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mardi 2 octobre 2018

Le tour du monde du roi Zibeline ~~~~ Jean-Christophe Rufin

 



Il ne faut pas se laisser abuser par les allures picaresques que peut revêtir ce roman. Il s'agit bien d'un drame qui se noue sous la plume de Jean-Christophe Rufin lorsqu'il entrouvre cette petite fenêtre sur l'histoire de Madagascar. Ce drame, au-delà des péripéties qui émaillent la vie de ses héros, c'est celui de l'agonie d'un rêve.

En devenant fortuitement et opportunément roi de Madagascar, sous le nom inspiré par une image bucolique de son passé, le roi Zibeline avait cru pouvoir unifier les peuples indigènes de l'île. le pari était pourtant bien engagé. Mais il avait surtout cru par ce truchement mettre les indigènes de Madagascar à l'abri des appétits de conquérants sans scrupule. Les envoyés des rois de France n'étaient en effet alors que des forbans, ils avaient flairé en cette partie du monde encore vierge de toute colonisation une formidable source de profit. La valeur convoitée s'échangeait sur les marchés … aux esclaves. Auguste Benjowski, le roi Zibeline, imaginait déjà avec lucidité les monstruosités qui se cachaient derrière l'euphémisme assassin de « pacification ».

Lui, qui ne se livrait aux affres de la guerre que lorsque cette dernière répondait à un idéal de liberté, avait cru trouver l'Éden auquel son ouverture aux philosophies du siècle des lumières le faisait aspirer. En unifiant les peuples indigènes autour d'un idéal de progrès, il avait cru construire sur une portion de terre protégée du reste du monde un modèle de ce que personne n'aurait encore osé appeler démocratie.

Après avoir couru le monde dans les incroyables péripéties d'une jeunesse aventurière, conquis le coeur de la fille de son ancien geôlier des confins de la Sibérie et perçu les menaces qui pesaient sur le nirvana qu'ils avaient déniché, il s'en est allé avec son aimée, Aphanasie, chercher le soutien d'un pionnier de l'anti esclavagisme, un des initiateurs de la déclaration d'indépendance américaine, le vieux sage qui avait réussi à piéger la foudre : Benjamin Franklin.

L'ancien ambassadeur des états de l'union en France connaissait trop bien les travers de la politique quand elle est commandée par l'appât du gain. Il écoute avec passion le formidable récit à deux voix, à deux sensibilités devrait-on dire, des aventures qui ont conduit les deux idéalistes à prendre le parti des indigènes malgaches et tenter de les soustraire aux appétits des grandes puissances de l'époque, au premier rang desquelles la France. Auguste et Aphanasie, complémentaires en leur amour et en leur perception des autres, rêvent de ce laboratoire humaniste à huis clos sous les latitudes du paradis sur terre qu'est alors Madagascar. Au péril de leur vie, ils veulent aller au bout de leur rêve et ne reculent devant aucun sacrifice pour y parvenir, bousculant les obstacles qu'une Providence, à laquelle ils se refusent à croire, place sur leur chemin.

Les premières lignes ouvrent l'appétit du lecteur. Les yeux courent sur la fluidité d'une écriture souple et très accessible. Animé d'une curiosité qui flatte l'esprit on dévore les pages de ce conte aux péripéties saisissantes. L'histoire d'amour que Jean-Christophe Rufin se plait à surajouter aux vicissitudes de l'aventure relève l'intrigue d'une touche sensuelle. Il convient de l'artifice romanesque.

Le tour du monde du roi Zibeline est un beau roman, fort bien écrit, qui s'inspire d'une page d'histoire que notre culture nationale a d'abord dénigrée, puis préféré oublier, et pour cause. Jean-Christophe Rufin nous la remet en mémoire, avec une insidieuse délicatesse. Si on ne connaît pas l'histoire dans sa précision, celle de Madagascar en particulier, on sait en revanche que la soif de pouvoir est une constante inhérente à l'espèce humaine. On se doute bien alors que l'utopie de nos deux héros ne pèsera pas lourd face aux exigences de la cupidité. Mais ce genre d'ouvrage n'est-il pas fait pour rêver.

Je remercie Babelio et les éditions Gallimard pour m'avoir adressé cet ouvrage dans la cadre de l'opération masse critique.


lundi 25 juin 2018

Les énigmes d'Aurel le Consul, tome 1 : Le suspendu de Conakry ~~~~ Jean-Christophe Rufin


 

D'origine roumaine, Aurel Timescu nous expliquera lui-même comment il a pu devenir consul de France en Guinée Conakry. Mélomane à ses heures, ses accoutrements et comportements le singularisent parmi la communauté française en terre africaine. Ce modeste fonctionnaire du Ministère des affaires étrangères serait resté dans l'ombre de ses compatriotes expatriés si sa perspicacité ne l'avait poussé à sortir de sa réserve lorsque l'un d'entre eux est assassiné sur son bateau dans la marina de Conakry.

Aurel s'improvise alors enquêteur, à la manière de ce célèbre détective de série américaine endossant la même gabardine et dont la curiosité insatiable lui fait poser les bonnes questions. La similitude ne s'arrête pas là lorsqu'Aurel, peu imbu de sa personne, circule dans un véhicule qui ne témoigne pas de son statut.

On connaissait l'historien, l'observateur des civilisations, on découvre Jean-Christophe Rufin auteur de polar. Il a placé son intrigue dans un contexte qu'il connaît bien pour avoir été diplomate en Afrique de l'ouest. Cela se retrouve dans cet ouvrage très couleur locale qui respire l'authenticité. Une intrigue bien construite et un style toujours aussi limpide et efficace font du Suspendu de Conakry un roman tout public fort plaisant.


dimanche 12 février 2017

Check-point ~~~~ Jean-Christophe Rufin

 


L'univers des ONG est rarement exploré dans la littérature romanesque. Il l'est dans cet ouvrage de Jean-Christophe Ruffin. Certes pas forcément à son avantage. Mais après tout, ce n'est pas parce qu'elles oeuvrent dans l'humanitaire qu'elles devraient être exemptes de défauts. Elles aussi sont des entreprises humaines. Elles n'échappent donc pas aux rivalités de toutes sortes. C'est aussi ce qui donne sa crédibilité à pareil ouvrage.

Intervenant dans les zones de conflits, les ONG peuvent être malgré elles un canal d'infiltration pour des individus profitant de la couverture humanitaire et ainsi mener à bien des agissements partisans. Maud et Lionel, deux membres d'une ONG lyonnaise vont faire les frais de ces intentions divergentes. Les coéquipiers qui embarquent avec eux dans le convoi de ravitaillement affrété pour secourir des familles musulmanes encerclées dans la poche de Kakanj, au centre de la Bosnie alors en plein chaos, ne sont pas tous motivés que par des intentions humanitaires.

Les guerres civiles donnent champ libre à tout ce que la terre comporte de malfaisants pour commettre leurs crimes en toute impunité. Elles leur donnent l'occasion de s'approprier des biens et des territoires qu'ils contrôleront en installant ce genre de postes frontières, aussi mobiles qu'éphémères, que le langage moderne a retenu sous l'anglicisme de check-points.
Durant le conflit bosniaque des années 90, l'imbrication des zones ainsi contrôlées par les trois belligérants résultait de la même imbrication des communautés qui vivaient autrefois en harmonie. Avant que la haine ne se prenne à gouverner les esprits. Les frontières étaient alors devenues aussi mouvantes que fluctuants les rapports de force. Un parcours au travers de l'ex Yougoslavie était ainsi jalonné de franchissements de Check-points, le plus souvent improvisés par des milices de défense auto proclamées. Elles menaient alors leur entreprise scélérate sous couvert de motivation politique.

Jean-Chritophe Ruffin a donc choisi ce contexte pour mettre en scène son roman. L'intrigue conserve sa vraisemblance tout au long de ce road movie en presque huis clos, d'un check-point à un autre. La présence d'une femme dans l'aventure la supplémente avec avantage d'une affaire de cœur. Même si l'entreprise a une vocation humanitaire, le lecteur est préservé de la grandiloquence de bons sentiments sur vitaminés. Il est tenu en haleine jusqu'au tableau final où tout peut arriver.

En nous immergeant dans les péripéties de l'action humanitaire ce roman nous désigne ses acteurs comme de véritables aventuriers. Voilà un très bon ouvrage qui nous rappelle au passage à la précarité des situations de paix. Jean-Christophe Ruffin le souligne avec grande lucidité dans sa postface : "Il y a dans ce passé déjà lointain un peu de notre présent et, je le crains, beaucoup de notre futur". Restons vigilants.

vendredi 23 janvier 2015

Le collier rouge ~~~~ Jean-Christophe Rufin

 


Dans l'atmosphère apaisée d'une campagne que la vie semble avoir abandonné, au lendemain de la déferlante meurtrière de 14-18, le temps est venu pour Jean-Christophe Rufin, au travers de cet ouvrage, de remettre en question certaines valeurs de la société du début du XXème siècle. N'ont-elles pas été prétextes à une des pages de notre histoire la plus méprisante de la vie humaine.

Nombre d'anciens poilus restaient muets sur ces années maudites. Ils savaient les mots impuissants à traduire l'horreur de leur cauchemar. Cette guerre n'avait pas seulement ôté la vie à des millions d'êtres humains, elle avait aussi tué le rêve chez ceux qui avaient survécu.

Rescapé de l'effrayante hécatombe, Jacques Morlac a choisi quant à lui le parti de ridiculiser les valeurs qui ont servi de justification au carnage. Une façon d'exprimer son aversion pour cette période de sa vie. Son comportement lui vaut inculpation. Unique détenu d'une prison de circonstance, il consume sa solitude.

Dans la confrontation avec le juge militaire qui instruit son affaire, il se retrouve exposé à ce qui a suscité sa rancœur : la lutte des classes transposée dans la hiérarchie militaire, les notions instituées en valeur et que le maréchal Pétain voudra remettre au goût du jour vingt ans plus tard : travail, famille, patrie.

Avec le talent de conteur qu'on lui connaît, Jean-Christophe Rufin nous délivre une thérapie psychanalytique de cette période de convalescence au sortir de la guerre. En fil rouge à la trame de ce roman, l'entêtement d'un chien dans sa fidélité servira de prétexte doctrinal à la confrontation homme-animal. Elle permettra au final, chez deux êtres que tout sépare, l'accusé et son juge, de trouver dans cette introspection de la nature humaine un terrain de conciliation.

Qui prête attention à la détresse d'un chien lorsqu'il s'époumone et s'affame à languir son maître. Quelle gratification viendrait récompenser sa fidélité, son amour, son désintéressement. Autant de valeurs instinctives en contraste de celles inventées par la nature humaine comme l'honneur, le patriotisme, la fierté, et qui servent en fait de masque à l'orgueil et à la cupidité.

L'orgueil justement. Un vice dont les animaux sont exempts. Il étouffe la spontanéité et les élans du cœur. Il va insidieusement faire passer à côté d'un bonheur pourtant à portée de main. Pervers et obstiné, il échappe au raisonnement. Il peut lancer les hommes les uns contre les autres et quand il essaime fomenter la guerre.

Aussi, contre toute attente, dans la confrontation de Jacques Morlac avec son juge, le remède aux atteintes à la symbolique institutionnelle pourra t'il naître de qui on ne l'espérait plus. Car l'espoir s'était assoupi dans les ténèbres de la guerre.

Une belle page de réflexion sur la nature humaine, avec pourquoi pas un regard attendri pour ces êtres qui ne récoltent qu'indifférence de sa part. La créature la plus prétentieuse aurait pourtant des leçons à glaner pour recouvrer un peu de sagesse en s'inspirant de l'authenticité de la nature animale. Une manière de remettre en question l'arrogante supériorité de l'intelligence humaine qui a pourtant été capable d'orchestrer l'horreur à l'échelle d'un continent.

Mais peut-être, au final, ne faut-il voir dans cet ouvrage que le prétexte à un hommage à ce compagnon de reportage de Jean-Christophe Rufin trop tôt emporté par la maladie ?


dimanche 2 mars 2014

Le grand Cœur ~~~~ Jean Christophe Rufin


 

Ce roman nous entraîne dans l'entourage de Charles VII, un monarque à la personnalité peu avenante. Un être faible que l'histoire a pourtant retenu sous le qualificatif de « victorieux ». Il est vrai que sous son règne se termine la guerre de cent ans contre l'Angleterre. Mais Charles VII est un roi victorieux malgré lui. Aussi le second vocable que l'histoire a retenu lui convient-il mieux : Charles VII, le bien servi. A commencer par Jeanne d'Arc pour motiver ses armées, puis par Jacques Cœur pour remplir les caisses du royaume.

Le héros principal de ce roman historique est de la même façon célèbre malgré lui. Tout autant qu'Agnès Sorel, placée dans le lit du roi contre son gré, et qui finira par s'émouvoir de se voir supplantée dans ses faveurs. Il faut dire qu'elle a pris goût à côtoyer le pouvoir.

Cet ouvrage nous laisse l'impression d'un Jacques Coeur devenu la plus grande fortune de l'époque, en même temps que le grand argentier de Charles VII, sans l'avoir vraiment voulu. le succès dans les affaires collait à ses pas, les précédait même souvent, sublimé par une forme d'ironie du sort. Celle qui veut auréoler de gloire un personnage qui ne le cherche pas vraiment.

C'est l'époque ou l'on comprend que la Chevalerie a vécu. L'esprit chevaleresque avec son sens du panache et sacrifice n'est plus suffisant pour conduire la politique et combattre les ennemis du royaume. Il faut de l'argent, beaucoup d'argent, que les princes n'ont plus. La guerre se modernise avec l'apparition de l'artillerie, le courage des chevaliers n'est plus suffisant pour emporter la décision. La guerre coûte cher.

La bourgeoisie émerge comme nouvelle classe sociale. Elle est celle qui ne rechigne pas à s'abaisser à faire du commerce. Elle va bientôt tenir les princes désargentés à sa merci, en ayant la capacité de leur prêter de l'argent, et en venant au secours d'un pouvoir royal essoufflé par des décennies de guerre. Mais il est des travers qui franchissent les époques sans s'éroder à la modernisation. La jalousie en est un et Jacques Cœur y perdra sa liberté et au final sa vie.

Ce détachement de la gloire et de la fortune qui lui collent à la peau sans l'enfiévrer rend ce personnage sympathique. Sa connivence avec Agnès Sorel, dont l'Histoire ne dit pas jusqu'où elle est allée, a contrario de Jean-Christophe Ruffin, lui confère une dimension affective charnelle.

Jacques Coeur, qui avait une prédisposition à l'enrichissement, qui a côtoyé les grands de son siècle sans feindre son désamour pour les intrigues, était un homme au grand cœur. C'est la conviction de Jean-Christophe Ruffin. Il la communique aisément à son lecteur par la richesse de son verbe.