Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

lundi 5 décembre 2022

Divine Jaqueline ~~~~ Dominique Bona

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Pour avoir déjà pu apprécier l'écriture de Dominique Bona, je me préparais au plaisir de retrouver son style séduisant rehaussé d'érudition en portant mon choix sur cet ouvrage. Il me ferait connaître un personnage dont je n'avais jusqu'à ce jour jamais entendu parler, et pour cause.

La cause étant que mon univers de vie et mon rayonnement sont à des années-lumière de celui de cette célébrité qu'est Jaqueline de Ribes. Aussi puis-je affirmer dès lors, en refermant cet ouvrage, que si un jour quelqu'un de mal inspiré s'avisait d'écrire ma biographie, à côté de ce que je viens de lire le rendu aurait la consistance de celle d'un être disparu de la mort subite du nourrisson.

La qualité de pareil ouvrage doit autant au sujet de cette biographie, qu'à son auteure. À personne exceptionnelle il fallait un auteur, et en l'occurrence une auteure, qui soit à la mesure. Dominique Bona était toute désignée pour cet exercice ô combien périlleux, Jaqueline de Ribes étant encore de ce monde. La question se pose alors de savoir s'il s'agit d'une biographie ou de mémoires. La subjectivité change de camp selon le cas.

La joie de retrouver Dominique Bona dans son exercice favori qu'est la biographie a cette fois été tempérée. Si le style est toujours aussi brillant, le sujet m'a quelque peu blasé. Des descriptions à n'en plus finir, de tout ce qui peut mettre en valeur une silhouette de rêve et la mettre en scène au cours de galas, bals, dîners, réceptions, dans une forme de fuite en avant vers la séduction. Ce qui fait de cet ouvrage un véritable défilé de mode sous les yeux ébahis, si ce n'est envieux, des spectateurs de l'élégance faite femme et superbement retranscrite par Dominique Bona. Une fuite en avant, mais pourquoi pas aussi une forme de revanche sur le désamour dans lequel l'a abandonnée une mère dédaigneuse de sa descendance.

L'ouvrage devient plus intéressant lorsque Jaqueline de Ribes se lance elle-même dans l'aventure de la création en fondant sa propre marque. Sous l'œil pour le moins avisé, excusez du peu, mais néanmoins attendri des déjà grands de la profession : Dior, Saint-Laurent, et consorts. Entreprise dans laquelle elle se voit couronnée de succès artistique, mais pas financier.

Sujet et mise en forme font de cette biographie un ouvrage d'une esthétique rare, certes empesé d'un narcissisme exacerbé, mais qui réconcilie avec l'a priori défavorable que peut laisser planer une naissance favorisée par le milieu et la beauté, tant Jaqueline de Ribes s'est investie pour sublimer et faire rayonner au travers de sa personne, au-delà de la femme, la féminité.

La prouesse de l'auteure étant de ne pas faire assaut de superlatifs comme en déploie trop souvent les discours au vocabulaire indigent mais de mettre en œuvre dans son propos le même luxe que celui qui fait briller son sujet de mille feux à la face du monde. Car l'univers de Jaqueline de Ribes est tout sauf étriqué, sauf commun, sauf modeste. Ce qui la qualifie le mieux dans ce que j'ai compris de son personnage est sans doute cette phrase que Dominique Bona a extraite des nombreux entretiens qu'elle a eus avec la Divine Jaqueline : « Je suis née un 14 juillet, j'ai mis évidemment un peu de révolution dans la maison, j'espère avoir mis aussi un peu de feux d'artifice. »


dimanche 4 décembre 2022

La vallée ~~~~ Bernard Minier

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A trop explorer les vices de l'espèce humaine, il faut aujourd'hui avoir beaucoup d'imagination pour troubler l'amateur de polar. Avec tout ce que la littérature du genre a pu lui mettre sous les yeux, la barre est haute pour le faire frissonner. Les auto-tamponneuses ne suffisent plus, il faut des grands huit vertigineux. Il faut lui couper le souffle à ce lecteur blasé. Il ne faut plus seulement le surprendre, il faut le choquer, le décontenancer, avec des mises en scène de crime sordides, des coupables improbables. C'est le défi de l'auteur de polar moderne qui voudra ne pas décevoir les inconditionnels du genre.

Le flic quant à lui doit rester un être doué de sensibilité. Un être avec ses peurs et ses faiblesses. Un homme qui a une vie sentimentale, ou qui essaie en tout cas. le métier ne lui facilite pas la tâche dans ce domaine. Aimer, être aimé, quand on a une vie de famille en pointillé, qu'on est confronté quotidiennement à la haine, la folie, la détresse, le chantage, c'est une gageure. Comment ne pas faillir quand on laisse un enfant à la maison dans les bras d'une femme qui elle-même tremble pour son compagnon dès qu'il franchit la porte de la maison. Et peut-être même avant. Auquel s'ajoute la pression d'une hiérarchie et de politiques qui veulent des résultats rapides et surtout pas de vague. Les médias sont à l'affût.

Tout cela Bernard Minier le maîtrise. Il a bien appréhendé ce contexte d'une vie de flic de nos jours. Un funambule sur un filin au-dessus de la cage aux fauves. Un autre défi est aussi pour l'auteur de polar celui de mettre en échec le lecteur perspicace qui aura résolu l'enquête avant tout le monde. La surenchère dans l'obscur est donc obligatoire. Au risque de prendre ses distances avec le vraisemblable. Mais le crime ne relève-t-il pas toujours de l'invraisemblable ?

Pour remplir ces conditions, Bernard Minier fait de cet ouvrage un huis-clos dans une vallée, coincé entre un éboulement qui bloque la route d'accès et des habitants excédés, apeurés, prêts à en découdre avec les autorités, sur fonds de réminiscence de lutte des classes. Des meurtres y sont commis dans des conditions qui font froid dans le dos. Selon un rituel qui met la police au défi d'en résoudre l'énigme. Cela donne un roman au rythme soutenu qui n'offre pas de pause à ce commandant de police lequel sort d'une affaire lui ayant valu la mise à pied. Difficile de ne pas sortir des clous quand on est livré à des êtres qui ne connaissent quant à eux ni loi ni barrière. Martin Servaz est donc dans cet ouvrage le spectateur averti de l'action de ses confrères. Il piaffe de les voir patauger dans le bourbier d'une affaire pour le moins alambiquée. Mais, même empêché par une procédure qui traîne en longueur, il ne peut se retenir de s'impliquer. Quand on est Martin Servaz, le récurrent de Bernard Minier, on n'est pas habitué à rester sur la touche.

Depuis que j'ai découvert cet auteur je m'attache à scruter sa capacité à dresser la fresque d'une société qui donne libre cours à ce que l'espèce humaine a de plus vil. Une société dans laquelle les troubles psychologiques, la déconnexion de la réalité rivalisent avec l'appât du gain, toute forme de déviance y compris et surtout sexuelle pour susciter le crime. Cet ouvrage est autant un tableau de notre société contemporaine qu'un polar. le trait est certes un peu forcé, mais ne faut-il répondre à l'attente du toujours plus en matière d'effroi. Il faut surprendre encore et toujours et surtout ne pas se laisser doubler par le lecteur avant de lui livrer le coupable les menottes aux mains. Encore un polar de bonne facture de la part de Minier.