Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire
Affichage des articles dont le libellé est classique. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est classique. Afficher tous les articles

mardi 8 mars 2022

Elle et lui ~~~~ George Sand



"Sans regarder et sans parler, toucher la main d'un fou qui part demain." Ce billet au texte pour le moins énigmatique est celui qu'adressa un jour Alfred de Musset à George Sand et que cette dernière reprend partiellement dans cet ouvrage, Elle et lui. Ce curieux message s'éclaire à la compréhension du lecteur lorsqu'il découvre sous la plume de George Sand ce que fut l'épisode de sa passion amoureuse avec Alfred de Musset, transposé sous les traits de Laurent, artiste peintre pour le roman.

Le procédé qu'elle choisit donne à George Sand le recul nécessaire pour porter un regard extérieur sur sa relation avec le poète romantique. Ingrat, faible de caractère, égoïste, dépressif, elle nous dresse un portrait bien peu reluisant du soupirant de Thérèse. Alors qu'elle s'institue dans son personnage en être raisonnable et fort, sincère, doté d'un grand sens du sacrifice. Ne prodigue-t-elle pas à Laurent les meilleurs soins lors de ces crises de déprime, en particulier au cours de leur séjour en Italie.

Au cours de cette relation singulière, chacun pour sa raison propre reste frileux à l'idée de l'engagement durable. Lui, en artiste accompli habité de l'inconsciente certitude que le génie n'émerge que de la souffrance, a peur du bonheur. Thérèse quant à elle demeure en quête d'une relation plus maternelle que romanesque. Ce penchant est un véritable étouffoir de la pulsion des sens. Point d'assouvissement donc dans cette relation qui demeurera sous le sceau de la chaste tendresse, au grand dam d'un lecteur avide d'être le témoin d'un amour sublimé par les prédispositions artistiques des protagonistes.

Dans un style emphatique et suave, les élans du coeur sont canalisés par les convenances. George Sand domine son art. En militante de l'indépendance de la femme, elle a mis sa maîtrise de la langue au service du contrôle des sentiments qui n'auront d'effusion que dans la formulation du verbe. Le lecteur frustré par des atermoiements sans avenir prometteur devra trouver son bonheur dans la seule sensualité du texte.

Citation

Elle avait eu cette exaltation de la souffrance qui fait voir en grand les misères de la vie, et qui flotte entre les limites du réel et de l'imaginaire ; mais par une réaction naturelle, son esprit aspirait désormais au vrai, qui n'est ni l'un ni l'autre, ni l'idéal sans frein, ni le fait sans poésie. Elle sentait que c'était là le beau, et qu'il fallait chercher la vie matérielle simple et digne pour rentrer dans la vie logique de l'âme.

samedi 6 novembre 2021

Les dieux ont soif ~~~~ Anatole France


Le peuple vient de passer du joug de l'autocratie au leurre de la liberté

Les dieux ont soif. Est-il besoin de compléter la phrase pour préciser que c'est de sang dont les dieux veulent s'abreuver. le peuple transférant au mystique sa propre soif de voir tomber les têtes. Nous sommes sous la Terreur, ultime soubresaut du séisme qui vient de mettre à bas la monarchie. Et lorsque la terreur prend la majuscule elle s'attache à cette période qui a marqué l'histoire en lettres de sang, plus qu'en espoir de justice. Les comptes sont loin d'être soldés. Le peuple vient de passer du joug de l'autocratie au leurre de la liberté. Ce fol espoir a été dérobé par les appétits de pouvoir que fait naître la place laissée vacante.

La veuve rouge a son compte de suppliciés

Anatole France destine à son lecteur une fresque de cette année noire peinte au travers du vécu des petites gens. Ils viennent de tirer un trait sur ce qui s'appellera dorénavant l'Ancien Régime. Louis XVI est passé sous le rasoir national. Marie-Antoinette le suivra de peu. C'est dans ce tumulte qu'Évariste Gamelin, jeune peintre désargenté, est devenu pour satisfaire son idéal républicain juré au tribunal révolutionnaire. En cette période de décomposition de la société il siège tous les jours. Peu de peines intermédiaires résultent de ces débats expéditifs. La veuve rouge a son compte de suppliciés. Les badauds apprennent le patriotisme, prennent conscience de frontières menacées et sont assoiffés de voir tomber les ennemis de la révolution. Ils étaient peu regardant quant à la culpabilité de qui on livrait à leur vindicte.

Évariste Gamelin en arrive à se détester lui-même

Pris dans l'engrenage funeste de la politique, dont il faut bien avouer que les prises de position étaient éminemment versatiles et donc risquées, Évariste Gamelin en arrive à se détester lui-même et s'imagine ne plus être digne de l'amour des siens : sa mère sa fiancée qui lui vouent pourtant une admiration sans faille. Il est gagné au drame cornélien qui oppose son idéal républicain épris de rigueur, même s'il faut qu'elle soit sanglante, à sa sensibilité sentimentale et artistique.

nul ne savait plus dès lors à quel saint se vouer

Anatole France fait preuve d'une connaissance détaillée fort documentée - si l'on en juge par les dossier, chronologie et notes en fin d'ouvrage - de cette période dérèglée pour nous livrer un ouvrage dont l'intensité dramatique est à la hauteur du trouble qui régnait. On perçoit fort bien dans ces pages le doute qui avait envahi les esprits des petites gens au point que nul ne savait plus dès lors à quel saint se vouer pour assouvir cet appétit d'égalité et de justice qui les tenaillait, petites gens d'un peuple devenu souverain à son corps défendant. Pas plus les saints de l'église devenus parias en leur compétence que ceux à l'hystérie vengeresse nouvellement promus sur l'autel de la République ne parvenaient à apaiser les cœurs. Belle écriture aux élans épiques que celle d'Anatole France dans ce roman qui a aussi valeur de livre d'histoire tant les références sont nombreuses et authentiques.


dimanche 26 avril 2020

Voyage avec un âne dans les Cévennes ~~~~ Robert Louis Stevenson

 



Quant à la raison qui l'a poussé à partir par monts et par vaux sur les sentiers du Massif Central, Stevenson se contente de nous dire dans l'ouvrage qu'il avait d'abord intitulé Voyages avec un âne au travers des Highlands françaises : "Je ne voyage pas pour aller quelque part, mais pour marcher. Je voyage pour le plaisir de voyager. L'important est de bouger, d'éprouver de plus près les nécessités et les embarras de la vie, de quitter le lit douillet de la civilisation, de sentir sous mes pieds le granit terrestre et les silex épars avec leurs occupants." (page 93 Editions de Borée). Nombre de supputations tenteront d'y voir en réalité la manière de réprimer une peine de coeur, et la solitude choisie une condition nécessaire pour faire le point sur sa vie. Peut-être n'ont-ils pas tort car à la page 141, on peut lire cette rare confidence : "Et pourtant, alors même que je m'exaltais dans ma solitude, je pris conscience d'un manque singulier, je souhaitais une compagne qui s'allongerait près de moi au clair des étoiles, silencieuse et immobile, mais dont la main ne cesserait de toucher la mienne."

Protestant de foi, francophile de sensibilité, d'autres y verront pour le futur inventeur du Docteur Jekyll qu'il est en 1878 l'occasion de se plonger en une contrée qui a eu son lot de querelles de religion et y faire le constat in situ que si les guerres ne sont plus à l'ordre du jour, les tensions restent latentes dans les campagnes conservatrices. N'a-t-il pas force de symbole ce parcours dont le départ au Puy-en-Velay est aussi un de ceux des chemins de Compostelle et l'arrivée en Cévennes, pays camisard lequel conserve ancré dans sa mémoire le massacre de tant d'innocents perpétré par les troupes de Louis XIV animées de la folle illusion d'expurger les montagnes arides de l'hérésie protestante.

Dans un périple qui lui a fait revivre ces tensions entre confessions, l'officielle de Rome et la réformée, les questions de foi ne constituent-elles pas un second niveau de lecture à qui ne voudrait y voir qu'un récit d'excursion bucolique tant elles sont présentes d'un bout à l'autre de l'ouvrage. C'est peut-être la raison pour laquelle Stevenson a appliqué le pluriel au mot voyage, pour nous faire comprendre qu'il y avait aussi ces aspects historique et sociologie des religions dans sa conception de cette itinérance. A ce propos, l'étape à Notre-Dame-des-neiges est révélatrice de l'ancrage des croyances dans les gènes.

Et une conclusion de tout ça, que Stevenson connaissait d'avance mais dont il se rengorge, pour confirmer qu'après autant de sang versé au motif de divergence de convictions religieuses de par le monde, "l'Irlande est toujours catholique et les Cévennes toujours protestantes".

Maintenant que l'itinéraire est balisé aux couleurs des Sentiers de grande randonnée, il est fort heureusement moins question de ces manifestations d'intolérance sur ce qui est devenu pour nous-autres randonneurs du 21ème siècle le GR 70, le chemin de Stevenson. La première lecture de cet ouvrage reste donc possible et même enviable avec son ode à la nature et aux vertus de la méditation sous la voute étoilée. Superbe récit d'une équipée homme-animal, d'un coeur qui se livre non sans une certaine retenue et d'un esprit qui quant à lui nous dresse un compte rendu quasi journalistique de la France profonde en cette fin de XIXème siècle, dans laquelle le chemineau solitaire restait quand même sur ses gardes. La bête du Gévaudan avait-t-elle bien été tuée ?

Loin d'être exempt de sensibilité et de poésie le voyageur et écrivain célèbre qu'il deviendra sait nous toucher au coeur et faire de ce texte un aiguillon de nostalgie à l'instar de celui avec lequel il piquait la croupe de Modestine pour la stimuler dans les apathies récalcitrantes propres à son espèce : "Il était délicieux d'arriver, après si longtemps, sur un théâtre de quelque charme pour le coeur humain. J'avoue aimer une forme précise là où mes regards se posent et si les paysages se vendaient comme les images de mon enfance, un penny en noir, et quatre sous en couleurs, je donnerais bien quatre sous chaque jour de ma vie." Et s'il fallait encore douter de la sensibilité du bonhomme, il n'est que de l'entendre nous dire les larmes lui descendre sur les joues lors de l'adieu à Modestine.


vendredi 6 décembre 2019

La femme de trente ans ~~~~ Honoré de Balzac

 



Ce fut bel et bien un coup de coeur. Julie était tombée sous le charme de l'officier portant beau dans son uniforme chamarré. La lune de miel n'aura pourtant pas duré longtemps. Les élans de celui qui sera devenu son mari feront dire à l'histoire que le coup de coeur ne fut qu'un coup de tête de la jeune écervelée, mais entêtée Julie, que son père n'aura su réprimer.

Cette entrée en matière donne à Balzac le champ pour se lancer dans une analyse sur les déboires et déconvenues de la vie matrimoniale, venus se substituer à tous les rêves insensés que peut nourrir le coeur tendre d'une jeune fille. Il nous dresse un tableau calamiteux de la noble institution du mariage sous le sceau de laquelle "l'homme a toutes les libertés et la femme tous les devoirs".

Un ouvrage qui fait s'étonner le lecteur quant au titre que Balzac a voulu lui donner, car il s'agit bien de suivre la malheureuse Julie d'Aiglemont sa vie durant, de sa prime jeunesse jusqu'à son dernier souffle. Mais il coupe court aux interrogations quand ce même lecteur découvre son engouement pour "ce bel âge de trente ans, sommité poétique de la vie des femmes" parvenues à ce stade où "elles connaissent tout le prix de l'amour et en jouissent avec la crainte de le perdre". Autour des trente ans, il n'est que frivolité inconséquente en amont, regret d'une jeunesse qui s'enfuit en aval. Comment ne pas y lire le secret fantasme d'un auteur prolixe pour ce qui est en ce siècle une majorité accomplie.

Et pour perdre Julie corps et bien dans son naufrage, sa déconvenue sur le mariage ne lui fera pas pour autant reporter son affection vers sa progéniture. A ses yeux les enfants qui naîtront de l'union avec son époux ne seront que des "enfants du devoir" et non ceux de l'amour, auxquels elle ne s'imposera pas en outre le devoir de leur consentir un amour maternel assidu. Ses échappatoires romanesques dans les bras de quelques amants touchés par sa beauté auront la même conclusion périssable. Femme, mère, épouse, la vie de Julie aura été un champ de ruines. C'est pourtant elle qui survécut à toute la famille.

Triste fresque que nous dépeint Balzac sur l'institution du mariage, contrainte par les codes moraux de la bonne société de l'époque. Ils ne laissaient que peu de latitude à la jeune épousée. On ne défait pas en ce temps un mariage qui n'a pas répondu aux aspirations légitimes. On le subit. Et la soumission étend son préjudice sur plusieurs générations quand les enfants n'y trouvent pas leur compte en termes d'affection. Les solitudes s'additionnent sans se compenser, les rancoeurs se multiplient sans s'abolir.

Si l'on n'est pas surpris dans un roman balzacien par les longueurs descriptives et l'interprétation des sentiments au travers de chaque geste ou attitude, on l'est plus par la structure de cet ouvrage qui agglomère ce qui aurait pu s'éditer en six nouvelles. On est encore plus déstabilisé par les alternances de rythme qu'il imprime à ce périple romanesque dans lequel certains passages nous versent sans transition des atermoiements du cœur à l'aventure la plus folle. Y compris quand il faut déchoir une fortune bien assise par des spéculations hasardeuses et jeter sa victime dans un exil américain. Le roman sentimental se fait roman d'aventure aux multiples rebondissements.

Une lecture en forme de goutte d'eau dans l'océan qu'a été la production littéraire de Balzac. Immense bibliographie qui a le mérite de nous dépeindre par le détail les mœurs de son temps. Un ouvrage qui est arrivé à point dans mon parcours de lecture pour compléter un de ces cycles historiques auquel je m'adonne parfois avec appétit. Je venais de refermer le siècle des lumières et l'Été des quatre rois (Charles X et consort) que j'avais beaucoup apprécié, au-delà des références historiques précises, par la qualité de sons écriture.


jeudi 9 février 2017

L'éducation sentimentale ~~~~ Gustave Flaubert

 


Le style. Ah ! le beau style de monsieur Flaubert. Oui mais …

Je me suis donc risqué au style de ce ténor du langage, tout seul, comme un grand, avec la lecture de L'éducation sentimentale, que les initiés hissent très haut sur les rayons de la littérature classique. Moi qui n'ai à me reprocher d'autre étude littéraire que celle d'un bac scientifique. Moi qui me rangeais du côté des férus de trigonométrie pour brocarder nos congénères des classes littéraires.

Pour ma défense, et contre toute attente, j'avoue avoir toujours eu un a priori favorable pour cette époque, chère à Flaubert, où quelques perspectives parisiennes ouvraient encore sur des pans de campagne, où les rues de notre capitale n'étaient pas encore ceintes de l'anneau sonore et empuanti d'un boulevard périphérique. Bien que des encombrements elles en connaissaient déjà, les rues parisiennes de Flaubert. Mais les senteurs étaient plus fauves, les sonorités moins ronflantes, les voix humaines encore audibles au dessus du tumulte urbain. Et Dieu sait si Flaubert, en stakhanoviste du langage qu'il était, s'attachait, s'évertuait même, à les décrire avec une minutie obsessionnelle, avec tant de détails que l'action en est devenue anecdotique. Point de rêverie inspirée toutefois chez lui : du réel et du concret, de la précision dans le trait, les formes, les matières, les couleurs. De la précision à longueur de chapitres avant même que de cette exactitude n'émerge un geste, un événement, une intention, une vibration, une peur, une joie, enfin quelque chose qui nous fasse comprendre que le décor n'est qu'un écrin de la vie des hommes, que le langage n'est qu'un moyen de le traduire. Et non une finalité.

En plaidoyer à pareille incursion dans la littérature du 19ème siècle j'avoue en outre avoir adjoint à ce penchant nostalgique, un faible pour les convenances, surtout quand il s'agit d'arpenter le long chemin si périlleux qui mène au coeur des dames. Notre vocabulaire contemporain ponctué d'anglicismes, dont les locuteurs eux-mêmes ignorent jusqu'au sens, le culte de la médiocrité assumée, l'inconséquence et la vulgarité de notre temps me rebutent quand même parfois. Tout cela me fait regretter les tournures enflammées au verbe bien calibré, la sensualité des belles phrases que notre langage moderne d'onomatopées a désormais phagocytée.

Le penchant pour les sciences qui a gouverné ma vie avait quelque peu bâillonné ma sensibilité. Avec l'âge elle refait surface. Dois-je parler de romantisme, quand Flaubert qualifiait ces épanchements de "désespoir factice", réfutait " cette espèce d'échauffement qu'on appelle l'inspiration" et jugulait ces élans du coeur pour donner corps dans ses écrits à un pessimisme chevillé à l'âme.

Je me rappelle m'être alangui avec Madame Bovary, assoupi peut-être même. J'ambitionnais le retour en grâce du roman psychologique, le réveil de la passion. J'ai sombré avec l'Éducation sentimentale. J'ai découvert que lorsqu'un amour est impossible, avec Flaubert, il le demeure. Aussi, l'entêtement érodant la sensualité, je me suis enlisé dans les longues litanies descriptives du maître, plus figuratives que les toiles de ses contemporains paysagistes. Je me suis laissé obnubiler par les oscillations entre bienséance et illusion amoureuse, horripiler par les atermoiements infligés par fortune et rang social.

Peu d'événements, rien d'émoustillant dans la vie de Frédéric Moreau, pâle héros impuissant à conduire sa propre vie, empêtré qu'il est dans les contingences matérielles, les codes sociaux. Homme de toutes les faiblesses, il laisse couver son feu intérieur plutôt que lui donner l'oxygène qui le ferait devenir flamme et réduire en cendre ce décor dans lequel il se dilue. Dans lequel Flaubert le dilue. A force de le fignoler ce décor, de le ciseler, de le polir, de le retoucher. Pour qu'il soit parfait.

Oui, mais voilà, la perfection, c'est peut-être aussi l'ennui. Il lui aurait peut-être bien fallu un petit grain de folie à ce Frédéric Moreau pour aller forcer la porte de son aimée et l'emporter, la ravir à son confort. Car certainement qu'elle aussi s'ennuyait dans sa vie bourgeoise bien rangée.

Décidément il manque encore quelque chose à mes affinités littéraires pour décoder la quintessence de ce style dont on vante la perfection, en isoler les constituants et goûter les subtilités, l'excellence d'un auteur perfectionniste à l'extrême autant que besogneux. Et oublier le besoin d'action. Je n'ai pas perçu le piquant de cette passion amoureuse irraisonnée que la morale de son siècle réprouvait. Il me reste à l'esprit qu'une sorte de fadeur de personnages sans lustre, la représentation d'une société bourgeoise que Flaubert exècre tant qu'il veut nous la dépeindre dans le plus infime détail, le plus pâle reflet. Il me colle au souvenir une forme de grisaille. Cela me laisse imaginer sans peine les murs et les ruelles sombres de notre capitale au crépuscule du romantisme. Peut-être que c'est ça le style de Flaubert. Peindre son temps au point de rebuter son lecteur avec tout ce qui le rebute lui-même. Flaubert eut été peintre, il aurait représenté la laideur avec maestria.

Deviendrai-je mystique avec le temps que je ne trouverai pas plus grâce aux yeux du maître. Avec lui la vie s'observe, se palpe, se respire, se dépeint. Elle s'écrit avec des phrases d'orfèvre. Elle ne s'inspire pas.

Alors le style de M. Flaubert, il est beau. C'est vrai. Mais la perfection ça manque de chaleur, de sensibilité, ça sent l'obsession maniaque. Ça ennuie. Et ça m'a fait perdre le goût des belles phrases. Dommage.


vendredi 26 août 2016

Persuasion ~~~~ Jane Austen

 


S'il on en croit Salman Rushdie dans le grand entretien du dernier numéro du Magazine littéraire, il est "difficile d'écrire un livre qui dure dans un monde qui change".

Qui contesterait que les livres de Jane Austen aient franchi les siècles et que le monde ait pu changer depuis leur première parution ?

Force serait donc de conclure à la prééminence du grand talent de cette auteure pour perdurer au travers de ses écrits. N'est-ce pas le rêve inavoué de tout écrivain que de survivre à soi-même en ayant l'audace d'imaginer ses propres lignes courir sous les yeux des générations futures ?

Pour ce qui est des romans de Jane Austen, ce n'est pourtant ni les intrigues qui les échafaudent ni le modèle de société dans lequel elles se développent qui les distinguent à mes yeux. L'intrigue, se résumerait-elle toujours à la même question qui appellerait toujours la même réponse quand deux cœurs

 cherchent leur connivence ? Quant au modèle de société, celui qui hiérarchise les personnes du seul fait de leur naissance, il a bien fait de disparaître. Au diable "ceux qui comptent", ceux qui ordonnancent la "bonne société", ceux qui savent "tenir leur rang" contre vent et marées et à l'écart les autres, "de plus basse extraction", "sans patronyme prestigieux". Au diable la "respectabilité" quand elle est due au seul fait de la "condition", au seul fait d'être "bien né".

Et pourtant avec de tels handicaps dans ses ouvrages, Jane Austen a su faire de moi, autodidacte à la maigre culture, en ce 21ème siècle ultra connecté, un récidiviste parmi ses innombrables lecteurs depuis son lointain 18ème siècle. Je viens de terminer mon 3ème ouvrage de sa main, Persuasion, son dernier roman, dont on dit qu'il serait le plus abouti.

Outre l'intérêt historique de ces œuvres avec leur représentation de la société anglaise du 18ème siècle, c'est à n'en pas douter la qualité de la langue qui m'a fait revenir vers Jane Austen après Orgueil et préjugés puis Northanger Abbey. Comme un retour aux sources de la bonne formulation, de la signification originelle des mots, du savoir dire des sentiments.

Je conçois fort bien revenir de temps à autre vers cette écriture si parfaite, en alternance avec une écriture plus moderne dans laquelle je trouve aussi mon contentement.

Lire, encore et toujours, et puis Jane Austen parfois, pour le plaisir de la langue.


mercredi 10 août 2016

La Horla ~~~~ Guy de Maupassant

 



Nombre de couvertures des multiples éditions de cet ouvrage de Maupassant, le Horla, sont illustrées par le célèbre tableau de son ami Gustave Courbet : le Désespéré. Il saute aux yeux à sa lecture que cette mise en image est on ne peut plus appropriée au contenu de ce recueil. Surtout pour la nouvelle première qui lui vaut son titre.

Il est une autre évidence, en tout cas pour ce que j'ai ressenti à cette lecture, qui est que, dans cet ouvrage, Maupassant se joue de son lecteur. La maturité de sa renommée lui autorise cette liberté. Quitte à perdre de l'audience.

Chacune de ses nouvelles laisse son lecteur sur sa faim. Car elles n'ont pas de fin justement. Encore moins de morale. Maupassant laisse cette responsabilité à son lecteur. Mais au final celle qu'il pourra tirer ne saurait être immorale car les bonnes moeurs sont préservées. Il abandonne son lecteur au milieu du gué. Le laisse imaginer la suite. Voire même parfois construire le puzzle dans lequel chaque fragment de vie trouvera sa place.

Chaque nouvelle est comme un instantané pris dans la vie de ses personnages, un épisode extrait au hasard du roman feuilleton de leur existence. On regarde avec lui quelques photos, sans autre rapport elles que d'être enfermées dans le même album.

On sent bien que l'effet est recherché. C'est toutefois peu frustrant. N'est resté à mes yeux que le formidable style de son auteur pour sauver ce recueil de la perplexité, parfois de la langueur, dans laquelle il m'a plongé.


jeudi 30 juin 2016

Northanger Abbey ~~~~ Jane Austen

 


Résumer l'intrigue de Northanger Abbey peut se limiter à l'énoncé de la question suivante : l'héroïne va-t-elle épouser l'élu de son cœur ? Après avoir lu Orgueil et préjugés, j'ai bien peur que d'autres romans de Jane Austen ne se réduisent à cette seule question. Mais ce pressentiment ne me fera pas reculer à l'idée de les découvrir, ces autres ouvrages. Alors, pourquoi m'infliger la lecture de romans dont l'épilogue transpire dès les premiers chapitres, moi qui n'ai point trop de goût pour langueur et pâmoison ?

Cette auteure connaît trop bien les obstacles que les mœurs de son siècle dressent en travers de la route de deux êtres qui ont trouvé leur complicité. N'en a-t-elle pas elle-même fait les frais ? Elle qui ne connaîtra ni les joies ni les peines du mariage. C'est sans doute pour cette raison qu'elle fait de la publication des bans l'épilogue de ses romans, et s'aventure si peu sur le terrain de la vie de couple.

Seulement voilà, réduire les romans de Jane Austen à leur intrigue est justement trop réducteur. C'est surtout passer à côté de l'essentiel : le style et la langue d'abord, qui font des conversations et des écrits du 18ème siècle des œuvres d'art, la relation des sentiments, qui fait des romans de Jane Austen de véritables analyses psychologiques, l'autopsie de la nature humaine, qui conserve à ses œuvres une modernité intemporelle et enfin l'étude des moeurs de son siècle qui fait de ses ouvrages un support historique irremplaçable.

Le parler des instruits de ce siècle est une dentelle crochetée de tournures verbales au subjonctif. Cette conjugaison autorise des accumulations de propositions subordonnées qui s'enchaînent et s'entremêlent sans alourdir la phrase ni divertir de son sens. Elle confère certes au texte une certaine préciosité qui peut paraître agaçante, mais elle lui donne avant tout un rythme et une musicalité qui compense le travers. Le subjonctif passé n'a ici d'imparfait que dans la concordance des temps.

La naissance du sentiment est chez Jane Austen une alchimie qui échappe à la raison, mais trop souvent contrecarrée par la raison. Accompagné de la montée du désir, il est passionnant de découvrir dans ses lignes la troublante combinaison des élans du cœur et du corps dans la maturation d'une force pulsionnelle pourtant abstinente. Apprenez avec Jane Austen que satisfaire un désir, c'est mourir un peu. Apprenez que le désir est un tyran dont on aime l'odieux acharnement. Le désir n'a de jouissance que dans la quête d'un doux avenir sans cesse ajourné. Le siècle de Jane Austen savait la valeur de l'aspiration irrationnelle et insatiable du désir, il savait que sa prompte satisfaction provoque l'extinction d'une part d'imaginaire et du bonheur qui s'en nourrit. Dans la culture du tout, tout de suite, qui est devenue la nôtre, notre impatience nuit à la montée du désir. Elle le transforme en besoin, dont la satisfaction ne fait qu'obéir à nos instincts et non plus à la sublimation qui seule distingue l'homme de l'animal. Que sait-on aujourd'hui de la volupté du désir inassouvi quand tout doit être accompli avant que d'être conçu ?

Quant à l'irremplaçable étude mœurs de l'époque que constituent les romans de Jane Austen, je cite là un passage qui vaudra à tout un chacun, ou chacune, à n'en pas douter, quelque instant de perplexité : "La plume géniale de l'une de mes sœurs romancières a déjà mis en évidence tous les avantages d'une sottise naturelle chez une jolie fille. Elle a fort bien traité ce sujet, et j'avouerai simplement, pour rendre justice aux hommes, que si, en majorité et pour les moins intéressants d'entre eux, ils considèrent que la bêtise rehausse grandement les charmes personnels d'une femme, il en est cependant certains qui ont trop de savoir et d'instruction eux-mêmes pour désirer chez une femme plus que de la simple ignorance". Voilà de belles tournures pour dire les choses, comme savait le faire la langue de ce siècle. C'est du Jane Austen pur sucre quand elle s'adresse directement à son lecteur. Elle le fait souvent dans cet ouvrage.

Gageons qu'avec des avancées de ce gabarit dans la connaissance de la psychologie humaine, on s'y retrouve encore quand les temps seront devenus modernes au point de ne plus nous compter dans leurs rangs. Mais je veux bien qu'il me reste encore quelques soirées de lecture pour me délecter d'autres suavités comme celle-là. Elles compensent largement le quota de futilités qui peuplent l'esprit des jeunes filles en fleur. Car de la futilité à la philosophe, il n'y a qu'un pas dans les ouvrages de Jane Austen.


mercredi 29 juin 2016

Le Colonel Chabert ~~~~ Honoré de Balzac

 


Honoré de Balzac a trouvé le titre universel qui peut contenir tous les ouvrages de la création. Quels qu'ils soient, ils ne seront jamais que des actes de la Comédie humaine.

Je regardais mes compagnons de voyage dans le TGV qui me transportait vers Marseille. Qui à faire l'important en ouvrant son ordinateur, qui à faire l'importun en parlant fort, qui à lire son journal, et m'adressais à eux en moi-même : n'avez-vous pas le sentiment que ce qui vous occupe et vous distrait de l'essentiel n'est que futilité, qu'agitation dans la grande comédie humaine ? Jusqu'à ce que le grand rideau tombe sur cet acte qui vous donne la vedette.

Et moi donc ? Et bien figurez-vous qu'en ce moment même où vous êtes persuadé d'avoir le premier rôle, je suis en compagnie d'un certain Honoré de Balzac. Il me ravit de sa langue, de son imagination, de son humour parfois, de son humanisme toujours. Je suis avec le Colonel Chabert, vivant parmi les morts, mort parmi les vivants, et qui sacrifiera les importances de la vie terrestre à la tranquillité de son âme.

Marseille, déjà. Je n'ai pas vu le paysage.

dimanche 24 janvier 2016

Orgueil et préjugés ~~~~ Jane Austen

 




Le regard de convoitise des hommes est la parure favorite des jeunes filles en espoir de séduction. Car de séduction il est beaucoup question dans cet ouvrage de Jane Austen. La famille Bennet a cinq filles à marier. Mais au temps des classes sociales très cloisonnées, la société anglaise du 18ème siècle, l'amour devait se ranger derrière des contingences bien moins romantiques avant d'espérer unir deux cœurs qui avaient trouvé leur connivence.

Je vais avouer que les regards furtifs et autres minauderies, qu'impose aux jeunes filles leur appartenance au sexe dit faible dans le difficile exercice de séduction amoureuse, ne font pas partie de mes thèmes de prédilection. Je m'empresse de moduler mon propos en affirmant que ce je viens de lire dans l'œuvre de Jane Austen lui ôte son enrobage de futilité au grand profit de l'excellence de la langue. C'est ce qui m'a fait apprécier cet ouvrage au-delà de mes attentes.

Que reste-t-il de nos jours de l'art de la conversation ? Que reste-t-il de l'art épistolaire ? Il faut entendre par là l'habileté à structurer des propos pour développer des idées, des intentions, défendre un avis, les énoncer dans des phrases construites selon une logique qui fait comprendre leur intention. Mais surtout en faisant usage de mots choisis arrangés par des tournures grammaticales savantes propres à en faire un art justement. Cette pratique pour être mutuellement consentie suppose aussi l'échange par la faculté d'écoute de celui qui reçoit, la faculté de conception et d'élaboration de celui qui énonce. Chez les contemporains de Jane Austen, de l'une et l'autre disciplines, on pouvait bien parler d'art. C'est devenu au 21ème siècle une grande régression.

Cet ouvrage de Jane Austen est une œuvre directement issue de cette capacité de l'élite de l'époque à développer des écrits, des conversations parce que seule à avoir accès à la culture, à la connaissance.
Car la contrepartie est qu'il fallait bien naître en ce temps-là où l'on distinguait ouvertement la bonne société du reste du peuple. Distinction assortie de notions fort peu bienveillantes que faisait volontiers ressortir cette élite en affichant avec arrogance ses rang, position sociale, importance. Autant de notions à connotation discriminatoire du seul fait de la naissance. Dommage.

Orgueil et préjugés, c'est une formidable étude des mœurs d'un lieu et d'une époque. C'est aussi un formidable exercice de syntaxe et de sémantique dans lequel on a plaisir à retrouver le sens originel de nombre de mots que l'érosion du temps a dénaturé. Il faut de nos jours forcément adjoindre des superlatifs au moindre qualificatif pour tenter de lui redonner le poids de sa signification originelle. C'est ce qui fait que nos langues européennes sont devenues des langues d'onomatopées.

Orgueil et préjugés a d'abord été pour moi ce plaisir de lire une langue d'une grande richesse, avant d'en dégager une morale, puisqu'il s'agit bien de cela, et au delà de l'aventure romanesque qui annonce le 19ème siècle naissant.

Quand on réalise que les lignes que l'on a sous les yeux sont celles écrites de la main d'une contemporaine des mœurs qu'elle décrit, on se félicite de savoir leur contenu intact de toute analyse rétrospective forcément altérée par la connaissance du lendemain.

Ce savoir parler, ce savoir écrire sont une jouissance pour qui a un peu d'amour pour sa propre langue.


jeudi 17 septembre 2015

Dernier jur d'un condamné ~~~~ Victor Hugo

 



Cet ouvrage n'est évidemment pas de ceux propres à vous mettre du baume au cœur pour la journée. Il est nécessaire de l'intercaler entre d'autres qui aborderont des sujets plus légers si l'on ne veut pas assombrir définitivement son humeur.

Prenons garde aussi de ne pas non plus raviver la polémique du pour ou contre la peine de mort pour l'évoquer sur un site comme Babelio, mais abordons-le sous l'angle de la force suggestive de l'auteur et de sa capacité à insuffler à son lecteur l'état d'esprit d'un malheureux promis à la mort à brève échéance.

Victor Hugo est au début de son immense carrière littéraire – il a vingt-six ans - lorsqu'il ressent le besoin d'écrire sur ce thème douloureux. Il faut saluer là le courage de celui qui n'est pas encore l'auteur populaire qu'il deviendra de son vivant pour prendre une telle position, alors que la guillotine donne régulièrement le triste spectacle que l'on sait en place de grève.

On ne ressort pas indemne d'une telle lecture. Mais quand même dubitatif quant au procédé utilisé par l'écrivain sublime pour frapper les esprits. Avouons que c'est réussi. Il se refuse à aborder le motif qui a conduit le condamné dans les instants ultimes et programmés de sa vie, mais veut rester au niveau du principe qui autoriserait des hommes à disposer de la vie d'un de leur semblable. On demeure sur cette impression que c'est bien le décompte final plutôt que la mort en elle-même qui est fustigé, car finalement tout homme est promis à la mort.

Il y a en arrière-plan une forme de culpabilisation du lecteur dans la démarche de l'auteur. La culpabilité d'appartenir à une société qui autorise la peine de mort et de ne pas s'élever contre cette pratique barbare.

Mais le maître, aussi grand soit-il, a aussi sa forme de lâcheté. Il ne va pas au bout de sa démarche. Certes nul n'a le droit de prendre la vie d'autrui, fut-ce dans un cadre légal et collectif, mais que faut-il faire de ceux qui auront outrepassé ce principe en se rendant coupable d'assassinat ? Ne met-il lui-même pas dans la bouche de son condamné anonyme : plutôt la mort que le bagne. Alors quoi ?

Il n'en reste pas moins que la force de notre géant de la littérature atteint son objectif. Un tel ouvrage vous fait froid dans le dos et vous confirme dans le fait qu'être lecteur du XXIème siècle, alors que la peine de mort est abolie, est une situation plus confortable.