Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

mardi 19 août 2014

Les hirondelles de Kaboul ~~~~ Yasmina Khadra




« Laisse-la crever. Je t'assure qu'elle est à sa place là où elle est. Après tout, ce n'est qu'une femme. » Dans la bouche du milicien taliban Qassim Abul Jabbar, cette phrase résume le livre. C'est un ouvrage court et cinglant, comme un coup de cravache. Tels ceux avec lesquels ces fous de Dieu, dans Kaboul, rabattent les fidèles vers la mosquée.

C'est un ouvrage sur la disparition de la femme du paysage humain. Reléguée au rang de vecteur de procréation, à la seule fin de perpétuer les adorateurs de Dieu. La femme chosifiée, ainsi que se qualifie Zunaira, l'avocate condamnée à dissimuler sa beauté sous ce tchadri qu'elle exècre.
C'est un ouvrage sur l'effacement des cultures, sur le détournement des écritures saintes à des fins d'appropriation du pouvoir.

C'est un ouvrage dans lequel des créatures sanguinaires, avec pour toute culture celle de la Kalachnikov, y parachèvent un obscurantisme nauséabond. C'est l'ouvrage du désespoir fait homme.

Kaboul n'est plus qu'un épiderme squameux où les tumulus des tombes comblées à la hâte, au gré des exécutions, sont autant de bubons qui témoignent de sa maladie.

Et pourtant, quelques sentiments émergent avec prudence de l'océan noir qui a englouti la joie de vivre dans ses abysses de haine. Des relents d'humanité se raniment alors, comme la flamme d'une bougie dans l'obscurité des catacombes. C'est ce qui arrive à Atiq, le geôlier malgré lui, qui laisse dépérir sa femme malade, sans le moindre secours. Il découvre un jour la grandeur d'âme de celle-ci, lorsqu'elle lui propose de prendre la place de Zunaira, condamnée à mort, à la faveur du tchadri, le voleur d'identité, qui pourra tromper les bourreaux.

Yasmina Khadra n'a pas son pareil pour traduire les ressentis, les infiltrer dans l'esprit de son lecteur et le convertir aux états d'âme de ses personnages.

Et au final le message qui passe. Prends garde ! Toi qui vis dans l'insouciance du confort. le sournois est dans ton dos. Jaloux de ton succès, il sera d'autant plus cruel qu'il aura forgé son ignorance et trompé son discernement au discours du prêcheur.

A lire absolument, d'un seul trait, comme un coup de cravache en travers de la figure. 

samedi 16 août 2014

Les révoltés de Cordoue ~~~~ Ildefonso Falcones

 


Comment se faire une idée de ce que pouvait être la vie des petites gens dans le sud espagnol, à la fin de la Reconquista, si ce n'est en lisant Les révoltés de Cordoue.

Des êtres sur le qui-vive perpétuel, dans un monde où règne la loi du plus fort. Des animaux traqués en quête de leur subsistance quotidienne, dans une société régie par les coutumes et la foi. La hiérarchie était celle de la naissance, la légitimité de toute position sociale celle de Dieu et la loi dictée par la religion. Bien piètre perspective pour le mal-né, le manant. Il n'avait alors de salut que dans le choix d'une mort fidèle à sa foi religieuse.

S'il est une constante en ce monde ce sont bien les conflits inter religieux. Notre actualité nous le prouve tous les jours. En cette fin de XVIème siècle en Espagne, après les juifs, un siècle plus tôt, les musulmans d'Andalousie à leur tour n'ont d'autre choix que se convertir ou s'expatrier, après sept siècles de coexistence confessionnelle.

C'est l'atmosphère dans laquelle évolue Ibn Hamid, alias Hernando Ruiz, maure espagnol traqué par une inquisition triomphante à l'heure où le christianisme reprend le monopole des consciences. Et pourtant, en dépit du double handicap d'être né maure et au bas de l'échelle sociale, notre héros va naviguer en eaux troubles, rejeté par les siens, mal accueillis par les chrétiens, et curieusement monter dans l'échelle sociale grâce aux sauvetages que sa philanthropie lui dicte aux hasard de ses revers de fortune.

Né d'une femme violée par un prêtre, il consacrera sa vie à tenter de mettre en évidence les traces dans la genèse de chaque religion qui pourraient les rapprocher et les faire vivre en harmonie. Il gardera au coeur l'amertume de voir ces deux mondes restés irréconciliables
Les cruautés sont le lot quotidien de ces êtres enchaînés par leur foi. On s'étonne de la froide détermination des tortionnaires à tailler dans les chairs, briser les membres, faire couler le sang, arracher les enfants à leur mère. On s'étonne encore plus à voir les suppliciés chevillés à leur foi, lui rester fidèles sous le calvaire de la question. Doux euphémisme qui ne traduit pas son lot d'horreur et de souffrance. Les sentiments, les convictions sont d'autant plus forts que le contexte dans lequel il s'exprime est féroce.

C'est un ouvrage qui montre la force de l'ancrage de la religion transmise à la naissance, perpétuée par l'éducation, la force des femmes qui, plus que les hommes, endurent les conséquences des conflits, la force des sentiments de cette époque régie par des valeurs dont notre monde d'aujourd'hui se démunit.

Toutefois, l'écueil potentiel avec ce genre de gros volume est de provoquer des longueurs dans l'intrigue. La plume facile d'un auteur capable de produire une telle fresque historique romancée peut fort bien être trahie par son souci du détail et se trouver à la peine pour conserver l'attention de son lecteur au long de certains chapitres. C'est un peu ce qui se produit avec cet ouvrage d'Ildefonso Falconnes. Il n'aurait pas démérité avec une réduction d'un bon tiers de son nombre de pages. A l'instar de la cathédrale de la mer qui m'avait incité à m'attaquer à ce nouveau roman de son auteur.

La traduction a-t-elle aussi peut-être modernisé certaines expressions au point de les rendre presque anachroniques ? Les révoltés de Cordoue, qui aurait pu conserver son titre original, La main de Fatima, n'en reste pas moins un excellent ouvrage remarquablement documenté sur une période douloureuse de l'histoire de l'Espagne. Je le recommande aux amateurs de beaux romans historiques.


mardi 5 août 2014

Inch Allah Tome 1~~~~Gilbert Sinoué

 


En août 2014, nous connaissons une fois de plus une flambée de violence au Moyen-Orient. Expression devenue banale dans le langage journalistique de nos jours. Expression usée qui ne dépeint désormais plus son lot de souffrance et de mort dans l'esprit des Européens blasés que nous sommes. Des Européens qui ont soit oublié, soit jamais appris, leur part de responsabilité dans cette tragédie sans issue, fruit de politiques expansionnistes désastreuses.

L'armée israélienne réplique comme elle sait bien le faire à des provocations de la part des Palestiniens de la bande de Gaza. le sang coule encore, comme cela se fait depuis bientôt un siècle dans cette région, depuis cette fameuse déclaration Balfour envisageant la création d'un foyer national pour le peuple juif en Palestine.

Qui est légitime pour posséder cette terre sacrée et maudite à la fois ? Gilbert Sinoué nous introduit dans cette poudrière et a choisi de nous rappeler à l'histoire en nous faisant vivre le quotidien de familles palestinienne, irakienne, syrienne, et égyptienne. Il nous convainc que le Moyen-Orient fera encore longtemps la une de l'actualité, non seulement pour notre génération, mais aussi pour nombre de générations à venir.

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Natif de cette région, de cette époque qui a connu le Souffle du jasmin et vu l'Egypte se sortir des griffes du lion britannique, qui mieux que lui pouvait nous emporter dans ce tourbillon, avec la force du romanesque qu'on lui connaît, pour nous imprégner des rancœurs, des colères, du désarroi de ces peuples condamnés à se déchirer. J'aborde avec le plus grand intérêt le tome 2 d'Inch Allah, cette épopée de notre temps.