J'ai entrepris de relire la trilogie de Hubert Leconte relatant l'épopée vaudoise des Alpes vers le Luberon. Les Vaudois que l'on présente parfois comme les précurseurs du protestantisme sont les disciples de Pierre Valdo. Ce riche marchand lyonnais du XIIème siècle avait fondé La fraternité des pauvres de Lyon à qui il avait légué ses biens. Il a été excommunié par l'Église. Sa faute : avoir fait traduire la Bible en langage vernaculaire, le franco provençal, pour la rendre intelligible au petit peuple. Un comble serait-on tenté de dire.
Pierre Valdo qui s'ouvrit de cette déconvenue à un ami érudit s'entendit
répondre " … tu te rends compte où cela nous entraîne. Savoir lire c'est
peut-être un jour contester tout le savant édifice de règles, de canons, de
dogmes que l'Église a élaborés depuis plus d'un millénaire".
La croix des humiliés, premier tome de la trilogie, situe son intrigue
romanesque à la fin du XVème siècle dans les vallées alpines. Pourchassés par
l'église officielle de Rome, les Vaudois avaient essaimé. Forcés qu'ils étaient
d'investir les lieux les plus inhospitaliers pour pouvoir vivre leur foi en
relative tranquillité; foi qui n'était, rappelons-le, rien d'autre que la
stricte observance des évangiles.
Or, parait-il que les évangiles n'envisagent pas de vivre dans le luxe et la
luxure. Pierre Valdo avait donc eu le tort d'ouvrir les yeux de ses disciples à
ces travers dans lesquels se vautraient la curie romaine et toute sa hiérarchie
épiscopale dont on connaît trop la toute puissance en ces temps
d'obscurantisme. Cette dernière a donc mis sur pied cette formidable
juridiction ecclésiastique d'exception taillée sur mesure pour préserver ses
monopole et intérêts, et faire retourner le manant éclairé aux ténèbres de
l'ignorance : l'inquisition.
Et l'évêque menaçant Pierre Valdo de haranguer : "Il serait trop long de
vous expliquer les mystères de la Sainte Trinité, de l'incarnation, et de la
consubstantialité. Nous avons pensé pour les pauvres qui n'ont qu'un seul
effort à fournir : croire."
Procès en sorcellerie, qualification d'hérésie, les Vaudois ont eu les faveurs
de cette épouvantable machinerie tyrannique dont on connaît trop les méthodes
barbares pour faire avouer les martyres pris dans ses carcans. On en connaît
aussi trop la conclusion brûlante. Hubert Leconte,
au travers de ce roman historique parfaitement documenté nous fait vivre
l'errance de ces disciples convaincus d'une foi dictée par les évangiles en
laquelle ils pensaient assurer leur salut, et qui fit leur malheur. On ne peut
s'empêcher de faire le rapprochement avec la foi cathare qui a enflammé le
sud-ouest de notre pays dans les mêmes temps alors qu'elle prêchait elle aussi
le retour à la pureté du dogme, aux textes originels des évangiles.
En ce XVème siècle d'illettrisme et d'ignorance, l'Église toute puissante règne
sur les esprits et les consciences. Elle n'admet ni contradiction ni
concurrence. Elle a tout prévu, y compris un moine pour absoudre l'inquisiteur
des violences – ce terme étant en la circonstance un doux euphémisme - qu'il se
voit contraint d'infliger à ceux qui osent prêcher une autre parole que
l'officielle. Y compris et surtout si cette parole est de nature à faire
éclater aux yeux des puissants briguant la pourpre cardinalice leur déviance au
regard de ce qu'ils n'ont de cesse de ressasser dans leurs sermons : les fameux
dix commandements que leur comportement propre violent impunément tous les
jours.
Expulsés de leurs vallées alpines vers une région qu'ils espèrent plus
accueillantes pour leur sincérité biblique, les Vaudois n'en ont pourtant pas
fini avec les faussaires de la foi. Les larmes du Luberon, le deuxième tome, va
me le remettre en mémoire. Les quelques pierres vestiges de leurs modestes
masures au creux des vallées et les grottes perchées à flancs de falaise qui
parsèment la campagne provençale dans lesquelles ils cherchaient refuge gardent
la mémoire de ces pauvres hères à la foi, la vraie foi, chevillée au corps.