle quand même réunies en son couvent des visitandines à Paray-le-Monial, car son journal vit le jour. Alors sommes-nous portés à nous interroger sur son intention dans l’acte d’écrire ce qui relève de l’intime. Peut-être pour se mettre elle-même à l’épreuve de sa foi. Ou bien destinait-elle cet ouvrage à des yeux très hauts. A moins que, comme nous le confie Clémentine Beauvais, écrire c’est peut-être aussi détourner le regard de ce que l’on veut cacher. Y compris et surtout dans l’exercice du journal intime.
Clémentine Beauvais est quant à elle agnostique. Peut-être serait-elle même plus que cela si quelque chose, ou plutôt quelqu'un, ne la retenait au bord du gouffre de l'athéisme. Gouffre qui n'en est d'ailleurs surement pas un pour elle, mais seulement un sujet de réflexion. De ceux qui font basculer de la foi vers la philosophie. De la croyance vers la raison.
Aussi lorsqu'une éditrice lui suggère d'écrire un ouvrage sur son aïeule, c'est sans doute par défi à sa foi absente que Clémentine Beauvais, autrice aux multiples ouvrages à succès, se livre à l'exercice. Elle qui ne connaît de l'amour que la version terrestre du sentiment – elle nous le confie - décide de se confronter à sa version céleste. Celle éprouvée par son aïeule pour le Christ, Lequel lui serait apparu à plusieurs reprises, au point de faire d’elle une exaltée. N’avait-elle pas brûlé ses mains au Sacré-Cœur. Et de se mortifier de sévices jusqu’à se voir reprocher, par Celui-là même vers qui était dirigé son adoration, d'une rigueur excessive.
J’ai
trouvé la démarche passionnante : la rencontre par ouvrage interposé
au-delà des siècles d’une agnostique avec une exaltée de Jésus-Christ. Ce qui a
parachevé mon intérêt pour me rendre cette lecture captivante, c’est évidemment
le style adopté par son autrice. Le style résolument moderne, rehaussé d’un
humour un brin caustique, un brin « provoc » mais pas trop. Un style
taillé sur mesure pour plaire au lectorat de notre temps dont on sait qu'il
n'est pas non plus très porté sur le mystique. Un style qui donne à cette
écriture sa fluidité et coupe court à tout ce que le sujet pourrait comporter
de rébarbatif. Il se police toutefois quelque peu au fur et à mesure que la
connaissance avec la lointaine aïeule s’approfondit. En même temps que l'une et
l'autre, par-delà les siècles se fassent connaître l'une à l'autre. Sans
intention de prosélytisme, entendons-nous bien. Juste pour faire admettre que
la tolérance réciproque dans sa conception tant religieuse que civile passe par
la connaissance mutuelle et le respect des consciences de chacun.
Un
style donc, pour insister sur le sujet tant il est influent quant au message à
faire passer, qui soutient l’ouvrage dans sa totalité pour en faire une lecture
vivante, attrayante. Il me fait au passage me demander, puisque c’est le
premier ouvrage que je lis de cette autrice, s’il est une marque de fabrique
chez Clémentine Beauvais ou bien s’il est volontairement adapté au sujet
traité, pour servir d’accroche à un lectorat volatile.
Cet
ouvrage m'a séduit tant il m'a paru particulièrement judicieux, courageux dans
son intention et sa démarche aussi quand on apprend de la main de Clémentine
Beauvais le contexte familial dans lequel elle décide de se livrer à pareille
aventure éditoriale. Un ouvrage qui peut-on dire est une biographie croisée de
deux personnes, l’autrice et son aïeule, avec la confrontation de leurs
opinions respectives sur le sujet de la croyance. Même si le genre de la
biographie n’est pas le plus approprié, au point que les éditions J’ai Lu lui
affecte l’étiquette de récit. Les chausse-trappes ne manquaient pas et c'est
avec brio que Clémentine Beauvais a réussi cet exercice à mes yeux. Même si elle
n'est déjà plus une novice en matière littéraire autant par son érudition que
par ses succès d’édition, je le découvre en faisant sa connaissance avec cet
ouvrage. Il me reste désormais qu'à confirmer mon goût pour pareille écriture
décomplexée avec un autre ouvrage de sa main.