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mardi 9 novembre 2021

L'attrape-cœurs ~~~~ J. D. Salinger



Le cap de l’adolescence, c’est comme celui de Bonne-Espérance. Le franchir c’est passer d’un monde à l’autre dans le tumulte des eaux chahutées par la rencontre des océans. Laisser derrière soi la naïveté de l’enfance pour voguer vers la maturité dans le bouillonnement des hormones qui déferlent dans toutes les cellules du corps.

Mais ce cap est-il vraiment porteur de ce feu de l’espérance ? J. D. Salinger nous suggère une réponse dans l’attrape-cœurs avec son héros Holden Caulfield. L’horizon de l’adolescent est bouché au-delà de la portée du regard. Tout est remis en question, à commencer par la raison d’y aller vers cet horizon, paysage lointain dont ses parents lui sont le premier plan. L’adolescent n’a pas envie de leur ressembler dans un monde dont il va hériter et qu’il découvre hideux.

Beaucoup d’ouvrages traitent du franchissement de ce cap de la vie. Comment se singularise celui de J. D. Salinger ? L’auteur met l’accent sur la solitude de l’adolescent, en quelques jours de sa vie. Ce dernier prenant le lecteur à témoin avec son langage vernaculaire de jeune garçon dans l’Amérique des années 50. Sa fierté bravache mais chancelante lui fait éluder le mal-être qui l’habite. On doit comprendre à son errance qu’il ne voit aucune perspective dans le modèle que lui proposent les adultes de son entourage. Que ce soit à la maison ou au collège. L’ailleurs, il ne le connaît pas vraiment. Il l’explore avec déboires. Le monde est fait de profiteurs, de pervers lesquels lui ferment autant de voies qu’il croyait être des pistes d’évasion.

Des parents trop occupés par la vie professionnelle, un frère aîné parti vivre sa vie à l’autre bout du pays, un autre plus jeune mort prématurément – est-ce une chance ? – et une petite sœur. Elle est vive et intelligente. Elle semble bien dans sa peau. Curieusement Holden se sent porté vers elle. Elle est le fragile lien de rattachement avec sa famille. Lui qui a quitté le collège avec ses valises et erre dans New York avec l’incertitude du lendemain.

Le langage adolescent fait de formules argotiques de dédain et d’exagération est quelque peu rébarbatif au début de l’ouvrage. Il a fallu au traducteur retranscrire ce fameux « bloody » que les anglosaxons mettent à toutes les sauces lorsqu’ils sont blasés de tout. L’auteur ne nous épargne rien des répugnances qui peuvent assombrir l’image que l’adolescent se fait de la vie adulte. Holden ne trouve pas non plus de recours dans sa vie sentimentale. Les garçons et les filles sont-ils faits pour s’entendre ? Heureux celui qui ne considère les filles que comme objets de désir sexuel. Au moins ne se posent-ils pas de questions existentielles. Aux filles de se protéger des appétits insincères.

Le langage rébarbatif trouve sa raison d’être et s’adoucit au fur et à mesure que la désillusion ouvre la porte du désespoir. Le lecteur devenu confident comprend vite le désarroi de l’affabulateur. La cuirasse de celui qui veut jouer les durs se fendille peu à peu, jusqu’à faire jaillir quelques larmes. Que reste-t-il à Holden Caulfield pour retrouver espoir en l’avenir. Partir pour un ailleurs improbable, mais d’abord aller dire au revoir à sa petite sœur adulée. C’est là peut-être que se singularise l’Attrape-cœurs de J. D. Salinger lequel nous adresse un roman touchant sur le franchissement du cap de l’adolescence. Pour qu’il reste celui de bonne espérance.