Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

mardi 30 août 2022

Nos secrets trop bien gardés ~~~~ Lara Prescott

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Nous sommes dans les années cinquante en pleine guerre froide. Le monde est partagé en deux blocs : l'Est sort de l'ère Staline mais n'a pas encore gagné sa liberté, les goulags sont toujours la villégiature des opposants au régime ; l'Ouest dans l'euphorie de l'après-guerre fait l'apprentissage de la liberté au rythme du jazz qui gagne l'Europe avec son swing enjôleur. Boris Pasternak vient de mettre le point final à son roman phare, le docteur Jivago. Se pose alors à lui le problème de le faire éditer. le régime soviétique décrète l'ouvrage sacrilège à l'idéologie socialiste et son auteur de facto ennemi du peuple.

Boris Pasternak voit quant à lui dans son ouvrage sa chance de perpétuation au-delà des querelles politiques et du clivage majeur qu'il induit. Un éditeur italien lui propose de le faire paraître à l'Ouest, Pasternak accepte quel que soit le sort qui lui sera réservé par le régime présidé alors par Khrouchtchev dont le sourire à la tribune n'est pas encore celui de la détente.

Lara Prescott a organisé son ouvrage à l'imitation du monde d'alors, CIA, qu'on ne présente plus, contre NKVD, le commissariat du peuple aux affaires intérieures de l'URSS. Par chapitre alterné le lecteur est seul habilité à franchir le rideau de fer pour d'un côté jouir de la légèreté occidentale ou de l'autre frémir sous la chape de plomb du régime communiste.

Le concept m'avait tenté lorsque j'ai trouvé cet ouvrage sur l'étal du libraire. Sa lecture m'a été moins heureuse. Autant l'événement de la parution de cet ouvrage, qui avec le reste de son oeuvre a valu à Pasternak l'attribution du prix Nobel de littérature en 1958, est passionnante, autant l'approche qu'en fait l'auteure vue du côté occidental est assommante.

Dans le pool de dactylos de son agence américaine la CIA sélectionne parfois quelques-unes de ses agents féminins. C'est là que la sévérité du sujet choisi par Lara Prescott s'enlise dans les futilités de la vie quotidienne. Des pages, des chapitres entiers évoquent les péripéties sentimentales de ces dames avec tout ce que cela comporte d'efforts de séduction, de tergiversation devant la garde-robe, de minauderies, jalousies et autres ragots entre concurrentes. Le contraste est peut-être voulu pour opposer des modes de vie aux antipodes l'un de l'autre, mais le résultat est que l'Est avec l'histoire de Pasternak et son éditrice et amante est captivante alors que les efforts de la CIA pour récupérer l'ouvrage original et le faire diffuser en URSS souffrent de chapitres entiers qui éloignent du sujet et plombent l'ouvrage à mes yeux. Même si l'écriture reste agréable, j'ai souffert des longueurs que provoquent la description détaillée des futilités de la vie quotidienne comme savent si bien le faire nos amis américains dont la spontanéité les pousse aux épanchements.

Le Docteur Jivago a été autorisé en URSS en 1985, vingt-cinq ans après la disparition de son auteur. Le prix Nobel de littérature qu'il s'était vu contraint de refuser a pu alors être reçu par son fils. Boris Pasternak a réussi à titre posthume le défi qu'il s'était lancé de faire paraître cet ouvrage. Il savait qu'il serait sa seule chance de survivre à sa propre mort, sous les yeux de millions de lecteurs qui l'ont lu et le lisent encore. Mais au final, la seule qui ait eu à pâtir de cette aventure littéraire est sa chère éditrice Olga Vsevolodovna Ivinskaïa. Son amour et sa fidélité pour Pasternak lui valurent deux séjours au goulag. Une pensée pour elle aussi, disparue en 1995. Cet ouvrage est aussi un hommage à ces femmes courageuses. C'est un autre bon point à son actif, et non le moindre.


jeudi 18 août 2022

L'indomptée ~~~~ Donna Cross

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Au départ était une légende. Celle qui veut que le sanctuaire très masculin de la papauté ait été floué. Qu'une femme se fût immiscée dans la liste de succession. Cette intruse que la légende retiendra sous le nom de papesse Jeanne et que ses successeurs s'empresseront d'effacer des élus au trône De Saint-Pierre. Même si c'est à un homme que le peuple de Rome aurait remis la mitre papale, puisque c'est sous le travestissement que Jeanne aurait été élue au trône De Saint-Pierre par la vox populi, l'élection ne se faisant pas à huis clos en ce temps.

Avec cet ouvrage Donna Cross nous ramène au 9ème siècle. En un temps où le christianisme en quête de monopole sur les consciences commence à s'imposer au monde barbare et tente d'y supplanter les divinités païennes qui font encore de la résistance.

Le pari de cet ouvrage était d'inclure une légende, qui sera formellement contredite après un quinzième siècle qui lui fit la part belle, dans des faits historiques avérés dont l'auteure nous prouve qu'elle en a fait une recherche documentaire fouillée, le tout aggloméré avec le liant de la fiction. Heureux amalgame quand ladite fiction ne sombre pas dans la sensiblerie sirupeuse que l'on redoute de la part des auteurs en quête d'audience moderne. Et qui eut été incongrue à une époque de vie pour le moins rude.

Voilà donc à mes yeux un roman historique de très bonne facture. J'aime quand les légendes laissent planer le doute sur la part de vérité de leur fondement. Surtout lorsqu'elles égratignent l'univers de la religion dont on connaît que trop à la fois le caractère péremptoire et misogyne et sa hargne à préserver son monopole sur les consciences.

Roman foncièrement féministe aussi que L'indomptée. D'autant plus crédible qu'il présente la condition de la femme de l'époque sans en faire le procès. C'eut été anachronique d'ailleurs, tant cette dernière était formatée, accoutumée à la relégation et à n'oser en tenir grief à son dominateur. Donna Cross le suggère en citant les écrits de référence tel ceux de Paul qui doit sans aucun doute sa sainteté à ses épitres aussi tranchées que dénuées de légitimité : « Je ne permettrai pas à une femme d'enseigner, pas davantage de dominer un homme ; elle devra rester silencieuse et écouter avec soumission. » Ou encore, pour le plaisir du coq qui fera encore loi de sa force physique : « les femmes sont en dessous des hommes, par leur conception, par leur place et par leur volonté. » Et d'autre encore du même tonneau que nous servent les canonisés de tout bord et que Donna Cross glisse sans acrimonie dans cet ouvrage. Mais ça ce n'est pas de la légende.

Merci Donna Cross pour cet ouvra fort bien écrit, construit et pesé entre légende, faits historiques et fiction. Fiction sur fonds d'histoire d'amour, il va de soi. Il en faut bien de ce sentiment si singulier dans un monde avare de ses bienfaisances.


mardi 16 août 2022

L'oeil de Galilée ~~~~ Jean-Pierre Luminet

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Moi qui, "trottinant sur le bas-côté du grand chemin de l'Histoire", ne sais que consommer et ne rien produire, qui soit utile à l'humanité j'entends, dois-je jalouser l'astronome danois Tycho Brahé qui formulait en ces termes son voeu le plus cher : "Ne frustra vixisse videar", que je ne semble avoir vécu en vain.

Avant que de lire cet ouvrage de Jean-Pierre Luminet, L'oeil de Galilée, par quelques nuits claires, les yeux dirigés vers les étoiles, j'avais déjà eu l'occasion de méditer sur la profondeur de l'univers. Mais que savons aujourd'hui de plus que Brahé, Kepler son disciple, Galilée, et autres astronome, mathématicien, physicien de ce fabuleux siècle de la Renaissance, sur le mystère de l'infini. Certes nos yeux sont se sont portés plus loin dans les galaxies, ont découvert planètes, comètes et autres trous noirs, mesuré des distances en années lumières, émis des hypothèses sur la formation de l'univers, le Big bang. Nos congénères ont même fait une incursion sur la boule d'ivoire qui illuminait les nuits de Copernic. "Un petit pas pour l'homme, un grand pas pour l'humanité". Mais plus que Brahé, Kepler et Galilée, sommes-nous capables de nous situer entre les deux infinis, le grand et le petit ? Ce mot qui justement échappe à notre entendement. Parce que dans ce mot, in-fi-ni, réside tout le mystère de la vie. Kepler le ressentait bien comme tel, même si, scrutant le ciel avec ce télescope rudimentaire qui vaut à cet ouvrage son titre, il lui fixait des bornes à cet univers.

Aussi qu'importe géocentrisme ou héliocentrisme dont il est beaucoup question ici. Qu'importe si c'est la terre qui est au centre de l'univers, concept cher à Aristote, Ptolémée et consorts, auquel s'accrochaient les "théologiens s'occupant d'autre chose que de foi", dans leur grande intolérance aveugle, ou si c'est le soleil qui est au centre de l'univers, contradiction défendue par Copernic puis Galilée. Ce dernier étant obligé de se déjuger au risque de condamnation pour hérésie, bougonnant dans sa barbe cette réflexion certainement apocryphe : "E pur si muove !" Et pourtant, elle tourne, en parlant de notre planète autour du soleil.

Qu'importe ce que l'on désigne comme le centre de l'univers, puisqu'entre les deux infinis, bien malin qui peut situer un centre. Car c'est là, c'est à dire partout et nulle part, que réside la réponse à la question, la seule, la vraie : pourquoi la vie ? Pourquoi nous sur terre, perdus au milieu de nulle part ? Pourquoi une vie bornée par une naissance et une mort dans un univers qui lui n'en connaît point de bornes ?

Que de questions sans réponse ! Abandonnant la métaphysique pour verser dans le concret, Kepler se les posait déjà. S'imposeront-elles à moi ces réponses quand mon coeur aura cessé d'irriguer cet organe insensé qui transforme un processus chimique en pensées ? Et Dieu sait s'il a bien fonctionné dans le crâne de Kepler ce cerveau, entre 1571 et 1630, pour lui faire écrire autant de théories qui dans sa postérité trouveront leur preuve. Sauf bien sûr la finitude de l'univers.

Il est vrai que lorsqu'on touche aux étoiles, on avance de quelques millimètres vers l'infini. C'est pour cela que l'expression que je trouve la plus seyante pour désigner cette belle science qu'est l'astronomie, c'est bien celle qui qualifiait alors l'astronomie de "philosophie naturelle". Toute hypothèse sur la conformation de l'univers ne sera jamais en fait, aussi loin que se portera notre regard, que vue de l'esprit sujette à réflexion, discussion, rêverie peut-être, et surtout contradiction. Et si un jour un esprit supérieur équipé d'yeux de lynx trouvait des bornes à notre univers, un début et une fin avec comme un grand mur, je serai le premier à l'approuver. C'est vrai ce que tu dis, mais dis-moi, au fait, derrière ce mur, il y a quoi ?

Utilisant le procédé narratif d'un témoin fictif de faits pourtant bien réels, pour autant que leurs colporteurs ne les aient pas trahis au fil du temps, cet ouvrage de Jean-Pierre Luminet a pu en dérouter plus d'un. Il est vrai qu'il y a de quoi se noyer dans les atermoiements des scientifiques de la Renaissance émis entre les menaces des papistes et leur envie de faire éclater le fruit de leurs cogitations illuminées, de mettre à jour l'exactitude, chère à Marguerite Yourcenar, qui seule appartient à la Nature, a contrario de la vérité qui existe en autant de versions qu'il y a de bouches pour la prononcer. Il n'en reste pas moins que Jean-Pierre Luminet a su retirer à ses écrits le côté abscons dont le sujet aurait pu remplir les pages.

La vie de cet homme de science, Kepler et non Galilée comme le titre de cet ouvrage le laisse à penser, m'a passionnée. Je reste subjugué par la production d'autant de théories avec aussi peu de moyens d'observation, et surtout dans un climat aussi tourmenté par la folie des hommes en ce siècle où la religion catholique n'admettait pas la contradiction.

Alors héliocentrisme ou géocentrisme quelle importance dans un univers où nul ne pourra jamais situer de centre. Et pourquoi ne serais-je finalement pas, moi, en entorse à ma réserve naturelle, le centre de l'univers ? Engendré par le grand orgueil du tempérament humain, l'égocentrisme n'est-il pas la seule constante à réunir les générations.

Johann Kepler, astronome ou astrologue ? Les deux mon général ! Il fallait bien flatter les faibles d'esprit quand ils se trouvaient avoir un peu d'influence, et les rassurer quant à un avenir dont ils ne voulaient voir le côté sombre. Avec cette singularité et celle de son époque, dans "la longue marche vers la vérité céleste" il a fait preuve d'une grande sagesse qui mérite d'être connue.

vendredi 12 août 2022

Le grand monde ~~~~ Pierre Lemaitre

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J'ai la certitude que, dans le même temps où je poste sur Babelio ces petites phrases qui ne feront jamais de moi un candidat à l'édition, Pierre Lemaître est à sa table de travail pour nous concocter la suite de cet ouvrage que j'ai absorbé goulument. À sa table de travail, du côté de ce Fontvieille où ne tourne plus beaucoup les ailes de moulin mais où je suis obligé de croire que descend encore de l'azur limpide l'onde pure qui a inspiré un autre conteur. Celui-là même qui nous fit entendre la plainte d'une chèvre guettée par le loup.

Dans leur naïve croyance en une justice en ce bas monde, ceux qui ont lu le grand monde se disent qu'on ne peut en rester là. Ce n'est pas possible. On ne peut pas jeter aux oubliettes la mémoire de ceux, et surtout celles, qui l'ont été physiquement. Pierre Lemaitre ne va tout de même pas les renvoyer à une justice divine dont on ne connaît les rigueurs que de propos imaginés par des prêcheurs en mitre et chasuble. Il y aura donc une suite au Grand monde.

Car monsieur Lemaitre sait mieux que quiconque que l'humaine nature qui a fomenté tant de guerres, tant de subterfuges pour nourrir sa cupidité va lui donner du grain à moudre pour faire languir des lecteurs naïfs à quémander amour et justice. Pour qu'enfin l'honneur de la créature se glorifiant immodestement d'intelligence soit sauf, avant que de se présenter devant Celui qui l'a créée. Si l'on en croit le scénario imaginé par une croyance laquelle veut battre en brèche les tenants de la raison.

Auteur n'a jamais si bien porté son nom. Est-ce par malice de la généalogie que Lemaitre s'écrit en un seul mot et escamote l'accent circonflexe. Car il pourrait bien se dire le maître de l'intrigue, du romanesque ce monsieur. Utiliserait-il un pseudonyme qu'il pourrait reproduire la supercherie mise en oeuvre par un ancien qui avait la vie devant soi pour leurrer l'Académie. Car nous le savons tous, le Goncourt c'est à la fois une bénédiction et une malédiction. La gageure étant de vivre après. Et vivre pour un écrivain, c'est écrire. C'est être lu. C'est être à la hauteur de l'attente suscitée par la consécration.

Aussi disons-le tout net, pour nous adresser des fictions qui s'insèrent si bien dans les replis de l'histoire sans que des coïncidences assassines viennent raccrocher les faits les uns aux autres, en tirant à rebours les fils de l'écheveau pour nous ramener en ce lendemain de la grande boucherie où la valse des masques tentait de dissimuler la monstruosité de ceux qui avaient perdu figure humaine, pour nous adresser des fictions qui glissent si bien sous nos yeux écarquillés et s'insinuent dans nos esprits à leur faire oublier le quotidien morose, pour tout cela, pour nous ses lecteurs anxieux d'une suite, sans doute aussi dépourvue de vertu que la nature humaine est bouffie de suffisance, Lemaitre pourrait s'écrire le maître.

Et me voilà donc piégé à guetter la suite. Ça s'appelle le talent ou je n'y connais rien.

samedi 6 août 2022

Le printemps des maudits ~~~~ Jean Contrucci

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Le pari était hasardeux : plaquer une histoire d'amour sur cette page peu glorieuse de l'histoire de l'église catholique. D'autant que cette histoire sentimentale est cousue de fil blanc. le lecteur ne se fera pas vraiment d'inquiétude quant au sort des tourtereaux, même si le contexte général de dans lequel elle se déroule est particulièrement dramatique.

Ce contexte général, c'est la triste épopée vaudoise en Luberon. C'est le sort réservé par l'église romaine aux héritiers des disciples de l'église de Pierre Valdo, lequel avait fondé l'église des Pauvres de Lyon au 13ème siècle. Avant de se rapprocher de l'église réformée de Luther, ces disciples avaient eu le tort de vouloir lire la bible en leur langue vernaculaire. Il avait en effet fait traduire la bible latine en français de l'époque pour que le plus humble y ait accès.

Oui mais voilà, avoir accès à la bible c'était aussi y lire les vraies paroles du Christ et mesurer de cette façon l'écart considérable qui séparait le comportement de la curie romaine avec les évangiles. De sincères chrétiens les Vaudois sont donc devenus des hérétiques, avec le sort que leur réservait la toute puissante église officielle : le bûcher. Ce dont l'évêque de Tournon ne s'est pas privé. Il a convaincu le bon roi François 1er de lui prêter main forte en mettant à sa disposition des hordes de soudarts sans foi ni loi aux ordres du Baron Maynier d'Oppède pour réduire le soi-disant foyer d'hérésie.

L'histoire des Vaudois est fidèlement restituée sur un ton pédagogique de livre d'histoire. Reste que l'histoire d'amour qui la relève est comme une fleur sur un tas d'immondices : un peu de tendresse dans un monde de brutes. Celui qui ne veut pas s'atteler aux trois excellents volumes de Hubert Leconte à propos de l'épopée vaudoise (*) ne sera pas trompé quant au sort de ces malheureux par le printemps des maudits, c'est plus condensé et se lit comme le roman historique qu'il est.

L'église vaudoise existe encore en Piémont italien a contrario de l'église cathare. Cette dernière était sur le même crédo du retour à la vraie lecture des évangiles pour contrer la curie romaine laquelle se gardait bien, en assommant ses fidèles d'impôts, de s'appliquer les préceptes qu'elle prêchait avec la plus grande rigueur. N'est-il pas vrai que luxe et luxure ne figurent pas dans la parole restituée du Christ.

(*) La croix des humiliés ; Les larmes du Luberon ; le glaive et l'évangile - Editions Millepertuis