Dans la croyance taoïste, l'âme ne périt pas. À l'heure de la mort, elle réintègre la Voie. Cet infini de l'espace et du temps où règne la pensée pure et porte ses adeptes à l'espérance d'un prolongement de la vie. Un glissement vers l'infini.
Dao-sheng et Lan-ying brûlent d'un amour inassouvi. Les codes sociaux et moraux
qui prévalaient dans la Chine de l'époque Ming ont placé entre eux des
barrières infranchissables. L'un et l'autre sont réduits à vivre
l'accomplissement de leur désir dans le désir lui-même. Dans la charnelle
certitude de leur complémentarité ils subissent la loi des astres qui selon
l'équilibre des forces contraires s'attirent et se repoussent en même temps, et
restent ainsi à jamais à distance.
La rencontre charnelle de Dao-sheng et Lan-Ying, enracinés dans leur époque,
soumis à leur condition, ne dépassera pas le frôlement des doigts dans de trop
rares occasions. Dao-sheng est alors gagné par la passion mystique qui germe en
lui. Il intériorise le mystère du féminin, avec la conviction qu'envers et
contre tout l'amour relie le visible et l'invisible, le fini et l'infini.
L'amour est quintessence de la pensée pure.
Cette attirance mystérieuse peut-elle se concevoir dans une immense attente,
sans prolongement charnel ? L'amour peut-il être idéalisé au point de faire
oublier l'appel du corps sous l'emprise tyrannique de l'instinct ? Dao-sheng
doit-il son exaltation de l'amour aux seules entraves que la vie terrestre a
opposées à sa rencontre avec Lan-ying ?
Toute manifestation de son aimée, aussi timide soit-elle, est prétexte à
Dao-sheng pour entrer en communion de pensée avec elle. En désespoir du secours
des religions qui se concurrencent à cette époque en Chine, dont celle
enseignée par les nouveaux prédicateurs venus de l'occident, Dao-sheng se forge
à la conviction, peut-être en résignation ou en consolation, que la force de
l'amour trouvera sa consécration au-delà de la mort.
L'intimité n'est pas dans la nudité des corps. L'intimité est dans les
tréfonds de
l'âme. Cette part de la pensée qui ne se manifeste ni par des actes ni par
des mots. L'essence de l'être. Dao-sheng sublime la femme dans sa féminité.
Elle « est chair certes, mais combien cette chair se transmue sans cesse en
murmures, en parfums, en radiance, en ondes infinies dont il importe de ne pas
étouffer la musique". Voilà une vision de la féminité, de l'amour que
n'aurait pas reniée Romain Gary, grand
promoteur de la femme idéalisée.
Magnifique ouvrage sur la quête de cette part manquante à tout homme. À toute
femme aussi, Dao-sheng en a l'ardent désir, tant les manifestations de son
aimée sont rares et timides. Il conçoit cette épreuve comme la promesse, la
preuve même d'un avenir à son amour pour Lan-Ying. La vie sur terre n'est
qu'opportunité de rencontre. Deux êtres qui s'aiment rentreront en connivence à
jamais quand les contraintes de la vie auront été effacées.