Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire
Affichage des articles dont le libellé est 6/10. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est 6/10. Afficher tous les articles

mardi 28 mars 2023

La Breizh brigade ~~~~ Mo Malo

🌕 🌕 🌕 🌚 🌚



Voilà un ouvrage bon-enfant qui nous distrait du surcroit de violence qui s'est désormais imposé dans la littérature du genre. Le genre étant le polar. Il est avec cet ouvrage revisité à la sauce aigre-douce. Et si en peine de trouver une once de crédibilité à l'intrigue on se rabat sur la psychologie des personnages, il en est un qui s'impose et fait de l'ombre aux autres, c'est bien la matriarche de la Breizh brigade : Maggie. Cette brigade bretonne étant un trio de de femmes, trois générations de la famille Corrigan, laquelle gère un gîte dans la proximité de Saint-Malo.

Maggie est un personnage haut en couleurs tant le comportement que dans le verbe. Bi lingue le verbe, car Maggie est d'origine irlandaise, et si l'on veut apprécier les subtilités de son langage il faut avoir recours au traducteur en ligne. Il nous met alors en garde devant ce qu'on appelle désormais pudiquement un contenu inapproprié, lorsque la crudité devient très crue.

Maggie est-elle la grand-mère dont on rêve ? Elle donne dans la liberté des mœurs et collectionne les amants qu'elle relègue sans scrupule après consommation. Elle mène son monde à la baguette et à bientôt soixante-dix ans dirige sa Breizh brigade au sein de laquelle elle s'est instituée directeur d'enquête. Une fois n'est pas coutume, les hommes n'ont pas le beau rôle dans cette aventure provinciale. Car Maggie n'a rien à voir avec une mamie-tricot qui végèterait dans un décor figé et empoussiéré depuis la disparition de son époux. Disparition qui ferait d'ailleurs bien un sujet d'enquête. Il faudra qu'elle se penche sur le cas. Mais las, le temps passe et les préoccupations de la matriarche sont plus à compenser l'absence qu'à en découvrir les circonstances.

Mais pour l'heure le trio Corrigan a décidé, d'éclaircir le mystère de la mort d'un célèbre joueur de cornemuse du renommé Briac Breizh Bagad, accessoirement ancien amant de Maggie. Reléguant de facto le flic de service en charge de l'enquête officielle, quand même, et qui, même s'il est le beau gosse de l'appareil judiciaire, n'est reste pas moins un figurant devant les menées investigatrices de la Breizh Brigade. Il est toujours en retard d'un coup sur l'échiquier maloin.

Les aux autres personnages paraissent bien falots à côté de ce boute-en-train. Exception faite de sa petite fille qui lui emboite le pas dans la spontanéité du comportement, avec toutefois un peu plus de pudeur dans le langage.

Sous la plume de l'auteur, Mo Malo, la belle région de Saint-Malo (coïncidence ?) qui sert de décor à ce polar-détente entre dans l'inventaire des attractions pour cet ouvrage tant elle nous invite à prendre les embruns sur ses remparts.

Avec un personnage aussi truculent que cette Maggie enquêtrice d'occasion mais bien décidée à doubler sur le fil l'officiel désigné par le procureur, c'est évidemment le dialogue qui relève et pimente le plat. Car pour ce qui est de l'intrigue, on la découvre le sourire aux lèvres, avec l'indulgence de rigueur à l'égard d'un ouvrage dont la vocation est de détendre son lectorat.

mardi 8 mars 2022

Elle et lui ~~~~ George Sand



"Sans regarder et sans parler, toucher la main d'un fou qui part demain." Ce billet au texte pour le moins énigmatique est celui qu'adressa un jour Alfred de Musset à George Sand et que cette dernière reprend partiellement dans cet ouvrage, Elle et lui. Ce curieux message s'éclaire à la compréhension du lecteur lorsqu'il découvre sous la plume de George Sand ce que fut l'épisode de sa passion amoureuse avec Alfred de Musset, transposé sous les traits de Laurent, artiste peintre pour le roman.

Le procédé qu'elle choisit donne à George Sand le recul nécessaire pour porter un regard extérieur sur sa relation avec le poète romantique. Ingrat, faible de caractère, égoïste, dépressif, elle nous dresse un portrait bien peu reluisant du soupirant de Thérèse. Alors qu'elle s'institue dans son personnage en être raisonnable et fort, sincère, doté d'un grand sens du sacrifice. Ne prodigue-t-elle pas à Laurent les meilleurs soins lors de ces crises de déprime, en particulier au cours de leur séjour en Italie.

Au cours de cette relation singulière, chacun pour sa raison propre reste frileux à l'idée de l'engagement durable. Lui, en artiste accompli habité de l'inconsciente certitude que le génie n'émerge que de la souffrance, a peur du bonheur. Thérèse quant à elle demeure en quête d'une relation plus maternelle que romanesque. Ce penchant est un véritable étouffoir de la pulsion des sens. Point d'assouvissement donc dans cette relation qui demeurera sous le sceau de la chaste tendresse, au grand dam d'un lecteur avide d'être le témoin d'un amour sublimé par les prédispositions artistiques des protagonistes.

Dans un style emphatique et suave, les élans du coeur sont canalisés par les convenances. George Sand domine son art. En militante de l'indépendance de la femme, elle a mis sa maîtrise de la langue au service du contrôle des sentiments qui n'auront d'effusion que dans la formulation du verbe. Le lecteur frustré par des atermoiements sans avenir prometteur devra trouver son bonheur dans la seule sensualité du texte.

Citation

Elle avait eu cette exaltation de la souffrance qui fait voir en grand les misères de la vie, et qui flotte entre les limites du réel et de l'imaginaire ; mais par une réaction naturelle, son esprit aspirait désormais au vrai, qui n'est ni l'un ni l'autre, ni l'idéal sans frein, ni le fait sans poésie. Elle sentait que c'était là le beau, et qu'il fallait chercher la vie matérielle simple et digne pour rentrer dans la vie logique de l'âme.

lundi 24 janvier 2022

Les têtes de Stéphanie ~~~~ Romain gary


S'il faut s'essayer à un nouveau genre, autant le faire sous un pseudonyme. C'est une façon pour un écrivain dont la célébrité n'est plus à faire de tester son écriture dans un nouveau genre, à l'abri de la notoriété. Ce peut être aussi la conquête de nouveaux lecteurs. Mais à l'inverse ce peut être encore une façon de protéger cette notoriété de ce nouvel exercice auquel on ne connaît pas l'accueil qui lui sera réservé. Une manière de quitter son personnage et de s'observer avec les yeux neufs d'un étranger. Ne pas être soi-même donne des ailes. Nombre d'acteurs de théâtres à succès sont à l'origine de grands timides.

Romain Gary se lance dans le roman d'espionnage sous le pseudonyme de Shatan Bogat. Les têtes de Stéphanie sera le seul ouvrage publié (en 1974) sous ce nom d'emprunt avant que l'auteur déjà goncourisé ne se lance un nouveau défi, cette fois dans le costume d'Emile Ajar. On connaît la suite.

Jongler avec les masques, c'est l'exercice auquel se livre un auteur parvenu au fait de la gloire. Est-il en quête d'un sursaut de célébrité ou bien se livre-t-il à une de ses facéties ? La supercherie n'est pas imposture dans le monde l'édition. Sauf peut-être quand la consécration suprême récidive indument – à son corps défendant ? Jubilation sans doute sous le masque de ce pied de nez fait à l'académie.

Le parcours de cet ouvrage n'est pas commun. On n'en attendait pas autrement de Romain Gary. Il écrit Les têtes de Stéphanie en anglais (américain) sous le pseudonyme de Shatan Bogat en 1974 (Traduction du russe Satan le riche). le traduit lui-même en français mais sous le pseudonyme d'une traductrice, Françoise Lovat. Décide ensuite de le publier à Londres sous le titre Direct flight to Allah mais l'attribue à un auteur français du nom de René Deville (devil n'est pas loin). Il fait pour cela retraduire en anglais la version française qu'il avait lui-même transposée de son originale américaine.

Voici donc sous nos yeux un roman d'espionnage avec lequel Romain Gary, alias Shatan Bogat, a décidé d'inscrire l'intrigue dans un monde qu'il n'a pas manqué de côtoyer au cours de sa carrière diplomatique. Les intérêts sont énormes, lourds de menace ; les enjeux stratégiques. La vente d'armes à un pays (fictif) du Golfe persique dont la stabilité est compromise par les velléités d'indépendance d'une minorité ethnique. C'est dans ce contexte que débarque Stéphanie, mannequin au fait de la gloire que lui autorise sa superbe plastique. Elle sera fortuitement témoin rescapée d'un attentat et tentera naïvement de dénoncer ce que les autorités veulent travestir en accident. Pensez-donc, les passagers de l'avion sont tous décapités, sauf elle et son ami l'acteur italien qui ne perd rien pour attendre.

Les péripéties procédant de cette machination déroulent un tapis rouge sous les pieds de l'auteur dont on connaît la causticité de l'humour. le contexte est propice aux chausses trappes et Romain Gary ne se prive de rien, y compris du burlesque pour dénoncer la rapacité des puissants. Les têtes qui roulent sous ses pieds et dont elle ne s'offusque pas de l'horreur témoignent du fossé que creuse l'auteur entre la gravité de la situation et l'innocence de son personnage. La belle Stéphanie est un faire-valoir de style tout indiqué pour brocarder les us et coutumes en vigueur dans les hautes sphères des chancelleries, des services secrets et autres organisations qui pataugent dans le marigot de la diplomatie à l'emporte-pièce.

Mais avec Romain Gary, se cantonner à un premier degré de lecture serait passer à côté du sujet. Avec ce trublion de l'édition il faut toujours aller chercher l'humain derrière l'inhumain. S'affranchir des instincts primaires dont il n'a de cesse de dénoncer les mauvais penchants de sa nature, se demandant toujours s'il en est responsable ou bien s'il faut y voir la main du sournois qui préside à la raison d'être de tout un chacun sur terre et dont on ne connaît rien des intentions. Stéphanie est belle de corps et pure d'esprit. Elle traverse les péripéties de son séjour houleux dans ce Golfe persique sans ternir l'éclat de ses qualités. Sa naïveté est innocence. Elle est le monde tel qu'il devrait être. Elle est l'humanité transcendée qui fait contre poids à la laideur du monde.

Cet ouvrage paru sous pseudonyme porte la signature de l'humaniste à la verve conquérante qui en la femme célèbre la féminité : celle qui porte la vie et donne le jour, celle qui embellit le monde de l'amour qu'elle diffuse partout où elle est. Féminité incarnée que célèbre Romain Gary dans tous les portraits de femme qui peuplent son oeuvre.

Cela fait de cet ouvrage une caricature bien manichéenne, certes soutenue par le verbe puissant et subtil de l'auteur primé, un exercice de style dans ce nouveau genre dont la légèreté fait perdre de la noirceur à la peinture de la nature humaine. Romain Gary nous offre quelques bons moments de jubilation comme il en a le secret. Si l'on veut s'en convaincre on lira page 197 édition Folio la tête de Bobo offerte en pièce à conviction à la secrétaire de l'ambassade américaine. Comique de situation pur sucre, caramélisé par le talent du maître. Un nouvel exercice qui n'est à mes yeux pas à la hauteur d'un Gros-câlin où Les enchanteurs. Shatan Bogat s'en est sans doute rendu compte pour ne pas récidiver dans le genre. Il avait mieux à faire sous le costume d'Emile Ajar.

 

lundi 10 janvier 2022

Rose ~~~~ Tatiana de Rosnay


 

Paris est une fête écrit Hemingway. Un ouvrage qui déborde d'amour pour celle qui est qualifiée de ville lumière. Même si ce noble sentiment pour cette ville n'est pas dépourvu de la nostalgie de sa jeunesse, de sa première épouse avec laquelle il avait emménagé en notre capitale au lendemain de la première guerre mondiale.

Paris a-t-elle été sauvée de l'obscurité par le plus grand chantier qu'elle ait connu à l'initiative de Napoléon III ? Ayant vécu à Londres, ce dernier regrettait de voir notre capitale distancée dans la modernisation par celle de la perfide Albion. Un leitmotiv scandé en forme de justification : tout doit circuler : l'air, les gens, l'argent. Un programme : aérer, unifier, embellir.

Il lui fallait un homme fort, un roc que n'ébranleraient ni les plaintes ni les récriminations pour transformer la capitale, la moderniser. La rehausser au rang des capitales européennes. Haussmann a été celui-là. Une brute insensible diront ses détracteurs. Un visionnaire, certes inaccessible à la nostalgie puisque la propre maison de son enfance a été sacrifiée à la cure de rajeunissement, diront les autres.

Expropriation. La lettre qui tue le souvenir. La lettre qui efface de la surface de la terre des lieux de vie. La lettre qu'ont reçue tous les propriétaires des bâtiments situés sur le tracé des grands boulevards dessinés par les urbanistes missionnés par le préfet Haussmann. Condamnés qu'ils étaient à voir disparaître les lieux qui avaient abrité leur enfance, leurs amours, la mémoire de leurs ascendants. Ils étaient nés, avaient grandi et étaient morts entre ces murs. Tués une deuxième fois par la folie d'un être déterminé à remplir la mission que lui avait confiée Napoléon III. Avec peut-être quand même l'intention de faire une grande chose pour la postérité de la capitale et pourquoi pas pour la sienne par la même occasion. En faire ce qui fait l'admiration de tous ceux qui se ruent sur les grands boulevards dits désormais haussmannien et la première destination touristique au monde dépassant Londres. Pari gagné.

Expropriation, c'est le mot qui meurtrit Rose. Dans son cœur, dans sa chair, dans sa mémoire. Au point de refuser de quitter ces murs qui ont connu son mari, défunt au jour de la réception de la terrible missive, son fils, mort aussi dans ces murs qu'on veut lui prendre, à coups de pioche. Autant de coups de pioche dans son cœur. Rose s'entête. Elle résistera à l'ogre qu'elle abhorre. Elle ira lui clamer sa peine, réclamer sa clémence au cours d'un entretien en l'Hôtel de Ville. Peine perdue.

Elle écrit à son mari défunt tout son ressentiment de l'assassinat que l'ogre veut perpétrer contre sa mémoire. Elle ne supportera pas de voir disparaître ce coin de cheminée contre lequel lui, son Armand chéri, s'asseyait pour lire son journal. de voir disparaître la chambre dans laquelle son fils s'est éteint, victime du choléra dans sa dixième année. le choléra justement. Rose ne veut pas admettre que l'insalubrité de Paris lui a pris son enfant.

Tatiana de Rosnay a pris de le parti d'exploiter un fait divers paru dans le Petit Journal du 28 janvier 1869 pour évoquer le drame qu'ont vécu les propriétaires des vieux bâtiments situés sur le tracé des nouveaux grands boulevards. Pour sortir Paris du moyen-âge. Un roman que l'on pourrait qualifier d'épistolaire puisque le procédé choisi par l'autrice est de lui faire rédiger une lettre destinée à son cher Armand. Sachant très bien qu'elle restera lettre morte. Mais qui peut être dira à la postérité son amertume et sa rancœur, la souffrance de ces petites gens lorsqu'ils ont reçu la fameuse lettre engageant le grand chantier décrété d'utilité public et d'hygiène pour la renommée de la capitale. Décrété assassin de ses souvenirs par Rose.

Le procédé est quelque peu artificiel, mais il a le mérite de rappeler à celui qui s'ébahirait devant les perspectives de la capitale, qui ouvrent toutes sur des monuments prestigieux en les dégageant à leur vue des badauds, ces grandes façades agrémentées de riches modénatures, que leur admiration a comporté son lot de larmes.


mardi 9 novembre 2021

L'attrape-cœurs ~~~~ J. D. Salinger



Le cap de l’adolescence, c’est comme celui de Bonne-Espérance. Le franchir c’est passer d’un monde à l’autre dans le tumulte des eaux chahutées par la rencontre des océans. Laisser derrière soi la naïveté de l’enfance pour voguer vers la maturité dans le bouillonnement des hormones qui déferlent dans toutes les cellules du corps.

Mais ce cap est-il vraiment porteur de ce feu de l’espérance ? J. D. Salinger nous suggère une réponse dans l’attrape-cœurs avec son héros Holden Caulfield. L’horizon de l’adolescent est bouché au-delà de la portée du regard. Tout est remis en question, à commencer par la raison d’y aller vers cet horizon, paysage lointain dont ses parents lui sont le premier plan. L’adolescent n’a pas envie de leur ressembler dans un monde dont il va hériter et qu’il découvre hideux.

Beaucoup d’ouvrages traitent du franchissement de ce cap de la vie. Comment se singularise celui de J. D. Salinger ? L’auteur met l’accent sur la solitude de l’adolescent, en quelques jours de sa vie. Ce dernier prenant le lecteur à témoin avec son langage vernaculaire de jeune garçon dans l’Amérique des années 50. Sa fierté bravache mais chancelante lui fait éluder le mal-être qui l’habite. On doit comprendre à son errance qu’il ne voit aucune perspective dans le modèle que lui proposent les adultes de son entourage. Que ce soit à la maison ou au collège. L’ailleurs, il ne le connaît pas vraiment. Il l’explore avec déboires. Le monde est fait de profiteurs, de pervers lesquels lui ferment autant de voies qu’il croyait être des pistes d’évasion.

Des parents trop occupés par la vie professionnelle, un frère aîné parti vivre sa vie à l’autre bout du pays, un autre plus jeune mort prématurément – est-ce une chance ? – et une petite sœur. Elle est vive et intelligente. Elle semble bien dans sa peau. Curieusement Holden se sent porté vers elle. Elle est le fragile lien de rattachement avec sa famille. Lui qui a quitté le collège avec ses valises et erre dans New York avec l’incertitude du lendemain.

Le langage adolescent fait de formules argotiques de dédain et d’exagération est quelque peu rébarbatif au début de l’ouvrage. Il a fallu au traducteur retranscrire ce fameux « bloody » que les anglosaxons mettent à toutes les sauces lorsqu’ils sont blasés de tout. L’auteur ne nous épargne rien des répugnances qui peuvent assombrir l’image que l’adolescent se fait de la vie adulte. Holden ne trouve pas non plus de recours dans sa vie sentimentale. Les garçons et les filles sont-ils faits pour s’entendre ? Heureux celui qui ne considère les filles que comme objets de désir sexuel. Au moins ne se posent-ils pas de questions existentielles. Aux filles de se protéger des appétits insincères.

Le langage rébarbatif trouve sa raison d’être et s’adoucit au fur et à mesure que la désillusion ouvre la porte du désespoir. Le lecteur devenu confident comprend vite le désarroi de l’affabulateur. La cuirasse de celui qui veut jouer les durs se fendille peu à peu, jusqu’à faire jaillir quelques larmes. Que reste-t-il à Holden Caulfield pour retrouver espoir en l’avenir. Partir pour un ailleurs improbable, mais d’abord aller dire au revoir à sa petite sœur adulée. C’est là peut-être que se singularise l’Attrape-cœurs de J. D. Salinger lequel nous adresse un roman touchant sur le franchissement du cap de l’adolescence. Pour qu’il reste celui de bonne espérance.


 

samedi 6 novembre 2021

Les dieux ont soif ~~~~ Anatole France


Le peuple vient de passer du joug de l'autocratie au leurre de la liberté

Les dieux ont soif. Est-il besoin de compléter la phrase pour préciser que c'est de sang dont les dieux veulent s'abreuver. le peuple transférant au mystique sa propre soif de voir tomber les têtes. Nous sommes sous la Terreur, ultime soubresaut du séisme qui vient de mettre à bas la monarchie. Et lorsque la terreur prend la majuscule elle s'attache à cette période qui a marqué l'histoire en lettres de sang, plus qu'en espoir de justice. Les comptes sont loin d'être soldés. Le peuple vient de passer du joug de l'autocratie au leurre de la liberté. Ce fol espoir a été dérobé par les appétits de pouvoir que fait naître la place laissée vacante.

La veuve rouge a son compte de suppliciés

Anatole France destine à son lecteur une fresque de cette année noire peinte au travers du vécu des petites gens. Ils viennent de tirer un trait sur ce qui s'appellera dorénavant l'Ancien Régime. Louis XVI est passé sous le rasoir national. Marie-Antoinette le suivra de peu. C'est dans ce tumulte qu'Évariste Gamelin, jeune peintre désargenté, est devenu pour satisfaire son idéal républicain juré au tribunal révolutionnaire. En cette période de décomposition de la société il siège tous les jours. Peu de peines intermédiaires résultent de ces débats expéditifs. La veuve rouge a son compte de suppliciés. Les badauds apprennent le patriotisme, prennent conscience de frontières menacées et sont assoiffés de voir tomber les ennemis de la révolution. Ils étaient peu regardant quant à la culpabilité de qui on livrait à leur vindicte.

Évariste Gamelin en arrive à se détester lui-même

Pris dans l'engrenage funeste de la politique, dont il faut bien avouer que les prises de position étaient éminemment versatiles et donc risquées, Évariste Gamelin en arrive à se détester lui-même et s'imagine ne plus être digne de l'amour des siens : sa mère sa fiancée qui lui vouent pourtant une admiration sans faille. Il est gagné au drame cornélien qui oppose son idéal républicain épris de rigueur, même s'il faut qu'elle soit sanglante, à sa sensibilité sentimentale et artistique.

nul ne savait plus dès lors à quel saint se vouer

Anatole France fait preuve d'une connaissance détaillée fort documentée - si l'on en juge par les dossier, chronologie et notes en fin d'ouvrage - de cette période dérèglée pour nous livrer un ouvrage dont l'intensité dramatique est à la hauteur du trouble qui régnait. On perçoit fort bien dans ces pages le doute qui avait envahi les esprits des petites gens au point que nul ne savait plus dès lors à quel saint se vouer pour assouvir cet appétit d'égalité et de justice qui les tenaillait, petites gens d'un peuple devenu souverain à son corps défendant. Pas plus les saints de l'église devenus parias en leur compétence que ceux à l'hystérie vengeresse nouvellement promus sur l'autel de la République ne parvenaient à apaiser les cœurs. Belle écriture aux élans épiques que celle d'Anatole France dans ce roman qui a aussi valeur de livre d'histoire tant les références sont nombreuses et authentiques.


vendredi 14 mai 2021

Sous les vents de Neptune~~~~~Fred Vargas




Quand le tueur en série est identifié dès les premiers chapitres du roman, il faut s'attendre à ce que l'auteur nous concocte une traque hors du commun. Fred Vargas a particulièrement soigné celle de Sous les vents de Neptune, un polar qui met sur le grill son héros récurrent, le ténébreux et imprévisible commissaire Adamsberg.

Le tueur est certes identifié, mais il est mort depuis longtemps lorsqu'un crime qui porte sa signature réveille de pénibles souvenirs chez le commissaire. Son équipe le connaît bien désormais, quelque chose le tracasse, mais de là à pourchasser un mort il pousse le bouchon un peu loin le patron. le rationalisme du capitaine Danglard, son adjoint et accessoirement l'encyclopédie de la brigade, est exaspéré.

Quand un flic devient trop gênant, il faut le mouiller jusqu'à le faire inculper. C'est ce qui arrive à Adamsberg. Il sera victime du subterfuge du prédateur insaisissable lequel réussit à lui faire endosser le meurtre d'une jeune fille alors qu'il est avec son équipe en formation aux techniques d'investigations scientifiques auprès de la police canadienne.

C'est à partir de là que Fred Vargas sort le grand jeu. L'exfiltration du commissaire des griffes de la police montée en tunique rouge est d'une cocasserie haute en couleur qui nous fait lui pardonner les invraisemblances. Devenu lui-même fugitif, il trouve refuge dans l'antre parisienne de deux mamies dont une as de l'informatique qui pénètre les réseaux les mieux protégés comme elle entre dans sa boulangerie préférée. Quant au raisonnement intellectuel qui explique le choix des victimes par le tueur, c'est du casse-tête chinois pur sucre. Fred Vargas s'est offert un scenario labyrinthique de haut vol bien décidée à ne pas laisser son lecteur lui voler l'épilogue. Et j'ai bien peur qu'à trop vouloir escamoter son coupable, elle n'ait fini par le perdre.
Ce genre de littérature est difficilement compatible avec l'écriture métaphorique, mais lorsqu'une bonne partie de l'ouvrage se tient dans les cercles canadiens, les archaïsmes de langage de notre bonne vieille langue dont ils ont le secret, combinés aux expressions argotiques de la profession, nous sont un délice de lecture. Cela sauve d'une intrigue quelque peu alambiquée. Un polar plaisant du fait de l'ambiance que Fred Vargas sait restituer de cette brigade taillée sur mesure pour faire se confronter les caractères. Si l'on n'est pas trop pointilleux quant à la crédibilité, c'est une parenthèse de lecture agréable. 

jeudi 25 février 2021

La mer de la fertilité, tome 3 : Le temple de l'aube ~~~~ Yukio Mishima


Comme tout un chacun, et plus que tout autre peut-être eu égard à ses intentions – n'oublions pas qu'il est avec cet ouvrage sur le troisième opus de son œuvre testament laquelle en comporte quatre – l'auteur de la Mer de la fertilité est confronté à la perpétuation de la vie. Avec lui point de quête d'éternité dans l'au-delà, de place auprès de Dieu ainsi que peuvent nous le promettre quelques religions monothéistes en perte de vitesse en ce troisième millénaire, il ne peut donc être question que de transmigration de l'âme, de réincarnation. le seul point qui accorderait peut être les différentes croyances quant au sort réservé après la mort est la vertu du comportement de la personne de son vivant. Cette vertu s'exprimant parfois non pas en dévotion ou actions charitables, mais en pureté d'intention laquelle peut fort bien comporter l'élimination d'autrui, s'il est convaincu de corruption par les vices inhérents à la nature humaine.

Nul doute que Mishima décèle dans la perpétuation qu'il applique à ses héros, une voie pour son propre avenir dont il semble avoir décrété l'échéance. Marguerite Yourcenar qui s'est intéressée à cet écrivain dans Mishima ou la vision du vide trace dans son œuvre les indices qui témoigneraient de son intention. Elle y voit un artisan en préméditation de son chef-d'œuvre : sa fin spectaculaire selon le rituel samouraï.

Isao le fervent nationaliste du tome deux de la tétralogie, Chevaux échappés, était la réincarnation de Kiyoaki, l'amoureux éperdu de Neige de printemps, le premier tome. Les dernières lignes de chacun de ces ouvrages faisant disparaître leur héros, Honda leur survivant est le témoin attesteur de leur réincarnation. Dans ce troisième opus, la transmigration des âmes ne connaissant ni frontière ni race, c'est la princesse siamoise Ying Chan qui se dit elle-même réincarnation d'Isao. Honda s'en convainc et cherche sur son corps par ses indiscrétions équivoques le signe qui confirmera le fait.

Le temple de l'aube est un ouvrage quelque peu déroutant. Autant une première partie voit son héros en quête de la réalité de la réincarnation, allant là en chercher les preuves jusqu'à Bénarès en Inde, le sanctuaire de l'hindouisme, autant la seconde plonge son héros, Honda, dans la déviance comportementale du notable respecté qu'il est, faisant de lui un voyeur des ébats sexuels de quelques couples occasionnels dont il a lui-même favorisé le rapprochement. Il s'en expliquera auprès de son épouse, Rié, qui le surprendra dans cette posture condamnable.

Il y a toujours dans le texte de Mishima cette communion avec la nature qui s'exprime par de longues tirades contemplatives, lesquelles trouvent leurs prolongements dans la poésie mise dans la bouche de l'une ou de l'autre de ses personnages. Tirades qui peuvent distraire le lecteur du fil directeur de l'ouvrage d'autant que certaines allégories sont assez poussives et terre à terre. Mais le chemin est tracé et Mishima y ramène ce dernier avec l'obsession du but à atteindre que le quatrième opus au titre annonciateur, l'Ange en décomposition, ne devrait pas manquer pas à mon sens de nous révéler.


Dans ma perception de lecteur peu averti des croyances religieuses qui ont cours en extrême orient, je situe ce troisième opus au creux de la vague de la tétralogie. Je l'ai trouvé déséquilibré, pénalisé par cette dichotomie comportementale chez Honda en ces deux parties de l'ouvrage. Une première tout orientée vers une quête de spiritualité, parfois absconse à mon entendement, l'autre vers la recherche de preuve physique sur le corps de la princesse qui rabaisse son protagoniste en une trivialité coupable en complète rupture avec la qualité du personnage. Mais cette perception est affaire de culture personnelle et ne me retiens pas de m'engager sur le quatrième volet de la tétralogie. Je garde à l'esprit le cheminement intellectuel mortifère que fomente son auteur. Il se donnera la mort au bout de ce chemin. Et comme Marguerite Yourcenar, je tente de comprendre cette démarche sacrificielle dans ces textes, de déceler les traces de ce poison qui lentement fait son œuvre.

samedi 14 novembre 2020

On ne s'endort jamais seul ~~~~ René Frégni



Il y a Marilou dans Elle danse dans le noir. Il y a Charlotte dans Sur les chemins noirs. Voici Marie dans On ne dort jamais seul. Et toujours cette mère qui fait défaut. Eternelle absente du tableau de l'amour. Souveraine absente qui galvanise l'amour paternel, lequel peine à combler le manque. Forcément. Un horrible manque pour qu'une petite fille puisse s'épanouir à la vie. Une petite fille dont le vocabulaire est amputé d'un mot. le plus beau. le plus essentiel : maman.

Aussi lorsque Marie disparaît et que l'enlèvement se confirme, c'est la terre qui se renverse, le ciel qui s'assombrit en plein jour. Pour son père, Antoine, Marie c'est tout : son univers, son avenir, son soleil. Marie c'est sa vie. C'est sa maman disparue.

Celui dont l'enfant a disparu n'a pas droit au désespoir. Désespérer c'est condamner. Aussi c'est avec une rage folle qu'Antoine sillonne Marseille en tous sens, s'agrippe à toutes les aspérités de la vie pour sortir du gouffre dans lequel il est tombé. Il harcèle la police. Il ne dort plus. Il sombre. Pas de désespoir, Il n'y a pas droit. Il sombre d'impuissance.

Jusqu'au jour où il rencontre Jacky Costello. Un ami d'enfance perdu de vue. Et pour cause. Dix ans de prison. La prison est aussi souvent présente chez Frégni que les collines aux senteurs de romarin. Costello c'est le mauvais garçon au grand cœur. Touché par la peine de son ami, il prend les choses en main. Il a des relations. Beaucoup de relations, dans toute la ville. Pas toujours des anges loin s'en faut, mais des fidèles. Il est respecté Costello dans le milieu. Et il a ses méthodes. Des méthodes que ne peut s'autoriser la police. Des méthodes un peu rudes pour faire parler ceux qui auraient pu justifier de leur droit de garder le silence aux yeux de la loi. Avec Costello, Antoine retrouve ses esprits, la tempérance, l'énergie de fouiller Marseille avec méthode cette fois. Il retrouve goût à la vie. La vie de Marie. La sienne reviendra avec.

Quand Frégni donne dans le genre polar, il n'est plus question de nostalgie contemplative d'une Provence chatoyante et nostalgique. le rythme est endiablé. Les coups pleuvent. On fréquente les bas-fonds de la ville, et surtout les confins de la légalité. On n'est plus dans le monde des atermoiements et de la tendresse. La justice est expéditive. On se laisse gagner par la rage de rattraper les malfaisants, les plus monstrueux des monstres, ceux qui s'en prennent aux enfants.

Sauf que, le rythme est tellement soutenu que le roman s'essouffle. L'épilogue tombe aussi franc et vite qu'un couperet. C'est un peu cousu de fil blanc. C'est une fin en surexposition, une élévation. Un tableau épique qui porte aux nues un lien indéfectible : l'amour d'un père pour sa fille. Celle qui restera toujours sa petite fille, Marie.

Le grand gagnant dans tout ça c'est l'élan qui relie un père à sa fille, le lien indéfectible de l'amour réciproque. le grand gagnant c'est aussi l'amitié en dehors des chemins de la légalité. Une amitié forgée dans la rue, souvent à coups de poings. Une fidélité à l'épreuve du temps et des vicissitudes de la vie. Même si ce roman est un peu expéditif on y retrouve une constante chez Frégni, le besoin d'aller chercher cette lueur cachée au fond de l'être qu'il faut savoir extraire comme un précieux minerai pour ne pas désespérer de l'espèce humaine.

 

mercredi 21 octobre 2020

Sérotonine ~~~~ Michel Houellebeq



 Je viens de terminer Sérotonine. J'inspire goulument. Je souffle. Je me palpe la région du coeur, je porte ma main au front. Je n'ai pas de fièvre. Je vis. Enfin j'ose le croire, naïvement. Pour un moment encore. le temps j'espère d'aller au bout de ma chronique.

Je m'étais retenu jusqu'à ce jour où de passage devant une librairie de Bayonne l'édition J'AI LU me toisa en vitrine. J'ai cédé, j'ai lu, Je suis foutu. Aurait dit un célèbre conquérant qui a laissé les traces de sa culture en nos contrées. Quand je parle de traces, j'évoque la marque de ses spartiates sur notre profil de combattant râleur, valeureux mais laminé quand même par ses légions.

C'est la fin des haricots. D'habitude, il - Michel pas Jules - comptait sur sa libido pour se requinquer, regonfler son moral en même temps son attribut du genre. Mais avec Sérotonine il a été mis en berne grave, comme diraient avec leur idiome à la mode ceux qui ont encore l'âge de croire que leur mâlitude sera éternelle. Solitude, déprime, la tombe se creuse au fil des pages. Y'a-t-il un espoir au fond du trou ? J'avais déjà bien entamé la descente aux enfers en ayant lu les précédents ouvrages de notre goncourisé frigorifié. Cette fois nous y sommes. Justifiez l'appellation de votre métier les hommes en noir, mordez-moi les orteils avant de visser le couvercle. On ne sait jamais. Un sursaut …

Je ne sais pas qui s'est essoufflé de nous deux, moi le lecteur, lui l'auteur. J'ai bien peur que ce ne soit le premier que je suis car pour ce qui est de la déprime, je sens bien que notre trublion de la littérature moderne en a encore sous le pied. Je crains pour le prochain ouvrage de sa main. J'ai bien peur que sauf sursaut d'optimisme inespéré il ne soit écrit d'outre tombe. Un autre y a déjà publié ses mémoires. Encore que l'essai a déjà été transformé avec La carte et le territoire, ouvrage post mortem d'un martyr de la société de consommation. Peut-être apprendrons-nous alors enfin des raisons de ne pas nous alarmer de notre trépas prochain, car pour ce qui est de la vie terrestre la grisaille s'opacifie très vite. Au fur et à mesure que les jeunes et jolies jeunes filles tournent leur regard vers d'autres que ceux qui n'ont pas encore atteint à leurs beaux yeux l'âge de la transparence.

Cet ouvrage qui nous enterre avec son narrateur a quand même quelques mérites. Il attire notre regard sur une profession malmenée par la mondialisation. Labourage et pâturage ne sont plus les mamelles de la France. La mammographie européenne a dévoilé le malaise. le lait français n'est plus bon qu'à être répandu devant les préfectures. Nos braves paysans sont trop nombreux, trop chers.

Il est toujours aussi savoureux dans son écriture cet ouvrage. Il n'envoie personne dire à la place de son auteur ce qui ne lui plaît pas chez un tel ou un autre. Il a un sens aiguisé de l'observation des moeurs de nos contemporains, le verbe caustique pour pointer du doigt les perversions de notre mode de vie moderne. Mais en fil rouge il y a quand même une histoire d'amour. Une vraie. Pas qu'une histoire de sexe. Mais c'est un raté, cette histoire. L'amour et le sexe ne feraient-ils pas bon ménage. Une faute, une erreur de parcours a tout foutu en l'air. Un seul être vous manque et… Et Camille si tu savais.

lundi 7 septembre 2020

Morsures ~~~~ Hélène Bonafous-Murat

 


Morsures est un ouvrage dans lequel Hélène Bonafous-Murat a à n'en pas douter mis beaucoup d'elle-même. Cet ouvrage place en effet son intrigue dans le monde des images, des estampes en particulier. Sujet qu'elle connaît mieux que quiconque pour en être une experte reconnue. Et s'il est une certitude qui me tenaille au sortir de cette lecture, c'est tout d'abord que ce sujet est pour elle au-delà d'un métier une passion et qu'en second lieu sa compétence y éclate aux yeux du néophyte que je suis. le néophyte a certes tôt fait d'être ébloui par le maître me direz-vous, mais il conserve quand même sa capacité de jugement quant à l'écart des compétences. A moins bien entendu que je ne sois l'objet d'une mystification, ce qui n'aurait rien de surprenant tant l'auteure a l'art d'entraîner son lecteur dans une spirale de confusion, à savoir qui est qui, à quelle époque, en chair et en os ou bien en impression sur vélin.

Ce fut pour moi de la part de l'auteure et selon sa dédicace une invitation à me plonger dans l'image et à m'y perdre. Mission accomplie. Ce n'est qu'à l'épilogue, ô combien surprenant, que j'ai pu recouvrir mon libre arbitre et applaudir à l'artifice de construction, lequel m'avait emberlificoté dans une intrigue qui en masque une autre. J'avoue avoir été déstabilisé par la confusion des narratrices. Et pour cause. J'ai même failli décrocher, mais quelque chose me chuchotait d'aller au bout. Bien m'en a pris.

Enquête il y a, puisque crime il y a, et aussi vol d'œuvre rare. Mais curieusement le corps de l'intrigue se déporte et entraîne le lecteur profane sur une terra incognita. L'enquête verse dans le cercle fermé des amateurs éclairés du monde de l'image. L'auteur de l'œuvre rare qui a refait surface avant de disparaître à nouveau est certes vite identifié. L'experte ne l'est pas pour rien. Mais qui sont les personnages représentés sur cette estampe du XVIIème siècle, qui est le commanditaire de cette œuvre et quel est son message à la postérité ?

L'image sollicite l'imaginaire, force la convoitise, interpelle l'experte et la transporte dans le temps du geste de l'artiste. Cette représentation est comme un trait d'union entre deux sensibilités écartelées par des siècles d'une présence silencieuse et anonyme, oubliée des regards. L'experte s'en imprègne, se fond dans le personnage représenté au point de verser dans le dédoublement de la personnalité. Elle devient le sujet représenté jusqu'à ressentir le contact de la main de l'autre personnage de l'image sur son épaule et s'interroger sur ses intentions.

L'image affole le marché. Les spécialistes fourbissent leurs armes à coups de milliers de dollars pour faire de cette œuvre, hier inconnue et déjà célèbre, la cible de leur convoitise. Alors que le lecteur est resté sur son interrogation : qui a tué le commissaire priseur, pourquoi, et qu'est devenue la vedette du catalogue soustraite à la vente organisée en l'hôtel Drouot ?

Morsure est un ouvrage d'une richesse culturelle avérée. L'image ne sollicite pas seulement la sensibilité artistique, mais renvoie à l'histoire, la grande, en un temps où, du fait de sa rareté la représentation graphique prenait son sens, son intérêt et donc sa valeur. Une tout autre envergure et signification que le flot des banalités sur colorées qui inonde notre monde d'aujourd'hui au point d'en devenir polluant. de témoignage de la réalité qu'elle était autrefois, l'image est devenue aujourd'hui représentation d'un monde virtuel, fugitif, déposée sur un support volatile et donc tôt promise à l'oubli.

Quant au titre, un tantinet aguicheur pour l'ouverture sur une forme de polar, me voilà désormais armé pour faire œuvre de connaissance technique et vous dire qu'il est un terme de vocabulaire des aquafortistes. Mais je vous laisse découvrir ce que ce genre de morsure peut laisser de traces durables dans le monde de l'image. Morsures est une lecture exigeante, quelque peu déroutante qui peut blaser l'amateur d'émotions fortes. Mais qu'il se méfie de l'irrationnel, il pourrait bien l'inciter à faire des retours sur images.

 

jeudi 25 juin 2020

Pseudo ~~~~ Romain Gary

 



Tu t'es bien moqué de moi Émile, ou Paul, ou tant d'autres noms derrière lesquels tu brouilles les pistes tout au long de ces quelques deux cents pages. Tu t'es bien moqué de moi pour m'avoir mis sous les yeux ce galimatias de fulgurances schizophréniques.

J'ai bien cru avoir à faire avec un dingo. J'avais fait confiance à la notoriété d'un Goncourisé, un certain Ajar. J'apprends qu'Ajar n'est qu'un pseudo. Qui cache un certain Paul. Paul Pavlowitch. Qui pourrait bien être encore quelqu'un d'autre. Attention un auteur peut en cacher un autre. Ne franchissez cette limite qu'après avoir regardé de tous côtés. Vous êtes cernés par les pseudos, au point que dans le corps du texte tu enfonces le clou et te fais appeler pseudo-pseudo. Faut-il y mettre la majuscule ?

Il faut être sûr de soi pour faire avaler pareille potion à un éditeur. Qui lui-même la glissera dans le gosier des tourneurs de pages crédules. Ils auront acquis cet ouvrage sur une couverture. Car en le feuilletant sur l'étal du libraire ils auront reconnu quelques formules au cynisme assassin comme ils les aiment. Comme on achète un vin sur l'étiquette. Gare au gogo ignorant des cépages et des crus, il pourrait bien avaler de la piquette.

Je m'étais régalé avec La vie devant soi, amusé d'une certaine loufoquerie avec Gros-câlin. Quand j'ai retrouvé Émile Ajar avec Pseudo, je n'ai pas hésité. J'ai bien cru y reconnaître un furieux sens de la dérision, lequel m'a rappelé un certain Romain Gary. Tu vois de qui je veux parler, un Prix Goncourt lui-aussi. Mais je me suis convaincu que tu n'aurais quand même pas osé.

Oser faire un pied de nez pareil à l'Académie, pour leur refiler un autre chef-d'oeuvre sous le manteau, subrepticement comme ça. Comme quelqu'un qui aurait le talent chevillé à l'âme aussi vrai que moi j'ai le doute. Mais Gary n'aurait jamais fait ça.

Tu t'es bien foutu de moi, mais je te pardonne. Je suis beau joueur. J'ai bien conscience que lorsqu'on est arrivé au sommet, on ne peut que redescendre. Alors forcément ça angoisse. Parce qu'un troisième prix Goncourt sous un autre pseudo, ce n'était plus possible. Tu commençais bien à te rendre compte que certains affranchis dans les milieux littéraires affichaient un sourire pincé par la suspicion. de la jalousie à n'en pas douter.

Je ne t'en veux pas parce qu'avec tout ce que tu nous avais déjà offert sous tant de masques grotesques on retrouvait toujours ce même regard insondable. On le savait scruter son intérieur obscur, en quête des mots assez forts pour nous dire à quel point ce qu'il voyait à l'extérieur lui faisait peur.


mardi 23 juin 2020

Le jardin d'Epicure ~~~~ Irvin D. Yalom

 



"Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face". C'est avec cette maxime De La Rochefoucauld qu'Irvin Yalom termine son ouvrage. Et s'il nous confirme la précaution de ne pas nous brûler les yeux en fixant l'astre de vie, il nous invite pour ce qui est de la mort à ne pas nous voiler la face. En adoptant par exemple les préceptes d'Épicure pour calmer nos angoisses éventuelles et apprivoiser l'idée de la mort, puisqu'il ne saurait être question de la dompter.

Épicure dont les jouisseurs auront travesti la philosophie à leur avantage, ne retenant du bien vivre sa vie que le simulacre réducteur de faire bonne chair. Que ce soit sous la dent ou sous la couette, oubliant sans vergogne les élans d'humanité qui prévalaient dans l'esprit du philosophe, privilégiant une généreuse cohésion entre congénères affublés du même poids sur la conscience qu'est l'impermanence de la vie. Démarche en quête d'ataraxie, la tranquillité de l'âme. Être acteur de l'ici et maintenant, valoriser ainsi chaque instant de sa vie, condition nécessaire selon lui pour affronter son échéance inéluctable avec le sentiment d'avoir rempli le rôle non-dit dévolu à tout être doué de raison apparu sur terre. Car dans le mystère de la vie, on s'interroge en fait sur l'intention qui la déclenche et la reprend.

Irvin Yalom dénie le recours au dogme religieux quel qu'il soit sans toutefois en faire reproche aux convaincus. Il lui préfère ce que la raison permet de déduire de ses cogitations intimes. C'est à n'en pas douter ce qui lui vaut ses affinités avec un Spinoza ou un Nietzsche, lesquels ne voyaient en la religion que soumission naïve, dénuée d'esprit critique, inculquée par une éducation despotique.

J'ai eu à cette lecture la satisfaction de retrouver un concept dont mes pauvres réflexions secrètes avaient envisagé l'hypothèse. C'est la théorie de la symétrie. Épicure avance que l'état de non existence avant la naissance est le même que celui d'après la vie. Il n'y aurait donc pas d'angoisse à avoir d'une mort qui n'est jamais qu'une situation déjà connue – on ne sait quel terme employer quand il s'agit d'évoquer le non-être – mais qui ne nous aurait donc laissé aucun souvenir. Que pourrait être en fait souvenir du néant ?

Le jardin d'Épicure est un ouvrage de réflexions potentiellement secourables fondé sur la riche expérience d'un thérapeute de renom, construit à partir de témoignages choisis par lui pour leur valeur pédagogique et qui encouragera l'angoissé en détresse à trouver une oreille avisée. Celle d'un confrère. Un spécialiste apte à décrypter l'origine de certaines peurs ou angoisses harcelant le conscient ou l'inconscient de tout un chacun. Il y a donc quand même en filigrane dans cet ouvrage une autopromotion de la profession à laquelle Irvin Yalom a consacré sa vie, sachant pertinemment que l'angoisse de la mort est un fonds de commerce qui a de l'avenir.

Mais cantonner cet ouvrage à une finalité mercantile serait un détournement d'intention auquel je ne me livrerai pas. Il a une réelle valeur didactique puisqu'il n'est question ni de spiritualité ni de métaphysique ou encore d'ésotérisme. C'est un ouvrage qui aborde un sujet lourd auquel, aux dires de l'auteur, beaucoup de ses confrères rechignent, confrontés qu'ils sont eux-mêmes à leur propres doutes. le dernier chapitre leur est d'ailleurs dédié avec la précaution oratoire de l'expurger du jargon technique afin d'emmener jusqu'au point final le profane, lequel aura trouvé dans le reste de l'ouvrage les ressources suffisantes pour ne plus se voiler la face et dormir du sommeil du juste, en faisant que ses rêves ne deviennent pas cauchemars.


vendredi 1 mai 2020

L'homme à l'envers~~~~Fred Vargas

 



À histoire atypique, il faut un flic qui le soit tout autant. Aussi lorsque dans une enquête il est question de loup garou Adamsberg n'hésite pas à s'y impliquer. Surtout lorsque celle qui vient le chercher, le connaissant que trop bien, est une de ses anciennes maîtresses. Il faut dire qu'il n'a pas encore fait le deuil de leur idylle.

N'essayez pas de comprendre le raisonnement d'Adamsberg lorsqu'il se lance dans une enquête. Il n'y a rien de structuré dans sa démarche. Il marche à la prémonition. Son esprit engrange alors les informations, ne les trie ni ne les classe. Il se contente de les accumuler pour le cas où. Elles restent comme les pièces d'un puzzle dispersées dans les méandres de son cerveau et attendent la main qui les organisera le moment venu. Sa conviction se forme dans le même désordre. Peu à peu elle prend forme et vient se substituer à ce qui l'avait incité à s'intéresser à l'affaire, ce qui n'est même pas encore une intuition, ce quelque chose d'indéfinissable : une clairvoyance, un présage qui le contraint à se jeter dedans, quelles que soient les réticences et oppositions.

Drôle d'équipage qui s'est lancé sur les traces d'un présumé loup garou. Il faut dire que ce dernier ne se contente pas d'égorger les brebis. Des humains subissent le même sort sous ses crocs. Mais les gendarmes ont tôt fait de classer l'affaire en accident. Cet équipage qui ne croit pas à l'accident, c'est d'abord Camille, une belle jeune femme qui, comme d'autres sont boulanger pâtissier, est musicienne plombier. L'accointance des deux métiers ne saute pas aux yeux, mais c'est comme ça, c'est Camille. L'autre c'est le Veilleux, vieux berger solitaire et taiseux qui avec l'aide d'un confrère d'alpage téléphone à ses brebis lorsqu'il doit s'en éloigner. le troisième c'est Soliman, l'enfant africain adopté. Sa mère, la Suzanne, à péri sous les crocs du loup.

Mais n'est pas enquêteur qui veut et quand la traque ne fait qu'arriver trop tard et déplorer les victimes, il est temps de faire intervenir un flic qui s'intéressera à ce que les autres négligent. Un flic différent. Spécial. Adamsberg entre en scène. Par la petite porte comme d'habitude, mu par cet embryon de pressentiment lui insufflant que le mythe du loup garou pourrait bien avoir l'apparence de quelque chose de plus humain. Qui lui dit aussi que si Camille est revenue vers lui c'est qu'il faut y voir un signe. Que dans pressentiment, il y a sentiment.

Les dialogues sont savoureux entre ces personnages qui présentent tous une originalité propre à les disperser plutôt qu'à les rassembler. Malheureusement l'intrigue pêche par manque de crédibilité, mais ils deviennent tellement attachants tous ces indépendants que lorsqu'ils se réunissent pour la même cause, on ne craint plus d'embarquer avec eux dans la bétaillère. Elle respire le suint de mouton, mais soit, ils n'avaient rien d'autre sous la main. Et puis Adamsberg, le suint de mouton ne le dérange pas non plus, alors à Dieu vat sur la piste du loup garou.


jeudi 30 avril 2020

Aux cinq rue Lima ~~~~ Mario Vargas Llosa

 



Décidément, ce prix Nobel de littérature me plaît bien. Après la fête au bouc, le second ouvrage de Mario Vargas Llosa que je lis de sa main, bien qu'un ton en dessous du premier, m'est resté très accessible. Et disons-le tout de suite, il est assez chaud. Euphémisme bien connu quand on veut signaler pudiquement quelques scènes pour le moins lascives. Avis aux amateurs. Mais n'en tirez pas de conclusion trop hâtive à mon égard, j'ai été le premier surpris de trouver sous la plume d'un auteur ayant reçu la consécration suprême ce genre de scènes sans équivoque. Mais soit, on n'en est pas moins homme, c'est la vie.

Pour le plus le reste, quand on lit par ailleurs que Mario Vargas Llosa a été candidat malheureux à l'élection présidentielle en son pays en 1990 contre Alberto Fujimori, on ne s'étonne plus de voir notre nobélisé avoir la dent aussi dure envers son adversaire parvenu au pouvoir. L'histoire lui donnera d'ailleurs mille fois raison. Alberto Fujimori a terminé sa carrière politique en prison, condamné ni plus ni moins pour crime contre l'humanité, corruption, etc… le carnet de chansons était chargé.
Pour avoir la dent dure, dans son ouvrage Aux cinq rues, LimaMario Vargas Llosa nous dresse le tableau qui, pour romancé qu'il soit, n'en décrit pas moins les méthodes utilisées pas ce genre de régime autoritaire pour tenir le pays sous une main de fer et mettre toute forme d'opposition dans l'incapacité de nuire à ses ambitions. Menaces, chantage, assassinats sont au menu des agissements des services de sécurité intérieure à la botte d'un président qui pour avoir été élu ne s'en comporte pas moins comme un dictateur.

L'intrigue met en scène les agissements d'un patron de presse à scandale qui se risque au chantage contre un magnat de l'industrie péruvienne, lequel s'est fait piéger par un photographe lors d'une partie fine. Et curieusement, si l'auteur dénonce avec acharnement, et à juste raison, les agissements détournés des malfaisants au service du pouvoir, il traite avec une certaine complaisance les millionnaires à la vie dorée qui s'offrent des ébats langoureux en Floride. La morale n'y trouve pas forcément son compte dans ce pays d'Amérique latine où comme dans beaucoup la juxtaposition des palais et bidonvilles est plus évidente qu'ailleurs.

Il n'en reste pas moins que l'immersion dans l'ambiance de peur et de résignation entretenue par ce genre de régime est très bien restituée et servie par une écriture efficace et sans fioriture. On ne reprochera donc pas son parti pris à notre prix Nobel quand il s'agit de dénoncer vice et injustice.    


mardi 17 mars 2020

Avec toute ma colère ~~~~ Alexandra Lapierre



C'est le 4ème ouvrage que je lis d'Alexandra Lapierre. Autant j'avais été emballé par les trois premiers, autant celui-ci m'a insufflé un certain malaise. La désagréable impression de m'entremettre dans les joutes assassines qui ont opposé ces deux femmes, mère et fille, héritières de la fortune de la ligne de paquebots Cunard. Fortune qu'elles n'ont fait que dilapider tant en valeur qu'en réputation dans leurs frasques, y compris sexuelles, et la haine qu'elles se sont vouée réciproquement.

On ressort de pareille lecture comme d'un pugilat destructeur. A croire que l'atmosphère nocive qui s'était instaurée entre lady Maud Cunard et sa fille Nancy a suinté entre les lignes de cet ouvrage au point d'en rendre la lecture pénible. Situation peu confortable en effet que de se retrouver entre les deux protagonistes que leur comportement mutuel rend détestables, avec une prime pour Maud Cunard, la mère, qui brille par son cynisme, sa mauvaise foi au service d'un racisme chevillé au corps.

Histoire d'un héritage immérité qui n'aura profité qu'aux opportunistes, ces deux femmes ayant joui grassement des plaisirs de la vie, et ne laissant derrière elles qu'une piètre image. C'est en tout cas l'impression avec laquelle je sors de pareille lecture.

On peut saluer quand même une fois de plus la prouesse d'Alexandra Lapierre et le formidable travail de documentation mis en œuvre pour retracer la vie de ces deux femmes sous la forme du huis clos dévastateur de leur relation intime. le personnage le plus sympathique, tel que le présente Alexandra Lapierre, aura certainement été le musicien de jazz noir américain Henry Crowder, amant de Nancy Cunard. Il aura fait montre d'une grande convenance au regard du mépris raciste dans lequel il a été tenu par l'entourage de la famille, Maud Cunard au premier chef.

vendredi 6 décembre 2019

La femme de trente ans ~~~~ Honoré de Balzac

 



Ce fut bel et bien un coup de coeur. Julie était tombée sous le charme de l'officier portant beau dans son uniforme chamarré. La lune de miel n'aura pourtant pas duré longtemps. Les élans de celui qui sera devenu son mari feront dire à l'histoire que le coup de coeur ne fut qu'un coup de tête de la jeune écervelée, mais entêtée Julie, que son père n'aura su réprimer.

Cette entrée en matière donne à Balzac le champ pour se lancer dans une analyse sur les déboires et déconvenues de la vie matrimoniale, venus se substituer à tous les rêves insensés que peut nourrir le coeur tendre d'une jeune fille. Il nous dresse un tableau calamiteux de la noble institution du mariage sous le sceau de laquelle "l'homme a toutes les libertés et la femme tous les devoirs".

Un ouvrage qui fait s'étonner le lecteur quant au titre que Balzac a voulu lui donner, car il s'agit bien de suivre la malheureuse Julie d'Aiglemont sa vie durant, de sa prime jeunesse jusqu'à son dernier souffle. Mais il coupe court aux interrogations quand ce même lecteur découvre son engouement pour "ce bel âge de trente ans, sommité poétique de la vie des femmes" parvenues à ce stade où "elles connaissent tout le prix de l'amour et en jouissent avec la crainte de le perdre". Autour des trente ans, il n'est que frivolité inconséquente en amont, regret d'une jeunesse qui s'enfuit en aval. Comment ne pas y lire le secret fantasme d'un auteur prolixe pour ce qui est en ce siècle une majorité accomplie.

Et pour perdre Julie corps et bien dans son naufrage, sa déconvenue sur le mariage ne lui fera pas pour autant reporter son affection vers sa progéniture. A ses yeux les enfants qui naîtront de l'union avec son époux ne seront que des "enfants du devoir" et non ceux de l'amour, auxquels elle ne s'imposera pas en outre le devoir de leur consentir un amour maternel assidu. Ses échappatoires romanesques dans les bras de quelques amants touchés par sa beauté auront la même conclusion périssable. Femme, mère, épouse, la vie de Julie aura été un champ de ruines. C'est pourtant elle qui survécut à toute la famille.

Triste fresque que nous dépeint Balzac sur l'institution du mariage, contrainte par les codes moraux de la bonne société de l'époque. Ils ne laissaient que peu de latitude à la jeune épousée. On ne défait pas en ce temps un mariage qui n'a pas répondu aux aspirations légitimes. On le subit. Et la soumission étend son préjudice sur plusieurs générations quand les enfants n'y trouvent pas leur compte en termes d'affection. Les solitudes s'additionnent sans se compenser, les rancoeurs se multiplient sans s'abolir.

Si l'on n'est pas surpris dans un roman balzacien par les longueurs descriptives et l'interprétation des sentiments au travers de chaque geste ou attitude, on l'est plus par la structure de cet ouvrage qui agglomère ce qui aurait pu s'éditer en six nouvelles. On est encore plus déstabilisé par les alternances de rythme qu'il imprime à ce périple romanesque dans lequel certains passages nous versent sans transition des atermoiements du cœur à l'aventure la plus folle. Y compris quand il faut déchoir une fortune bien assise par des spéculations hasardeuses et jeter sa victime dans un exil américain. Le roman sentimental se fait roman d'aventure aux multiples rebondissements.

Une lecture en forme de goutte d'eau dans l'océan qu'a été la production littéraire de Balzac. Immense bibliographie qui a le mérite de nous dépeindre par le détail les mœurs de son temps. Un ouvrage qui est arrivé à point dans mon parcours de lecture pour compléter un de ces cycles historiques auquel je m'adonne parfois avec appétit. Je venais de refermer le siècle des lumières et l'Été des quatre rois (Charles X et consort) que j'avais beaucoup apprécié, au-delà des références historiques précises, par la qualité de sons écriture.


vendredi 9 août 2019

Soumission ~~~~ Michel Houellebecq


 
Si l'on convient avec Houellebecq que "seule la littérature peut vous donner la sensation de contact avec un autre esprit humain", le voici qui dans Soumission prend les commandes de celui de son lecteur pour en faire un récepteur docile du développement qu'il lui concocte. de la même façon que, selon l'exercice d'anticipation auquel il se livre, l'islam s'installe le plus légalement du monde aux manettes de notre pays, à l'occasion des élections présidentielles de 2022. Comme un certain Adolf en 1933 en le sien. Hypothèse qui en vaut une autre. Ce n'est peut-être qu'une affaire de calendrier.

C'est mon quatrième Houellebecq. Je retrouve sans peine cette faculté qu'il a d'hypnotiser son sujet avec un discours fluide et enveloppant. Pour ne pas échapper à la triviale réalité, il prend soin toutefois de ramener de temps à autre son lecteur au ras des pâquerettes en l'invitant par exemple à faire les courses au supermarché du coin et choisir les produits qu'il mettra dans son caddie.

Houellebecq sait entretenir son lecteur alternativement dans une forme d'ivresse des sens ou un brouillard de solitude et de frustration en lequel pourtant, en cherchant bien, un soupçon de sentiment doit bien exister malgré tout quelque part. Ce quelque part, lueur vacillante dans la brume, étant certainement dans la proximité du corps féminin. La femme fait certes aussi partie de ce paysage d'une humanité qu'il exècre, mais elle "apporte un parfum d'exotisme" lui permettant d'affirmer que la perte de l'envie de vivre n'est à ses yeux pas une raison suffisante pour mourir.

Le héros de cette anticipation c'est François, universitaire au talent reconnu, la quarantaine désabusée, âge charnière où tout bascule sur l'autre versant de la vie. C'est le grand toboggan vers la fin. Cette dernière n'étant pas dans son esprit l'échéance ultime qui libère de tout définitivement, mais plutôt la perte de la capacité à séduire celles qui justement sont seules à même d'offrir quelques instants d'éternité. Lesquels instants régénèrent le corps pendant, et l'esprit entre deux.

En athée convaincu, ardent pourfendeur du monothéisme, il assiste pourtant avec plus de circonspection que de peur à l'arrivée au pouvoir du parti de la fraternité musulmane. Ledit parti installant sa marionnette à l'Élysée en la personne du chef d'un parti composé que de lui-même : le très consensuel François Bayrou.

Les nouvelles autorités l'écartent du corps enseignant pour incompatibilité dogmatique. Ce recul imposé lui donne par la même occasion le loisir de remarquer que finalement ce que d'aucun présente comme le fléau qui s'est abattu sur la France pourrait en fait bien présenter des arguments de séduction suffisamment convainquant pour remettre en question certains préjugés.

Un ancien collègue à lui, vieux célibataire endurci pour cause de disgrâce visuelle et olfactive, ayant déjà franchi le pas, s'est en effet vu attribuer une épouse en gratification de sa conversion. Une épouse présentée comme la première et ayant à peine l'âge de passer le permis de conduire. A tout bien considérer donc, et voici le fil blanc avec lequel notre prix Goncourt coud habilement cette chasuble littéraire qu'on endosse sans rechigner – je parle pour les inconditionnels - à tout bien considérer donc, notre professeur de littérature sur la touche, athée de conviction, désabusé de raison et délaissé par la passion pourrait bien retrouver les bancs de l'université et les jeunes étudiantes qui y prennent place. Fussent-elles voilées, elles n'en restent pas moins candidates aux cours particuliers à domicile. Où le retrait du voile est autorisé.

A soumission, soumission et demie. Lui à un dogme qui aurait su faire valoir ses arguments, elles à un nouveau maître, choisi pour elles, qui n'avait quant à lui plus beaucoup d'arguments pour les choisir lui-même. Cela tombe bien. Précision grammaticale au passage : "elles" étant un pronom personnel dont le pluriel qui, dans le cas présent et eu égard à la notoriété de notre universitaire, peut aller jusqu'à trois.

Conviction contre passion, drame cornélien à la sauce Houellebecq. Franchira-t-il le pas ? C'est dans Soumission. Le raisonnement est bien échafaudé, le style sans métaphore comme d'habitude.