A lire un roman historique traitant d'une dictature, il faut
s'attendre à y trouver son lot d'atrocités. La fête
au bouc ne dément pas le pressentiment. C'est une caractéristique de
ce mode de gouvernement. Il en est une autre également que celle du culte de la
personnalité. La capitale dominicaine portera le nom de son homme fort pendant
les décennies de sa mainmise sur le pays : Ciudad Trurillo. À la République
dominicaine ne siéra jamais aussi peu ce statut que sous la férule du tyran.
Cet ouvrage paru en 2000 est un parmi les écrits qui valurent à Mario Vargas
Llosa la consécration du Nobel de littérature dix ans plus tard. Avec
pareille oeuvre on a toujours la crainte de ne pas être à la hauteur de ce
qu'on lit. Pourtant dans le cas présent l'exercice dément l'inquiétude. A
croire que le fait de savoir se mettre au niveau de tous ceux qui porteront les
yeux sur ses lignes est un critère qui a compté pour attribuer le satisfecit
suprême à l'auteur populaire, devenu pour le coup prestigieux. Je me fais le
devoir quant à moi de confirmer le plaisir de lecture que m'a procuré cet
ouvrage avec un autre de sa main. J'attends avec impatience le conseil avisé
des adeptes de Babelio pour orienter mon choix vers le prochain livre de cet
auteur sur lequel il ne faut pas faire l'impasse.
Tout dans cet ouvrage est à mes yeux de la plus belle facture. Une construction
savante tout d'abord, propre a entretenir l'attention au gré des péripéties et
rebondissements. le lecteur averti sur cette époque difficile de la République
dominicaine, communément labellisée Ère Trujillo, saura d'emblée que celui qui
s'auto gratifiait du statut de Bienfaiteur du pays a été abattu en mai 1961.
Tout est affaire de contexte et d'opportunité, les exécuteurs furent d'abord
qualifiés de terroristes, de justiciers par la suite.
Belle facture aussi que celle d'une écriture accessible, sans fioriture, terriblement
efficace, au vocabulaire parfois cru, quand il s'imposait pour traduire le
mépris qu'avaient les tenants du pouvoir envers leurs détracteurs aussi bien
qu'envers celles dont ils volaient l'innocence, parfois la puberté à peine
venue.
Belle facture enfin que l'intrigue principale incorporée aux péripéties
cauchemardesques d'un régime perverti. Quelle raison ramène cette avocate,
newyorkaise d'adoption, en son pays natal après tant d'années de silence ? Sa
motivation sera distillée dans l'enchevêtrement des pages sombres d'un
quotidien fait de servilité, de peur, d'appropriation et tant d'autres travers
propres à ce genre de gouvernement, lequel se flatte d'oeuvrer pour le bien du
peuple et de la nation, confondant servir et sévir.
Dans pareil contexte, l'ouvrage de Mario Vargas
Llosa comporte les inévitables et insoutenables séances de tortures et
assassinats auxquelles furent soumis certains opposants au régime. Les omettre eut
été volonté d'occulter la réalité. Un dictateur cherchant toujours quelque part
une forme de légitimité du statut qu'il s'est octroyé par la force, Trujillo
n'a pas échappé à la règle. Lui qui se vantait de ne rien lire, se goinfrait
des flatteries des marionnettes qu'il plaçait aux postes clés du pouvoir
jusqu'à s'entendre dire par le président fantoche qu'il manipulait comme les
autres qu'il était "pour ce pays l'instrument de l'Être suprême."
La
fête au bouc est un ouvrage remarquable. Équilibré, sans longueur
superflue, fondé sur un subtil dosage des sentiments n'aspirant ni au
voyeurisme ni à la commisération. Il entretient son lecteur dans un crescendo
de l'attention que seule la dernière phrase libère, pour verser celui-ci dans
le contentement d'avoir lu un excellent ouvrage. Convaincu que la fiction est
encore en dessous de la réalité.