Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

dimanche 24 juillet 2016

Souveraineté du vide. Lettres d'or ~~~~ Christian Bobin



N'imagine pas fréquenter des sentiers battus avec Christian Bobin.

N'imagine pas tirer sur un brin de laine qui sort de l'écheveau et dénouer une intrigue. Il n'y en a pas. Un bouquin de Bobin, c'est un sac de noeuds. Noeuds au cerveau, au coeur, noeuds à l'âme.

Un bouquin de Bobin, tu peux le commencer à la page 57, le lire à rebours, le reprendre n' importe où, dans l'autre sens, de toute façon tu n'iras pas vers la fin, il n'y en a pas.

Alors qu'est qu'il y a dans un bouquin de Bobin ?

De la lumière et du sang. Il aime ça !

Du sang, pas le genre hémoglobine qui coule à flot dans les séries policières de bas étage. du sang comme celui qui véhicule la vie dans ton corps animal. du sang qui irrigue ton cerveau. du sang qui permet cette curieuse alchimie qui transforme un phénomène physique en prodige psychique.

Cette alchimie qui transforme le plomb en or ?

Oui si tu veux. Si le plomb c'est la lourdeur de ton corps de mammifère, si l'or c'est l'éclat de tes pensées. Celles qui font de toi un être pensant. Donc inquiet.

Un bouquin de Bobin, c'est une collision de fulgurances qui cascadent dans les synapses de ses neurones, pour gagner les tiennes. Comme une osmose. Ce phénomène physique qui équilibre la concentration des substances au travers d'une paroi poreuse.

De la lumière ? Pas celle de la lampe à incandescence. Celle qui éclaire ton âme. Celle dans laquelle tu baigneras quand tu auras fait le grand saut dans l'inconnu. Tu sais bien, cette échéance qui te fait peur. La lumière céleste !

Un bouquin de Bobin, y'en a qui peuvent trouver ça un brin circonvolutions mielleuses. D'autres grandement sublime. Tous auront raison. A partir du moment où ils rangeront le prosélytisme aux oubliettes.

Un bouquin de Bobin et moi ?

J'y pioche quelques phrases. Elles me font réfléchir. Je trouve qu'elles dédramatisent des sujets graves. Alors, des fois, ça me fait du bien.

Mais pour en parler avec les autres, c'est difficile. Parce qu'un bouquin de Bobin, c'est pour toi, pour ton intérieur intime.

L'avantage avec un bouquin de Bobin, c'est que tu peux le tirer de son rayon de ta bibliothèque, lire une ou deux pages et le reposer. Y revenir, ou pas.

L'avantage avec un bouquin de Bobin, c'est que tu peux ne pas le lire. 

dimanche 17 juillet 2016

L'ignorance ~~~~ Milan Kundera


 

Partir c'est mourir un peu. Mais est-ce renaître ailleurs ? Est-ce renaître au retour ?

Erina n'avait pas vraiment envisagé de rentrer à Prague. Émigrée à Paris 20 ans plutôt, elle avait fait de sa nouvelle vie une perspective sans retour, même si sa terre d'accueil ne lui avait pas ouvert les bras avec spontanéité. La France était désormais sa terre d'avenir. Aussi a-t-il fallu que son compagnon Gustaf l'incite et prenne l'initiative pour que ce retour aux sources se concrétise.

Milan Kundera connaît trop bien le sujet de l'exil. Il connaît les effets des forces contrariées de la dictature qui broient les uns, éjectent les autres hors de la funeste centrifugeuse. Avec L'ignorance, il nous livre une réflexion sur le déracinement, la nostalgie qui taraude et leurre, la mémoire trop personnelle et trop ponctuelle pour donner lieu à partage, l'arithmétique du temps qui passe, la modernité qui n'apporte pas son lot de réconfort, autant de notions qui font qu'à la question "quel est ton chez-toi ?", l'exilé restera dans la même tergiversation que celle qui a présidé à son départ.

L'absence est une mort qui pourrait avoir un terme si les liens de l'amour résistaient au temps. Mais la déconvenue de ceux qui restent, la méfiance de ceux qui accueillent détricotent le tissu affectif de celui qui a fait le choix, ou non, de partir. Son avenir sera pavé de solitude. Son chemin sera aussi instable que le fil du funambule. Quand il penchera d'un côté, ce sera la chute.

Avec Milan Kundera, le coeur a toujours une relation au corps. Cette matérialité de l'être humain qui seule révèle le temps qui passe. Avec ses pulsions elle ne fait que chercher des compensations aux frustrations affectives.

L'exil ne restera jamais qu'une condamnation avant l'heure.


vendredi 15 juillet 2016

Churchill ~~~~ Sophie Doudet

 



Bien sûr que le nom de Winston Churchill parle à nombre d'entre nous. D'aucun pourra l'associer au Royaume-Uni, à la seconde guerre mondiale, à une silhouette trapue, gros cigare à la bouche, et au fameux V de la victoire figuré avec les deux doigts d'une main dont on lui attribue la paternité.
Mais qui sait, ou se rappelle, qu'il a été un artiste peintre non dénué de talent et que ses écrits lui ont valu le prix Nobel de littérature en 1953.

Etonnant personnage dont il serait vain de tenter de faire le portrait en quelques mots quand une biographie y suffit à peine, aussi bien faite soit-elle, comme celle de Sophie Doudet. Qui n'aurait de goût pour ce genre historico-littéraire pourrait ne lire que le dernier chapitre intitulé "le grand artiste". Car cette appellation convient au demeurant fort bien à ce personnage comme l'histoire n'en produit que très peu. Sans doute faut-il aussi que les circonstances soient exceptionnelles, pour faire émerger de la grande masse anonyme du commun des mortels une personnalité de ce gabarit. Notre époque en manque cruellement.

Winston Churchill a d'autant plus de mérite à son action qu'il l'a conduite dans le plus pur respect des règles de la démocratie, quand les contemporains de son époque contre lesquels il luttait ne s'empêtraient pas de l'obligation de la reconnaissance des peuples : Hitler, Mussolini, Staline, Franco.

Artiste il a été à plus d'un titre, car on peut appliquer ce qualificatif à nombre de ses talents, à commencer par celui d'orateur, galvanisé par l'exercice de ce talent en public et non devant une caméra qui efface les réactions de l'auditoire. Artiste de la formule, de l'humour, d'une piquante répartie dont nombre de ses contradicteurs ont fait les frais. Et faudra-t-il lui adjoindre un talent de visionnaire, car figurez-vous que Churchill, confiant qu'il était dans la force insulaire de son pays, était partisan d'une Europe unie, mais en dehors de la Grande Bretagne. Bluffant non ?

Mais surtout, surtout, il faut admirer la force de caractère hors du commun du personnage, jamais aussi performant que lorsqu'il est dans la difficulté, seul contre tous. Seul même contre Dieu, pour lui arracher autant de sursis dans sa vie, au point de le prolonger jusqu'à 90 ans, alors que son rythme et son régime de vie auraient condamné un être faible à brève échéance.

Pas étonnant qu'il ait ferraillé contre un De Gaulle, autre géant dans l'épreuve, après l'avoir accueilli à Londres avec ces mots : "Vous êtes tout seul – eh bien je vous reconnais tout seul".

Quel personnage, quel mec dirait-on aujourd'hui, fort bien dépeint par Sophie Doudet dans cet ouvrage chez Folio biographies.


samedi 9 juillet 2016

La part manquante ~~~~ Christian Bobin

 


La prose de Christian Bobin n'est jamais qu'une poésie qui s'affranchit de la contrainte de la rime.

Une autre marque de fabrique de cet auteur est son obsession à prendre le contre pied des évidences, du communément admis par la pensée éduquée à l'observation de la vie. Point d'expérience qui vaille, tout est remis en question. le bonheur attriste quand le malheur soulage, la lumière coagule quand le sang étincelle.

Heurts et malheurs du lecteur que je suis, balloté, harcelé par l'indiscipline des phrases courtes qui fusent, par la fulgurance de traits de pensée qui lacèrent mon ciel comme des comètes.

Il faut s'y faire, la pédagogie de l'expérience est bafouée, l'esprit foisonne en désordre. La part manquante est un beau fouillis duquel on a du mal à extirper l'intention de l'auteur. Y'en a-t-il d'autre d'ailleurs que celle de satisfaire un esprit qui cherche à en féconder un autre.

On peut le lire en tout sens, en tout temps. Je perds pied quand même. Attention à l'overdose.
Mais avec Christian Bobin on se rassure, la mort est une naissance. Un ouvrage en appelle un autre.