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samedi 6 janvier 2024

Le journal intime de la Vierge Marie ~~~~ Sophie Chauveau



« N’attend-on pas toujours un petit Dieu, un messie, un sauveur du monde, un libérateur pour notre peuple ? Si on ne le rêvait pas plus grand que tout, si l’on n’y croyait pas aussi fort, se déploierait-il en nous ? »
La jeune Marie apprend qu’elle attend un enfant. Pendant huit mois, elle tient un journal dans lequel elle note scrupuleusement les émotions et les sensations qui l’agitent avant cette naissance si particulière. Ses questionnements, ses rêves et ses peurs sont semblables à ceux que partagent nombre de futures mères.
À travers un récit dominé par la joie, Sophie Chauveau donne à voir une Marie forte et instruite, et nous dévoile, au-delà du mythe, des aspects méconnus de l’histoire qui changera la face du monde.

mercredi 20 septembre 2023

La croix et le croissant ~~~~ François Taillandier

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« L'homme, sitôt sorti de ses routines habituelles et exposé à la nuit et à la solitude, est peu de chose, ou plutôt n'est rien. »

Cette citation empruntée à Marguerite Yourcenar dans Archives du nord exprime avec à-propos ce que des hommes, êtres de chair et de sang, ont ressenti quand, aux origines de l’édition, il leur a été demandé de laisser à la postérité la trace écrite du passage sur terre de leurs commanditaires. Des puissants bien sûr, pas des gueux. Des puissants tellement imbus d’eux-mêmes qu’ils voulaient que leur mort ne soit pas une mort aux yeux des générations à venir. Survivre par l’écrit. Leur vie fût-elle couverte d’opprobre et de sang. François taillandier tient son propos à l’époque des rois dits fainéants. Epoque qui vit à l’Orient l’émergence de la foi musulmane. L’histoire des hommes se lirait donc sur ces supports qui deviendront des livres. Ecrits de main d’homme, bien avant l’imprimerie.

Mais qu’est-ce que l’homme à l’échelle de l’éternité : rien. Marguerite Yourcenar le scande et répète à l’envi. Encore cet homme ne sait-il même pas ce qu’il fait sur terre. Ce qu’il était avant. Ce qu’il devient après. Et il passe sa vie à se vautrer dans le luxe et la luxure, à se livrer à des bassesses qui de peu le rabaissent encore. A s’entredéchirer avec ses congénères pour des peccadilles qu’il n’emportera pas au-delà de sa vie, n’en déplaise aux pharaons. Il passe en fait sa vie à se distraire de l’idée de la mort.

Alors quoi ?

Alors Dieu ! Oui, Dieu !

L’homme est trop petit à l’échelle de l’univers, à l’échelle du temps, trop vil à l’échelle du mystère qui préside à cet obscur éclair de conscience qu’est sa vie. Instant au cours duquel un esprit est venu se contraindre dans un corps de chair et de sang.

Alors Dieu ?

Oui Dieu ! Hors de toutes échelles de temps et d’espace. Hors de toute convoitise, de joie, de peine, de naissance et de mort. Dieu éternel. Être sans substance. Non-être donc. Non-être qui dépasse toute vie sur terre depuis l’amibe sortie de l’océan jusqu’à cet être vaniteux pétri de concupiscence en même temps que de peur qui se fait appeler homme. Dieu est la réponse à l’insignifiance. Alors plutôt que raconter l’homme, fût-il roi sur terre, autant prôner ce dépassement de tout, cette transcendance : Dieu.

Ecrire ce que des hommes qui se sont dits messagers de Dieu, récepteurs de la parole divine, prophètes, écrire ce que l’instance supérieure, mystérieuse, inaccessible, invisible leur a dit. Puisqu’Il s’est rendu audible à eux. Ce que les hommes, ceux qui se disent grands, voulaient faire transcrire de leur vulgarité dans autant d’ouvrages du même niveau sera avantageusement remplacé par la parole divine dans un seul ouvrage. Le LIVRE.

La croix et le croissant de François Taillandier nous dit la gesticulation de la créature intelligente, et pourtant bouffie de défauts, pour s’élever, dépasser sa si courte existence, si médiocre existence et trouver le salut. En Dieu !

Mais même en cette intention les hommes n’ont pas trouvé de collusion. Le LIVRE est devenu multiple. Et encore en est-il pour clamer que la parole divine ne peut être écrite. Elle ne peut être entendue que par des élus et colportée par le Verbe.

Pauvre homme, pris entre la Croix et le Croissant, et peut être encore d’autres symboles de religions, celles-là moins extraverties. Plus confidentielles, moins belliqueuses, ne revendiquant pas le monopole. Pauvre homme qui n’a pas entendu le message d’amour que prêchent toutes ces religions qui se revendiquent du Livre, en même temps qu’elles le foulent aux pieds.

Formidable ouverture sur ces notions de désarroi de l’homme en sa condition que celle de François Taillandier. Pauvre homme en quête de dépassement des bornes de sa vie. Dépassement qu’il a trouvé en Dieu. Dépassement qu’il a transcrit dans le Livre pour associer sa pauvre existence à celle de son créateur. Et survivre ainsi avec lui dans l’éternité.

J’ai retrouvé avec délectation la hauteur de vue de cet auteur sur la condition de l’homme livré au mystère de la vie.  Approche que j’avais découverte avec L’Ecriture du monde et que je m’impose de suivre dans le troisième volet de cette trilogie tant elle comble mon appétit de cette écriture érudite tout en restant accessible, sur ces questions que l’on qualifie de fondamentales.

samedi 15 avril 2023

Marguerite-Marie et moi ~~~~ Clémentine Beauvais

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C'est fortuitement que Clémentine Beauvais apprend avoir eu une lointaine aïeule religieuse, au XVIIème siècle. Cette dernière a été sanctifiée sur le tard sous le nom de sainte Marguerite-Marie. Elle avait écrit le journal de sa vie et c'est contre sa volonté que ce texte fut conservé. Elle avait en effet demandé sur son lit de mort à son infirmière de procéder à la destruction du manuscrit. Elle fut désobéie sur ce point.

Au XVIIème siècle on le sait les femmes n'écrivent pas, ou si peu. Encore moins des romans, genre qui n'existe pas encore. Et encore moins imaginent-t-elles être éditées. Il leur manque cette chambre à soi chère à Virginia Woolf dans un monde gouverné par les hommes qui seuls avaient l’espoir d’être édités. Mais peut-être ces intimité et solitude nécessaires à l’écriture, Marguerite-Marie les avait-elle quand même réunies en son couvent des visitandines à Paray-le-Monial, car son journal vit le jour. Alors sommes-nous portés à nous interroger sur son intention dans l’acte d’écrire ce qui relève de l’intime. Peut-être pour se mettre elle-même à l’épreuve de sa foi. Ou bien destinait-elle cet ouvrage à des yeux très hauts. A moins que, comme nous le confie Clémentine Beauvais, écrire c’est peut-être aussi détourner le regard de ce que l’on veut cacher. Y compris et surtout dans l’exercice du journal intime.

Clémentine Beauvais est quant à elle agnostique. Peut-être serait-elle même plus que cela si quelque chose, ou plutôt quelqu'un, ne la retenait au bord du gouffre de l'athéisme. Gouffre qui n'en est d'ailleurs surement pas un pour elle, mais seulement un sujet de réflexion. De ceux qui font basculer de la foi vers la philosophie. De la croyance vers la raison.

Aussi lorsqu'une éditrice lui suggère d'écrire un ouvrage sur son aïeule, c'est sans doute par défi à sa foi absente que Clémentine Beauvais, autrice aux multiples ouvrages à succès, se livre à l'exercice. Elle qui ne connaît de l'amour que la version terrestre du sentiment – elle nous le confie - décide de se confronter à sa version céleste. Celle éprouvée par son aïeule pour le Christ, Lequel lui serait apparu à plusieurs reprises, au point de faire d’elle une exaltée. N’avait-elle pas brûlé ses mains au Sacré-Cœur. Et de se mortifier de sévices jusqu’à se voir reprocher, par Celui-là même vers qui était dirigé son adoration, d'une rigueur excessive.

J’ai trouvé la démarche passionnante : la rencontre par ouvrage interposé au-delà des siècles d’une agnostique avec une exaltée de Jésus-Christ. Ce qui a parachevé mon intérêt pour me rendre cette lecture captivante, c’est évidemment le style adopté par son autrice. Le style résolument moderne, rehaussé d’un humour un brin caustique, un brin « provoc » mais pas trop. Un style taillé sur mesure pour plaire au lectorat de notre temps dont on sait qu'il n'est pas non plus très porté sur le mystique. Un style qui donne à cette écriture sa fluidité et coupe court à tout ce que le sujet pourrait comporter de rébarbatif. Il se police toutefois quelque peu au fur et à mesure que la connaissance avec la lointaine aïeule s’approfondit. En même temps que l'une et l'autre, par-delà les siècles se fassent connaître l'une à l'autre. Sans intention de prosélytisme, entendons-nous bien. Juste pour faire admettre que la tolérance réciproque dans sa conception tant religieuse que civile passe par la connaissance mutuelle et le respect des consciences de chacun.

Un style donc, pour insister sur le sujet tant il est influent quant au message à faire passer, qui soutient l’ouvrage dans sa totalité pour en faire une lecture vivante, attrayante. Il me fait au passage me demander, puisque c’est le premier ouvrage que je lis de cette autrice, s’il est une marque de fabrique chez Clémentine Beauvais ou bien s’il est volontairement adapté au sujet traité, pour servir d’accroche à un lectorat volatile.

Cet ouvrage m'a séduit tant il m'a paru particulièrement judicieux, courageux dans son intention et sa démarche aussi quand on apprend de la main de Clémentine Beauvais le contexte familial dans lequel elle décide de se livrer à pareille aventure éditoriale. Un ouvrage qui peut-on dire est une biographie croisée de deux personnes, l’autrice et son aïeule, avec la confrontation de leurs opinions respectives sur le sujet de la croyance. Même si le genre de la biographie n’est pas le plus approprié, au point que les éditions J’ai Lu lui affecte l’étiquette de récit. Les chausse-trappes ne manquaient pas et c'est avec brio que Clémentine Beauvais a réussi cet exercice à mes yeux. Même si elle n'est déjà plus une novice en matière littéraire autant par son érudition que par ses succès d’édition, je le découvre en faisant sa connaissance avec cet ouvrage. Il me reste désormais qu'à confirmer mon goût pour pareille écriture décomplexée avec un autre ouvrage de sa main.


mardi 1 novembre 2022

Le cimeterre et l'épée ~~~~ Simon Scarrow

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Quelle est la vraie foi ? Celle des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem ou celle des Turcs de Soliman le magnifique. La question se pose de nos jours avec autant d'acuité puisque d'aucuns sont encore portés à entrer en guerre, dite sainte, pour imposer leur réponse. On n'a aujourd'hui pas beaucoup progressé sur le sujet, même si les luttes auxquels il donne prétexte sont moins ouvertes, plus insidieuses, mais parfois toujours aussi fatales. La croyance échappe à la raison comme le rappelle Simon Scarrow dans cet ouvrage en citant le paradoxe d'Epicure :

Ou bien Dieu veut éliminer le mal et ne le peut
Et il n'est pas tout puissant.
Ou bien il le peut et ne le veut pas,
Et il est malveillant.
Ou bien il le veut et le peut,
Et d'où vient donc le mal en ce monde.
Ou bien il ne le veut ni ne le peut,
Et pourquoi l'appeler Dieu.

L'épisode qui illustre ce mal que sont les guerres de religion, évoqué par Simon Sarrow dans son ouvrage, est celui de la tentative de prise de l'île de Malte en 1565 par les troupes turques de Soliman. Île de Malte en laquelle s'étaient réfugiés les Hospitaliers en 1530 après avoir été chassés successivement de Jérusalem, de Chypre puis de Rhodes, à chaque fois bousculés par la conquête ottomane. A Malte, ils résistèrent tant et si bien sous le commandement de Jean de la Valette - lequel laissa son nom à l'actuelle capitale de Malte - que les Ottomans abandonnèrent leur projet d'anéantir L'Ordre. Ce n'est finalement que notre empereur Napoléon qui en vint à bout en 1798.

Les récits de guerre comme celui-là rebutent très vite leur lectorat, surtout lorsque l'issue du combat est connue d'avance par le féru d'histoire. C'est à n'en pas douter ce qui pousse les auteurs de ce genre, Simon Scarrow n'échappe pas à la règle, à rehausser leur récit d'une intrigue, qu'elle soit amoureuse, politique, d'un quelconque secret de filiation ou d'un autre registre. Mais si dans les guerres comme dans la vie de ce temps foi et honneur commandaient au comportement, ce savoir être n'avait d'égal que la sauvagerie des combats. Ces derniers se faisant au corps à corps, avec le cimeterre et l'épée les amateurs de corps taillés en pièces y trouveront leur compte.

L'intrigue qui rehausse dans le cimeterre et l'épée fait la part belle à la coïncidence et à la persistance des sentiments. La première, artifice de construction, nuit quelque peu à la crédibilité de l'intrigue. Quant à la persistance des sentiments par-delà les décennies, j'ai bien peur que notre mode de vie moderne confortable ait eu raison de toute réminiscence d'esprit chevaleresque. Pour le reste, l'amateur d'histoire appréciera le talent et le travail de documentation de Simon Scarrow.

vendredi 23 septembre 2022

Les diables de Cardona ~~~~ Matthew Carr

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Pour ma 666ème chronique il fallait que j'invite le diable à la fête sur Babelio. Bien qu'avec cet ouvrage de Matthew Carr, le diable n'est pas forcément celui qu'on croit.

Dans l'Espagne de sa majesté très catholique en cette fin de XVIème siècle la justice du roi ne peut ignorer les menées de cette autre institution qui quant à elle veut faire appliquer la justice de Dieu : la bien nommée Inquisition. Or nous savons depuis déjà fort longtemps qu'au Créateur du ciel de la terre on a pu faire dire tout et son contraire, puisqu'il brille par son silence, surtout quand il s'agissait de préserver quelque monopole bien lucratif.

En cette fin de siècle post Reconquista lorsque le prêtre de Belamar de la sierra est assassiné l'inquisiteur a tôt fait de désigner le coupable, lequel se ferait appeler « le Rédempteur », dans les rangs de ceux qu'on désignait alors sous le vocable de morisques. Il n'était autre que ces maures n'ayant eu d'autre choix que de se convertir au christianisme ou quitter l'Espagne dans laquelle ils étaient nés.

Un magistrat, Bernardo de Mendoza, est désigné pour mener l'enquête. Sa majesté a beau être très catholique elle ne veut pas laisser à l'Inquisition le soin de désigner elle-même des coupables qu'elle aura tôt fait avouer sous le fer rouge ou l'estrapade.

Enquête mouvementée et à rebondissements pour notre magistrat. Il devra faire la part des choses entre conflits religieux et autres intérêts plus triviaux lorsque la belle et riche comtesse de Cardona se retrouve veuve, et donc fort convoitée. Les prétendants pourraient alors bien être à l'origine de complots bien orchestrés pour détourner les regards de leur responsabilité. En pareille contexte le diable est bel et bien à rechercher parmi ceux qui affichent un visage d'ange.

L'intrigue est ponctuée de moultes péripéties qui donnent un rythme effréné à ce roman. le fonds historique est bien documenté et témoigne d'une solide culture de son auteur en matière de religion. Là où cela se gâte à mes yeux c'est dans le dénouement. Les gènes américains de l'auteur ont refait surface et transformé le roman de cape et d'épée en western. Qu'on en juge par quelques citations : « les mains en l'air et ne bouge pas », « vous êtes en état d'arrestation dit Mendoza », ou encore par des combats qui font plus parler les pistolets, qui n'avaient rien d'automatique au 16ème siècle, que fendre les épées ou piquer les dagues. Chassez le cow-boy et il revient au galop pour que justice soit rendue et le coupable pendu haut et court. Et l'infidèle soustrait à la justice divine au grand dépit de l'inquisiteur lequel lui aurait forcément dicté des aveux.

Cette dérive entache quelque peu le roman d'un anachronisme de situation et de langage. Il reste pourtant de bonne facture et trouve son intérêt quand il s'agit se remémorer un contexte historique et dénoncer des pratiques judiciaires d'un autre temps : selon que vous serez puissant ou misérable, etc… etc…


jeudi 18 août 2022

L'indomptée ~~~~ Donna Cross

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Au départ était une légende. Celle qui veut que le sanctuaire très masculin de la papauté ait été floué. Qu'une femme se fût immiscée dans la liste de succession. Cette intruse que la légende retiendra sous le nom de papesse Jeanne et que ses successeurs s'empresseront d'effacer des élus au trône De Saint-Pierre. Même si c'est à un homme que le peuple de Rome aurait remis la mitre papale, puisque c'est sous le travestissement que Jeanne aurait été élue au trône De Saint-Pierre par la vox populi, l'élection ne se faisant pas à huis clos en ce temps.

Avec cet ouvrage Donna Cross nous ramène au 9ème siècle. En un temps où le christianisme en quête de monopole sur les consciences commence à s'imposer au monde barbare et tente d'y supplanter les divinités païennes qui font encore de la résistance.

Le pari de cet ouvrage était d'inclure une légende, qui sera formellement contredite après un quinzième siècle qui lui fit la part belle, dans des faits historiques avérés dont l'auteure nous prouve qu'elle en a fait une recherche documentaire fouillée, le tout aggloméré avec le liant de la fiction. Heureux amalgame quand ladite fiction ne sombre pas dans la sensiblerie sirupeuse que l'on redoute de la part des auteurs en quête d'audience moderne. Et qui eut été incongrue à une époque de vie pour le moins rude.

Voilà donc à mes yeux un roman historique de très bonne facture. J'aime quand les légendes laissent planer le doute sur la part de vérité de leur fondement. Surtout lorsqu'elles égratignent l'univers de la religion dont on connaît que trop à la fois le caractère péremptoire et misogyne et sa hargne à préserver son monopole sur les consciences.

Roman foncièrement féministe aussi que L'indomptée. D'autant plus crédible qu'il présente la condition de la femme de l'époque sans en faire le procès. C'eut été anachronique d'ailleurs, tant cette dernière était formatée, accoutumée à la relégation et à n'oser en tenir grief à son dominateur. Donna Cross le suggère en citant les écrits de référence tel ceux de Paul qui doit sans aucun doute sa sainteté à ses épitres aussi tranchées que dénuées de légitimité : « Je ne permettrai pas à une femme d'enseigner, pas davantage de dominer un homme ; elle devra rester silencieuse et écouter avec soumission. » Ou encore, pour le plaisir du coq qui fera encore loi de sa force physique : « les femmes sont en dessous des hommes, par leur conception, par leur place et par leur volonté. » Et d'autre encore du même tonneau que nous servent les canonisés de tout bord et que Donna Cross glisse sans acrimonie dans cet ouvrage. Mais ça ce n'est pas de la légende.

Merci Donna Cross pour cet ouvra fort bien écrit, construit et pesé entre légende, faits historiques et fiction. Fiction sur fonds d'histoire d'amour, il va de soi. Il en faut bien de ce sentiment si singulier dans un monde avare de ses bienfaisances.


samedi 6 août 2022

Le printemps des maudits ~~~~ Jean Contrucci

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Le pari était hasardeux : plaquer une histoire d'amour sur cette page peu glorieuse de l'histoire de l'église catholique. D'autant que cette histoire sentimentale est cousue de fil blanc. le lecteur ne se fera pas vraiment d'inquiétude quant au sort des tourtereaux, même si le contexte général de dans lequel elle se déroule est particulièrement dramatique.

Ce contexte général, c'est la triste épopée vaudoise en Luberon. C'est le sort réservé par l'église romaine aux héritiers des disciples de l'église de Pierre Valdo, lequel avait fondé l'église des Pauvres de Lyon au 13ème siècle. Avant de se rapprocher de l'église réformée de Luther, ces disciples avaient eu le tort de vouloir lire la bible en leur langue vernaculaire. Il avait en effet fait traduire la bible latine en français de l'époque pour que le plus humble y ait accès.

Oui mais voilà, avoir accès à la bible c'était aussi y lire les vraies paroles du Christ et mesurer de cette façon l'écart considérable qui séparait le comportement de la curie romaine avec les évangiles. De sincères chrétiens les Vaudois sont donc devenus des hérétiques, avec le sort que leur réservait la toute puissante église officielle : le bûcher. Ce dont l'évêque de Tournon ne s'est pas privé. Il a convaincu le bon roi François 1er de lui prêter main forte en mettant à sa disposition des hordes de soudarts sans foi ni loi aux ordres du Baron Maynier d'Oppède pour réduire le soi-disant foyer d'hérésie.

L'histoire des Vaudois est fidèlement restituée sur un ton pédagogique de livre d'histoire. Reste que l'histoire d'amour qui la relève est comme une fleur sur un tas d'immondices : un peu de tendresse dans un monde de brutes. Celui qui ne veut pas s'atteler aux trois excellents volumes de Hubert Leconte à propos de l'épopée vaudoise (*) ne sera pas trompé quant au sort de ces malheureux par le printemps des maudits, c'est plus condensé et se lit comme le roman historique qu'il est.

L'église vaudoise existe encore en Piémont italien a contrario de l'église cathare. Cette dernière était sur le même crédo du retour à la vraie lecture des évangiles pour contrer la curie romaine laquelle se gardait bien, en assommant ses fidèles d'impôts, de s'appliquer les préceptes qu'elle prêchait avec la plus grande rigueur. N'est-il pas vrai que luxe et luxure ne figurent pas dans la parole restituée du Christ.

(*) La croix des humiliés ; Les larmes du Luberon ; le glaive et l'évangile - Editions Millepertuis


dimanche 24 juillet 2022

L'homme qui peignait les âmes ~~~~ Metin Arditi

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« C'est de cela qu'on besoin les hommes, se dit Mansour. D'être rassurés. Et c'était cela exactement que faisait Avner. »

Avner est L'homme qui peignait les âmes, sous la plume de Metin Arditi. Avec cet ouvrage, l'auteur nous adresse un vibrant appel à la tolérance entre hommes de toutes confessions. Un ouvrage qui pêche par ingénuité tellement il est pétri d'utopie. Tellement on n'est pas habitué à s'entendre dire que les religions peuvent être complémentaires et non concurrentes.

Mais ça fait du bien de s'entendre dire crois en ce que tu veux si cela te fait du bien. Pratique la religion que tu veux si elle te réconforte de ton désarroi face à la finitude de ta condition. Adopte le raisonnement philosophique si la croyance ne t'est d'aucun secours. Ou ne fais rien si ton esprit est au repos. Mais surtout n'achète pas l'adhésion à tes idées avec des promesses que tu n'es pas en mesure de tenir. Encore moins n'impose rien à qui que ce soit profitant de sa faiblesse ou de sa crédulité. Laisse chacun trouver le réconfort dont il a besoin. Et si c'est auprès de toi, aide-le comme tu pourras.

L'homme qui peignait les âmes rendaient les hommes heureux en les soustrayant à la domination des grands prêtres, mais « ce n'est pas le Seigneur qu'il offensait, puisqu'il amenait le bonheur. C'étaient ceux qui s'arrogeait le droit de parler en son nom. »

« Son devoir était d'extraire l'homme de sa haine. » C'est avec ses icônes qu'Avner leur dévoilait leur vrai visage. « Il célébrait les hommes dans leur essence divine. »

Une belle fable que ce petit ouvrage. Un ouvrage d'apaisement qui devrait inspirer les prêcheurs de tout bord.


Cathares 1198 ~~~~ Olivier taveau

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Hérétique : qui professe ou soutient des opinions contraires à celles qui sont généralement considérées comme vraies ou justes dans un groupe déterminé, nous dit le dictionnaire. Pour ce qui est de l'histoire des Cathares, le groupe déterminé c'est celui de l'église catholique apostolique et romaine. Cette dernière fondant sa légitimité sur le service d'un dieu qui brille par son absence de manifestations. La porte est alors grande ouverte pour parler à sa place et dire en Son nom ce qui est juste et vrai. Et il y a grande chance pour que ce juste et ce vrai servent les intérêts de qui le décrète. En Son nom bien entendu. Alibi suprême.

Aussi lorsque les Cathares se rendent compte que les dignitaires de cette église ne s'appliquent pas à eux-mêmes les valeurs de pauvreté et de chasteté dont ils ont la bouche pleine, qu'ils foulent au pied le fondement de leur religion, les fameux dix commandements, alors ces pauvres Bonshommes tels qu'ils se qualifient et leurs prêcheurs les Parfaits se mettent à contester ce juste et ce vrai dictés par une église à la corruption tellement sure de son fait qu'elle ne se dissimule pas. Église corrompue mais toute puissante. Elle mettra alors sa puissance et sa détermination à réduire au silence avec une cruauté inouïe ceux qui veulent faire valoir ses écarts avec la vraie parole du Christ, dont elle se légitime justement. Elle fera de même avec les Vaudois trois siècles plus tard en Provence.

Lire l'histoire des Cathares est toujours saisissant. Saisissement d'effroi avant tout à l'égard du sort réservé aux pauvres bougres qui avaient trouvé en leur nouvelle église la sincérité du discours et le secours spirituel attendu face à la rudesse de leur vie. Dans la quête du salut puisque tout est là. Ils ne voulaient ni plus ni moins que revenir à la parole première du Christ et appliquer Ses préceptes, que l'église Rome avait pervertis à son profit. Mais saisissement d'indignation aussi vis-à-vis de cette église, devenue l'officielle de Rome, au constat du comportement de ceux qui s'en était approprié les postes, arrogé le pouvoir, prêchant une chose et faisant son contraire, défendant ses privilèges avec une férocité assassine qui dépasse l'imagination. Dans l'amour de son prochain bien entendu. Au nom d'un dieu à qui elle fait dire ce qu'elle veut puisque la seule chose incontestable qu'on puisse attribuer au grand ordonnateur des choses de ce monde depuis qu'on l'invoque en tout et pour tout, c'est bien son silence.

L'ouvrage d'Olivier Taveau a comblé mes attentes en cela qu'il se réfère à des faits historiques objectivement admis et qu'en note finale de remerciement il y associe avec une ironie mordante cette église catholique apostolique et romaine, dénonçant ce qu'elle a sur la conscience depuis qu'elle détient le monopole dans la gouvernance des consciences, jusqu'à nos jours avec la protection consentie aux prêtres pédophiles. Monopole qu'elle aurait bien voulu voir perdurer si l'ouverture des esprits n'était pas venue lui apporter la contradiction et dénoncer tous ses crimes perpétrés au nom d'une foi, fondant une croyance à partir de laquelle s'est construite une religion exploitant le fabuleux commerce ouvert par la faiblesse de l'homme confronté à sa finitude.

Si toutes les religions se revendiquant d'un seul dieu, servies ou non par une église, ont une caractéristique commune c'est bien celle de l'intolérance vis-à-vis de toute velléité de concurrence. Se contredisant elles-mêmes en ce qu'elles prêchent l'amour de son prochain. J'espère qu'Olivier Taveau qui nous dresse, sur le modèle de la triste histoire des Cathares, une juste et violente diatribe contre l'église apostolique et romaine en a autant pour les autres religions se prévalant comme il se doit d'amour et de paix, et qui de tous temps ont été les premières à promouvoir la guerre.

Ce n'est pas Metin Arditi qui le contredira lorsqu'il fait dire à L'homme qui peignait les âmes : « On lui avait appris à respecter la Loi des Juifs et à se méfier de toutes les autres. Alors il lui répondit du mieux qu'il put, essayant de lui faire entrevoir les beautés qu'à ce jour on lui avait interdites :
- Notre religion dit la Loi. J'ai beau l'avoir abandonnée, sa rigueur et sa majesté m'impressionnent. La vie du Christ m'enseigne la charité, et l'Islam me rappelle l'importance de l'humilité et de la soumission. Pourquoi devrais-je refuser l'hospitalité de l'une de ces Maisons en faveur d'une autre ? Ce serait dédaigner chaque fois une grande richesse. Là serait la vraie folie. »


lundi 7 février 2022

Sous le soleil de Satan ~~~~ Georges Bernanos

 

 

Ce n'est pas une crise de conviction qui torture l'abbé Donissan, sa foi lui reste chevillée au corps, mais bien une crise de conscience. Il se sait comme tout un chacun la cible de Satan, lequel est aux aguets du moindre défaut de la cuirasse du croyant, laissant les athées et autres agnostiques au désespoir de la sainte église.

Alors que Dieu reste définitivement muet et inaccessible, faisant dire à Saint-Exupéry qu'un dieu qui se laisse toucher n'est plus un dieu, Satan quant à lui sait prendre figure humaine pour séduire celui dont la foi vacille. Ce sont les traits de Mouchette la jeune dévergondée qui séduit Pierre et Paul et les détourne du droit chemin tracé par les évangiles, ou encore les traits du maquignon qui se propose de remettre l'abbé sur le bon chemin alors qu'il est perdu dans la nuit. L'abbé Donissan doit compter sur la voix intérieure silencieuse que fait vibrer sa foi pour contrecarrer ces tentatives de séduction, elles bien audibles, du mal incarné.

Cette lecture est à l'image de l'abbé perdu dans la nuit. Elle tourne en rond et revient inexorablement à son point central d'obsession. Faisant de cet ouvrage un sempiternel combat spirituel du croyant dans toute la candeur de sa conviction. Un combat intérieur qui rend les événements, car il y en a quand même, marginaux au regard de cette claustrophobie spirituelle obsédante.

Une torture de l'abbé que Bernanos a bien communiqué au lecteur baptisé que je suis, me faisant de la lecture de cet ouvrage un véritable supplice chinois. Mais Satan ne m'a pas convaincu à l'autodafé auquel il m'exhortait dans le tuyau de l'oreille, je me suis fait le devoir d'aller au bout de ce chemin de croix. J'ai fait ma BA de l'année en matière de respect du travail de l'écrivain.


jeudi 6 janvier 2022

Les graciées ~~~~ Kiran Millwood Hargrave


 

On pourrait dire que ce roman historique de Kiran Millwood Hargrave nous conte une histoire de sorcières. Mais ce serait prendre le parti de ceux qui, en qualifiant ainsi les femmes qu’ils voulaient éliminer, exerçaient l’abus de pouvoir que leur autorisait leurs position et statut.

Au XVIIème siècle la puissance était apanage d’une église qui n’admettait ni concurrence ni contradiction. Qualifier de sorcellerie et condamner pour ce motif était le moyen le plus sûr et le plus expéditif pour se débarrasser de celles et ceux qui ne se rangeaient pas sur ses bancs. L’église ayant pris la précaution de gagner le pouvoir temporel à sa cause pour en faire son bras armé. Une manière aussi de se disculper de la violence induite par sa volonté de conquérir le monopole de la gouvernance des consciences.

Cet ouvrage tient son intrigue à l’extrême nord de la Norvège, en pays lapon. En une contrée où un peuple rude vit de l’élevage du renne et n’a que faire d’un dieu voulant s’imposer dans son environnement inhospitalier. Mais c’est oublier la pugnacité des prêcheurs de ce dieu. Un dieu qui n’admet pas que des êtres, ne se connaissant pas d’âme, puissent diriger leurs dévotions vers les esprits d’une Nature qui commande à leur vie. C’est ainsi qu’Abaslom Cornet, venu de la lointaine écosse où son roi Jacques IV a rédigé un traité de démonologie, se mets en demeure de faire rejoindre le troupeau du Seigneur à ces brebis égarées. Les récalcitrants auront tôt fait d’être éradiqués. Il suffit de les taxer de sorcellerie, avec le sort qui s’attache à pareil engeance.

La technique est rodée. Il n’y a rien à prouver. Les dénonciations suffisent. Les rancœurs et jalousie fleurissent aussi bien dans les steppes glaciaires que partout sur cette vieille terre. Une chose et son contraire feront ensuite très bien l’affaire pour convaincre l’accusé du tort dont on veut l’affubler. Il n’est que de lire l’une des méthodes de persuasion pour le confirmer : l’accusé est précipité dans la mer glacée. S’il se noie il est innocent. S’il en réchappe, c’est que le diable est venu à son secours, il est donc coupable. Il se réchauffera sur le bûcher. L’alternative est engageante.

Cet inquisiteur des terres septentrionales a convolé en justes noces quelques jours avant de prendre son poste en ces terres inhospitalières. Son épouse ne tarde pas à découvrir le monstre qui partage sa couche et pour lequel elle éprouve vite de la répulsion. Celle-ci prend fait et cause pour une villageoise du cru, qui de servante est devenue sa confidente et avec laquelle elle bâtit une relation dont la spontanéité et la sincérité lui font connaître un sentiment absent de sa vie conjugale. Avec toute la prudence que le contexte historique et sociologique imposait aux femmes en particulier en ces temps d’obscurantisme.

L’intrigue monte très progressivement en intensité dramatique et impose aux sentiments une longue maturation avant de se déclarer dans leur complète ferveur. Kiran a su restituer l’austérité du siècle et du milieu au point de gagner son lecteur à l’atmosphère d’indigence et de peur qui pouvait régner sous ces latitudes et sous la férule d’une église conquérante. L’ouvrage peut même parfois en devenir rebutant, présenter des longueurs notamment en ses premières parties. Mais cela reste un bon roman dont le contexte historique est rehaussé par cette relation singulière et touchante qui s’établit entre deux femmes dans une atmosphère glaciale et tendue. J’ai trouvé toutefois que le style souffrait d’une traduction trop moderne, ôtant de la patine au texte, sauf à ce que la version originale l’impose bien entendu. Les dialogues sont intégrés au texte et manque d’évidence à la lecture, il faut être attentifs aux guillemets pour ne rien manquer des échanges.

Un ouvrage qui met aussi l’accent sur la condition féminine quand le mâle dominant veillait au grain pour ne rien perdre de ses prérogatives. Un roman que j’ai rapproché d’une lecture précédente, Les sorcières de Pendle de Stacey Hall qui abordait le même thème dans l’Angleterre de Jacques 1er. (Jacques IV d’Ecosse était devenu roi d’Angleterre sous le nom de Jacques 1er).


mercredi 8 décembre 2021

Les sorcières de Pendle ~~~~ Stacey Halls



Ce roman m’a remis en mémoire l’excellent ouvrage de Yannick Grannec : Les simples. Tous deux ont inscrit leur intrigue en un 16ème siècle où la guérison d’un malade tenait du miracle. Miracle dont la religion officielle ne voulait surtout pas se faire voler le bénéfice par quelque savoir empirique concurrent de la croyance imposée. Un guérisseur par les plantes avait tôt fait d’être qualifié de sorcier si d’aventure sa science remettait sur pieds un malade dont la toute puissante institution avait déjà fait un client au jugement dernier. Et bien entendu, cette qualification avait d’autant plus de chance d’être retenue si le guérisseur était une guérisseuse. Haro sur la sorcière.

« Etes-vous comme le roi, à penser que toutes les guérisseuses et les sages-femmes exécutent l’œuvre du diable ? ». Le roi en question c’est Jacques 1er d’Angleterre- conjointement 4ème du nom en Ecosse. Il avait fait de la chasse aux sorcières une obsession, y compris en écrivant un traité de démonologie lequel laissait aux accusées bien peu de chance d’échapper à la vindicte royale, sous légitimation de volonté divine bien évidemment. Le drame étant que pour être accusée point n’était besoin de preuve. Une simple dénonciation suffisait et peu importe si celle-ci était dictée par quelque rancœur ou jalousie.

A l’instar de celui de Yannick Grannec, on retrouve dans cet ouvrage des femmes douées de la connaissance des plantes - l’écorce de saule notamment dont on sait qu’elle sera à la base de l’aspirine quelques siècles plus tard. Ce pouvoir donné à des femmes est aux yeux de la gent masculine une source de suspicion quant à une velléité d’émergence de la condition dans laquelle elles sont entretenues. Condition qui s’apparente à celle du bétail selon l’héroïne de cet ouvrage, faisant référence au rôle qui les cantonnait à la reproduction de l’espèce. Chaque naissance suscitant au passage l’espérance d’une descendance mâle, au point de faire dire à l’héroïne des Sorcières de Pendle : « Je ne souhaite de fille à personne ».

On aura compris que ce roman est aussi et surtout un roman féministe. Fleetwood Shuttleworth, l’héroïne de cet ouvrage se bat pour extirper des griffes d’une justice aux ordres, arbitraire et expéditive des femmes accusées de sorcellerie, dont sa propre sage-femme. Mais le propos est plus général quant à la condition de la femme. Stacey Halls se joint à sa compatriote Virginia Woolf (*) pour regretter, du fait de ce statut avilissant « d’objet décoratif » dont elles sont affublées dans la société contemporaine de Shakespeare, de savoir ses consœurs avoir été empêchées d’écrire. Stacey Halls participe au rattrapage avec bonheur avec cet ouvrage. 

Les sorcières de Pendle est ouvrage intéressant, fondé sur des faits historiques. J’ai regretté toutefois le vocabulaire et les tournures syntaxiques quelque peu anachroniques qui ôte à cet ouvrage une part de sa teinte séculaire. Stacy Halls a toutefois le mérite d’avoir défendu avec ferveur la mémoire de ces pauvres femmes sans produire une diatribe enflammée contre une misogynie institutionnalisée. On ne refait pas l’histoire avec des colères rétrospectives. Mais on peut en tirer des enseignements …

Même si l’eau qui a coulé sous les ponts depuis Jacques 1er n’a pas encore lavé toute l’avanie d’un rapport de force déséquilibré, les sorcières modernes ont aujourd’hui pignon sur rue. Mais un maléfice ne pouvant être annulé que par celui qui l’a infligé, il reste encore du travail pour que le mâle concède le rééquilibrage des genres. Si l’on en croit ce qu’on nous assène régulièrement à nous qui nous accrochons à notre piédestal.

(*) Une chambre à soi – Virginia Woolf

vendredi 23 juillet 2021

L'épopée vaudoise : Tome 3 - Le glaive et l'évangile ~~~~ Hubert Leconte

 


Avec la crainte frénétique de voir son pouvoir contesté et ses avantages perdus, la sainte église romaine catholique s'est mise en demeure de taxer d'hérésie, voire de sorcellerie, tout ce qui pouvait avoir velléité de prêcher un dogme divergent de sa parole devenue seule vérité. Sous couvert bien entendu d'une légitimation consentie par le Très-haut aux élus, inaccessible au vulgaire, dont elle seule, la sainte église, pouvait recevoir les commandements. Charge à elle de guider le troupeau et de ramener les brebis égarées sur le bon chemin.

Alors que le courant humaniste de la Renaissance déferle sur la France en cette première moitié du XVIème siècle, avec sa propension à placer l'homme au centre des préoccupations, il y a urgence à endiguer les velléités écartant quelques écervelés du discours divin. Dans sa précipitation enragée à sauvegarder ses positions et avantages la sainte église a tendance à mettre la charrue avant les bœufs en matière de justice, à savoir tuer les vivants et les juger par la suite. Ce fut le sort réservé aux Vaudois du Luberon.

Las de tendre l'autre joue, las de leurs recours infructueux auprès de la justice du roi, les Vaudois furent tentés par la rébellion armée. le glaive et l'évangile, troisième opus de l'épopée vaudoise, aborde ce dilemme qui divise la communauté, partagés que furent certains entre l'attitude non violente que leur dictent les évangiles et le désespoir qui les envahit de se voir pourchassés sans cesse et sans recours.

La trilogie d'Hubert Leconte met le focus sur cette page d'histoire locale qui, aussi dramatique et intolérable qu'elle ait pu être, n'est qu'un révélateur de ce qui peut se produire quand la liberté de conscience est foulée aux pieds. Sous couvert de légitimation divine, dont on attend toujours consécration officielle de la part du Celui qui est invoqué dans ces religions dîtes du Livre, la finalité est toujours la même depuis que l'homme est homme, torturé qu'il est par le mystère de la vie : l'appropriation du pouvoir et des richesses de ce bas monde en contre partie d'une promesse de paradis pour ceux à qui on mâchait le travail puisqu'ils n'avaient qu'une attitude à avoir : croire.

Contrairement à l'église cathare, laquelle a complètement disparu du paysage religieux au cours du 13eme siècle, l'église de Pierre Valdo, acquise à la Réforme, a toujours ses adeptes de nos jours. On trouve encore des lieux de cultes se revendiquant du dogme initié par Pierre Valdo dans le Piémont italien, région dans laquelle les actions d'éradication ont été plus dispersées et moins assidues.


mardi 13 juillet 2021

L'épopée vaudoise : Tome 2 - Les larmes du Luberon ~~~~ Hubert Leconte

 


Ils avaient quitté les vallées alpines, pourchassés qu'ils étaient par l'église de Rome. Elle avait fait d'eux des hérétiques. En cette première moitié du XVIème siècle les Vaudois avaient trouvé en Provence quelques décennies de répit à la traque dont ils étaient l'objet. Mais s'ils espéraient vivre leur foi en paix c'était sans compter sur l'obstination d'une église qui n'avait pas renoncé à purger cet abcès que représentait à ses yeux leur communauté.

Mais en dépit du pouvoir considérable qui était le sien en son temps de monopole sur les consciences, l'Église n'avait pas les moyens militaires d'éradiquer la dissidence. Elle souhaitait en outre dans sa grande perversité s'exonérer des crimes que ne manquerait pas de provoquer la reconquête des consciences à sa seule dévotion. Elle devait donc avoir recours au bras séculier pour combattre les Vaudois dont la doctrine prêchant la pureté des évangiles s'était propagée. C'était surtout une façon de faire oublier le commanditaire et endosser au pouvoir temporel la responsabilité des dommages. Il fallait donc convaincre François 1er que ce qu'elle qualifiait de déviance constituait un vrai danger pour le royaume. L'argument était le risque de scission qui pouvait faire basculer la Provence dans les bras de son ennemi juré, Charles Quint. François 1er n'avait-il pas déjà goûté de ses geôles après sa défaire de Pavie.

Convaincu par les sbires du Pape de la nécessité de leur éradication, François 1er profita du transit de ses troupes vers le port de Marseille pour lancer une grande offensive contre les Vaudois. Cela donna lieu à l'un des plus grands massacres qu'ait connu la communauté vaudoise dans cette partie de la Provence, aujourd'hui lieu de villégiature de fortunés : le Luberon. Les disciples de Pierre Valdo en ce pays, où ils pensaient pouvoir jouir du fruit de leur labeur et vivre dans la paix des évangiles furent passés au fil de l'épée sans distinction de sexe ni d'âge. Non sans avoir imposé les derniers outrages à tout ce qui pouvait assouvir les bas instincts de soudards qui pour la plupart étaient d'ailleurs mercenaires loués aux possessions du Saint empire romain germanique. La justice du roi était passée. Reste que cette page dramatique de l'histoire de la Provence et de l'épopée vaudoise est à mettre au crédit de celle qui prêchait charité, tolérance, pauvreté et chasteté, se gardant bien de l'appliquer à elle-même, celle qui revendiquait la majuscule quand on l'évoquait : la sainte Église catholique romaine.

Hubert Leconte nous fait vivre tout au long de cet édifiant ouvrage à la fois les espoirs et le climat de peur permanente dans lequel demeuraient les Vaudois. Il met en oeuvre en parallèle dans son écriture un surprenant lyrisme poétique destiné à glorifier la belle nature qui sert de décor à cette tragédie, et à évoquer aussi l'amour que les Vaudois vouaient à la terre nourricière. Une beauté qui en ce temps se payait au prix fort tant la tâche était rude pour tirer subsistance de ces collines arides. Nous apprécions mal en nos jours fort heureusement plus serein quant à la liberté de conscience le climat de peur régnant au quotidien et faisant de ceux qui osaient promouvoir une doctrine rivale de l'officielle des gibiers traqués. Nous apprécions mal la force d'une foi chevillée à l'âme en ces temps où tout s'expliquait en Dieu et par Dieu, selon un discours imposé par celle qui n'admettait ni contradiction ni concurrence en la matière.

Communion avec la nature, solidarité confessionnelle, dans ce superbe ouvrage fort bien documenté Hubert Leconte nous rappelle à ces données d'un quotidien fait de labeur, de foi mais surtout de peur. Cela donne ce splendide ouvrage, deuxième tome de l'épopée vaudoise à une époque où régnait la loi du plus fort.

"Selon que vous serez puisant ou misérable les jugements de cour vous rendrons ou blanc ou noir." La fable aurait pu s'appliquer aux Vaudois malades quant à eux d'une peste qui n'était rien d'autre que leur fidélité à la parole première des évangiles. Peste que leur sincérité, que leur foi.


jeudi 1 juillet 2021

L'épopée vaudoise : Tome 1 - La croix des humiliés ~~~~ Hubert Leconte

 


J'ai entrepris de relire la trilogie de Hubert Leconte relatant l'épopée vaudoise des Alpes vers le Luberon. Les Vaudois que l'on présente parfois comme les précurseurs du protestantisme sont les disciples de Pierre Valdo. Ce riche marchand lyonnais du XIIème siècle avait fondé La fraternité des pauvres de Lyon à qui il avait légué ses biens. Il a été excommunié par l'Église. Sa faute : avoir fait traduire la Bible en langage vernaculaire, le franco provençal, pour la rendre intelligible au petit peuple. Un comble serait-on tenté de dire.

Pierre Valdo qui s'ouvrit de cette déconvenue à un ami érudit s'entendit répondre " … tu te rends compte où cela nous entraîne. Savoir lire c'est peut-être un jour contester tout le savant édifice de règles, de canons, de dogmes que l'Église a élaborés depuis plus d'un millénaire".

La croix des humiliés, premier tome de la trilogie, situe son intrigue romanesque à la fin du XVème siècle dans les vallées alpines. Pourchassés par l'église officielle de Rome, les Vaudois avaient essaimé. Forcés qu'ils étaient d'investir les lieux les plus inhospitaliers pour pouvoir vivre leur foi en relative tranquillité; foi qui n'était, rappelons-le, rien d'autre que la stricte observance des évangiles.

Or, parait-il que les évangiles n'envisagent pas de vivre dans le luxe et la luxure. Pierre Valdo avait donc eu le tort d'ouvrir les yeux de ses disciples à ces travers dans lesquels se vautraient la curie romaine et toute sa hiérarchie épiscopale dont on connaît trop la toute puissance en ces temps d'obscurantisme. Cette dernière a donc mis sur pied cette formidable juridiction ecclésiastique d'exception taillée sur mesure pour préserver ses monopole et intérêts, et faire retourner le manant éclairé aux ténèbres de l'ignorance : l'inquisition.

Et l'évêque menaçant Pierre Valdo de haranguer : "Il serait trop long de vous expliquer les mystères de la Sainte Trinité, de l'incarnation, et de la consubstantialité. Nous avons pensé pour les pauvres qui n'ont qu'un seul effort à fournir : croire."

Procès en sorcellerie, qualification d'hérésie, les Vaudois ont eu les faveurs de cette épouvantable machinerie tyrannique dont on connaît trop les méthodes barbares pour faire avouer les martyres pris dans ses carcans. On en connaît aussi trop la conclusion brûlante. Hubert Leconte, au travers de ce roman historique parfaitement documenté nous fait vivre l'errance de ces disciples convaincus d'une foi dictée par les évangiles en laquelle ils pensaient assurer leur salut, et qui fit leur malheur. On ne peut s'empêcher de faire le rapprochement avec la foi cathare qui a enflammé le sud-ouest de notre pays dans les mêmes temps alors qu'elle prêchait elle aussi le retour à la pureté du dogme, aux textes originels des évangiles.

En ce XVème siècle d'illettrisme et d'ignorance, l'Église toute puissante règne sur les esprits et les consciences. Elle n'admet ni contradiction ni concurrence. Elle a tout prévu, y compris un moine pour absoudre l'inquisiteur des violences – ce terme étant en la circonstance un doux euphémisme - qu'il se voit contraint d'infliger à ceux qui osent prêcher une autre parole que l'officielle. Y compris et surtout si cette parole est de nature à faire éclater aux yeux des puissants briguant la pourpre cardinalice leur déviance au regard de ce qu'ils n'ont de cesse de ressasser dans leurs sermons : les fameux dix commandements que leur comportement propre violent impunément tous les jours.

Expulsés de leurs vallées alpines vers une région qu'ils espèrent plus accueillantes pour leur sincérité biblique, les Vaudois n'en ont pourtant pas fini avec les faussaires de la foi. Les larmes du Luberon, le deuxième tome, va me le remettre en mémoire. Les quelques pierres vestiges de leurs modestes masures au creux des vallées et les grottes perchées à flancs de falaise qui parsèment la campagne provençale dans lesquelles ils cherchaient refuge gardent la mémoire de ces pauvres hères à la foi, la vraie foi, chevillée au corps.


lundi 7 juin 2021

L'évangile selon Yong Sheng ~~~~ Dai Sijie

 



Ce qui surprend à la lecture de cet ouvrage c'est le décalage entre la légèreté de l'écriture et la gravité du sujet traité. Le style mis en œuvre par Dai Sijie pour écrire cet ouvrage, en évocation de l'histoire de son grand père, est souvent assimilé à celui d'un conte. Cet aïeul a pourtant connu un sort aux antipodes de ce que relate habituellement le genre. Le nouveau régime fort montant en Chine en ce milieu du 20ème siècle, se légitimant comme émanation du peuple, a réservé à ceux qu'il avait classés parmi les ennemis de la révolution humiliation, torture physique et mentale en forme de lavage de cerveau. C'était rentrer dans le rang ou mourir. le rang étant celui d'un peuple sorti vainqueur de la longue marche conduite par Mao Ze Dong.

Le grand timonier n'admettait d'autre culte que celui orienté vers sa personne. Pas étonnant donc que Yong Sheng, représentant d'une minorité religieuse, chrétienne en l'occurrence, devenu de ce fait ennemi public numéro un soit livré en pâture à un petit peuple revanchard, nourri aux promesses d'une prospérité inédite par le nouvel homme fort de la Chine. La révolution culturelle était en marche et comme dans tout régime autoritaire "chaque mot pouvait être une balle tirée dans la tête de l'ennemi, un poignard à lui planter dans le cœur". Les mots : la seule arme du prêche, des sermons que Yong Sheng s'ingéniait à écrire pour guider ses ouailles sur le bon chemin qu'il leur désignait, celui de la foi chrétienne.

Ce grand père de Dai Sijie devenu pasteur par la volonté de son propre père a vécu son calvaire des années durant comme le Christ sa passion, avec la conviction obstinée que ce sort misérable lui était réservé par Dieu pour le rachat des péchés de ce bas monde. Il a accepté souffrances et trahisons des siens sans formuler la moindre plainte, le moindre esprit de revanche, en rédemption des fautes de ses congénères. Le style sobre et affable employé par l'auteur venant en confirmation de la volonté de Yong Sheng de pardonner à ses tortionnaires. L'épilogue nous confirme dans le pacifisme, la générosité et le sens du sacrifice du pasteur. Sans rejoindre les idées de ses tortionnaires, il n'émet jamais aucune parole de malédiction à leur encontre.

Ce conte triste comporte ses symboles. Tel cet arbre sacré en chine, l'aguillaire. Il en devient un personnage à part entière de l'ouvrage. Planté à la naissance de Yong Sheng, il est devenu l'arbre du pasteur et manifeste sa présence sur l'ensemble du récit. Brûlé lors de l'incendie de la maison du pasteur, tel le Phénix il renaît de ses cendres en allégorie de survivance d'une foi qui commande à l'esprit. A cet arbre sont prêtées des vertus non pas magiques, cette notion ayant une connotation par trop païenne, mais miraculeuses, propres à tempérer les ardeurs vindicatives. Comme un apaisement provoqué par l'ombre de sa ramure. Il était devenu aux yeux de Yong Sheng le symbole de la religion chrétienne.

Un autre symbole est celui des sifflets que fabriquait le père de Yong Sheng, et ce dernier aussi sur le tard. Accrochés au plumage des oiseaux ils jouaient une forme de symphonie aérienne rythmée par le battement de leurs ailes. Harmonie de l'homme et de la nature que la révolution culturelle a un temps étouffée sous la chape de plomb qu'elle avait répandue sur le pays. Symphonie qui a timidement fait entendre à nouveau ses mélodies à la mort du grand timonier.

Belle écriture aux élans délicats que celle de Dai Sijie pour nous conter, on en convient au terme de cette lecture, une histoire douloureuse, inspirée de la vie de son ascendant. Au-delà du dogme, de la croyance c'est le courage, l'abnégation, la force de la foi et pourquoi pas aussi une solidarité filiale qu'il a voulu souligner à l'égard de ce personnage englouti par le ressentiment de ses congénères, eux-mêmes aveuglés par l'endoctrinement, en un temps où la personne humaine ne valait pas la balle qui lui ôterait la vie.

dimanche 29 novembre 2020

La forêt des 29 ~~~~ Irène Frain

 

Pourquoi 29, et pas 28 ou 30 ? La réponse est simple et compliquée à la fois. Si on veut faire simple, on répond parce que c'est comme ça. C'est ce que disaient les hommes et femmes qui avaient fait leurs les 29 principes dictés par Djambo. Si on veut approfondir, on lit La forêt des 29 d'Irène Frain.

C'est tiré de faits réels. Cela s'est passé il y a longtemps, au XVème siècle au Rajasthan. Il y a d'ailleurs encore des prolongements de ce phénomène de nos jours. Modestes par leur ampleur géographique certes, mais incommensurables si on les considère à une échelle moins égocentrique que celle de l'individu. Car finalement tout est là. Au niveau de l'individu, cet être qui naît, vit et croît sur terre. Cet être assoiffé de tout pour lui-même et fait qu'aujourd'hui dès des premiers jours d'août la terre vit à crédit sur les ressources qu'elle peut offrir dans l'année.

Djambo aurait pu passer pour un illuminé, un gourou. Mais Djambo a été respecté. Il était "entré dans le non-temps où vivent les héros, les prophètes et les dieux." Respecté même par les plus avides, les plus puissants de ses voisins, lesquels n'avaient de cesse de convoiter, guerroyer, piller, s'approprier personnes et biens. Lesquels n'avaient de cesse d'accumuler des richesses et se vautrer dans les plaisirs, au plus grand mépris de l'autre, de demain. Et quand, par les tenants de l'une ou l'autre des religions, venait la question quel est ton Dieu, Djambo répondait : regarde autour de toi, Dieu est là dans cet arbre, les yeux de cette biche, les ailes de ce papillon, le chant de cet oiseau, le fruit de ce manguier, il est là partout autour de toi. Dieu est là à portée de main, Dieu c'est la Nature. Tout doit être respecté, toute forme de vie sur terre, du plus petit ver de terre au plus grand arbre de la forêt, au mettre titre que cet homme, cette femme ou cet enfant, quelle que soit ses origine, race, apparence et croyances. Avec Djambo, dans la forêt des 29 il n'y avait ni caste, ni clan, ni chef, encore moins de prêtre. Surtout pas de prêtre.

"Ce monde n'est qu'un campement provisoire. Et toute liturgie, un mensonge, une farce…"

Les 29 principes de Djambo – énoncés en fin d'ouvrage - n'ont d'autre finalité que de conserver aux êtres leur liberté, soumis qu'ils resteront aux seules lois de la Nature, afin de préserver le fragile équilibre du Monde. Equilibre qui lorsqu'il est perturbé peut avoir les conséquences les plus néfastes sur la vie des hommes. le problème étant d'en faire comprendre à ces derniers la relation de causes à effets, puisque toujours éloignés dans le temps. Relation que ces derniers se font fort de mépriser, harcelé qu'ils sont par le poison du désir. Criminelle fuite en avant vers une perdition reniée, mais de leur fait devenue inéluctable.

"Le seul lieu des hommes c'est le Temps. Il se chargera de les rattraper."

Un ouvrage qui interpelle à n'en pas douter. Comment ne pas extrapoler à ce que nous vivons aujourd'hui. Car si les appropriations sont moins brutales, encore que, l'irraisonnée soif du bien matériel a toujours la même prégnance sur la vie des hommes. Un ouvrage qui est quant à lui certes un peu long à imprégner son lecteur, mais qui, lorsque son objectif est entrevu, l'absorbe globalement, au même titre, on peut l'imaginer, qu'à pu le faire le regard envoûtant de Djambo sur ceux qui l'ont croisé.

Un ouvrage que j'ai tardé à tirer des rayons de ma bibliothèque. Reposé deux fois après en avoir lu quelques pages. Puis enfin lu. Comme quoi les dispositions d'esprit du moment changent l'abord des choses. Il y a un temps pour tout, tout entendre, tout lire. Car c'est un ouvrage que j'ai finalement beaucoup apprécié, même si son écriture peut comporter à mon sens des anachronismes de langages eu égard à l'époque des faits qu'il relate. Mais n'est-il pas vrai aussi qu'il se raccroche au temps présent tant la nature humaine a aussi peu évolué dans ses défauts depuis les immémoriaux alors que l'animale est restée constante dans son incidence sur la nature.


samedi 3 octobre 2020

Les simples ~~~~ Yannick Grannec

 



Les plantes médicinales sont un prétexte en arrière-plan. Les simples de Yannick Grannec n'a rien d'un traité de botanique. Même si c'est bougrement bien documenté. C'est à n'en pas douter son écriture qui transporte le lecteur dans cet ouvrage. Cette écriture, elle est savoureuse, intelligente, piquante à souhait. Comme on l'aime quand il s'agit de brocarder qui mérite de l'être.

Que ce soit l'humaine nature dans ses défauts, d'autant plus grands lorsqu'elle a recours aux expédients de la religion pour combler les lacunes de son ignorance, sa peur de l'inconnu. Tout s'explique en Dieu, Satan et consort. Que ce soient les institutions lorsque la corruption en a contaminé les commis et fait d'eux les suppôts d'un démon qui a pour nom cupidité. Que ce soit la gent masculine quand elle a libéré sa semence et attribue à l'autre sexe la responsabilité de la tentation charnelle. Que ce soit la société quand elle hiérarchise les individus sur la base de leur seule naissance.

Yannick Grannec sait bien jeter à la face de tous les empuantis de vices les mots qui diront leurs quatre vérités. Elle sait bien leur concocter baume, onguent, potion, élixir et autre cordial et prescrire remède à leurs mauvais penchants. Cet ouvrage est un modèle de subtilité pour dénoncer avec les discernement et précaution de rigueur la perversion de l'esprit lorsqu'il a gagné en pouvoir, perdu en humanité.

Le verbe est moyenâgeux, autant qu'il sied au contexte. La gouaille est populaire autant qu'il faut appeler un chat par son nom. le discours se fait plus châtié quand le prétentieux se prévaut sa bonne extraction. le ton est sarcastique quand le puissant affiche son ascendant sur le gueux avec le mépris qui convient à l'adresse de l'affamé qui le restera toute sa vie du fait de sa seule naissance. L'humour est jubilatoire quand il faut souligner l'hypocrisie de ceux qui professent la vertu, se gardant bien de s'en appliquer les rigueurs. Il devient grinçant quand "les corbeaux et les serpents s'acoquinent" pour rendre non pas la justice mais leur justice.

En ce temps là, la science avait chaussé les semelles de plomb de la religion. L'Eglise, omnisciente et omnipotente, poursuivait de sa vindicte brûlante qui s'avisait de s'écarter de la vraie foi. Elle taxait volontiers d'hérésie qui se proposait de soulager les maux avec les simples, se substituant selon elle au pouvoir divin. Et l'évêque qui briguait quelque profit en lorgnant du côté de l'abbaye, la voyant prospérer de sa science empirique, accumulée depuis des siècles d'observation, se fait prendre la main. La machine s'emballe. L'inquisiteur, cet illuminé, ce fourbe, entre en scène. Et l'Eglise affichant son horreur du sang, par charité chrétienne sans doute, s'abrite derrière le temporel pour lui laisser mener à bien la question. Il n'y aura plus de gagnant.

Bien sûr les simples peinaient à aider les nourrissons à surmonter le traumatisme de la naissance, les femmes à ne pas mourir en couches, mais en ces temps d'obscurantisme ils étaient ce que la nature offrait de compensation à sa rudesse. A côté de chaque poison prospère son antidote. Sœur Clémence savait distinguer l'un de l'autre. Sœur Clémence s'est substituée au Seul qui a le pouvoir de guérir, Celui qui n'a jamais donné aucun signe et qui par son silence a laissé libre cours à toutes les appropriations, aux plus folles interprétations de ses paroles transcrites dans la Livre.
Qui l'a écrit ce Livre d'ailleurs ? "Les hommes, greffiers de leurs seuls désirs."

Superbe ouvrage. Superbe écriture. Bonheur de lecture.


jeudi 24 septembre 2020

L'anneau du pécheur ~~~~ Jean Raspail


 

Il fut une époque de notre histoire judéo chrétienne où il y eut simultanément trois papes en exercice. C'est ce qu'on appelle le grand schisme, à la fin du 14ème siècle début du 15ème. Un de ces papes était assis sur le trône de Pierre à Rome, un autre en Avignon et le troisième dans l'ordre chronologique d'élection à Pise où s'était tenu le conclave qui devait destituer les deux premiers. Et tous trois de rester en place et de proclamer le Saint-Siège là où chacun était. Quel était le vrai, quels étaient les faux ? Jean Raspail se garde bien de se prononcer. Même avec le recul, inutile de souffler sur les braises.

Il faut dire que la place était bonne. Ils convoitaient pouvoir, richesse et … concubines ! Pourtant n'avaient-ils pas fait voeu de pauvreté, de chasteté ? Ils pourchassaient les fois concurrentes ! Pourtant n'avaient-ils pas pour crédo tolérance et charité ? Ils condamnaient au bûcher ceux qu'ils avaient désignés comme hérétiques ! Pourtant ne devaient-ils pas appliquer les dix Commandements, dont le cinquième, Tu ne tueras pas, et le dixième, Tu ne convoiteras rien de ce qui est à ton prochain ?

Oui mais voilà, fût-il représentant de Dieu sur terre, le pape n'en était pas moins homme. Et donc cupide, esclave de son corps, vaniteux, jaloux de ses prérogatives, et cætera. Cette dernière locution englobant tout ce que la nature humaine peut comporter de mauvais penchants.

Je suis voisin du palais des papes en Avignon. Je m'étais ouvert à cette histoire fascinante qui voyait des hommes prêcher une chose et faire son contraire. Mais il est une chose qui m'avait échappée, c'est que la lignée des papes d'Avignon s'est perpétuée dans la clandestinité jusqu'à nos jours. Poil à gratter de la curie romaine, une lignée restée fidèle au dernier d'entre eux officiait envers et contre tout, surtout dans la contradiction de l'officielle de Rome, sous le nom reconduit de Benoît, en souvenir du XIIIème du nom dans l'ordre d'intronisation et premier à entrer en dissidence. A moins que ce ne furent les autres qui étaient en dissidence.

Ce Benoît mourut presque centenaire en 1423 et quelques soudards incultes des troupes de Napoléon en retraite de la calamiteuse campagne d'Espagne, retrouvant son cercueil en 1813, se lancèrent tour à tour son crâne comme dans un jeu de balle, méprisant de la profanation qu'ils commettaient.

« La plupart des chroniqueurs du temps s'accordent pour le considérer comme l'un des plus grands hommes de son siècle, d'une totale intégrité de vie, d'une droiture sans pareille, avec toutes les qualités de coeur et d'esprit que nécessitait sa charge. » Nous dit Jean Raspail. Autant de qualités témoignant de la grandeur d'un homme et faisaient qu'il ne pouvait avoir le soutien des grands de ce monde. Il eut fallu pour cela qu'il soit cupide, vaniteux, et cætera …

Jean Raspail a fait cette recherche des traces ténues, enfouies dans les mémoires locales, que ces Benoît ont laissées dans le flou de leur existence de parias, l'ombre de leur refuge itinérant dans le grand sud de la France entre Rouergue et Provence, fuyant la vindicte de l'officielle de Rome. La mort de l'un provoquant la tenue d'un modeste conclave discret de la poignée de fidèles gravitant dans son sillage et élisant son successeur. Ils avaient tous en commun d'être reconnaissables par une aura, un magnétisme du regard qui trahissait la présence en eux de Celui qu'ils représentaient sur terre. Dans l'errance et le dénuement, seuls compatibles avec le prêche de pauvreté et d'amour du prochain.

Dans les années 90, le gendarme qui entendit le dernier d'entre eux en audition fut troublé par le rayonnement de sérénité qui émanait de sa personne. Il ne le mentionna pas dans son rapport.

Magnifique ouvrage de Jean Raspail auquel mon goût pour l'histoire, son écriture riche sans être pompeuse et cette quête de vraies valeurs humaines au secret dans la mémoire des humbles lui font accorder mon complet satisfecit. On y perçoit en filigrane la récusation non dite de la perversion qui en ce temps engluait la fonction suprême de L'Eglise, laquelle revendiquait la majuscule. Alors qu'en parfaite contradiction entre leur discours et leurs actes ses plus hauts dignitaires se vautraient dans le luxe, la corruption, la concupiscence, et cætera.