Par Ecriture du monde il faut entendre le monde tel qu'il
se construit, tel qu'il se grave dans la mémoire du temps, sachant que « Dieu
ne crée que de l'irréparable. La créature est une catastrophe. Et l'existence à
laquelle il nous appelle, le destin de chacun, si humble soit-il, consiste à
tenter de réparer le dégât d'être né. » Voilà pour Celui qui préside à nos
destinées. Il en prend pour son grade avec cette assertion de François
Taillandier.
Auteur que j'avais découvert et célébré l'écriture avec son excellente
biographie d'Edmond Rostang. Découverte qui m'avait au passage imposé le devoir
d'aller visiter la villa Arnaga au pays Basque. Ce que j'ai fait et qui m'avait
transporté de ravissement. Je confirme mon goût pour ce genre d'écriture avec
cet ouvrage.
Une écriture riche que celle de ce phraseur érudit, une écriture qui pondère
des sentences devenues par le fait lourdes de sens, d'une portée invitant à la
réflexion. A l'introspection même, lorsque comme tout un chacun on s'interroge
sur le sens de la vie et le rôle de la religion face à cette question sans
réponse, devenue pour le coup fondamentale. Des religions devrais-je dire
d'ailleurs, car dans le domaine de la croyance, il y a pluralité, il y a
divergence et contre toute attente intolérance. Et donc malheureusement
affrontement.
François Taillandier a choisi deux personnages qui ont laissé leur
cicatrice sur la terre dans cette époque succédant tout juste à la chute de
l'empire romain et nous ouvre aux formidables bouleversements consécutifs et
aux appétits que cela a pu faire naître chez des peuples jusque-là sous domination
: Cassiodore, un homme politique lettré qui a servi sous le nouveau maître de
ce qui n'est pas encore l'Italie du nord, le roi ostrogoth Théodoric. Et
Théolinda qui devint reine des Lombards et jouera un rôle prépondérant dans la
conversion de ces « barbares » à la foi chrétienne.
Ce premier tome d'une trilogie que je me fais l'obligation de compléter dans ma
PAL ouvre ses premières pages en un temps où la religion chrétienne commence
donc à installer ce qu'elle voudrait bien être un monopole sur le vieux
continent. En ce sixième siècle de notre ère, elle commence à prendre le pas
sur le paganisme, l'arianisme et ne s'attend pas encore à voir poindre une
nouvelle concurrente. L'ouvrage se referme sur l'année 630 avec l'entrée de
Mahomet à La Mecque à la tête de quelques milliers d'hommes, bien décidé à
imposer le culte exclusif d'Allah.
Superbe fresque historique d'un temps pour lequel les références écrites sont
rares et sujettes à caution. Tout le talent de l'auteur est dans la précaution
qu'il prend avec ces références et dans la crédibilité du liant qu'il applique
aux faits avérés.
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Ouvrages par genre
samedi 25 février 2023
L'écriture du monde ~~~~ François Taillandier
dimanche 24 avril 2022
Lettres a Lucilius ~~~~ Sénèque
« Que d'objets nous achetons parce que d'autres les ont achetés, parce qu'on les voit chez tout le monde ou presque ! L'une des causes de nos malheurs est que nous vivons en prenant exemple sur autrui : nous ne nous réglons pas sur la Raison, mais nous laissons détourner par les usages. »
A lire cette citation on se dit qu'il s'agit d'une réflexion de quelque
observateur bien contemporain de nos coutumes consuméristes. Il faut alors que
je détrompe le lecteur de ces lignes en lui dévoiler que cette citation est
tirée de la lettre CXXIII, que Sénèque adressa à
son ami Lucilius dans les années 60 (tout court) de notre ère. Peu de temps
avant que son élève pour le moins turbulent, le bien Nommé Néron, empereur de
Rome de 54 à 68 après JC, ne lui suggère de se suicider.
Cette citation, que deux millénaires nous séparent de son auteur, nous fait
dire que peu de choses ont changé en ce bas monde depuis qu'il est peuplé de
bipèdes investis par l'intelligence. Intelligents peut-être, mais quand même
pas suffisamment accessibles à la Raison, qui pour le coup sous le stylet
de Sénèque prend
la majuscule tant elle est haussée au pinacle du comportement intellectuel.
Faculté de l'Être pensant prônée par le philosophe pour faire contrepoids à
celle prônée par le dévot : la Croyance.
Raison contre Croyance, pour une finalité toutefois identique : venir au
secours de l'Être pensant contre l'obsession de sa finitude. Apprivoiser l'idée
de la mort. L'idée, nous dit Sénèque, étant plus
assassine que la mort elle-même. Figurez-vous, nous dit-il, qu'il en est qui se
donnent la mort pour se libérer de l'idée de la mort. Un comble.
A lire des textes de philosophes antiques, les éminents qui ont pignons sur rue
en la matière tel Sénèque,
il faut s'attendre à aborder ces questions essentielles telles que, outre la
plus fondamentale de toutes qu'est la vie et son issue, le bonheur, les
plaisirs terrestres, le rationnel et l'irrationnel, le vice et la vertu,
l'amitié, la sagesse, la maladie, la douleur, et tant d'autres réflexions
que Sénèque adressa
à son ami Lucilius dans ses lettres dont
les copies sont miraculeusement parvenues jusqu'à nous, et certaines
retranscrites dans cet ouvrage de la collection Agora chez Pocket.
Même si « la philosophie n'est point un art fait pour plaire à la foule »
selon Sénèque dans
sa lettre XVI, son discours est empreint de simplicité dans le langage et
accessible au vulgaire, dont je suis un digne représentant, grâce la traduction
qui nous est offerte par cette collection. Il est bien clair que sans ce
travail de latiniste patenté, mes universités dissipées me rendraient la parole
du célèbre rhéteur inabordable. Il est bien clair aussi que pour les disciples
d'Epicure que
nous sommes devenus par facilité de préférence au discours du sage lequel veut
nous éloigner des plaisirs du corps, le discours d'un Sénèque peut
sembler rébarbatif. Mais l'âge venant et l'idée de la fin obsédant conduisent
les uns à se rapprocher de l'autel du mystique, les autres à avoir recours à la
Raison.
Il est quand même un sujet sur lequel on ne le suivra pas le grand Sénèque, lequel a joint
le geste à la parole, quand il nous dit qu'il vaut mieux se donner une fin
honorable plutôt que de vivre dans la mésestime de soi. Une chose que l'on doit
ajouter au crédit de notre époque, outre les crèmes anti rides pour satisfaire
notre narcissisme, est le recours aux psychologue et anti dépresseurs, à défaut
du philosophe plus culpabilisant à notre goût, pour nous aider à supporter nos
humeurs chagrines. Autre temps autre mœurs même si « que d'objets nous
achetons parce que d'autres les ont achetés. » etc… etc…
jeudi 14 avril 2022
Agrippine ~~~~ Virginie Girod
Voilà un ouvrage qui, autant que la biographie qu'il
dresse, fait le point sur tout ce qui a été publié à propos de cet étonnant
personnage qu'a été Agrippine, la mère de Néron.
Et voilà encore que je présente encore une femme relativement à un homme. Mais
dans ce cas c'est un peu obligatoire. Car à l'époque où vécut cette femme
ambitieuse et courageuse, ses semblables du deuxième sexe n'avaient pas voix au
chapitre en matière de politique et gouvernance. Loin s'en faut, quelles que fussent
leurs qualités et capacités. Pourtant dans les deux domaines précités,
Agrippine pouvait en remontrer à beaucoup de ses congénères masculins.
Si je devais traduire en trois mots l'impression que me laisse cet ouvrage
de Virginie
Girod, ce serait objectivité, exhaustivité et crédibilité. Tout cela
évidemment dument soupesé relativement à ma culture en histoire qui si elle se
targue d'une réelle appétence en la matière est sans commune mesure avec ce que
me confirme ce second ouvrage que je lis de la main de Virginie Girod.
Dans le rapport sexiste qui de tous temps a opposé homme et femme avec la
relation de domination que l'on sait depuis que la faute originelle a été
attribuée à cette dernière, Virginie Girod fait la part des choses
avec, à mes yeux, une grande objectivité entre l'intelligence et la possibilité
laissée à celui ou celle qui en était doué de la faire valoir. On ne trompera
personne en affirmant pour ce qui est du faire valoir que nos consœurs ont eu à
contourner l'obstacle en faisant plus largement usage de leur charme. Qualité
physique dont, selon Virginie Girod, Agrippine a eu à user avec plus de
modération que ce que l'histoire a bien voulu colporter. L'objectivité est une
disposition d'esprit d'autant plus difficile à soutenir qu'il est illusoire de
prétendre juger une époque avec les critères psycho sociaux et moraux d'une
autre. Dans la Rome Antique une femme aussi intelligente qu'elle fût ne pouvait
faire valoir cette qualité en la transposant en décisions et actions que par le
truchement d'un homme. Pour Agrippine cet homme ce fut Néron, son fils. Les
autres, ses époux en particulier, n'ayant été que des marches pour accéder au
pouvoir. Néron, né Lucius Domitius Ahenobarbus, fut malheureusement pour elle
un mauvais levier pour faire valoir son intelligence politique. Mauvais au
point de provoquer sa perte de la plus cruelle façon.
L'exhaustivité que j'évoque n'a rien à voir avec l'épaisseur d'un ouvrage qui
ne négligerait aucun détail de la vie de son sujet. L'exhaustivité je la trouve
dans la somme considérable de notes, tables, organigrammes généalogiques et
références ajoutés par l'auteure en fin d'ouvrage, lesquels témoignent de
l'étendue des connaissances de cette dernière dans sa discipline, du formidable
travail de documentation mené à bien, de l'inventaire historiographique
foisonnant ayant trait à cette femme hors du commun.
Cette objectivité, ce formidable travail d'étude et de construction de son
ouvrage présentent à mes yeux d'amateur de la discipline une grande crédibilité
dans chacune des allégations qui construisent cet ouvrage. Cette
crédibilité, Virginie Girod la doit à l'analyse critique fouillée
qu'elle fait des sources laissées à notre connaissance par l'érosion du temps.
Il y a celles des contemporains d'Agrippine : Pline l'ancien, Sénèque, celles des
historiens décalés mais ayant eu peu ou prou accès aux archives du palais
: Suétone,
Tacite, Don Cassius, et tous ceux plus tardifs qui n'ont fait qu'exploiter et
interpréter les premiers. Profitant au fil des siècles de l'avancée des
recherches et progrès dans les sciences afférentes : archéologique,
numismatique, épigraphique, ethnographique, neuro sciences et tant d'autres.
L'analyse critique qu'elle fait des différentes sources prenant en compte le
contexte dans lequel les auteurs rédigeaient leurs ouvrages, tel un Suétone qui
voulait plaire à son mentor Hadrien, un empereur de la dynastie succédant aux
julio-claudiens, les antonins ou encore un Tacite « qui se montrait un
impitoyable moraliste » vis-à-vis de femmes lorsqu'elles sortaient de leur rôle
décoratif.
C'est donc mis en confiance par ces qualités que j'attribue aux deux premiers
ouvrages que je lis de la main de Virginie Girod que je vais faire
connaissance avec Théodora, l'impératrice de Byzance qui a fait ses premières
armes dans le plus vieux métier du monde.
samedi 2 avril 2022
La véritable vie des douze Césars ~~~~ Virginie Girod
Par les temps qui courent, voilà une citation qu’il y a urgence de replacer dans son contexte : … « Il escompte bien rester préfet du prétoire sous le principat de Caligula. »
Nous sommes dans la Rome au temps des Julio-Claudiens, puis des Flaviens. Ceux que l’histoire retiendra sur la liste dressée par Suétone (*) dans son ouvrage biographique La vie des douze Césars. Ouvrage que Virginie Girod a décidé de revisiter au point d’intituler son ouvrage La « véritable » vie des douze Césars.
Car l’éminente historienne, bien contemporaine de nous autres lecteurs de ce temps d’un autre Macron, a appris à connaître ce secrétaire d’Hadrien, en particulier pour son goût du trivial. Un goût quelque peu imposé par le contexte dans lequel il rédige ses écrits, rangés à l’époque dans l’art mineur de la biographie nous dit-elle. Elle imagine que lesdites biographies, si elles ne sont pas sujettes à caution, sont moins soucieuses du rôle historique de ses sujets que de leurs frasques. Un de ses confrères historien du 19ème siècle, Alexis Pierron, ira jusqu’à qualifier Suétone de « colporteur d'histoires d'antichambre ».
La motivation de Virginie Girod est donc là : ajouter le qualificatif véritable au titre de l’ouvrage de Suétone et tenter de corriger cette tendance à l’errance entre vices et travers des Césars, à faire fi de leur rôle politique. Sans négliger le formidable apport pour les historiens du futur qu’est l’œuvre de Suétone ni le contexte dans lequel il écrit, Virginie Girod justifie en avant-propos bénéficier à la fois des avancées dans la connaissance historique et des neurosciences entre autres, mais se défend de juger une époque avec les acquis des millénaires en termes de morale, d’esprit de justice, d’avancée sociale mais aussi d’empathie, dernière qualité qui eut pu figurer source de faiblesse dans une époque de violences psychologique et physique.
Comment comprendre en effet qu’on puisse se débarrasser du « princeps », premier citoyen de l’empire, intermédiaire entre les dieux et les hommes, parce que grisé par son pouvoir il avait sombré dans la folie paranoïaque, était devenu incontrôlable par des contre-pouvoirs muselés, voire inexistants. Comment comprendre aussi que le grand César, qui n’était quant à lui pas empereur puisque sous le régime d’une république laquelle n’avait de ce régime plus que le nom, s’était vu honoré du titre, car c’en était un, de dictateur à vie, s’étant vu confier tous les pouvoirs par le Sénat. Comment comprendre encore que le suicide soit institué en porte de sortie honorable et restaure sa noblesse à un empereur qui avait perdu sa crédibilité aux yeux de ses sujets. Comment comprendre enfin que l’on puisse créer une succession patrilinéaire du pouvoir en adoptant son successeur, comme on le ferait d’un enfant, y compris à titre posthume.
Les temps ont bien changé. Les mœurs, les croyances et les valeurs qui vont avec. Ces dernières ayant pratiquement disparu, les croyances se focalisant en une croyance unique, ou pas, désormais. Les Césars étaient loin d’être exempts des travers dont Suétone faisait ses choux gras pour plaire à son maître du moment, l’empereur Hadrien, nous confirme Virginie Girod. Elle réussit à nous faire comprendre avec cet ouvrage rationnel, foisonnant, qui se veut aussi objectif que l’autorisent les avancées dans la connaissance de l’époque, en quoi leur personnalité et leurs actes étaient en harmonie avec le contexte d’une Rome onirique. Il faut l’avoir étudiée comme l’a fait cette spécialiste de l’antiquité pour comprendre à quel point le pouvoir corrompt les puissants et fascine ses spectateurs, qui voudraient peut-être leur ressembler.
J’aime l’histoire. Et quand elle est bien écrite, je suis
comblé. Cet ouvrage de Virginie Girod remplit les conditions pour me faire plébisciter
le formidable travail d’étude qu’il a fallu pour sa gestation.
A écrire La véritable histoire des douze césars, il faut s’attendre à une lecture critique des sources, à usage du conditionnel quand elles font naître le doute. Virginie Girod le fait avec une intelligence qui inspire le respect, un naturel qui fait recevoir ses allégations comme une évidence. Elle nous adresse un fort bel ouvrage propre à entretenir notre intérêt pour ceux « qui incarnent les figures paroxystiques de nos passions ».
(*) Suétone (70-122 apr. J.C.) haut fonctionnaire romain, membre de l'ordre équestre, auteur de nombreux ouvrages dont la Vie des douze Césars qui rassemble les biographies de Jules César à Domitien en passant chronologiquement par Octave (Auguste), Tibère, Caligula, Claude, Néron, Galba, Othon, Vitellius, Vespasien, Titus.