Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

vendredi 28 mai 2021

Le lion ~~~~ Joseph Kessel

 


Dans la première moitié du 20ème siècle, la petite Patricia vit avec ses parents dans une réserve animalière au Kenya. Elle s'est vu confier l'élevage d'un lionceau devenu orphelin dès les premiers jours de sa vie. Elle s'est inévitablement éprise de l'animal. Devenu adulte, il n'a bien sûr plus rien de la charmante peluche qu'elle avait choyée mais conserve pour celle qui lui a donné le biberon un attachement dont on ne sait trop ce qu'il peut augurer s'agissant du comportement d'un grand fauve. Sa mère est horrifiée de la voir partir dans la brousse retrouver l'animal qui ne ferait qu'une bouchée de Patricia. On le serait à moins.

...la relation que peut tisser un être humain avec un animal en général, un fauve en particulier...
Cet ouvrage est pour Joseph Kessel prétexte à engager le débat sur la complexité de la relation que peut tisser un être humain avec un animal en général, un fauve en particulier. Celui-ci ne reste jamais qu'une proie potentielle pour un prédateur parmi les plus puissants. Ce roman est une approche de la psychologie animale quant aux sentiments que d'aucuns sont tentés de lui prêter, quand d'autres ne voient en l'animal qu'une bête capable d'émotions commandées par l'instinct, servi par les sens en éveil, dont l'odorat est souvent le plus fin chez l'animal, et armé de crocs et griffes redoutables.

S'agissant d'un ouvrage publié en 1958, à une époque où l'écrivain a atteint sa maturité littéraire, on y trouve une étonnante sensibilité du baroudeur qu'a été Joseph Kessel dans l'approche de la psychologie enfantine. Approche aussi de l'étude des mœurs, traditions et coutumes des peuplades autochtones, les Massaïs en particulier. L'accession à l'âge adulte pour un garçon de cette ethnie comportait la mise à l'épreuve de son courage dans l'affrontement avec le lion.

Une lecture en 2021 ne manque pas de mettre au jour des archaïsmes de langage comportant des expressions désormais bannies, faisant référence à des postures de colonisateurs qui prêtent aujourd'hui à la culpabilisation. La promotion de la négritude au rang de culture par Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire ne lui a pas encore ôté sa connotation péjorative dans l'esprit des ex colons.

...relation insolite et inquiétante d'une petite fille avec un grand fauve...

J'ai beaucoup apprécié cet ouvrage pour l'authenticité qui caractérise son environnement tant humain que du point de vue historique. La description des mœurs, des ambiances et paysages est servie par une écriture concrète, efficace, certes peu métaphorique et qui ne verse pas dans la sensiblerie, laquelle s'avérerait décalée du contexte. Le narrateur en séjour au sein de la famille de Patricia a un œil neuf et impartial sur la situation provoquée par cette relation insolite et inquiétante d'une petite fille avec un grand fauve. L'épilogue rehausse la narration, lui conférant une intensité dramatique quelque peu attendue mais répondant à une certaine logique de ce que l'on connaît des comportements commandés par les culture et tradition, mais aussi par l'instinct.



mardi 25 mai 2021

Eloge de l'énergie vagabonde ~~~~ Sylvain Tesson

 


Sylvain Tesson a-t-il le besoin d'écrire, il prend son vélo, ses chaussures de marches et court la planète nettoyer son cerveau des scories de la vie urbaine et en extraire le distillat de ses cogitations. le pédalier de son vélo fait jaillir les réflexions de son esprit comme le chevalet de pompage dont la tête oscille obstinément dans les plaines américaines fait jaillir le pétrole des tréfonds du sous-sol. L'absolu de ses pensées est une encre qui vient abreuver la page blanche du produit de son esprit vagabond.

Un périple de plusieurs milliers de kilomètres le long d'un tube d'acier qui conduit le brut vers le ventre des pétroliers c'est d'abord la solitude propice à la méditation, la chaleur de l'astre source de toute vie, la fatigue, quelques rencontres, mais pas trop pour ne pas distraire de l'objectif, des bouquins piochés ça et là et se nourrir de l'intelligence des autres. le résultat c'est Éloge de l'énergie vagabonde.

Le sujet c'est l'énergie justement sous toutes ses formes mais fossile de préférence en ce siècle d'empuantissement de l'atmosphère. L'assèchement des ressources par une population qui croît à une cadence exponentielle sur une la planète qui reste quant à elle dans ses dimensions originelles. Deux siècles pour consumer ce qui a mis des millions d'années à se constituer. Et après ?

L'après, on y pensera quand la source sera tarie. Qui vivra verra. Parvenu au bout du pipe-line les questions demeurent. Voilà un ouvrage lourd de culpabilisation d'Homo sapiens. Il a éliminé tous ses concurrents. Va-t-il s'éliminer lui-même avec sa frénésie consumériste. Bonne nouvelle l'intelligence survivra nous dit Yuval Noah Harari dans Homo Deus une brève histoire de l'avenir. Mauvaise nouvelle, elle sera artificielle. Sera-t-elle plus lucide quand à sa survie ? Résoudra-t-elle le problème de cette énergie si mal répartie mais qui aura disparu des profondeurs de la croute terrestre ?

Ouvrage lourd de réflexions puisées à coup de pédale pour conclure du bout des lèvres que l'avenir de l'homme sur terre ce serait peut-être la décroissance. Qui commence ?

Ouvrage écrit à la sueur d'un corps qui s'échine par monts et par vaux, par tous temps. Une écriture toujours aussi riche de formules percutantes, de références érudites, d'à propos humanistes, de croyances qui ne croient que ce qu'elles voient. C'est pour cela que Sylvain Tesson va au bout du monde à la vitesse de ses pieds, au mieux de son vélo, pour prendre le temps et le recul d'entrevoir l'avenir que se prépare Homo sapiens. Une philosophie de la sueur, du muscle sec, de l'esprit qui s'ouvre aux espaces infinis. Ni optimiste, ni pessimiste, un constat lucide et si habilement formulé.


vendredi 14 mai 2021

Sous les vents de Neptune~~~~~Fred Vargas




Quand le tueur en série est identifié dès les premiers chapitres du roman, il faut s'attendre à ce que l'auteur nous concocte une traque hors du commun. Fred Vargas a particulièrement soigné celle de Sous les vents de Neptune, un polar qui met sur le grill son héros récurrent, le ténébreux et imprévisible commissaire Adamsberg.

Le tueur est certes identifié, mais il est mort depuis longtemps lorsqu'un crime qui porte sa signature réveille de pénibles souvenirs chez le commissaire. Son équipe le connaît bien désormais, quelque chose le tracasse, mais de là à pourchasser un mort il pousse le bouchon un peu loin le patron. le rationalisme du capitaine Danglard, son adjoint et accessoirement l'encyclopédie de la brigade, est exaspéré.

Quand un flic devient trop gênant, il faut le mouiller jusqu'à le faire inculper. C'est ce qui arrive à Adamsberg. Il sera victime du subterfuge du prédateur insaisissable lequel réussit à lui faire endosser le meurtre d'une jeune fille alors qu'il est avec son équipe en formation aux techniques d'investigations scientifiques auprès de la police canadienne.

C'est à partir de là que Fred Vargas sort le grand jeu. L'exfiltration du commissaire des griffes de la police montée en tunique rouge est d'une cocasserie haute en couleur qui nous fait lui pardonner les invraisemblances. Devenu lui-même fugitif, il trouve refuge dans l'antre parisienne de deux mamies dont une as de l'informatique qui pénètre les réseaux les mieux protégés comme elle entre dans sa boulangerie préférée. Quant au raisonnement intellectuel qui explique le choix des victimes par le tueur, c'est du casse-tête chinois pur sucre. Fred Vargas s'est offert un scenario labyrinthique de haut vol bien décidée à ne pas laisser son lecteur lui voler l'épilogue. Et j'ai bien peur qu'à trop vouloir escamoter son coupable, elle n'ait fini par le perdre.
Ce genre de littérature est difficilement compatible avec l'écriture métaphorique, mais lorsqu'une bonne partie de l'ouvrage se tient dans les cercles canadiens, les archaïsmes de langage de notre bonne vieille langue dont ils ont le secret, combinés aux expressions argotiques de la profession, nous sont un délice de lecture. Cela sauve d'une intrigue quelque peu alambiquée. Un polar plaisant du fait de l'ambiance que Fred Vargas sait restituer de cette brigade taillée sur mesure pour faire se confronter les caractères. Si l'on n'est pas trop pointilleux quant à la crédibilité, c'est une parenthèse de lecture agréable.