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samedi 6 novembre 2021

La tache ~~~~ Philip Roth

 


Histoire d'un abandon

Il y a dans la psychologie de nos amis américains cette spontanéité à déclarer les sentiments laquelle laisse libre cours à l'exhibition de leurs états d'âmes. Alors qu'une pudeur imbécile nous retient, nous natifs du vieux continent, de déclarer notre amour à ceux qui nous sont chers.

La contre partie étant cette déferlante de sentimentalisme, des contenus mentaux conscients et inconscients qui nous porteraient à croire qu'ils ne pensent rien de plus que ce qu'ils disent, quand nous disons si peu de ce que nous pensons. Les « je t'aime papa, je t'aime maman » de Tanguy (celui des films d'Etienne Chatilliez) sont dans sa bouche du fils attaché au nid familial un américanisme de comportement qui écorche les oreilles de ses parents bien franchouillards de mentalité.

Lorsque cette propension à l'épanchement se porte sous la plume d'un écrivain, au demeurant fort talentueux tel que Philip Roth, elle ne nous laisse rien ignorer des arrière-pensées de ses personnages au risque de sombrer dans la logorrhée rédactionnelle. C'est ce qui m'a rebuté et fait abandonner cet ouvrage. Il est clair qu'avec cet a priori je passe à côté du thème principal de cet ouvrage lequel s'attache à dénoncer les maux de l'Amérique moderne, mais soit, le confort de lecture est une notion subjective.

Cela n'enlève rien à mes yeux au talent de l'auteur dont l'art est de mettre en page le flot de pensées que lui commande l'onde limpide et pure de son inspiration, ce que salueront à juste titre les inconditionnels. Sauf que l'abondance et le désordre qu'il applique à la construction de son ouvrage m'ont découragé d'aller plus en avant que les 164 pages sur lesquelles j'ai fait l'effort de me tenir éveillé. Ce n'est pas une affaire de chronologie. On arrive à la reconstituer. C'est une affaire d'ordonnancement des réflexions. Et là j'avoue avoir calé.

D'autant que mon esprit mal tourné m'a fait imaginer que, la notoriété acquise comme c'est le cas pour Philip Roth, peut tenter un auteur de se livrer à certaines libertés vis-à-vis de son lectorat propres à le malmener un peu, histoire de mettre son assiduité et sa fidélité à l'épreuve. Une forme de provocation, de stimulation pour jauger sa capacité à s'affranchir du figuratif trop commun, trop évident pour se frotter à l'abstrait plus élitiste.

J'ai fait donc valoir le droit imprescriptible du lecteur selon Daniel Pennac et abandonné Philip Roth au tiers du gué. J'avais bien entendu retrouvé l'écriture simple et claire qui m'avait fait aller jusqu'au bout de Un homme du même auteur, mais l'analyse des caractères m'a paru cette fois sombrer dans les sables mouvants du remplissage. Il est vrai que le premier ouvrage qui m'avait fait découvrir l'auteur ne comptait que 190 pages.

Mais qui sait peut-être qu'un jour serai-je devenu moins trivial et apte me remettre en selle avec un écrivain dont la notoriété n'autorise de déconvenue qu'au fin lettré. La tache a quand même été promu prix Médicis étranger et meilleur livre de l'année 2002 par le magazine Lire. Excusez du peu.

Aussi pour ne pas me fâcher définitivement avec la littérature américaine, c'est avec l'attrape-cœur de J. D. Salinger que je tente ma réconciliation. Peut-être ferai-je part de mon sentiment dans les pages de Babelio. J'aurai grandi un peu d'ici là car je me soigne, je lis.


mardi 13 juillet 2021

1991~~~~Franck Thilliez


"Il allait enfin retrouver un rythme de vie normal, profiter de ses week-ends avec Suzanne avant qu'elle ne s'installe définitivement avec lui, essayer de lui faire aimer cette ville qui lui réserverait vraisemblablement de nombreuses autres affaires compliquées et sordides. Combien de temps tiendrait-il la route ?"

Combien de temps Suzanne tiendra-t-elle peut-on aussi se demander dans une vie de femme de flic du 36 quai des Orfèvres à laquelle Franck Sharko la destine ?

Alors que nombre de lecteurs fidèles de Franck Thilliez, si l'on en juge par sa popularité, ont sans doute déjà les réponses à ces questions, j'avoue quant à moi n'être pas mécontent de débarquer dans les couloirs du 36 sur les traces de Sharko avec ce premier roman de Thilliez pour moi. S'il remonte le temps pour les fidèles, il me fait quant à moi prendre l'histoire à sa source. Je sais d'ores et déjà que je suivrai le cours des aventures, promises "compliquées et sordides", de celui qui est devenu commissaire sous la plume de Franck Thilliez. Cette mise en bouche m'a ouvert l'appétit pour le reste du menu qui s'affiche depuis longtemps déjà sur les étals des libraires, et que j'avais méprisé jusqu'alors.

C'est donc un bleu qui débarque dans le sanctuaire de la Crim en 1991, au 36. Ce seul numéro sur un quai suffisait à évoquer le lieu mythique. Il y est accueilli avec circonspection par les anciens. On ne s'en étonne pas. Intégrer la Crim du 36 n'est pas y être admis. Sharko va devoir faire ses preuves, à commencer par sortir de cette forme de placard dans lequel on l'affecte d'emblée, à compulser les archives pour une affaire restée non résolue sans être encore classée : le meurtre de trois femmes quelques années avant son arrivée. Cadeau de bienvenue au petit nouveau pour qu'il se fasse les dents et montre de quoi il est capable par la même occasion.

Mais s'il est jeune, cet inspecteur qui postule au nec plus ultra de la Crim, il n'est pas dénué de personnalité pour autant. Et plus que de personnalité, de psychologie. Il a compris qu'il ne fallait pas jouer les gros bras avec les anciens, sans toutefois se laisser marcher sur les pieds. Il saura faire sa place en leur montrant qu'il a de l'intuition et de la persévérance. Les fervents de Sharko le savent bien, eux qui attendaient de Franck Thillier qu'il leur parle de ses débuts. C'est chose faite avec 1991. Ce dernier nous dresse la caricature de son héros fétiche plus par ses qualités morales et intellectuelles que physiques. Au lecteur de se faire le portrait d'un homme qui ne manque ni de disponibilité, c'est le moins qu'on attende d'un jeune à la Crim, ni de courage. Mais pas le courage de l'inconscience, le courage lucide de celui qui veut réussir sa carrière autant que sa vie amoureuse. Une gageure ? Dans le métier ce n'est pas gagné d'avance. Les exemples ne manquent pas de ceux qui n'ont pas été au bout de leur contrat de mariage quand ce n'est pas au bout de leur carrière.

Ce personnage me paraît d'emblée engageant, voire sympathique. Il n'a rien du super héros qui bouscule tout sur son passage, monopolise le regard des femmes et terrorise les truands. C'est ce qu'on peut appeler un mec normal - le langage populaire n'est pas déplacé dans le contexte. Un homme de la vraie vie, un authentique. On peut même dire que dans 1991, il ne focalise pas particulièrement l'attention. Il est celui qui débarque, mais à qui on promet quand même un bel avenir en épilogue, parce qu'on sait que les malfrats travaillent pour lui, pour lui construire un avenir. Aussi parce que c'est Sharko, et que son personnage peuple déjà les étals des libraires. Une dizaine de romans témoigne des "affaires compliquées et sordides" desquelles il s'est sorti, pour la plus grande popularité de son auteur.

1991 est un ouvrage réaliste à plus d'un titre. Outre les timides débuts du novice qui doit s'intégrer dans la prestigieuse brigade, il s'agissait de restituer le contexte d'une époque où pour téléphoner il fallait trouver une cabine, où l'ADN n'avait pas encore déployé toutes ses possibilités et l'informatique balbutiait. Il fallait aussi concevoir une intrigue dans laquelle dédoublement de la personnalité et les troubles psychiques liés à l'orientation sexuelle se concevaient dans l'environnement d'une société encore empesée par les non-dits dans ce domaine.

Cet ouvrage à l'écriture agréable et fluide qui implique avec bonheur l'univers de la magie et les pratiques vaudous clandestines. Ces milieux occultes s'entrelacent à merveille dans cette première affaire qui donne l'occasion au petit nouveau de la Crim de montrer qu'il n'a ni les deux pieds dans le même sabot ni le cerveau comprimé par la pression du métier. Et disons-le tout net, sans ne rien dévoiler de l'intrigue, Sharko aura gagné son ticket d'admission à la célèbre brigade. Mais ces premières enquêtes lui auront donné quelques sueurs froides et un joli cas de conscience quand un collègue, un ancien, pourrait bien avoir fait quelque entorse à la déontologie. Des enquêtes qui, accessoirement, auront fait passé un drôle de réveillon à notre jeune inspecteur, mais il n'est pas nécessaire de le dire à Suzanne. Elle pourrait bien remettre en question ses projets d'alliance et de vie parisienne.

jeudi 14 janvier 2021

L'adversaire ~~~~ Emmanuel Carrère

 



Ma chérie, mes chers enfants, il faut que je vous parle. Depuis que vous êtes entrés dans ma vie, je n'ai cessé de vous mentir. Je ne suis pas médecin, je ne travaille pas à l'OMS, je ne travaille pas du tout d'ailleurs. L'argent qui fait vivre notre belle famille harmonieuse depuis toutes ces années est le fruit d'escroqueries. A commencer par celle des membres de nos familles. J'ai une maîtresse que je retrouve dans un palace parisien et à qui je fais de beaux cadeaux.
Si je vous dis tout ça aujourd'hui, c'est que je suis parvenu au bout des ressources financières que j'ai extorquées à gauche et à droite et que mes impostures vont éclater au grand jour. Notre famille va être éclaboussée, couverte d'opprobre. Pour ne pas vous faire supporter toute cette honte, compte tenu de l'amour sincère que je vous porte, je ne vois qu'une solution qui est de disparaître définitivement. Je vais donc vous tuer et me suicider par la suite.

C'est le raisonnement que s'est fait en lui-même Jean-Claude Romand. Et qu'il a mis à exécution. La seule chose qui varie avec ce qui précède, c'est bien sûr qu'il n'a prévenu personne de l'impasse dans laquelle il était parvenu et a mis son plan à exécution. Il a tué sa femme avec un rouleau à pâtisserie, ses enfants avec une carabine. Et pour concerner la totalité des personnes qui seraient susceptibles de souffrir de ses ignominies, il a tué son père et sa mère avec la même froideur calculée. Tout ceci dans le but charitable de leur épargner le déshonneur, cela va sans dire.

Ces faits, qu'on a du mal à qualifier de divers, se sont réellement déroulés dans les premiers jours de janvier 1993. On en découvre le détail dans ce livre qu'Emmanuel Carrère a consacré à l'affaire sous le titre de L'Adversaire. Il a écrit cet ouvrage en accord avec l'intéressé et enquête auprès des personnes ayant gravité autour de cette famille dont le malheur aura été d'être celle d'un homme qui toute sa vie n'aura fait que mentir. A lui-même et aux autres.

On pourrait s'étonner du titre appliqué par Emmanuel Carrère à son Ouvrage et penser qu'il est un vocable propre à glorifier l'auteur de la tuerie en accordant du crédit à son raisonnement. L'Adversaire plutôt que le monstre ou l'assassin, lesquels auraient condamné sans jugement l'auteur de l'abomination et sans doute aussi la parution de l'ouvrage. Il justifie l'intitulé de l'ouvrage en ces termes :" le père avait été abattu dans le dos, la mère en pleine poitrine. Elle à coup sûr et peut-être les deux avaient su qu'ils mouraient par la main de leur fils, en sorte qu'au même instant ils avaient vu leur mort … et l'anéantissement de tout ce qui avait donné sens, joie et dignité à leur vie… Cette vision qui aurait dû avoir pour les vieux Romand la plénitude des choses accomplies avait été le triomphe du mensonge et du mal. Ils auraient dû voir Dieu et à sa place ils avaient vu, prenant les traits de leur fils bien-aimé, celui que la Bible appelle le satan, c'est-à-dire l'Adversaire."

A la date où je lis cet ouvrage, Jean-Claude Romand a purgé la peine qui lui a été infligée en conclusion de son procès. Procès au cours duquel l'avocat général n'a pas manqué de souligner que le suicide organisé par Romand n'avait été que simulacre. Si bien qu'à 66 ans un homme qu'il faut qualifier d'autre homme recouvre la liberté. La perpétuité s'est resserrée sur 26 années de détention. Conserve-t-il le livre d'Emmanuel Carrère à portée de main pour en relire quelques séquences à l'occasion et se rappeler cet autre homme qui a commis le pire.

Exercice périlleux auquel s'est livré Emmanuel Carrère qui a eu des fortunes diverses avec le mystique et qui sur un fait divers particulièrement atroce s'interroge sur la responsabilité de la personne au regard d'un chemin tracé – d'avance ? - par une puissance souveraine obscure. La position du narrateur a longtemps posé problème dans l'esprit de l'auteur et retardé la finalisation de l'ouvrage. C'est ainsi que Jean-Claude Romand qui selon ce qu'on apprend s'est prêté à l'entretien avec l'auteur n'intervient jamais à la première personne dans l'ouvrage. La relation des faits n'apparaît donc pas sous le sceau de la confidence, mais plutôt comme le résultat d'un enquête minutieuse et compte rendu d'un procès au cours duquel le tueur n'a pas persisté longtemps dans sa version initilale d'un mystérieux criminel étranger à la famille.

Récit plus que roman donc pour cet ouvrage dans lequel on retrouve l'écriture précise et efficace d'un auteur qui a de l'éclectisme dans son répertoire et de l'affinité avec le vécu pour en décrypter la psychologie. Il ne s'agit pas pour le coup d'uchronie. Emmanuel Carrère a certainement été intrigué par le mécanisme qui chemin faisant dans la vie d'un homme tisse inéluctablement le canevas d'un drame particulièrement horrible. Au fur et mesure que l'homme s'enferre dans le mensonge jusqu'à être acculé et ne concevoir que le pire pour issue. En toute logique pour le sain d'esprit qu'il était.


samedi 25 avril 2020

Extension du domaine de la lutte ~~~~ Michel Houellebecq

 



Je n'aime pas ce monde. Décidément, je ne l'aime pas. La société dans laquelle je vis me dégoûte ; la publicité m'écœure ; l'informatique me fait vomir. Tout mon travail d'informaticien consiste à multiplier les références, les recoupements, les critères de décision rationnelle. Ça n'a aucun sens. Pour parler franchement, c'est même plutôt négatif ; un encombrement inutile pour les neurones. Ce monde a besoin de tout, sauf d'informations supplémentaires.


Je viens de terminer mon cinquième Houellebecq : Extension du domaine de la lutte. Je suis maintenant confronté à une question essentielle, existentielle même : est-ce que je me fous en l'air tout de suite ou bien est-ce que j'attends encore un peu ?

Je vais déjà terminer cette chronique. On verra bien après.

Car pour vous filer le bourdon, ce bouquin est sur le podium. On ne connaîtrait pas l'avenir littéraire de notre trublion de la littérature moderne, on se ferait du souci quant au lendemain du point final de cet ouvrage paru en 1994. Notre auteur controversé a confié dans cet ouvrage son mal être à un informaticien de 32 ans. Il est dans une phase d'exploration des abysses de la déprime. Il faut dire qu'il n'a pas son remède favori sous la main pour soulager ses crises. Rupture de stock : cela fait en effet deux ans qu'il n'a pas eu de relation sexuelle. Faut comprendre aussi.

la religion d'abord, la psychanalyse ensuite

Conscient quand même de la faillite qui le guette, il tente de trouver de l'aide auprès de spécialistes patentés, à contre cœur à vrai dire tant il n'a eu de cesse de les vouer l'un et l'autre aux gémonies : la religion d'abord, la psychanalyse ensuite. Cela donne lieu au passage à quelques paragraphes en forme d'exécution sommaire : "Une femme tombée entre les mains des psychanalystes devient impropre à tout usage." Que dire des hommes ? Il en fera l'expérience. Mais on ne pourra pas lui reprocher d'avoir négligé tous les expédients officiels pour tenter de s'en sortir.

Son recours à la religion se fera par le biais d'un de ses amis d'enfance devenu prêtre. Mauvaise pioche. Ce dernier est lui-même en dépression. La dernière fidèle qui fréquentait son église a été euthanasiée par le corps médical qui la jugeait en trop mauvais état pour être récupérée. Et tout le monde s'en fout.

De guerre lasse dans sa solitude il se rabat en pis-aller vers la faculté. de psy en psy, son parcours de santé remet alors son destin entre les mains d'une psychologue. Une aubaine ? Faut voir. Bien que peu avenante il juge ses charmes acceptables au regard du niveau de déconfiture qu'il a atteint. En bonne thérapeute elle tente de le faire parler. C'est son job. Il saisit l'opportunité et lui tend alors la perche – ne voyez aucune métaphore libidineuse dans cette expression – afin de lui faire entrevoir que le seul remède capable de lutter contre son mal est celui du rapprochement des corps. La praticienne des consciences qui a bien perçu le message subliminal lui fait comprendre en retour que son rôle est de prescrire, et non d'administrer. Elle cède sans plus de discours savant la place à un collègue masculin. Retour à la case départ. On n'est pas sorti du marasme.

passée l'adolescence, la vie n'est plus qu'une préparation à la mort

On retrouve avec cet ouvrage les lignes de forces qui sous-tendent les caractères dans l'ensemble de l'œuvre de MH. On connaît trop bien leur désespoir de voir le corps se flétrir et désintéresser les seules qui pourraient regonfler le sujet – pas d'allégorie licencieuse non plus - celles forcément jeunes et jolies dont ils convoitent les faveurs. Mais à 32 ans notre informaticien est précoce dans le dégoût de la vie. A ses yeux, passée l'adolescence, la vie n'est plus qu'une préparation à la mort. le sexe étant à son idée un autre système de différenciation sociale, alternatif à l'argent, mais autant générateur d'inégalités. Et dans ce domaine, il est dans la catégorie des pauvres.

Cet ouvrage, au demeurant parmi les plus courts de ceux qu'aura produits notre auteur parvenu en cette année de confinement, est aussi à mon sens l'un des plus forts dans la désillusion, la noirceur de la fresque qu'il dresse de notre société : "Je n'aime pas ce monde. Décidément, je ne l'aime pas. La société dans laquelle je vis me dégoûte", fait-il dire à son informaticien.

Il n'en reste pas moins que le talent est là. Ironie, humour caustique, éclectisme de la pensée, acuité dans l'observation du monde, se coalisent pour pointer du doigt le leurre dans lequel se fourvoient ceux qui fondent leur bonheur sur le pouvoir d'achat. J'ai beaucoup aimé ces ouvertures sur ce verbiage professionnel qui ne dit plus rien à qui que ce soit tant il a sombré dans l'abstraction. Ils peuvent divaguer en tables rondes, de toute façon c'est le solitaire sur son clavier qui fera le job et tout le monde se pliera à ce que ses algorithmes auront circonscrit dans le domaine du possible.

le doigt sur la détente

Avec Houellebecq, il n'y aucun recours. Chaque être humain est un esquif de désespoir à la dérive sur l'océan de l'indifférence. Il y a certes une échappatoire, une distraction à la spirale de la perdition, mais elle est trop dépendante de lois insidieuses qui gèrent attirance et répulsion des contraires. Et pour notre informaticien la force de répulsion le propulse hors du monde, dans le trou noir de l'amertume. Il en fait son leitmotiv, le doigt sur la détente.

mardi 26 novembre 2019

Elle danse dans le noir ~~~~ René Frégni


 
Écrire, ne serait-ce pas prononcer silencieusement les mots qui n'ont pu franchir nos lèvres ? Ne serait-ce pas vaincre cette pudeur imbécile qui nous retient de dire Maman, je t'aime. Quand elle est là devant nous, avec ses gestes bénins qui ne sont rien que des gestes d'amour.

La déclaration de René Frégni faite à sa mère dans Elle danse dans le noir, beaucoup pourraient la reprendre à leur compte. Moi le premier. Encore lui a-t-il la compétence de le faire à la face du monde. Comme une revanche sur tous les silences qui ont étouffé les paroles.

Écrire, ne serait-ce pas donner libre cours à tous les rêves que la vie a tenu enfermés derrière nos paupières closes ? Rêves d'un amour sans tache, qui ne souffrirait pas de l'usure du quotidien. Un amour inoxydable qui ne verrait pas l'être aimé courir après ses propres chimères dans les bras d'un autre.

Écrire, ne serait-ce pas briser la solitude qui nous étreint dans un monde surpeuplé ?
Solitude qui ferait pencher vers le crime plutôt que sombrer dans l'indifférence. Ultime révolte contre l'impuissance à gouter le présent, à se laisser porter par son trop plein d'amour.

Écrire, ne serait-ce pas rappeler à soi les êtres aimés lorsqu'ils sont partis ? Trouver les mots qui les débusqueront où qu'ils soient, comme des limiers lancés sur leurs traces. Les mots qui les ramèneront autour ce soi, êtres transis du froid de l'absence, revenus se réchauffer autour du feu de l'amour.

Oui mais voilà, tout le monde ne sait pas écrire comme René Frégni. Beaucoup restent enfermés dans le mutisme assassin qui à force de les tenailler leur fait commettre le pire.

La vie n'est jamais aussi forte que lorsque les mots ont trouvé leur arrangement pour la libérer des inhibitions. René Frégni sait donner cette force à la vie. Surtout lorsqu'il tient la main de Marilou. Cette fille qui est aussi sa mère, parce qu'elle est la vie, parce qu'elle est l'amour.


dimanche 12 février 2017

Check-point ~~~~ Jean-Christophe Rufin

 


L'univers des ONG est rarement exploré dans la littérature romanesque. Il l'est dans cet ouvrage de Jean-Christophe Ruffin. Certes pas forcément à son avantage. Mais après tout, ce n'est pas parce qu'elles oeuvrent dans l'humanitaire qu'elles devraient être exemptes de défauts. Elles aussi sont des entreprises humaines. Elles n'échappent donc pas aux rivalités de toutes sortes. C'est aussi ce qui donne sa crédibilité à pareil ouvrage.

Intervenant dans les zones de conflits, les ONG peuvent être malgré elles un canal d'infiltration pour des individus profitant de la couverture humanitaire et ainsi mener à bien des agissements partisans. Maud et Lionel, deux membres d'une ONG lyonnaise vont faire les frais de ces intentions divergentes. Les coéquipiers qui embarquent avec eux dans le convoi de ravitaillement affrété pour secourir des familles musulmanes encerclées dans la poche de Kakanj, au centre de la Bosnie alors en plein chaos, ne sont pas tous motivés que par des intentions humanitaires.

Les guerres civiles donnent champ libre à tout ce que la terre comporte de malfaisants pour commettre leurs crimes en toute impunité. Elles leur donnent l'occasion de s'approprier des biens et des territoires qu'ils contrôleront en installant ce genre de postes frontières, aussi mobiles qu'éphémères, que le langage moderne a retenu sous l'anglicisme de check-points.
Durant le conflit bosniaque des années 90, l'imbrication des zones ainsi contrôlées par les trois belligérants résultait de la même imbrication des communautés qui vivaient autrefois en harmonie. Avant que la haine ne se prenne à gouverner les esprits. Les frontières étaient alors devenues aussi mouvantes que fluctuants les rapports de force. Un parcours au travers de l'ex Yougoslavie était ainsi jalonné de franchissements de Check-points, le plus souvent improvisés par des milices de défense auto proclamées. Elles menaient alors leur entreprise scélérate sous couvert de motivation politique.

Jean-Chritophe Ruffin a donc choisi ce contexte pour mettre en scène son roman. L'intrigue conserve sa vraisemblance tout au long de ce road movie en presque huis clos, d'un check-point à un autre. La présence d'une femme dans l'aventure la supplémente avec avantage d'une affaire de cœur. Même si l'entreprise a une vocation humanitaire, le lecteur est préservé de la grandiloquence de bons sentiments sur vitaminés. Il est tenu en haleine jusqu'au tableau final où tout peut arriver.

En nous immergeant dans les péripéties de l'action humanitaire ce roman nous désigne ses acteurs comme de véritables aventuriers. Voilà un très bon ouvrage qui nous rappelle au passage à la précarité des situations de paix. Jean-Christophe Ruffin le souligne avec grande lucidité dans sa postface : "Il y a dans ce passé déjà lointain un peu de notre présent et, je le crains, beaucoup de notre futur". Restons vigilants.