Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

dimanche 14 septembre 2014

Le rêve Botticelli ~~~~ Sophie Chauveau


Rare sont les peintres des siècles passés qui ont connu la notoriété de leur vivant. Botticelli est de ceux-là. Fallait-il que son génie fût évident pour que ses compatriotes expriment un tel engouement pour son art.

Avec cet ouvrage magnifique, Sophie Chauveau nous accompagne dans une découverte documentée et bienveillante de cet artiste exceptionnel, de son œuvre et de son époque, sous le règne des Médicis dans la Florence du quattrocento. Elle nous fait aimer ses œuvres en décrivant la ferveur qui entourent leur conception. On n'a de cesse de les découvrir en images et de confirmer l'admiration qu'elles suscitent à juste titre. Internet est pour cela un outil fabuleux. C'est l'apothéose du figuratif en ce sens qu'au-delà du talent de représentation y transparaissent les sentiments qui ont présidé à la naissance de chacune des œuvres. Les états d'âme de leur créateur y sont décrits au point de nous faire palper son mal-être. Cet ouvrage nous fait percevoir une fois de plus la proximité du génie avec la névrose.

Comme beaucoup d'artiste de génie, Botticelli est un être torturé. La mélancolie est sa plus fidèle compagne. Il ne s'en cache pas. Il a cependant les pieds sur terre. Il analyse avec clairvoyance ce qui préside à son destin dans cette ville où la violence est souvent au rendez-vous, y compris envers lui. Ne terminera-t-il pas sa vie infirme des suites d'une agression, sans toutefois ne jamais se lamenter de son sort.

C'est un homme d'une grande sensibilité que la férocité de son époque révulse. Il est au bord de la nausée lorsque lui est imposé le spectacle du supplice de Savonarole, fût-il appliqué à son ennemi. A la nature humaine, il préfère la nature animale moins soumise aux arrières pensées.

Il est intéressant, dans cet ouvrage, de voir l'homosexualité masculine dépeinte par une femme. Elle lui rend cette prévenance, ce sentimentalisme, que lui ont fait perdre la condamnation des autorités de conscience et les moqueries du viril.
Leonard de Vinci, Pic de la Mirandole, Laurent de Médicis, Savonarole, Vespucci et dans une moindre mesure le rébarbatif Michel-Ange, sont autant de grandes figures qui peuplent l'environnement de Sandro di Mariano Filipepi dit Botticelli. Ils lui témoignent admiration et estime, lui qui en a si peu pour sa propre personne.
Une touche d'humanité est rendue à cet être complexe lorsque, sur le tard, il fait connaissance avec son fils déjà adolescent.
C'est un bel ouvrage que cette biographie qui ne porte pas son nom. La mort de l'artiste n'y est d'ailleurs pas évoquée. Comme pour illustrer l'immortalité de son œuvre.


 

mercredi 3 septembre 2014

Ce que le jour doit à la nuit ~~~~ Yasmina Khadra




C'est ouvrage est une merveille à deux titres. Par le choix de son thème et la façon de le traiter dans un premier temps. Par sa mise en forme ensuite, avec ce style prodigieux qui n'appartient qu'à Yasmina Khadra.

Un demi-siècle après la conclusion des accords d'Evian qui scellent l'indépendance de l'Algérie, le sujet est toujours explosif. Alors que nombre de protagonistes des deux partis sont encore de ce monde, il faut du courage pour s'attaquer au thème, de l'habileté pour ne pas relancer la polémique. L'exercice est sans doute plus aisé pour un Algérien de souche qui pourrait s'enorgueillir de cette page de l'histoire de son pays. Mais là n'est pas le propos de Yasmina Khadra. Il prône l'apaisement.

Il relate les faits sans parti pris et les opinions avec impartialité. Bien entendu il évoque aussi quelque part – il le fallait bien - les sources du mal, avec ce racisme latent qu'il rapporte par la bouche d'Isabelle : « Je suis une Rucillio, as-tu oublié ?… Tu m'imagines mariée avec un arabe ?... Plutôt crever ! ». Ce mal contre lequel Younès, alias Jonas, n'imaginera même pas se révolter, même s'il lui vole son bonheur. Mais Yasmina Khadra veut dépasser les clivages pour donner la parole au coeur. Il veut exprimer la somme de souffrances que les contemporains de cette époque en ce pays ont pu endurer, au cours de ce qu'on appelait pudiquement en métropole « les événements ».

Aussi toute généralisation étant forcément abusive, l'humanisme de l'auteur veut nous mettre en garde contre les assimilations. Emilie en sera le symbole. Elle s'insurgera de voir Younes ne pas répondre à son amour déclaré au mépris de toute ségrégation : « as-tu jamais osé une seule fois dans ta vie ?».

Younes est un spectateur indolent des soubresauts de ce pays qui s'ouvre au nationalisme. Il passe à côté de cette guerre, même si le malheur le rattrape souvent. Il voudrait tant que les choses soient plus simples, que le coeur parle plus fort que la raison.

Métaphores, allégories, font de cet ouvrage une merveille de style imagé, à l'alternance bien dosée entre les dialogues, les portraits et la narration.

« L'hiver se retira un soir sur la pointe des pieds pour faire place nette au printemps. Au matin, les hirondelles dentelèrent les fils électriques et les rues de Rio Salado fleurèrent de milles senteurs. »

Un romantisme un peu désuet contrebalance la dureté des événements : « Elle n'était plus de chair et de sang. Elle était une éclaboussure de soleil. » Les éléments naturels sont autant de personnages qui animent le récit : « La fournaise des dernières semaines s'était calmée. Dans le ciel épuisé par la canicule, un gros nuage filait sa laine, le soleil en guise de rouet. »
Le vocabulaire est familier sans être populaire, riche sans être pédant, imagé sans être fumeux, toujours juste. « Ils élevaient autour de leur bonheur des remparts imprenables en s'interdisant d'y creuser des fenêtres. »

Ce que le jour doit à la nuit est un très beau roman, ses enjeux sont nobles, sa lecture est un régal.