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samedi 2 novembre 2019

Lolita ~~~~ Vladimir Nabokov

 



Une belle écriture au service de l'interdit. Un tel ouvrage proposé à l'édition de nos jours ne manquerait pas de faire débat, tant le sujet qu'il aborde - la pédophilie - est éminemment sensible. La gageure avec pareil ouvrage étant de ne pas faire la promotion du vice.

Avec cette narration à la première personne, Nabokov se place dans la peau de celui qui se fait appeler Humbert Humbert, prénom redoublé pour quelqu'un qu'il convient bien d'affubler d'une personnalité dysharmonique selon les termes employés par les spécialistes du comportement. Trouble méprisant les différences de générations pour donner libre cours chez l'adulte à une attirance pour de jeunes, voire très jeunes mineurs.

La nature prédisposant l'homme à la fascination de ce qui lui échappe, la hantise de la fuite de la jeunesse est l'archétype du phénomène propre à générer des fantasmes pervers. De la nostalgie au fantasme, la limite est floue. Du fantasme au passage à l'acte, il y a un fossé que Nabokov fait franchir à son personnage. Animé par les pulsions irrépressibles de son désir, il ira jusqu'à épouser la mère de la nymphette, pour laquelle il n'éprouve pourtant qu'antipathie, afin de vivre dans la proximité de la jeune élue de son coeur, et se voir attribuer un statut de "protecteur". Sombre calcul.

Nabokov dresse un tableau unilatéral d'une relation singulière, toutefois dénuée d'obscénité, relatée par Humbert lui-même, avec la pleine lucidité de la transgression qu'il fait des codes moraux. Et au-delà de ça le mépris de la personne qu'est déjà l'enfant. Le ressenti de la petite Lolita est en effet fort peu abordé. Celle qu'il convient d'appeler la victime n'est connue que par le regard de l'autre, la privant ainsi de l'expression de sa propre souffrance. Car sans la comprendre, Lolita a bien perçu l'anormalité de la relation qu'Humbert lui impose. Les frasques de son comportement prouvent qu'en revanche elle a déjà compris l'ascendant qu'elle avait pris sur son méprisable soupirant, entré quant à lui dans la dépendance de sa juvénilité. Son comportement capricieux est sa manière de se révolter car elle n'a pas encore la force de se refuser à lui. La comblant d'attentions, le manipulateur a alors champ libre pour assouvir ses bas instincts.

Que ressent-elle ? Elle ne le dit pas. de la trahison, de la faiblesse, de la perte d'estime de soi, de la souillure. Sans doute tout cela à la fois. Une chose est certaine, les sens conservant la mémoire des actes, la petite personne est gagnée par la honte et la culpabilité, lesquelles l'enferment dans le silence.

Le héros de Nabokov n'est toutefois pas dénué de sincérité dans ses sentiments. Il est amoureux. Mais il n'a cure de réciprocité pour s'approprier le corps de l'élue de son coeur. Appétit insatiable généré par les strates profondes du désir. Il ne se soucie alors aucunement de la souffrance de l'enfant devenue objet sexuel à sa disposition, puisque entraînée dans un périple en solitaires après la décès de sa mère.

L'écriture est brillante. Le fonds documentaire est riche. Le vocabulaire recherché, parois abscons, met à l'épreuve le bagage culturel du lecteur. Quelques longueurs alourdissent certains passages, sans nuire toutefois à la fluidité d'une plume inspirée et ambitieuse, laquelle fait ainsi contre poids à un sujet lourd. Cette écriture restitue à l'ouvrage la sensualité que la narration du vice lui faire perdre, au point que le lecteur doit prendre garde de ne pas se laisser séduire par le texte et devenir l'avocat du diable. Car il n'est jamais question d'impudeur dans cet ouvrage pour évoquer ce comportement déviant. Convaincu de la sincérité de ses sentiments, Humbert se confie plus qu'il ne se confesse.

Très belle écriture donc, qui aurait gagné en considération à mon sens en donnant la parole à ce qu'il convient bien d'appeler la victime et faire comprendre son vécu intime. Mais le genre romanesque est ainsi, l'auteur assume sa liberté.


mercredi 21 septembre 2016

Dans les forêts de Sibérie ~~~~ Sylvain Tesson


En fait la question était : "me supporterais-je moi-même ?"

Sylvain Tesson était déjà venu au bord du lac Baïkal. Il s'était promis d'y revenir. Il n'imaginait pas alors qu'il déciderait un jour d'y vivre en ermite. Six mois seul, dans une cabane, face à la seule personne qui subsisterait dans le paysage : lui-même. le besoin ressenti de briser la coquille de sédiments culturels dans laquelle la civilisation enferme toute personne et exposer ainsi sa nudité originelle aux "solitudes sacrées" du Baïkal dans son écrin de montagne et de forêt.

Raphaël Personnaz qui interprète le rôle au cinéma - film sorti cette année - n'a pas pu ressentir le même sentiment de plénitude sous l'oeil des caméras.

Pareil défi n'était pas seulement une quête de soi. Il y avait aussi la volonté de se réconcilier avec le temps. Celui qui met tant d'obstination à fuir. Quitter l'angoisse de le voir courir et consumer l'être peu à peu. Et puis ce besoin d'accommodement avec une nature que l'homme met tant d'acharnement à détruire.

Aventurier qui ne connaît ni frontière à son besoin de liberté ni entrave sa soif de connaître, Sylvain Tesson est le narrateur de ses propres pérégrinations planétaires. Berezina, son épopée moderne à side-car sur les traces des grognards de Napoléon, m'avait donné le goût de me frotter une nouvelle fois à son style trépidant. Il a un formidable sens de la formule, soutenu par une culture livresque affichée. Ce dernier aspect pourrait en revanche être de nature à vexer le lecteur susceptible parce qu'en retrait de connaissances littéraires. Ce style est parfois lapidaire, télégraphique, tout droit sorti du carnet de notes, mais il vous bouscule, vous emporte sur les sommets surplombant le Baïkal, dans la profondeur de la taïga, par tous les temps. Il sait être imagé, parfois poétique, pour décrire celle au chevet de laquelle il s'enflamme à lui rendre hommage : la nature. Mais ses tournures poétiques ne n'alanguissent pas longtemps. Un humour piquant et spontané, qui n'appartient qu'à lui, cueille à froid celui dont l'esprit se serait laissé griser aux vapeurs de la vodka qui coule à flot ou étourdir à la fumée des cigares qui embrument la cabane. Faut-il s'engourdir l'esprit pour tutoyer le sublime ?

Sylvain Tesson a la conviction que les idées ne doivent pas être pensées, mais vécues. Il est de ceux qui vont au bout de leurs idées. Quitte à mettre en péril plus que sa propre vie, celle de son couple. Extase et amertume seraient-elles deux soeurs inséparables ?

Mais au fait, était-il vraiment seul en son ermitage précaire ? N'était-il pas déjà avec son lecteur ? Alors mystificateur Sylvain Tesson ? Surement pas. La sincérité perle à tous les pores de la peau de celui qui consomme la vie par toutes les extrémités et pour qui impossible n'existe pas au vocabulaire. J'ai beaucoup aimé ce récit enflammé d'une expérience où il est fait la preuve que la richesse peut venir du dénuement. "Être heureux, c'est savoir qu'on l'est". Tout simplement.

dimanche 24 avril 2016

Berezina ~~~~ Sylvain Tesson

 


Je suis encore engourdi par le froid à la fermeture de cet ouvrage. Mais J'ai aimé la formule. Récit d'aventure sur fonds de commémoration historique d'un événement que l'on préfère effacer notre mémoire collective.

C'est oublier dans tout ça les êtres humains perdus dans l'immensité glaciale, lacérés par le blizzard, tenaillés par la faim, harcelés par les cosaques, ne trouvant nul autre refuge que les griffes du général hiver dans leur retraite honteuse. C'est cette perspective à l'issue fatale que Sylvain Tesson tente d'appréhender en refaisant le parcours de la retraite de Russie de 1812. Elle a laissé dans notre vocabulaire cette expression imagée symbole d'une déroute monumentale : Berezina. Il a voulu s'imprégner du paysage, se frotter aux frimas pour s'approcher de l'état d'esprit qui a pu tomber sur les têtes de ces soldats aux uniformes autrefois chamarrés devenus des pauvres hères promis à la mort.

Sylvain Tesson y fait le parallèle entre la mentalité qui pouvait animer les contemporains de 1812, galvanisés par l'empereur, au point d'aller mourir dans ses folles équipées guerrières, tout en lui conservant étonnamment leur vénération, et celle de notre époque, pour une question : pareille équipée serait-elle envisageable de nos jours ?

Mais il pose une autre question en corollaire. Que serions-nous capables de supporter qui approche les souffrances endurées par nos ancêtres ? Nous qui n'acceptons plus les lois de la nature, nous qui sommes prompts à protester et à nous plaindre dès que notre confort est écorné un tant soit peu.

Voilà un ouvrage qui ne se donne pas de prétention philosophique mais qui pourrait quand même en afficher. Il est en outre plaisant à lire avec l'humour froid de son auteur, pas autant que le climat des steppes russes, mais bien piquant quand même. J'ai beaucoup aimé.