Comme tout un chacun, et plus que tout autre peut-être eu égard à ses intentions – n'oublions pas qu'il est avec cet ouvrage sur le troisième opus de son œuvre testament laquelle en comporte quatre – l'auteur de la Mer de la fertilité est confronté à la perpétuation de la vie. Avec lui point de quête d'éternité dans l'au-delà, de place auprès de Dieu ainsi que peuvent nous le promettre quelques religions monothéistes en perte de vitesse en ce troisième millénaire, il ne peut donc être question que de transmigration de l'âme, de réincarnation. le seul point qui accorderait peut être les différentes croyances quant au sort réservé après la mort est la vertu du comportement de la personne de son vivant. Cette vertu s'exprimant parfois non pas en dévotion ou actions charitables, mais en pureté d'intention laquelle peut fort bien comporter l'élimination d'autrui, s'il est convaincu de corruption par les vices inhérents à la nature humaine.
Nul doute que Mishima décèle dans
la perpétuation qu'il applique à ses héros, une voie pour son propre avenir
dont il semble avoir décrété l'échéance. Marguerite
Yourcenar qui s'est intéressée à cet écrivain dans Mishima
ou la vision du vide trace dans son œuvre les indices qui
témoigneraient de son intention. Elle y voit un artisan en préméditation de son
chef-d'œuvre : sa fin spectaculaire selon le rituel samouraï.
Isao le fervent nationaliste du
tome deux de la tétralogie, Chevaux échappés, était la réincarnation de
Kiyoaki, l'amoureux éperdu de Neige de printemps, le premier tome. Les
dernières lignes de chacun de ces ouvrages faisant disparaître leur héros,
Honda leur survivant est le témoin attesteur de leur réincarnation. Dans ce
troisième opus, la transmigration des âmes ne connaissant ni frontière ni race,
c'est la princesse siamoise Ying Chan qui se dit elle-même réincarnation
d'Isao. Honda s'en convainc et cherche sur son corps par ses indiscrétions
équivoques le signe qui confirmera le fait.
Le temple de l'aube est un
ouvrage quelque peu déroutant. Autant une première partie voit son héros en
quête de la réalité de la réincarnation, allant là en chercher les preuves
jusqu'à Bénarès en Inde, le sanctuaire de l'hindouisme, autant la seconde
plonge son héros, Honda, dans la déviance comportementale du notable respecté
qu'il est, faisant de lui un voyeur des ébats sexuels de quelques couples
occasionnels dont il a lui-même favorisé le rapprochement. Il s'en expliquera
auprès de son épouse, Rié, qui le surprendra dans cette posture condamnable.
Il y a toujours dans le texte de
Mishima cette communion avec la nature qui s'exprime par de longues tirades
contemplatives, lesquelles trouvent leurs prolongements dans la poésie mise
dans la bouche de l'une ou de l'autre de ses personnages. Tirades qui peuvent
distraire le lecteur du fil directeur de l'ouvrage d'autant que certaines
allégories sont assez poussives et terre à terre. Mais le chemin est tracé et
Mishima y ramène ce dernier avec l'obsession du but à atteindre que le
quatrième opus au titre annonciateur, l'Ange en décomposition, ne devrait pas
manquer pas à mon sens de nous révéler.
Dans ma perception de lecteur peu averti des croyances religieuses qui ont
cours en extrême orient, je situe ce troisième opus au creux de la vague de la
tétralogie. Je l'ai trouvé déséquilibré, pénalisé par cette dichotomie
comportementale chez Honda en ces deux parties de l'ouvrage. Une première tout
orientée vers une quête de spiritualité, parfois absconse à mon entendement,
l'autre vers la recherche de preuve physique sur le corps de la princesse qui
rabaisse son protagoniste en une trivialité coupable en complète rupture avec
la qualité du personnage. Mais cette perception est affaire de culture
personnelle et ne me retiens pas de m'engager sur le quatrième volet de la
tétralogie. Je garde à l'esprit le cheminement intellectuel mortifère que
fomente son auteur. Il se donnera la mort au bout de ce chemin. Et comme Marguerite
Yourcenar, je tente de comprendre cette démarche sacrificielle dans ces
textes, de déceler les traces de ce poison qui lentement fait son œuvre.