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samedi 25 février 2023

L'écriture du monde ~~~~ François Taillandier

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Par Ecriture du monde il faut entendre le monde tel qu'il se construit, tel qu'il se grave dans la mémoire du temps, sachant que « Dieu ne crée que de l'irréparable. La créature est une catastrophe. Et l'existence à laquelle il nous appelle, le destin de chacun, si humble soit-il, consiste à tenter de réparer le dégât d'être né. » Voilà pour Celui qui préside à nos destinées. Il en prend pour son grade avec cette assertion de François Taillandier.

Auteur que j'avais découvert et célébré l'écriture avec son excellente biographie d'Edmond Rostang. Découverte qui m'avait au passage imposé le devoir d'aller visiter la villa Arnaga au pays Basque. Ce que j'ai fait et qui m'avait transporté de ravissement. Je confirme mon goût pour ce genre d'écriture avec cet ouvrage.

Une écriture riche que celle de ce phraseur érudit, une écriture qui pondère des sentences devenues par le fait lourdes de sens, d'une portée invitant à la réflexion. A l'introspection même, lorsque comme tout un chacun on s'interroge sur le sens de la vie et le rôle de la religion face à cette question sans réponse, devenue pour le coup fondamentale. Des religions devrais-je dire d'ailleurs, car dans le domaine de la croyance, il y a pluralité, il y a divergence et contre toute attente intolérance. Et donc malheureusement affrontement.

François Taillandier a choisi deux personnages qui ont laissé leur cicatrice sur la terre dans cette époque succédant tout juste à la chute de l'empire romain et nous ouvre aux formidables bouleversements consécutifs et aux appétits que cela a pu faire naître chez des peuples jusque-là sous domination : Cassiodore, un homme politique lettré qui a servi sous le nouveau maître de ce qui n'est pas encore l'Italie du nord, le roi ostrogoth Théodoric. Et Théolinda qui devint reine des Lombards et jouera un rôle prépondérant dans la conversion de ces « barbares » à la foi chrétienne.

Ce premier tome d'une trilogie que je me fais l'obligation de compléter dans ma PAL ouvre ses premières pages en un temps où la religion chrétienne commence donc à installer ce qu'elle voudrait bien être un monopole sur le vieux continent. En ce sixième siècle de notre ère, elle commence à prendre le pas sur le paganisme, l'arianisme et ne s'attend pas encore à voir poindre une nouvelle concurrente. L'ouvrage se referme sur l'année 630 avec l'entrée de Mahomet à La Mecque à la tête de quelques milliers d'hommes, bien décidé à imposer le culte exclusif d'Allah.

Superbe fresque historique d'un temps pour lequel les références écrites sont rares et sujettes à caution. Tout le talent de l'auteur est dans la précaution qu'il prend avec ces références et dans la crédibilité du liant qu'il applique aux faits avérés.


dimanche 24 avril 2022

Lettres a Lucilius ~~~~ Sénèque



 « Que d'objets nous achetons parce que d'autres les ont achetés, parce qu'on les voit chez tout le monde ou presque ! L'une des causes de nos malheurs est que nous vivons en prenant exemple sur autrui : nous ne nous réglons pas sur la Raison, mais nous laissons détourner par les usages. »

A lire cette citation on se dit qu'il s'agit d'une réflexion de quelque observateur bien contemporain de nos coutumes consuméristes. Il faut alors que je détrompe le lecteur de ces lignes en lui dévoiler que cette citation est tirée de la lettre CXXIII, que Sénèque adressa à son ami Lucilius dans les années 60 (tout court) de notre ère. Peu de temps avant que son élève pour le moins turbulent, le bien Nommé Néron, empereur de Rome de 54 à 68 après JC, ne lui suggère de se suicider.

Cette citation, que deux millénaires nous séparent de son auteur, nous fait dire que peu de choses ont changé en ce bas monde depuis qu'il est peuplé de bipèdes investis par l'intelligence. Intelligents peut-être, mais quand même pas suffisamment accessibles à la Raison, qui pour le coup sous le stylet de Sénèque prend la majuscule tant elle est haussée au pinacle du comportement intellectuel. Faculté de l'Être pensant prônée par le philosophe pour faire contrepoids à celle prônée par le dévot : la Croyance.

Raison contre Croyance, pour une finalité toutefois identique : venir au secours de l'Être pensant contre l'obsession de sa finitude. Apprivoiser l'idée de la mort. L'idée, nous dit Sénèque, étant plus assassine que la mort elle-même. Figurez-vous, nous dit-il, qu'il en est qui se donnent la mort pour se libérer de l'idée de la mort. Un comble.

A lire des textes de philosophes antiques, les éminents qui ont pignons sur rue en la matière tel Sénèque, il faut s'attendre à aborder ces questions essentielles telles que, outre la plus fondamentale de toutes qu'est la vie et son issue, le bonheur, les plaisirs terrestres, le rationnel et l'irrationnel, le vice et la vertu, l'amitié, la sagesse, la maladie, la douleur, et tant d'autres réflexions que Sénèque adressa à son ami Lucilius dans ses lettres dont les copies sont miraculeusement parvenues jusqu'à nous, et certaines retranscrites dans cet ouvrage de la collection Agora chez Pocket.

Même si « la philosophie n'est point un art fait pour plaire à la foule » selon Sénèque dans sa lettre XVI, son discours est empreint de simplicité dans le langage et accessible au vulgaire, dont je suis un digne représentant, grâce la traduction qui nous est offerte par cette collection. Il est bien clair que sans ce travail de latiniste patenté, mes universités dissipées me rendraient la parole du célèbre rhéteur inabordable. Il est bien clair aussi que pour les disciples d'Epicure que nous sommes devenus par facilité de préférence au discours du sage lequel veut nous éloigner des plaisirs du corps, le discours d'un Sénèque peut sembler rébarbatif. Mais l'âge venant et l'idée de la fin obsédant conduisent les uns à se rapprocher de l'autel du mystique, les autres à avoir recours à la Raison.

Il est quand même un sujet sur lequel on ne le suivra pas le grand Sénèque, lequel a joint le geste à la parole, quand il nous dit qu'il vaut mieux se donner une fin honorable plutôt que de vivre dans la mésestime de soi. Une chose que l'on doit ajouter au crédit de notre époque, outre les crèmes anti rides pour satisfaire notre narcissisme, est le recours aux psychologue et anti dépresseurs, à défaut du philosophe plus culpabilisant à notre goût, pour nous aider à supporter nos humeurs chagrines. Autre temps autre mœurs même si « que d'objets nous achetons parce que d'autres les ont achetés. » etc… etc…

jeudi 14 avril 2022

Agrippine ~~~~ Virginie Girod

 



Voilà un ouvrage qui, autant que la biographie qu'il dresse, fait le point sur tout ce qui a été publié à propos de cet étonnant personnage qu'a été Agrippine, la mère de Néron.

Et voilà encore que je présente encore une femme relativement à un homme. Mais dans ce cas c'est un peu obligatoire. Car à l'époque où vécut cette femme ambitieuse et courageuse, ses semblables du deuxième sexe n'avaient pas voix au chapitre en matière de politique et gouvernance. Loin s'en faut, quelles que fussent leurs qualités et capacités. Pourtant dans les deux domaines précités, Agrippine pouvait en remontrer à beaucoup de ses congénères masculins.

Si je devais traduire en trois mots l'impression que me laisse cet ouvrage de Virginie Girod, ce serait objectivité, exhaustivité et crédibilité. Tout cela évidemment dument soupesé relativement à ma culture en histoire qui si elle se targue d'une réelle appétence en la matière est sans commune mesure avec ce que me confirme ce second ouvrage que je lis de la main de Virginie Girod.

Dans le rapport sexiste qui de tous temps a opposé homme et femme avec la relation de domination que l'on sait depuis que la faute originelle a été attribuée à cette dernière, Virginie Girod fait la part des choses avec, à mes yeux, une grande objectivité entre l'intelligence et la possibilité laissée à celui ou celle qui en était doué de la faire valoir. On ne trompera personne en affirmant pour ce qui est du faire valoir que nos consœurs ont eu à contourner l'obstacle en faisant plus largement usage de leur charme. Qualité physique dont, selon Virginie Girod, Agrippine a eu à user avec plus de modération que ce que l'histoire a bien voulu colporter. L'objectivité est une disposition d'esprit d'autant plus difficile à soutenir qu'il est illusoire de prétendre juger une époque avec les critères psycho sociaux et moraux d'une autre. Dans la Rome Antique une femme aussi intelligente qu'elle fût ne pouvait faire valoir cette qualité en la transposant en décisions et actions que par le truchement d'un homme. Pour Agrippine cet homme ce fut Néron, son fils. Les autres, ses époux en particulier, n'ayant été que des marches pour accéder au pouvoir. Néron, né Lucius Domitius Ahenobarbus, fut malheureusement pour elle un mauvais levier pour faire valoir son intelligence politique. Mauvais au point de provoquer sa perte de la plus cruelle façon.

L'exhaustivité que j'évoque n'a rien à voir avec l'épaisseur d'un ouvrage qui ne négligerait aucun détail de la vie de son sujet. L'exhaustivité je la trouve dans la somme considérable de notes, tables, organigrammes généalogiques et références ajoutés par l'auteure en fin d'ouvrage, lesquels témoignent de l'étendue des connaissances de cette dernière dans sa discipline, du formidable travail de documentation mené à bien, de l'inventaire historiographique foisonnant ayant trait à cette femme hors du commun.

Cette objectivité, ce formidable travail d'étude et de construction de son ouvrage présentent à mes yeux d'amateur de la discipline une grande crédibilité dans chacune des allégations qui construisent cet ouvrage. Cette crédibilité, Virginie Girod la doit à l'analyse critique fouillée qu'elle fait des sources laissées à notre connaissance par l'érosion du temps. Il y a celles des contemporains d'Agrippine : Pline l'ancien, Sénèque, celles des historiens décalés mais ayant eu peu ou prou accès aux archives du palais : Suétone, Tacite, Don Cassius, et tous ceux plus tardifs qui n'ont fait qu'exploiter et interpréter les premiers. Profitant au fil des siècles de l'avancée des recherches et progrès dans les sciences afférentes : archéologique, numismatique, épigraphique, ethnographique, neuro sciences et tant d'autres. L'analyse critique qu'elle fait des différentes sources prenant en compte le contexte dans lequel les auteurs rédigeaient leurs ouvrages, tel un Suétone qui voulait plaire à son mentor Hadrien, un empereur de la dynastie succédant aux julio-claudiens, les antonins ou encore un Tacite « qui se montrait un impitoyable moraliste » vis-à-vis de femmes lorsqu'elles sortaient de leur rôle décoratif.

C'est donc mis en confiance par ces qualités que j'attribue aux deux premiers ouvrages que je lis de la main de Virginie Girod que je vais faire connaissance avec Théodora, l'impératrice de Byzance qui a fait ses premières armes dans le plus vieux métier du monde.

samedi 2 avril 2022

La véritable vie des douze Césars ~~~~ Virginie Girod


« Macron accepte de bonne grâce l’adultère de sa femme tant qu’il augure d’un bénéfice secondaire » …

Par les temps qui courent, voilà une citation qu’il y a urgence de replacer dans son contexte : … « Il escompte bien rester préfet du prétoire sous le principat de Caligula. »

Nous sommes dans la Rome au temps des Julio-Claudiens, puis des Flaviens. Ceux que l’histoire retiendra sur la liste dressée par Suétone (*) dans son ouvrage biographique La vie des douze Césars. Ouvrage que Virginie Girod a décidé de revisiter au point d’intituler son ouvrage La « véritable » vie des douze Césars.

Car l’éminente historienne, bien contemporaine de nous autres lecteurs de ce temps d’un autre Macron, a appris à connaître ce secrétaire d’Hadrien, en particulier pour son goût du trivial. Un goût quelque peu imposé par le contexte dans lequel il rédige ses écrits, rangés à l’époque dans l’art mineur de la biographie nous dit-elle. Elle imagine que lesdites biographies, si elles ne sont pas sujettes à caution, sont moins soucieuses du rôle historique de ses sujets que de leurs frasques. Un de ses confrères historien du 19ème siècle, Alexis Pierron, ira jusqu’à qualifier Suétone de « colporteur d'histoires d'antichambre ».

La motivation de Virginie Girod est donc là : ajouter le qualificatif véritable au titre de l’ouvrage de Suétone et tenter de corriger cette tendance à l’errance entre vices et travers des Césars, à faire fi de leur rôle politique. Sans négliger le formidable apport pour les historiens du futur qu’est l’œuvre de Suétone ni le contexte dans lequel il écrit, Virginie Girod justifie en avant-propos bénéficier à la fois des avancées dans la connaissance historique et des neurosciences entre autres, mais se défend de juger une époque avec les acquis des millénaires en termes de morale, d’esprit de justice, d’avancée sociale mais aussi d’empathie, dernière qualité qui eut pu figurer source de faiblesse dans une époque de violences psychologique et physique.

Comment comprendre en effet qu’on puisse se débarrasser du « princeps », premier citoyen de l’empire, intermédiaire entre les dieux et les hommes, parce que grisé par son pouvoir il avait sombré dans la folie paranoïaque, était devenu incontrôlable par des contre-pouvoirs muselés, voire inexistants. Comment comprendre aussi que le grand César, qui n’était quant à lui pas empereur puisque sous le régime d’une république laquelle n’avait de ce régime plus que le nom, s’était vu honoré du titre, car c’en était un, de dictateur à vie, s’étant vu confier tous les pouvoirs par le Sénat. Comment comprendre encore que le suicide soit institué en porte de sortie honorable et restaure sa noblesse à un empereur qui avait perdu sa crédibilité aux yeux de ses sujets. Comment comprendre enfin que l’on puisse créer une succession patrilinéaire du pouvoir en adoptant son successeur, comme on le ferait d’un enfant, y compris à titre posthume.

Les temps ont bien changé. Les mœurs, les croyances et les valeurs qui vont avec. Ces dernières ayant pratiquement disparu, les croyances se focalisant en une croyance unique, ou pas, désormais. Les Césars étaient loin d’être exempts des travers dont Suétone faisait ses choux gras pour plaire à son maître du moment, l’empereur Hadrien, nous confirme Virginie Girod. Elle réussit à nous faire comprendre avec cet ouvrage rationnel, foisonnant, qui se veut aussi objectif que l’autorisent les avancées dans la connaissance de l’époque, en quoi leur personnalité et leurs actes étaient en harmonie avec le contexte d’une Rome onirique. Il faut l’avoir étudiée comme l’a fait cette spécialiste de l’antiquité pour comprendre à quel point le pouvoir corrompt les puissants et fascine ses spectateurs, qui voudraient peut-être leur ressembler.

J’aime l’histoire. Et quand elle est bien écrite, je suis comblé. Cet ouvrage de Virginie Girod remplit les conditions pour me faire plébisciter le formidable travail d’étude qu’il a fallu pour sa gestation.

A écrire La véritable histoire des douze césars, il faut s’attendre à une lecture critique des sources, à usage du conditionnel quand elles font naître le doute. Virginie Girod le fait avec une intelligence qui inspire le respect, un naturel qui fait recevoir ses allégations comme une évidence. Elle nous adresse un fort bel ouvrage propre à entretenir notre intérêt pour ceux « qui incarnent les figures paroxystiques de nos passions ».

(*) Suétone (70-122 apr. J.C.) haut fonctionnaire romain, membre de l'ordre équestre, auteur de nombreux ouvrages dont la Vie des douze Césars qui rassemble les biographies de Jules César à Domitien en passant chronologiquement par Octave (Auguste), Tibère, Caligula, Claude, Néron, Galba, Othon, Vitellius, Vespasien, Titus.