Quel bel épilogue pour ce polar. Chapeau Fred Vargas. Au-delà de la résolution de l'enquête – c'est le moins qu'on en attende de la part du fameux commissaire Adamsberg après tout - ce roman se conclut sur une belle page d'émotion. Superbe parce qu'originale, porteuse d'avenir tout en étant dénuée de la mièvrerie démagogique que l'on nous sert trop souvent de nos jours. On pressent l'ouverture vers d'autres péripéties, en particulier sentimentales. Flics mais pas moins hommes. Belle chute, pour mieux se relever donc.
Le couple Adamsberg-Danglard, est vraiment taillé sur mesure. La
complémentarité des contraires est une recette qui fonctionne à merveille.
Surtout avec ces deux personnages que Fred Vargas a en outre le don de nous
rendre attachants, chacun avec son style. Le vaseux, illogique et dérisoire, en
apparence en tout cas, c'est pour Adamsberg, le cartésien, érudit et raisonné,
c'est pour l'adjoint. Maintenant que je suis entré dans l'univers Vargas, j'ai
l'impression de faire partie de l'équipe, de connaître les défauts et qualités
de chacun. Peut-être plus qu'Adamsberg lui-même d'ailleurs. Un indépendant qui
vit dans son monde comme on dit, et prends des notes pour reconnaître son
personnel. Mais au final un flic auquel ceux qu'il fait embastiller tirent leur
chapeau, parce qu'il a su déjouer leur traquenard à la régulière. Adamsberg est
tout sauf fourbe.
Au-delà de l'attachement aux personnages, je ne m'étonne plus de voir Fred
Vargas, éminente archéologue médiéviste, puiser son inspiration dans l'univers
des mythes et légendes, voire les fléaux de l'histoire. Il est question dans
cet ouvrage de faire se gratter la tête au commissaire, mais pas seulement avec
une énigme, car le voilà confronté aux puces de rat, porteuses du bacille de la
peste comme on le sait désormais depuis que Yersin a identifié la coupable du
fléau et trouvé le vaccin (1894). Le but étant de jouer sur les superstitions
encore tenaces malgré le savoir acquis et provoquer ainsi des démangeaisons
aussi et surtout dans les médias. Friands qu'ils sont d'alarmes, vraies ou
fausses, propres à déclencher un mouvement de panique parmi une population
moderne finalement mal informée parce que sur informée. Le corollaire recherché
étant de perturber le déroulement de l'enquête bien évidemment. Mais la
crédulité n'est pas une caractéristique du commissaire et il en faut plus pour
le déstabiliser. Même sur les charbons ardents, rien ne le dévie de son but.
Il n'en reste pas moins que la vie de flic est difficilement compatible avec une
vie affective harmonieuse. Pars vite et reviens tard est une enquête qui aura
bien pu coûter son idylle au célèbre commissaire. Mais peut-être l'enquête
a-t-elle bon dos. Il n'y a pas que dans le boulot qu'il soit indépendant le
bougre. Ecoutons Danglard fournir quelques éclaircissements à Camille :
- Tu sais, Camille, que le jour où Dieu a créé Adamsberg, Il avait passé une
mauvaise nuit.
- Ah non, dit Camille, en levant les yeux, je ne savais pas.
- Si. Et non seulement Il avait mal dormi, mais il se trouvait à court de
matériel. Si bien que, comme un étourdi, Il alla frapper chez son collègue pour
lui emprunter quelque attirail.
- Tu veux dire…le Collègue d'en bas ?
- Evidemment. Ce dernier se jeta sur l'aubaine et s'empressa de lui procurer
quelques fournitures. Et Dieu, hébété par sa nuit blanche, mélangea le tout
inconsidérément. De cette pâte, Il tira Adamsberg. Ce fut un jour vraiment pas
ordinaire.
Pas étonnant que, comme l'avoue lui-même Adamsberg, il ait du mal à éviter les
collisions. Mais quand on lit les romans de Fred Vargas dans un désordre
chronologique, comme j'ai le tort de le faire, on sait déjà où retrouver
Camille.