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mardi 27 juin 2023

La main de Dieu ~~~~ Valerio Varesi

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J’ai fait cette belle découverte dans une boite à livres. Aussi pour me faire pardonner auprès de l’auteur de ne pas avoir apporté ma contribution au soutien de son talent, je me fais le devoir de déclarer ma satisfaction les pages de Babelio.

J’aime en effet ces polars dans lesquels le sang ne colle pas les pages, dans lesquels le flic se sert de sa jugeote plus que de son flingue. Pas de mise en scène sordide, de crime rituel, de fou cinglé qui fracasse des vies au hasard. Et pourtant on ne s’y ennuie pas le moins du monde. La preuve pour moi qu’on peut faire du polar moderne - car le contexte est actualisé - sans sombrer dans le glauque racoleur.

Lorsque le torrent impétueux qui dévale la montagne livre un cadavre sur ses berges, à l’approche de Parme, le commissaire Soneri comprend vite qu’il va devoir remonter à la source pour trouver l’origine de cette découverte morbide. Son auteur surtout, car le meurtre ne fait aucun doute.

Il n’a rien d’un super héros au pistolet greffé ce commissaire. Son style le fait qualifier de Maigret parmesan en quatrième de couverture par la critique littéraire du Point. Je la rejoins quant à ce ressenti. Valerio Varesi nous livre un polar d’ambiance dans lequel décor et psychologie des personnages sont restitués avec soin. 

L’omerta sévit aussi en milieu montagnard. Chaque vallée est un microcosme. Outre son expérience, il faut beaucoup de psychologie à ce flic de la ville pour conduire son enquête. De sang-froid aussi, pour ne pas se laisser impressionner par les taiseux au regard agressif ou les viandards exubérants qui rentrent de la chasse excités par leur course au gibier.

Quelques belles réflexions sur la condition humaine, son rapport à la religion, qui n’est jamais très loin en Italie, rehaussent les habituelles procédures du limier parmesan. Ce subtil dosage nous conduit vers un dénouement qui, bien qu’on le voie venir d’assez loin, ne perd rien de sa valeur grâce à la teneur de la joute verbale qui le couronne.

La main de Dieu est un très bon polar qui ne se sent pas obligé de sombrer dans le sensationnel pour entretenir l’attention de son lecteur. La réalité est assez méprisable comme ça.

Figurez-vous qu’il y en avait un autre polar du même auteur dans la boite à livres. Je ne vais donc pas me priver de faire plus amplement connaissance avec ce flic fréquentable. C’est vrai qu’il a un style bien à lui sous la plume de Valerio Varesi. 



dimanche 4 décembre 2022

La vallée ~~~~ Bernard Minier

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A trop explorer les vices de l'espèce humaine, il faut aujourd'hui avoir beaucoup d'imagination pour troubler l'amateur de polar. Avec tout ce que la littérature du genre a pu lui mettre sous les yeux, la barre est haute pour le faire frissonner. Les auto-tamponneuses ne suffisent plus, il faut des grands huit vertigineux. Il faut lui couper le souffle à ce lecteur blasé. Il ne faut plus seulement le surprendre, il faut le choquer, le décontenancer, avec des mises en scène de crime sordides, des coupables improbables. C'est le défi de l'auteur de polar moderne qui voudra ne pas décevoir les inconditionnels du genre.

Le flic quant à lui doit rester un être doué de sensibilité. Un être avec ses peurs et ses faiblesses. Un homme qui a une vie sentimentale, ou qui essaie en tout cas. le métier ne lui facilite pas la tâche dans ce domaine. Aimer, être aimé, quand on a une vie de famille en pointillé, qu'on est confronté quotidiennement à la haine, la folie, la détresse, le chantage, c'est une gageure. Comment ne pas faillir quand on laisse un enfant à la maison dans les bras d'une femme qui elle-même tremble pour son compagnon dès qu'il franchit la porte de la maison. Et peut-être même avant. Auquel s'ajoute la pression d'une hiérarchie et de politiques qui veulent des résultats rapides et surtout pas de vague. Les médias sont à l'affût.

Tout cela Bernard Minier le maîtrise. Il a bien appréhendé ce contexte d'une vie de flic de nos jours. Un funambule sur un filin au-dessus de la cage aux fauves. Un autre défi est aussi pour l'auteur de polar celui de mettre en échec le lecteur perspicace qui aura résolu l'enquête avant tout le monde. La surenchère dans l'obscur est donc obligatoire. Au risque de prendre ses distances avec le vraisemblable. Mais le crime ne relève-t-il pas toujours de l'invraisemblable ?

Pour remplir ces conditions, Bernard Minier fait de cet ouvrage un huis-clos dans une vallée, coincé entre un éboulement qui bloque la route d'accès et des habitants excédés, apeurés, prêts à en découdre avec les autorités, sur fonds de réminiscence de lutte des classes. Des meurtres y sont commis dans des conditions qui font froid dans le dos. Selon un rituel qui met la police au défi d'en résoudre l'énigme. Cela donne un roman au rythme soutenu qui n'offre pas de pause à ce commandant de police lequel sort d'une affaire lui ayant valu la mise à pied. Difficile de ne pas sortir des clous quand on est livré à des êtres qui ne connaissent quant à eux ni loi ni barrière. Martin Servaz est donc dans cet ouvrage le spectateur averti de l'action de ses confrères. Il piaffe de les voir patauger dans le bourbier d'une affaire pour le moins alambiquée. Mais, même empêché par une procédure qui traîne en longueur, il ne peut se retenir de s'impliquer. Quand on est Martin Servaz, le récurrent de Bernard Minier, on n'est pas habitué à rester sur la touche.

Depuis que j'ai découvert cet auteur je m'attache à scruter sa capacité à dresser la fresque d'une société qui donne libre cours à ce que l'espèce humaine a de plus vil. Une société dans laquelle les troubles psychologiques, la déconnexion de la réalité rivalisent avec l'appât du gain, toute forme de déviance y compris et surtout sexuelle pour susciter le crime. Cet ouvrage est autant un tableau de notre société contemporaine qu'un polar. le trait est certes un peu forcé, mais ne faut-il répondre à l'attente du toujours plus en matière d'effroi. Il faut surprendre encore et toujours et surtout ne pas se laisser doubler par le lecteur avant de lui livrer le coupable les menottes aux mains. Encore un polar de bonne facture de la part de Minier.


dimanche 30 octobre 2022

La chasse ~~~~ Bernard Minier

 


J'ai découvert l'univers de Bernard Minier tout récemment avec son ouvrage intitulé Sœurs. Cette première m'avait donné le goût d'explorer son œuvre. Je le fais avec cet ouvrage. Il confirme l'ancrage régional de la zone de compétence de son héros. Il y ajoute en prime cette fois l'ancrage dans l'actualité. Ouvrage très contemporain si l'on en juge par l'allusion récurrente à ce masque bleu sur le nez qui nous a étouffé pendant de longs mois mais que l'on garde encore à portée de main. Allusion au récent deuxième confinement dans cet ouvrage avec le lot de problèmes qui ont assailli tant de professionnels dont les tenanciers de bistrots et de restaurants qui ont très souvent leur rôle dans les polars.

Voilà un ouvrage qui ratisse large dans les maux de notre société moderne dont, non le moindre, celui de l'insécurité. Le sujet nourrit le débat politique à chaque élection, opposant les tenants de la ligne répressive à ceux de l'éducative. le seul point commun les accordant étant le manque de moyens pour mener à bien leurs actions.

La chasse est donc dans cet ouvrage une chasse au délinquant. Une chasse à mort, orchestrée avec une mise en scène destinée à frapper les esprits. Une chasse à laquelle se livre un groupuscule de justiciers autoproclamés déplorant le laxisme de la justice de ce pays, au constat du nombre de délinquants laissés en liberté pour toutes les raisons que l'on peut imaginer, parmi lesquelles surement la surpopulation carcérale.

Martin Servaz, le policier toulousain de Minier, a pris du grade, de la maturité et acquis une notoriété qui en font de lui à la fois un sujet d'admiration et une cible. La hiérarchie ne pardonne rien à ceux qui ont placé haut la barre des résultats. Elle leur demande toujours plus. le pouvoir politique quant à lui ne fait pas de sentiments. Il veut des résultats qui servent ses ambitions. Pas de vagues surtout. C'est dans ce contexte que le déjà célèbre commandant de Minier exécute son rôle d'équilibriste entre vie professionnelle et vie privée. Vie privée difficile à préserver quand on passe ses nuits traquer les truands. Vie privée qui peut être point de faiblesse quand les truands se sentent pris dans les serres du limier toulousain. On sait où trouver ta famille, Commandant !

Roman qui extrapole dans les problèmes de société. Peut-être un peu trop d'ailleurs, parcourant la planète des grands maux de l'humanité. En justification des menées transgressives de cette faction rigoriste qui monopolise toute l'énergie du commandant et de son groupe d'enquête. Commandant se reprochant parfois l'égoïsme de sa personne face à la détresse des populations dans le besoin. Mais Martin Servaz reste inflexible au service de la mission. Les tentatives de corruption n'ont pas de prise sur sa conscience professionnelle, même lorsqu'il déplore être chaussé de semelles de plomb par la paperasserie qu'impose son métier et l'énergie qu'il doit dépenser pour voir finalement un avocat balayer d'un effet de manche des journées et des nuits de traque d'un criminel notoire, pour vice de procédure.

L'épilogue de cet ouvrage est un peu trop convenu pour ce flic qui peine à stabiliser sa vie sentimentale. La chasse n'en reste pas moins un roman immersif pour son lecteur. Il partage les nuits blanches et les casse-têtes de son flic sur la brèche 24/24. le rythme est soutenu à l'initiative du commandant qui ne s'en laisse pas compter, stimulé par une hiérarchie pressante comme il se doit. Les rebondissements sont cependant assez prévisibles. On apprécie dans cette écriture le réalisme d'un quotidien surchargé, le langage coloré du jargon argotique du milieu, le style qui fait courir les yeux. Cela reste du très bon polar qui nous rappelle à lui quand on a réussi à le poser. Il nous reprend alors très vite dans son intrigue bien ficelée.


mercredi 1 juin 2022

Les oubliés ~~~~ John Grisham


 

Dans les couloirs de la mort aux USA, il est des condamnés qui sont victimes d'erreur judiciaire. Cullen Post, avocat et ancien pasteur de l'église épiscopale, a décidé de vouer sa vie à ces oubliés. Oubliés parce que la justice n'aime pas se renier. Une fois le verdict rendu, il est plus confortable pour l'institution d'attendre que les recours s'épuisent et que la sentence s'exécute. Lui faire reconnaître ses fourvoiements est un chemin semé d'embuches, souvent lourd de menace.

Lorsque Cullen Post s'est convaincu de l'innocence de Quincy Miller condamné pour le meurtre d'un avocat en vue. Avec la petite association qu'il dirige il déploiera toute son énergie à faire admettre l'erreur judiciaire. Dût-il se mettre en danger face à ceux qu'il dérangera tant dans la police corrompue que dans les cartels de la drogue.

Avec l'excellente traduction de Dominique Defert, grâce à qui les idiômes américains ont trouvé leur juste transposition dans notre langue, je découvre l'écriture de John Grisham. Elle est accessible et agréable pour traiter de ce sujet si lourd. Un roman aux confins du polar qui nous fait découvrir les arcanes du système judiciaire américain, les écueils de la corruption et le chemin chaotique et incertain qu'est la sauvegarde d'un innocent. Ce roman est passionnant. Je n'hésiterai pas à lire un autre Grisham.


samedi 12 mars 2022

La tableau du maître flamand ~~~~ Arturo Perez-Reverte



Julia est restauratrice de tableaux. Elle se voit confier, en préparation de sa vente, la célèbre toile d'un maître flamand du XVIème siècle : la partie d'échecs. Ses travaux lui font découvrir, dissimulée sous les couches de peintures et vernis anciens, une inscription latine soumettant une énigme concernant la mort d'un des trois personnages représentés sur la toile. Présentée sous la forme d'une question concernant la prise d'un cavalier, elle se persuade que cette énigme se résout par le calcul des combinaisons offertes aux joueurs. Avec son ami et confident César l'antiquaire elle fait appel à un joueur expert pour élucider le mystère.

La vente du tableau donne lieu à des conflits d'intérêt opposant les parties prenantes, famille du propriétaire, galerie d'art, commissaire-priseur. Deux personnes de l'entourage de Julia sont assassinées. Un mimétisme machiavélique suggère à l'assassin de faire valoir ses identités et motivations au travers d'une énigme se superposant à celle de la toile du maître flamand.

Ce roman qui s'engage dans une forme d'enquête rétrospective sur la base de l'énigme proposée par le maître flamand devient thriller contemporain avec une montée en puissance très lente de l'intensité dramatique. La peur gagne Julia. Elle se persuade d'être la prochaine victime du meurtrier sans comprendre la raison de cet acharnement autour d'elle.

Arturo Perez-Reverte échafaude un roman érudit quant aux domaines dans lesquels il intègre son intrigue, en particulier le monde de l'art pictural, son histoire et ses techniques. Point n'est besoin par ailleurs d'être joueur patenté pour se prendre au jeu de ces énigmes qui s'imbriquent au travers des siècles. L'idée est intéressante.
Pourtant l'émergence du fait divers contemporain dans l'enquête sur l'énigme proposée par la toile du maître flamand est très artificielle et ouvre inévitablement sur un dénouement pour le moins tiré par les cheveux.

 C'est dommage d'une part parce qu'on se laisse volontiers prendre au jeu de l'enquête initiale laquelle fait appel à l'histoire et à la technique des échecs, d'autre part parce que la documentation est fouillée et le socle historique appréciable. C'est donc un thriller intéressant par l'intérêt qu'il suscite au départ, la qualité de son écriture et sa culture, ces dernières n'étant pas forcément des attributs du genre, mais un thriller qui fait long feu avec un dénouement assez décevant. 


Citation

Le joueur d'échecs lut à haute voix :
- La phrase que j'écris en ce moment est celle que vous lisez en ce moment... - Il regarda Belmonte, surpris.
Oui, et puis ?
- C'est tout. J'ai écrit cette phrase il y a une minute et demi et vous venez de la lire, il n'y a que quarante secondes. En d'autres termes, mon écriture et votre lecture correspondent à des moments différents. Mais sur le papier, ce moment et ce moment sont indubitablement le même moment... Donc la phrase est à la fois vraie et fausse ... Ou est-ce le concept de temps que nous lais
sons de côté ? ... N'est-ce pas un bon exemple de paradoxe ?

samedi 12 février 2022

Il était deux fois ~~~~ Franck Thilliez

 



A plusieurs reprises dans cet ouvrage il est fait référence à un autre du même auteur : le manuscrit inachevéIl était deux fois est une forme de suite de ce dernier qui en dépit des épisodes d'amnésie frappant ses héros nous dévoile ni plus ni moins que la vraie fin du Manuscrit inachevé, celle de la main de Caleb Taskman lui-même. On se souvient que l'épilogue du Manuscrit inachevé était de la main de son fils Jean-Luc, les dernières pages ayant disparu à la mort du célèbre auteur de polar, au grand damne de son éditeur.

Avec les troubles de la mémoire, il en est une autre constante entre ces deux romans, plus morbide celle-là, qui est le dépeçage des corps. Et sans surprise, les jeunes filles n'ont pas le beau rôle dans ces funestes intrigues. Leurs beautés insouciantes sont des proies tout désignées pour les détraqués qui peuplent les pages des thrillers version Franck Thilliez. Mais là malheureusement il n'a rien inventé. On aimerait que ce ne soit qu'œuvre d'imagination d'auteur, mais si Thilliez en a beaucoup d'imagination la réalité lui suggère trop souvent les scénarii les plus sordides.

La famille torturée par la disparition de leur enfant est cette fois-ci celle d'un gendarme. Les facultés et compétences du professionnel de l'enquête qu'il est seront ainsi mises à contribution pour le compte des sentiments qu'il porte à sa famille. Pareilles circonstances lui font prendre conscience que son métier a bouffé sa vie de famille. Il se reproche un peu tard de ne pas avoir été suffisamment démonstratif dans l'affection qu'il porte à femme et enfant. Cette enquête l'impliquant personnellement, il devra quitter l'institution et déployer ses forces et ténacité à rechercher sa fille sans désarmer des années durant. Ce sera la preuve d'amour tardive qu'il se fera à sa fille disparue. Son accident de mémoire complique les choses, il devra refaire connaissance avec lui-même et en observateur extérieur de sa propre vie faire le point sur son sort : passé qu'il faut redécouvrir, présent voué à la quête, avenir de solitude à n'en pas douter, son mariage n'ayant pas résisté aux épreuves. Cette période de sa vie occultée par l'amnésie viendra inévitablement corser les recherches. Cela deviendra une enquête dans l'enquête. Au lecteur de recoller les morceaux. Mais faisons confiance à Thilliez pour lui compliquer la tâche.

Les palindromes se rappellent à nous dans cet ouvrage avec toujours le même mystère quant à leur signification et raison d'être dans l'intrigue. Est-ce une ouverture vers un prochain tome qui permettrait de mettre la main sur un personnage à qui la vraie fin dévoilée a permis de se faire la belle ? Il y a beaucoup de dualités dans ces ouvrages auxquelles nous ouvre le titre de celui-ci. M'est avis qu'à l'heure où j'écris ces lignes le cerveau de Franck Thilliez, qui ne doit pas souvent être au repos, échafaude déjà une nouvelle conspiration entre malfrats et détraqués pour mettre notre sagacité de lecteurs à contribution.

Excellent polar que celui-ci. Il distille son épilogue au compte-gouttes au fil des chapitres. Cela ne présente pas le côté artificiel de ceux qui sortent le coupable du chapeau à la dernière page. C'est fort en névroses et en abjection. La morale n'y trouve pas forcément son compte, pas plus que la justice pour le coeur de parents privé de leur enfant dans d'horribles conditions. Il y a quand même une bonne dose d'accablement dans ces romans. Le happy end ne semble pas être une vertu chez Thilliez.


lundi 24 janvier 2022

Les têtes de Stéphanie ~~~~ Romain gary


S'il faut s'essayer à un nouveau genre, autant le faire sous un pseudonyme. C'est une façon pour un écrivain dont la célébrité n'est plus à faire de tester son écriture dans un nouveau genre, à l'abri de la notoriété. Ce peut être aussi la conquête de nouveaux lecteurs. Mais à l'inverse ce peut être encore une façon de protéger cette notoriété de ce nouvel exercice auquel on ne connaît pas l'accueil qui lui sera réservé. Une manière de quitter son personnage et de s'observer avec les yeux neufs d'un étranger. Ne pas être soi-même donne des ailes. Nombre d'acteurs de théâtres à succès sont à l'origine de grands timides.

Romain Gary se lance dans le roman d'espionnage sous le pseudonyme de Shatan Bogat. Les têtes de Stéphanie sera le seul ouvrage publié (en 1974) sous ce nom d'emprunt avant que l'auteur déjà goncourisé ne se lance un nouveau défi, cette fois dans le costume d'Emile Ajar. On connaît la suite.

Jongler avec les masques, c'est l'exercice auquel se livre un auteur parvenu au fait de la gloire. Est-il en quête d'un sursaut de célébrité ou bien se livre-t-il à une de ses facéties ? La supercherie n'est pas imposture dans le monde l'édition. Sauf peut-être quand la consécration suprême récidive indument – à son corps défendant ? Jubilation sans doute sous le masque de ce pied de nez fait à l'académie.

Le parcours de cet ouvrage n'est pas commun. On n'en attendait pas autrement de Romain Gary. Il écrit Les têtes de Stéphanie en anglais (américain) sous le pseudonyme de Shatan Bogat en 1974 (Traduction du russe Satan le riche). le traduit lui-même en français mais sous le pseudonyme d'une traductrice, Françoise Lovat. Décide ensuite de le publier à Londres sous le titre Direct flight to Allah mais l'attribue à un auteur français du nom de René Deville (devil n'est pas loin). Il fait pour cela retraduire en anglais la version française qu'il avait lui-même transposée de son originale américaine.

Voici donc sous nos yeux un roman d'espionnage avec lequel Romain Gary, alias Shatan Bogat, a décidé d'inscrire l'intrigue dans un monde qu'il n'a pas manqué de côtoyer au cours de sa carrière diplomatique. Les intérêts sont énormes, lourds de menace ; les enjeux stratégiques. La vente d'armes à un pays (fictif) du Golfe persique dont la stabilité est compromise par les velléités d'indépendance d'une minorité ethnique. C'est dans ce contexte que débarque Stéphanie, mannequin au fait de la gloire que lui autorise sa superbe plastique. Elle sera fortuitement témoin rescapée d'un attentat et tentera naïvement de dénoncer ce que les autorités veulent travestir en accident. Pensez-donc, les passagers de l'avion sont tous décapités, sauf elle et son ami l'acteur italien qui ne perd rien pour attendre.

Les péripéties procédant de cette machination déroulent un tapis rouge sous les pieds de l'auteur dont on connaît la causticité de l'humour. le contexte est propice aux chausses trappes et Romain Gary ne se prive de rien, y compris du burlesque pour dénoncer la rapacité des puissants. Les têtes qui roulent sous ses pieds et dont elle ne s'offusque pas de l'horreur témoignent du fossé que creuse l'auteur entre la gravité de la situation et l'innocence de son personnage. La belle Stéphanie est un faire-valoir de style tout indiqué pour brocarder les us et coutumes en vigueur dans les hautes sphères des chancelleries, des services secrets et autres organisations qui pataugent dans le marigot de la diplomatie à l'emporte-pièce.

Mais avec Romain Gary, se cantonner à un premier degré de lecture serait passer à côté du sujet. Avec ce trublion de l'édition il faut toujours aller chercher l'humain derrière l'inhumain. S'affranchir des instincts primaires dont il n'a de cesse de dénoncer les mauvais penchants de sa nature, se demandant toujours s'il en est responsable ou bien s'il faut y voir la main du sournois qui préside à la raison d'être de tout un chacun sur terre et dont on ne connaît rien des intentions. Stéphanie est belle de corps et pure d'esprit. Elle traverse les péripéties de son séjour houleux dans ce Golfe persique sans ternir l'éclat de ses qualités. Sa naïveté est innocence. Elle est le monde tel qu'il devrait être. Elle est l'humanité transcendée qui fait contre poids à la laideur du monde.

Cet ouvrage paru sous pseudonyme porte la signature de l'humaniste à la verve conquérante qui en la femme célèbre la féminité : celle qui porte la vie et donne le jour, celle qui embellit le monde de l'amour qu'elle diffuse partout où elle est. Féminité incarnée que célèbre Romain Gary dans tous les portraits de femme qui peuplent son oeuvre.

Cela fait de cet ouvrage une caricature bien manichéenne, certes soutenue par le verbe puissant et subtil de l'auteur primé, un exercice de style dans ce nouveau genre dont la légèreté fait perdre de la noirceur à la peinture de la nature humaine. Romain Gary nous offre quelques bons moments de jubilation comme il en a le secret. Si l'on veut s'en convaincre on lira page 197 édition Folio la tête de Bobo offerte en pièce à conviction à la secrétaire de l'ambassade américaine. Comique de situation pur sucre, caramélisé par le talent du maître. Un nouvel exercice qui n'est à mes yeux pas à la hauteur d'un Gros-câlin où Les enchanteurs. Shatan Bogat s'en est sans doute rendu compte pour ne pas récidiver dans le genre. Il avait mieux à faire sous le costume d'Emile Ajar.

 

Le manuscrit inachevé ~~~~ Franck Thilliez

 


Thilliez, commence à m'énerver grave celui-là. Non content de me voler ma liberté quand j'suis dans ses bouquins, à peine j'ai terminé le manuscrit qu'est pas fini qu'y faut que j'y r'tourne. J'aime bien avoir tout compris quand j'ferme un polar. Mais là ça va pas. Déjà que j'y ai passé une partie de la nuit. C'est dimanche, bon sang. On va aller s'aérer.

Faut dire que j'en ai marre de ces mecs qui soignent leur mal-être en bousillant la vie de jeunes beautés. Y paraît que ça existe. Si en plus faut remettre le nez dedans pour tout piger. Il a pas l'air de s'en douter le gars Thilliez, mais j'suis comme tout le monde, j'ai une PAL qui prend du ventre. Faut que j'envoie du bois comme y disent chez les fabricants de papier.

Alors je vais vous la faire courte. Les palindromes, moi j'ai tout compris. Un palindrome c'est un truc qui se lit pareil dans les deux sens. Et bien le gars Thilliez, y vous dit rien d'autre que ça. Son bouquin c'est comme les palindromes, faut le lire dans l'autre sens. Un aller retour pour tout comprendre. Et encore c'est pas sûr. Il abuse quand même !

« Hé toi là-bas, la vaisselle tu y penses ?
- Ouais, ouais, j'y pense, mais j'ai un métier moi ! J'suis lecteur de Thilliez, et j'peux te dire que c'est pas une scène de cure.
- Une sinécure tu veux dire sans doute ?
- Si tu veux mais veut pas me lâcher avec son bouquin. »

Bon, vous avez compris qu'y en a qui confonde pas présence avec travail comme … enfin s'cusez moi ! Faut donc que j'y aille.

Ha, au fait, j'vais vous donner un tuyau quand même avant de quitter l'antenne, si vous aussi vous êtes à la peine pour piger son truc au gars Thilliez - parce que chez moi y'a pas que les miroirs qui réfléchissent : la première et la dernière phrase, tout est dedans. Il suffit de faire comme Vic. Si vous avez suivi c'est le flic hypermnésique. C'est lui qui a décodé les lettres du tueur. Suffit de faire comme lui pour savoir qui a franchi le garde-corps à la fin. J'dis ça, c'est pour vous soulager des questions qui tournent encore dans vot tête en r'posant le bouquin.

Mais Y'a quand même un truc qui m'a tracassé tout au long du bouquin, c'est que quand un hypermnésique rencontre un amnésique, est-ce que ça remet l'aiguille au nord de la boussole et qu'ça expliquerait tout ? Parce qu'au point final, l'aiguille de ma boussole à moi elle affiche le nord à l'ouest. Et ça, pouvez comprendre que ça me perturbe. M'énerve le gars Thilliez.

Ouais parce quand même, y'est allé un peu fort avec les lettrés comme moi. C'est l'histoire d'un romancier qui écrit un bouquin sur une romancière qui se dit romancier, elle a pris un pseudo, un bouquin qu'y termine même pas d'ailleurs, que son fils est obligé de faire pour lui alors qu'y savait même pas ce que son père avait dans la tête. Et tout ça dans le bouquin de Thilliez qu'est quand même le mec qui raconte tout ça dans son bouquin à lui au final, qu'est pas un final d'ailleurs parce qu'à la fin de cette histoire on sait plus qui a dit quoi, qui a fait quoi. Enfin pauv' gamines quand même. Parce que là non plus y'est pas allé de main mort le gars Thilliez. Avec lui j'voudrais pas être légiste. Pas étonnant que quand j'arrive au bout, j'y retrouve pas mes p'tits. J'y vois double. Si vous voyez ce que je veux dire.

Cette fois faut que je vous laisse. Y'a des circonstances où la présence ça suffit pas. Faut payer d'sa personne. Bon où j'en étais ? MammaM c'est le chien, Noyon c'est en Picardie, le FNAEG c'est ce foutu fichier dans lequel y s'ont collé mes empreintes….

mercredi 20 octobre 2021

Luca~~~~Franck Thilliez


Sharko et son équipe ont migré vers le nouveau 36. Le numéro a été conservé, l’adresse a changé. Le mythique quai des orfèvres a vécu. La Crim est désormais installée au 36 rue du Bastion, aux Batignolles.

La mutation pèse lourd dans les esprits. Les flics de la Crim ont aussi leur nostalgie. Le 36, l’ancien, le vrai, c’était quelque chose. Les glorieux anciens hantaient les murs. Les truands célèbres aussi. Au Bastion ni les premiers ni les seconds n’auront le code d’accès pour franchir les sas et se rappeler à la connaissance des petits nouveaux. Tout est hyper sécurisé : caméras, badges, portiques, lecteur d’empreintes, le Bastion est un concentré de technologies modernes. Fini la cavalcade dans le célèbre grand escalier de PJ, cinq étages que flics et truands ont arpentés pendant des décennies, il faut désormais prendre l’ascenseur. Seulement voilà, Sharko, les nouvelles technologies c’est pas son truc !

Et pourtant avec la nouvelle affaire qui lui tombe sur le dos, il va falloir qu’il s’y colle aux nouvelles technologies. Un fou furieux, un fortiche en ce domaine justement va leur en faire baver. Sharko n’aime pas ça. Les gens qui trafiquent les corps pour en faire des êtres numériques encore moins, mi-homme mi-robot, ça assombrit l’horizon déjà gris du paysage en chantier qu’il a sous les fenêtres de son nouveau bureau. Lui ce qu’il sait faire c’est se confronter à la part humaine de la nature du même nom. L’homme augmenté, l’homme 2.0, ça lui file le bourdon.

Luca, c’est une affaire dont les prolongements et les rebondissements n’en finissent pas. Les cadavres n’ont pas dit leur dernier mot. Les machines les font parler même quand ils sont morts. Les biohackers jouent les apprentis sorciers : intelligence artificielle, accroissement des capacités humaines, manipulations de la vie en éprouvette, conquête de l’immortalité. Sharko est précipité dans le monde des transhumanistes. Des fêlés qui lui volent ses nuits. Qui lui font regarder ses enfants avec la crainte de les voir happés par le monde de violence qu’il côtoie tous les jours, de leur voler l’espoir de nature qui a déjà disparu du paysage des Batignolles, de les priver de sa présence quand des fous lui font arpenter la ville jour et nuit. Déformation professionnelle qu’il partage désormais avec la mère des jumeaux, Lucie Hennebelle sa compagne et collègue dans le travail.

Frank Thilliez m’a encore volé une part de liberté. Son polar m’est resté collé aux mains. Difficile de m’en défaire. Je reste admiratif de cette capacité à bâtir une intrigue complexe sans perdre le fil dans l’écheveau et la mettre en page. J’allais dire admiratif de l’imagination, mais peut être tout cela n’est-il pas totalement imaginaire. Peut-être sommes-nous déjà phagocytés par la grande bulle de données, que quelques labos dans le monde travaillent déjà à faire de l’homme, corps et esprit, un matériau ductile, façonnable à volonté pour devenir ce que l’on attend de lui : un consommateur docile. Dormez en paix bonnes gens les GAFA veillent sur vous. Vous leur êtes très chers. Ils travaillent à prolonger la vie du consommateur que vous êtes. Et peut-être même mieux. Ils travaillent à faire de vous un être virtuel qui consommera même lorsque votre corps sera réduit en poussière. Le rêve, non ?


mardi 13 juillet 2021

1991~~~~Franck Thilliez


"Il allait enfin retrouver un rythme de vie normal, profiter de ses week-ends avec Suzanne avant qu'elle ne s'installe définitivement avec lui, essayer de lui faire aimer cette ville qui lui réserverait vraisemblablement de nombreuses autres affaires compliquées et sordides. Combien de temps tiendrait-il la route ?"

Combien de temps Suzanne tiendra-t-elle peut-on aussi se demander dans une vie de femme de flic du 36 quai des Orfèvres à laquelle Franck Sharko la destine ?

Alors que nombre de lecteurs fidèles de Franck Thilliez, si l'on en juge par sa popularité, ont sans doute déjà les réponses à ces questions, j'avoue quant à moi n'être pas mécontent de débarquer dans les couloirs du 36 sur les traces de Sharko avec ce premier roman de Thilliez pour moi. S'il remonte le temps pour les fidèles, il me fait quant à moi prendre l'histoire à sa source. Je sais d'ores et déjà que je suivrai le cours des aventures, promises "compliquées et sordides", de celui qui est devenu commissaire sous la plume de Franck Thilliez. Cette mise en bouche m'a ouvert l'appétit pour le reste du menu qui s'affiche depuis longtemps déjà sur les étals des libraires, et que j'avais méprisé jusqu'alors.

C'est donc un bleu qui débarque dans le sanctuaire de la Crim en 1991, au 36. Ce seul numéro sur un quai suffisait à évoquer le lieu mythique. Il y est accueilli avec circonspection par les anciens. On ne s'en étonne pas. Intégrer la Crim du 36 n'est pas y être admis. Sharko va devoir faire ses preuves, à commencer par sortir de cette forme de placard dans lequel on l'affecte d'emblée, à compulser les archives pour une affaire restée non résolue sans être encore classée : le meurtre de trois femmes quelques années avant son arrivée. Cadeau de bienvenue au petit nouveau pour qu'il se fasse les dents et montre de quoi il est capable par la même occasion.

Mais s'il est jeune, cet inspecteur qui postule au nec plus ultra de la Crim, il n'est pas dénué de personnalité pour autant. Et plus que de personnalité, de psychologie. Il a compris qu'il ne fallait pas jouer les gros bras avec les anciens, sans toutefois se laisser marcher sur les pieds. Il saura faire sa place en leur montrant qu'il a de l'intuition et de la persévérance. Les fervents de Sharko le savent bien, eux qui attendaient de Franck Thillier qu'il leur parle de ses débuts. C'est chose faite avec 1991. Ce dernier nous dresse la caricature de son héros fétiche plus par ses qualités morales et intellectuelles que physiques. Au lecteur de se faire le portrait d'un homme qui ne manque ni de disponibilité, c'est le moins qu'on attende d'un jeune à la Crim, ni de courage. Mais pas le courage de l'inconscience, le courage lucide de celui qui veut réussir sa carrière autant que sa vie amoureuse. Une gageure ? Dans le métier ce n'est pas gagné d'avance. Les exemples ne manquent pas de ceux qui n'ont pas été au bout de leur contrat de mariage quand ce n'est pas au bout de leur carrière.

Ce personnage me paraît d'emblée engageant, voire sympathique. Il n'a rien du super héros qui bouscule tout sur son passage, monopolise le regard des femmes et terrorise les truands. C'est ce qu'on peut appeler un mec normal - le langage populaire n'est pas déplacé dans le contexte. Un homme de la vraie vie, un authentique. On peut même dire que dans 1991, il ne focalise pas particulièrement l'attention. Il est celui qui débarque, mais à qui on promet quand même un bel avenir en épilogue, parce qu'on sait que les malfrats travaillent pour lui, pour lui construire un avenir. Aussi parce que c'est Sharko, et que son personnage peuple déjà les étals des libraires. Une dizaine de romans témoigne des "affaires compliquées et sordides" desquelles il s'est sorti, pour la plus grande popularité de son auteur.

1991 est un ouvrage réaliste à plus d'un titre. Outre les timides débuts du novice qui doit s'intégrer dans la prestigieuse brigade, il s'agissait de restituer le contexte d'une époque où pour téléphoner il fallait trouver une cabine, où l'ADN n'avait pas encore déployé toutes ses possibilités et l'informatique balbutiait. Il fallait aussi concevoir une intrigue dans laquelle dédoublement de la personnalité et les troubles psychiques liés à l'orientation sexuelle se concevaient dans l'environnement d'une société encore empesée par les non-dits dans ce domaine.

Cet ouvrage à l'écriture agréable et fluide qui implique avec bonheur l'univers de la magie et les pratiques vaudous clandestines. Ces milieux occultes s'entrelacent à merveille dans cette première affaire qui donne l'occasion au petit nouveau de la Crim de montrer qu'il n'a ni les deux pieds dans le même sabot ni le cerveau comprimé par la pression du métier. Et disons-le tout net, sans ne rien dévoiler de l'intrigue, Sharko aura gagné son ticket d'admission à la célèbre brigade. Mais ces premières enquêtes lui auront donné quelques sueurs froides et un joli cas de conscience quand un collègue, un ancien, pourrait bien avoir fait quelque entorse à la déontologie. Des enquêtes qui, accessoirement, auront fait passé un drôle de réveillon à notre jeune inspecteur, mais il n'est pas nécessaire de le dire à Suzanne. Elle pourrait bien remettre en question ses projets d'alliance et de vie parisienne.

lundi 5 juillet 2021

Dans les bois éternels~~~~~Fred Vargas

 



Des êtres dissociés, des cousins remués, un compatriote des vallées pyrénéennes qui parle en alexandrins, une médecin légiste dont la soixantaine n'a pas entamé le charme propre à faire chavirer Adamsberg, et pour couronner le tout des cerfs éventrés en Normandie, avouons qu'il y a de quoi disperser les idées et y faire perdre son latin à un être rationnel. Oui mais voilà, Adamsberg n'est pas un être rationnel. C'est un "pelleteur de nuages."

Disons-le tout net Adamsberg a un problème de management. Il pèche par manque de capacité de persuasion, d'esprit de cohésion et de pédagogie à l'égard de ses subordonnés. En fait, il ne veut pas s'en donner la peine. Ils doivent donc le suivre aveuglément. Réfléchir, c'est s'opposer. Car lorsqu'il est pris dans les réflexions que lui inspire son sixième sens, ses équipiers en sont réduits aux croyances. Il y a donc ceux qui croient et ceux qui ne croient pas. C'est pour ça que sa brigade criminelle est souvent divisée.

Il faut dire que dans l'affaire des bois éternels, il y a de quoi leurrer son monde. le fil qui pointe de l'écheveau est plutôt ténu et fragile pour élucider le meurtre de deux gros bras que rien ne relie au milieu du banditisme. Ce fil, lorsqu'on l'exploite, fait apparaître une recette codée extraite d'un grimoire du 17ème siècle, celle d'un d'élixir de vie. C'est confus à souhait, voire impénétrable au commun des mortels. Il faudra bien toutes les ressources combinées d'un commissaire inspiré et de son adjoint instruit, l'encyclopédie de la brigade, fraîchement promu commandant, pour démêler l'écheveau que le commanditaire des crimes a savamment enchevêtré. Fred Vargas l'a bien mitonné celui-là. Difficile pour le lecteur de se faire son opinion du coupable avant qu'Adamsberg le lui désigne.

On retrouve la passion de l'auteure pour les contes et légendes du Moyen-âge. Mais c'est tellement tortueux qu'on a du mal à se figurer un esprit moderne s'engluer dans pareille machination autour d'une croyance d'un temps où la pierre philosophale faisait encore rêver. C'est un peu dommage, cela déprécie le scénario. Mais soit, le genre autorise tous les artifices pour convoquer les fantômes du passé et tenir en échec les techniques d'investigation modernes.

En tout cas cette affaire donne à Adamsberg l'occasion de renvoyer l'ascenseur à sa fidèle lieutenant Violette Rétancourt, dont d'aucuns prétendent que son gabarit et ses chances de séduction refoulées lui autorisent certaines libertés et prises de risque. Mais cette fois elle est allée un peu loin dans l'indépendance. Elle avait extirpé son patron du Canada où il était en mauvaise posture, il la tire in extremis d'un mauvais pas. le flair d'Adamsberg lui fera faire confiance à celui d'un membre de la brigade qu'on avait pris l'habitude de voir se réchauffer sur la photocopieuse. C'est Boule, le chat. Pour une fois il intervient dans une enquête. On en pensera ce qu'on voudra.

Des êtres dissociés entre l'alpha et l'oméga, des cousins remués, y aurait-il du rififi dans la famille Adamsberg ? La lecture des Bois éternels nous affranchit sur ces expressions pour le moins surprenantes lesquelles trouvent leur éclaircissement dans la criminologie ou le parler local. L'étude des caractères étant une marque de fabrique chez Fred Vargas, elle nous soumet un ouvrage dans lequel on reconnaît bien sa touche cérébrale pour nous concocter une énigme musclée sur fonds historique. Un bon moment de lecture à partager l'ambiance de la brigade criminelle version Adamsberg avec laquelle j'ai eu l'occasion de me familiariser.


vendredi 14 mai 2021

Sous les vents de Neptune~~~~~Fred Vargas




Quand le tueur en série est identifié dès les premiers chapitres du roman, il faut s'attendre à ce que l'auteur nous concocte une traque hors du commun. Fred Vargas a particulièrement soigné celle de Sous les vents de Neptune, un polar qui met sur le grill son héros récurrent, le ténébreux et imprévisible commissaire Adamsberg.

Le tueur est certes identifié, mais il est mort depuis longtemps lorsqu'un crime qui porte sa signature réveille de pénibles souvenirs chez le commissaire. Son équipe le connaît bien désormais, quelque chose le tracasse, mais de là à pourchasser un mort il pousse le bouchon un peu loin le patron. le rationalisme du capitaine Danglard, son adjoint et accessoirement l'encyclopédie de la brigade, est exaspéré.

Quand un flic devient trop gênant, il faut le mouiller jusqu'à le faire inculper. C'est ce qui arrive à Adamsberg. Il sera victime du subterfuge du prédateur insaisissable lequel réussit à lui faire endosser le meurtre d'une jeune fille alors qu'il est avec son équipe en formation aux techniques d'investigations scientifiques auprès de la police canadienne.

C'est à partir de là que Fred Vargas sort le grand jeu. L'exfiltration du commissaire des griffes de la police montée en tunique rouge est d'une cocasserie haute en couleur qui nous fait lui pardonner les invraisemblances. Devenu lui-même fugitif, il trouve refuge dans l'antre parisienne de deux mamies dont une as de l'informatique qui pénètre les réseaux les mieux protégés comme elle entre dans sa boulangerie préférée. Quant au raisonnement intellectuel qui explique le choix des victimes par le tueur, c'est du casse-tête chinois pur sucre. Fred Vargas s'est offert un scenario labyrinthique de haut vol bien décidée à ne pas laisser son lecteur lui voler l'épilogue. Et j'ai bien peur qu'à trop vouloir escamoter son coupable, elle n'ait fini par le perdre.
Ce genre de littérature est difficilement compatible avec l'écriture métaphorique, mais lorsqu'une bonne partie de l'ouvrage se tient dans les cercles canadiens, les archaïsmes de langage de notre bonne vieille langue dont ils ont le secret, combinés aux expressions argotiques de la profession, nous sont un délice de lecture. Cela sauve d'une intrigue quelque peu alambiquée. Un polar plaisant du fait de l'ambiance que Fred Vargas sait restituer de cette brigade taillée sur mesure pour faire se confronter les caractères. Si l'on n'est pas trop pointilleux quant à la crédibilité, c'est une parenthèse de lecture agréable. 

vendredi 20 novembre 2020

Sans feu ni lieu~~~~Fred Vargas

 



Ouvrage duquel le héros récurrent de Fred Vargas, le commissaire Adamsbrerg, est absent. Il connaît pourtant Louis Khelweiler et son animal fétiche, Bufo le crapaud, puisqu'ils ont eu à résoudre ensemble une affaire de déjection canine (voir Un peu plus loin sur la droite, pour les inconditionnels de Vargas). Mais cette fois l'homme au batracien-in-the-pocket se dépatouille tout seul avec ce grand benêt que lui amène son amie Marthe, l'ancienne prostituée au grand coeur, reconvertie en bouquiniste sur les bords de seine. C'est original, mais le trottoir ne se quitte pas comme ça.

Elle est convaincue que le jeune Clément qu'elle a élevé en partie, puisque laissé à la dérive par des parents indignes, ne peut être celui que tout accuse dans l'affaire qui défraye la chronique du moment : les meurtres en série et au hasard de jeunes femmes seules. C'est tout un poème ce hasard d'ailleurs. Mais les flics peu versés à la poésie restent insensibles à la rime qui pourrait les conduire au meurtrier. Aussi, Louis Khelweiler, l'ancien retiré du ministère de l'intérieur, devra donc se débrouiller dans la clandestinité puisque retiré des affaires officielles. Il mobilisera non sans peine ses colocataires du gourbi qu'ils occupent en bonne indépendance les uns des autres, des défroqués de l'institution comme lui et autres universitaires en mal d'université. Une belle brochette d'originaux qui ne manquent pas d'esprit.

Un bon moment de détente que cet ouvrage. Il nous fait mener notre enquête et cache bien son coupable jusqu'au dernier chapitre comme il se doit. le genre d'ouvrage dans lequel on se sent en famille dans l'univers de Fred Vargas tellement on les connaît ces êtres singuliers à la gouaille nébuleuse et la formule argotique. Ils se complaisent en marge de la société à laquelle les nécessités domestiques les rappellent à contre coeur. Il faut dire aussi qu'ils ont des fidélités. La vieille Marthe en fait partie. Alors même s'ils n'y croient pas à son coupable dé

signé mais innocent, parce que c'est elle ils fouilleront Paris. En avouant quand même du bout des lèvres que comme ils disent, les "situations merdiques" ça les stimulent.


mercredi 7 octobre 2020

Sacrifices ~~~~ Pierre Lemaitre

 



Difficile de passer à côté de Pierre Lemaître quand il s'agit de littérature contemporaine. Après la valse des masques sur les gueules cassées d'Au revoir là-haut, avec Sacrifices je me suis confronté à l'univers tout aussi sombre et torturé de ses polars. Je sais qu'il y a des trous dans la raquette, que le goncourisé 2013 a produit plus que je n'ai lu, mais demain sera un autre jour.

J'ai commencé par la fin de la trilogie Verhoeven. Il me manque donc d'avoir lu les deux autres tomes pour mieux connaître le commissaire à la taille de nain. On apprend dans cet ouvrage que ce limier doit cette obligation de lever la tête pour croiser le regard des autres au tabagisme de sa mère. Cela ne nous dit pas pourquoi Pierre Lemaître a fait de son héros un nain. Sans doute parce qu'une taille de 1,45m imposera à celui qui en est affublé un surcroit de volonté et de détermination pour s'imposer à son entourage, mais aussi et surtout aux géants de la délinquance que son métier met sur sa route.

La nature a fait des différences, l'homme en a fait des inégalités nous dit Tahar Ben Jelloun. Inégalités qui requièrent des prouesses de caractère pour être combattues. Le commandant Verhoeven de la brigade criminelle semble ne pas en manquer tout en conservant une certaine sensibilité. Il faut dire que la vie ne l'a pas épargné en lui prenant sa bien aimée quatre ans auparavant. Avec Sacrifices, celle qui comble sa solitude de temps à autres est elle aussi menacée. Quel métier !

Ce flic, petit par la taille mais grand par la conscience professionnelle, n'échappe pas au sort des héros : il est solitaire. C'est donc dans un déficit de soutien qu'il devra conduire cette enquête dont il fait une affaire personnelle en dépit de la règle du métier selon laquelle un enquêteur ne peut travailler sur un cas qui le touche de près. le sentiment est forcément mauvais conseiller dans les affaires professionnelles. Verhoeven le sait mieux que quiconque. Il persiste. Il met sa carrière en jeu. Advienne que pourra, il se fait un devoir de coffrer le tortionnaire de celle qui partage sa vie. Autant que puisse être partagée une vie de flic.
Seul face à la hiérarchie. Seul face à la justice. Seul face aux truands. Mais au fait, pourquoi ces derniers ont-ils épargné celle qu'il tenait au bout de leur canon de fusil, au risque d'être reconnus, après l'avoir copieusement maltraitée au point de la rendre méconnaissable ? Verhoeven est seul pour échafauder les hypothèses. Seul mais déterminé.

Le temps est compté pour le flic qui se lance sur les traces des voyous sans avoir l'aval de la hiérarchie, policière autant que judiciaire. le roman est minuté. Les cruautés ne manquent pas au tableau. Autant physiques que psychologiques. Sans doute une marque de fabrique chez Pierre Lemaitre, chez qui la compromission se paye cher. A héros atypique, polar atypique. Anti héros serait-on tenté de dire. Pierre Lemaitre nous offre un beau baroud d'honneur pour ce flic qui ne veut pas d'une sympathie compatissante.

J'ai fait une infidélité à Adamsberg de Fred Vargas avec ce polar. Mais l'un comme l'autre me font prendre goût au polar. Nos yeux courent sur les lignes comme le flic aux fesses des truands. le suspens y est habilement dosé, la qualité des énigme, construction et dialogue n'a pas besoin des effets spéciaux qu'on se croit obligé de nous servir trop souvent désormais pour compenser certaines pauvretés. Avec un épilogue comme je les aime. Un épilogue qui ouvre l'avenir autant qu'il le ferme.


lundi 7 septembre 2020

Morsures ~~~~ Hélène Bonafous-Murat

 


Morsures est un ouvrage dans lequel Hélène Bonafous-Murat a à n'en pas douter mis beaucoup d'elle-même. Cet ouvrage place en effet son intrigue dans le monde des images, des estampes en particulier. Sujet qu'elle connaît mieux que quiconque pour en être une experte reconnue. Et s'il est une certitude qui me tenaille au sortir de cette lecture, c'est tout d'abord que ce sujet est pour elle au-delà d'un métier une passion et qu'en second lieu sa compétence y éclate aux yeux du néophyte que je suis. le néophyte a certes tôt fait d'être ébloui par le maître me direz-vous, mais il conserve quand même sa capacité de jugement quant à l'écart des compétences. A moins bien entendu que je ne sois l'objet d'une mystification, ce qui n'aurait rien de surprenant tant l'auteure a l'art d'entraîner son lecteur dans une spirale de confusion, à savoir qui est qui, à quelle époque, en chair et en os ou bien en impression sur vélin.

Ce fut pour moi de la part de l'auteure et selon sa dédicace une invitation à me plonger dans l'image et à m'y perdre. Mission accomplie. Ce n'est qu'à l'épilogue, ô combien surprenant, que j'ai pu recouvrir mon libre arbitre et applaudir à l'artifice de construction, lequel m'avait emberlificoté dans une intrigue qui en masque une autre. J'avoue avoir été déstabilisé par la confusion des narratrices. Et pour cause. J'ai même failli décrocher, mais quelque chose me chuchotait d'aller au bout. Bien m'en a pris.

Enquête il y a, puisque crime il y a, et aussi vol d'œuvre rare. Mais curieusement le corps de l'intrigue se déporte et entraîne le lecteur profane sur une terra incognita. L'enquête verse dans le cercle fermé des amateurs éclairés du monde de l'image. L'auteur de l'œuvre rare qui a refait surface avant de disparaître à nouveau est certes vite identifié. L'experte ne l'est pas pour rien. Mais qui sont les personnages représentés sur cette estampe du XVIIème siècle, qui est le commanditaire de cette œuvre et quel est son message à la postérité ?

L'image sollicite l'imaginaire, force la convoitise, interpelle l'experte et la transporte dans le temps du geste de l'artiste. Cette représentation est comme un trait d'union entre deux sensibilités écartelées par des siècles d'une présence silencieuse et anonyme, oubliée des regards. L'experte s'en imprègne, se fond dans le personnage représenté au point de verser dans le dédoublement de la personnalité. Elle devient le sujet représenté jusqu'à ressentir le contact de la main de l'autre personnage de l'image sur son épaule et s'interroger sur ses intentions.

L'image affole le marché. Les spécialistes fourbissent leurs armes à coups de milliers de dollars pour faire de cette œuvre, hier inconnue et déjà célèbre, la cible de leur convoitise. Alors que le lecteur est resté sur son interrogation : qui a tué le commissaire priseur, pourquoi, et qu'est devenue la vedette du catalogue soustraite à la vente organisée en l'hôtel Drouot ?

Morsure est un ouvrage d'une richesse culturelle avérée. L'image ne sollicite pas seulement la sensibilité artistique, mais renvoie à l'histoire, la grande, en un temps où, du fait de sa rareté la représentation graphique prenait son sens, son intérêt et donc sa valeur. Une tout autre envergure et signification que le flot des banalités sur colorées qui inonde notre monde d'aujourd'hui au point d'en devenir polluant. de témoignage de la réalité qu'elle était autrefois, l'image est devenue aujourd'hui représentation d'un monde virtuel, fugitif, déposée sur un support volatile et donc tôt promise à l'oubli.

Quant au titre, un tantinet aguicheur pour l'ouverture sur une forme de polar, me voilà désormais armé pour faire œuvre de connaissance technique et vous dire qu'il est un terme de vocabulaire des aquafortistes. Mais je vous laisse découvrir ce que ce genre de morsure peut laisser de traces durables dans le monde de l'image. Morsures est une lecture exigeante, quelque peu déroutante qui peut blaser l'amateur d'émotions fortes. Mais qu'il se méfie de l'irrationnel, il pourrait bien l'inciter à faire des retours sur images.

 

samedi 22 août 2020

Avancez masqués ~~~~ Hélène Bonafous-Murat

 



Pourrait-on un jour voir le poste de ministre de la culture, poste éminemment symbolique lorsqu'on évoque l'identité culturelle d'une nation, tenu par une personne issue de l'immigration ? Hélène Bonafous-Murat a franchi le pas. Elle l'a fait dans cet ouvrage, un polar qui impacte les instances politiques au plus haut niveau.

La ministre a été assassinée. Crime politique, xénophobe ou crapuleux, affaire de mœurs touchant les hautes sphères de la République, le terrain est miné, l'enquête piétine. Alors que les médias font du rentre dedans et brodent en désespoir de scoop, Olivia Lespert journaliste spécialisée pour le magazine Art Globe est entraînée hors de son domaine de prédilection lorsqu'elle se trouve mise en présence d'indices qui pourraient bien faire dévoiler l'assassin. Un mystérieux correspondant prolonge sur internet une rencontre faite avec elle dans des circonstances d'autant plus singulières et excitantes qu'elle s'est faite sous le couvert de l'anonymat.

Hélène Bonafous-Murat nous destine un polar qui s'intéresse aux instances politiques et leurs lots de lutte de pouvoir, de corruption et autre compromission, mais pas seulement. Il est aussi beaucoup question d'art dans cet ouvrage. D'art contemporain en particulier, avec ce que cette notion implique de mise à l'épreuve du ressenti de son public. Ne dit-on que de toutes choses celles qui entendent le plus d'inepties sont les œuvres d'art. Et plus l'immédiatement accessible au vulgaire s'estompe pour ouvrir le champ à l'abstrait, plus se resserre le panel de ceux qui se disent réceptifs au message de l'artiste et s'érigent ainsi en élite. C'est cette prétendue élite qui tient la vedette dans cet ouvrage lorsqu'elle se livre au combat des anciens et des modernes. Les premiers, tenants du beau, ayant dans cet ouvrage leurs activistes sous le sceau de la morale, de l'esthétique, et pourquoi pas du mystique, les seconds arpentant les couloirs des musées d'art contemporains y allant de leur vérité sur ce que l'improbable dicte à leur entendement.

Evoquer l'art en le dissociant de la sensualité serait le déshumaniser dans ce qu'il commande à l'imaginaire. Hélène Bonafous-Murat sait de quoi elle parle. Et de la sensualité à la volupté la frontière est ténue. L'énigmatique favorise le fantasme et met le corps en résonnance. Il n'y alors qu'un pas à faire pour franchir la porte d'un de ces clubs très fermés en quête d'émotions fortes. Mais c'est méconnaître que ce genre de lieu interlope peut devenir une nasse dans laquelle un manipulateur aura attiré sa proie.

Avancez masqués est un polar psychologique plein de rebondissements qui, touchant au monde politique, entretient jusqu'au bout le doute quant à la sauvegarde de la morale et la satisfaction de la justice. Polar fort bien documenté et promoteur de l'art sous toutes ses formes. Il témoigne de l'érudition et des recherches de son auteure dans le domaine. Et polar très moderne en ce qu'il se déroule dans une société ou les repères et les valeurs s'effacent au profit des contingences mercantiles, pain béni des médias qui se livrent entre eux à une lutte sans merci.

Mais heureusement aussi un polar dans lequel la sensualité n'est pas que bafouée par le vice. Nos deux protagonistes, toujours séduisantes sous divers grimages, initient chacune de son côté une histoire sentimentale dont la sincérité réchauffe le cœur dans le monde froid du pouvoir et du profit. Et notre experte en art, s'adjoignant la complicité d'une jeune eurasienne un peu paumée, aussi spontanée qu'astucieuse, est un personnage attachant qui méprise volontiers le risque y allant de sa bonne foi avec un soupçon de naïveté. On se dit parfois qu'elle est quand même gonflée !

Mais au-delà d'une intrigue prenante, ce que je retiens de cette lecture, c'est le polar au féminin. A l'emprise sur le lecteur s'y ajoute cette touche de volupté connue d'elles seules pour édulcorer l'atmosphère. Mystère inhérent au genre et accessible à l'autre que dans les rares instants de communion spirituelle. C'est très réussi à mon goût.


lundi 11 mai 2020

Pars vite et reviens tard~~~~Fred vargas

 

 
Quel bel épilogue pour ce polar. Chapeau Fred Vargas. Au-delà de la résolution de l'enquête – c'est le moins qu'on en attende de la part du fameux commissaire Adamsberg après tout - ce roman se conclut sur une belle page d'émotion. Superbe parce qu'originale, porteuse d'avenir tout en étant dénuée de la mièvrerie démagogique que l'on nous sert trop souvent de nos jours. On pressent l'ouverture vers d'autres péripéties, en particulier sentimentales. Flics mais pas moins hommes. Belle chute, pour mieux se relever donc.

Le couple Adamsberg-Danglard, est vraiment taillé sur mesure. La complémentarité des contraires est une recette qui fonctionne à merveille. Surtout avec ces deux personnages que Fred Vargas a en outre le don de nous rendre attachants, chacun avec son style. Le vaseux, illogique et dérisoire, en apparence en tout cas, c'est pour Adamsberg, le cartésien, érudit et raisonné, c'est pour l'adjoint. Maintenant que je suis entré dans l'univers Vargas, j'ai l'impression de faire partie de l'équipe, de connaître les défauts et qualités de chacun. Peut-être plus qu'Adamsberg lui-même d'ailleurs. Un indépendant qui vit dans son monde comme on dit, et prends des notes pour reconnaître son personnel. Mais au final un flic auquel ceux qu'il fait embastiller tirent leur chapeau, parce qu'il a su déjouer leur traquenard à la régulière. Adamsberg est tout sauf fourbe.

Au-delà de l'attachement aux personnages, je ne m'étonne plus de voir Fred Vargas, éminente archéologue médiéviste, puiser son inspiration dans l'univers des mythes et légendes, voire les fléaux de l'histoire. Il est question dans cet ouvrage de faire se gratter la tête au commissaire, mais pas seulement avec une énigme, car le voilà confronté aux puces de rat, porteuses du bacille de la peste comme on le sait désormais depuis que Yersin a identifié la coupable du fléau et trouvé le vaccin (1894). Le but étant de jouer sur les superstitions encore tenaces malgré le savoir acquis et provoquer ainsi des démangeaisons aussi et surtout dans les médias. Friands qu'ils sont d'alarmes, vraies ou fausses, propres à déclencher un mouvement de panique parmi une population moderne finalement mal informée parce que sur informée. Le corollaire recherché étant de perturber le déroulement de l'enquête bien évidemment. Mais la crédulité n'est pas une caractéristique du commissaire et il en faut plus pour le déstabiliser. Même sur les charbons ardents, rien ne le dévie de son but.

Il n'en reste pas moins que la vie de flic est difficilement compatible avec une vie affective harmonieuse. Pars vite et reviens tard est une enquête qui aura bien pu coûter son idylle au célèbre commissaire. Mais peut-être l'enquête a-t-elle bon dos. Il n'y a pas que dans le boulot qu'il soit indépendant le bougre. Ecoutons Danglard fournir quelques éclaircissements à Camille :
- Tu sais, Camille, que le jour où Dieu a créé Adamsberg, Il avait passé une mauvaise nuit.
- Ah non, dit Camille, en levant les yeux, je ne savais pas.
- Si. Et non seulement Il avait mal dormi, mais il se trouvait à court de matériel. Si bien que, comme un étourdi, Il alla frapper chez son collègue pour lui emprunter quelque attirail.
- Tu veux dire…le Collègue d'en bas ?
- Evidemment. Ce dernier se jeta sur l'aubaine et s'empressa de lui procurer quelques fournitures. Et Dieu, hébété par sa nuit blanche, mélangea le tout inconsidérément. De cette pâte, Il tira Adamsberg. Ce fut un jour vraiment pas ordinaire.

Pas étonnant que, comme l'avoue lui-même Adamsberg, il ait du mal à éviter les collisions. Mais quand on lit les romans de Fred Vargas dans un désordre chronologique, comme j'ai le tort de le faire, on sait déjà où retrouver Camille.