Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

samedi 17 juillet 2021

Jésabel ~~~~ Irène Némirovsky



Encore : ce mot peut être la supplique de perpétuation d'un bienfait. Il peut a contrario être assassin. Gladys est encore belle. Il y a dans cette phrase plus de passé que d'avenir. Gladys est au supplice. Sa jeunesse s'est enfuie. "Le souvenir de sa jeunesse l'emplissait d'une souffrance jalouse."

Plaire. Rendre brûlant de convoitise les hommes, jalouses les autres femmes. Susciter le désir à son paroxysme et ne jamais l'assouvir. Car assouvir c'est déchoir. Descendre de son piédestal et se noyer dans la multitude. S'immoler dans le plaisir. "On obtient toujours moins que l'on a rêvé."

"C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit.
Ma mère Jézabel devant moi s'est montrée,
Comme au jour de sa mort pompeusement parée.
Ses malheurs n'avaient point abattu sa fierté;
Même elle avait encor cet éclat emprunté
Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage,
Pour réparer des ans l'irréparable outrage."

Ces vers tirés d'Athalie, la pièce de Racine donnent leur titre à cet ouvrage. Ils illustrent tout le drame de Gladys. Vieillir, perdre l'éclat de sa beauté. Être privée du regard des hommes et le voir se détourner sur la fraîcheur de la jeunesse. Perdre l'exclusivité. L'âge venant, les outrages du temps la mortifient.

S'il en est qui s'enorgueillissent de leur descendance, elle déplore que sa fille envisage de convoler et faire d'elle une grand-mère. Quelle horreur. Grand-mère ! Elle ne peut entendre ce mot sans frémir. Elle a quarante ans quand sa fille meurt en couche faute de soins. Elle ira jusqu'à renier son petit-fils pour ne pas se voir affublée du statut de grand-mère. Devenir grand-mère graverait son âge dans ses traits et ferait fuir les galants.

Galdys a mis le sens de sa vie dans le plaisir de faire languir les hommes, jusqu'à la souffrance, dans le fantasme qu'elle suscite. L'impatience, l'attente, le désir. Être désirée encore et toujours. Gladys n'existe que dans les regards qui se posent sur elle. Sûre de son pouvoir, elle n'a jamais été jalouse. Ce n'est pas aimer auquel elle aspire, c'est d'être aimée. Elle est odieuse, de bonne foi, convaincue de la ferveur qui lui est due et dont elle se nourrit. Lorsqu'elle sera rattrapée par les conséquences de son égocentrisme méprisant, Gladys commettra le pire. L'ouvrage de d'Irène Némirovski commence par son procès. le procès d'un monstre d'égoïsme.

Fabuleux huis-clos dans la conscience torturée d'une riche et belle femme qui voit son pouvoir lui échapper. Roman psychologique d'un narcissisme exacerbé, cet ouvrage est passionnant par l'exploration qu'il fait de ce travers de la nature humaine. L'individu au centre du monde, sous les projecteurs de regards envieux. le culte du moi. Pourquoi faut-il attirer l'admiration de ses congénères pour exister ?

Je fais la connaissance d'Irène Némirovski avec cet ouvrage. Il m'encourage à explorer le reste de l'œuvre de celle qui n'est pas revenue d'Auschwitz. Une écriture accessible et profonde à la fois.