Encore : ce mot peut être la supplique de perpétuation d'un
bienfait. Il peut a contrario être assassin. Gladys est encore belle. Il y a
dans cette phrase plus de passé que d'avenir. Gladys est au supplice. Sa
jeunesse s'est enfuie. "Le souvenir de sa jeunesse l'emplissait d'une
souffrance jalouse."
Plaire. Rendre brûlant de convoitise les hommes, jalouses les autres femmes.
Susciter le désir à son paroxysme et ne jamais l'assouvir. Car assouvir c'est
déchoir. Descendre de son piédestal et se noyer dans la multitude. S'immoler
dans le plaisir. "On obtient toujours moins que l'on a rêvé."
"C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit.
Ma mère Jézabel devant
moi s'est montrée,
Comme au jour de sa mort pompeusement parée.
Ses malheurs n'avaient point abattu sa fierté;
Même elle avait encor cet éclat emprunté
Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage,
Pour réparer des ans l'irréparable outrage."
Ces vers tirés d'Athalie, la pièce de Racine donnent leur titre à cet ouvrage.
Ils illustrent tout le drame de Gladys. Vieillir, perdre l'éclat de sa beauté.
Être privée du regard des hommes et le voir se détourner sur la fraîcheur de la
jeunesse. Perdre l'exclusivité. L'âge venant, les outrages du temps la
mortifient.
S'il en est qui s'enorgueillissent de leur descendance, elle déplore que sa
fille envisage de convoler et faire d'elle une grand-mère. Quelle horreur.
Grand-mère ! Elle ne peut entendre ce mot sans frémir. Elle a quarante ans
quand sa fille meurt en couche faute de soins. Elle ira jusqu'à renier son petit-fils
pour ne pas se voir affublée du statut de grand-mère. Devenir grand-mère
graverait son âge dans ses traits et ferait fuir les galants.
Galdys a mis le sens de sa vie dans le plaisir de faire languir les hommes,
jusqu'à la souffrance, dans le fantasme qu'elle suscite. L'impatience,
l'attente, le désir. Être désirée encore et toujours. Gladys n'existe que dans
les regards qui se posent sur elle. Sûre de son pouvoir, elle n'a jamais été
jalouse. Ce n'est pas aimer auquel elle aspire, c'est d'être aimée. Elle est
odieuse, de bonne foi, convaincue de la ferveur qui lui est due et dont elle se
nourrit. Lorsqu'elle sera rattrapée par les conséquences de son égocentrisme méprisant,
Gladys commettra le pire. L'ouvrage de d'Irène Némirovski commence
par son procès. le procès d'un monstre d'égoïsme.
Fabuleux huis-clos dans la conscience torturée d'une riche et belle femme qui
voit son pouvoir lui échapper. Roman psychologique d'un narcissisme exacerbé,
cet ouvrage est passionnant par l'exploration qu'il fait de ce travers de la
nature humaine. L'individu au centre du monde, sous les projecteurs de regards
envieux. le culte du moi. Pourquoi faut-il attirer l'admiration de ses
congénères pour exister ?
Je fais la connaissance d'Irène Némirovski avec
cet ouvrage. Il m'encourage à explorer le reste de l'œuvre de celle qui n'est
pas revenue d'Auschwitz. Une écriture accessible et profonde à la fois.