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mercredi 16 décembre 2020

La Mer de la fertilité, tome 2 : Chevaux échappés ~~~~ Yukio Mishima

 


Dans le code samouraï le courage n'est pas une vertu aveugle, ni la passion bonne conseillère de l'action. Selon les principes fondant l'éthique, la culture du zen tempère la spontanéité de ces ardeurs. Mais cette pratique martiale est aussi la plus à même d'être enfreinte par la fougue de la jeunesse.

Dans les années 30, au sortir de l'adolescence et à la lecture de la Société du Vent Divin, une brochure relatant la révolte d'une élite traditionnaliste se réclamant de l'esprit samouraï sous l'ère Meiji, Isao Iinuma a fait sienne l'éthique de la noble caste. Cette élite d'ardents patriotes condamnait l'ouverture du Japon à la culture occidentale jugée néfaste au pays. Leur mouvement fut un échec. Ils le lavèrent dans leur propre sang en se donnant la mort par le suicide rituel.

Son intention est de fonder la Société du Vent Divin de l'ère Shōwa

Depuis que Hirohito a été intronisé empereur du Japon en 1926, ouvrant l'ère Shōwa, Isao Iinuma voue un véritable culte et une loyauté indéfectible à son souverain. En son esprit, il incarne Dieu sur terre. S'inspirant du code éthique samouraï qui respecte les sept principes de droiture et sens du devoir, courage héroïque, bienveillance et compassion, politesse et respect, sincérité et vérité, honneur, devoir et loyauté, Isao jure de consacrer sa vie à la haute autorité gardienne des traditions ancestrales. Dans l'inconséquence de la jeunesse, il se donne pour mission de parachever l'intention de purification du pays qu'avaient nourrie ses anciens. le but étant d'éliminer ceux qui par adoption du système capitaliste piétinent les valeurs morales ayant prévalu dans la culture japonaise jusqu'à son ouverture à l'occident en 1854. Isao recrute à la cause quelques jeunes de sa génération, dont certains mineurs, non sans avoir évalué la sincérité de leur engagement. Son intention est de fonder la Société du Vent Divin de l'ère Shōwa. Ensemble ils échafaudent un plan de purification comportant l'élimination des sommités corrompues.

Dans l'esprit samouraï l'exaltation d'un idéal, fut-il une cause perdue, ne se conçoit pas sans le sacrifice suprême, la purification par la lame immaculée : "Être un homme, c'est ne point cesser de s'élever à force vers le sommet de la condition humaine, pour y mourir dans la blancheur neigeuse de ce sommet." Tous ceux qui resteront fidèles à la cause font ainsi vœu de se donner la mort par le suicide rituel en glorification de leur action.

élévation spirituelle qui magnifie la personne au rang de héros

Shigekuni Honda, devenu une sommité dans la magistrature japonaise, veut voir en Isao Iinuma la réincarnation de son ami Kiyoaki mort 19 ans plus tôt de son amour refoulé pour la belle Sakoto*. Outre quelques traits physiques il retrouve dans le journal de ses rêves, que lui avait confié Kiyoaki à sa mort, des présages qui lui donnent la certitude de la survivance de son âme sous les traits d'Isao. Il y retrouve aussi cette élévation spirituelle qui magnifie la personne au rang de héros. Héros de l'amour pour Kiyoaki. Héros de la pureté du sentiment national pour Isao. Un idéal promu moteur de conduite et catalysant un nationalisme qui, faisant des émules à la veille de la seconde guerre mondiale, conduira le Japon à sa perte en le livrant à l'impérialisme débridé, allant jusqu'à défier le pays devenu la plus grande puissance mondiale le 7 décembre 1941 à Pearl Harbour. Shigekuni Honda, en respect pour l'attachement qu'il vouait à son ami disparu, et selon lui réapparu sous les traits de Isao, abandonne son poste afin d'avoir les mains libres et sauver Isao de sa folle entreprise.

Les chevaux échappés : sous ce titre énigmatique qui peut figurer l'emballement de la race noble, Mishima retrace l'ascension spirituelle d'une jeunesse utopiste laquelle s'auto investit de la mission de faire rempart autour de son empereur face aux tenants de la modernité spéculative. Elle fait serment de protéger le pays de l'ingérence d'une culture occidentale jugée impure et incompatible avec les mœurs de la société japonaise.

A l'instar du théâtre Nô...

Si l'on n'est pas averti du lien sacré qui unit l'homme à la nature dans la culture japonaise, on peut souffrir des longueurs et des digressions contemplatives qui jalonnent pareil texte quand Mishima porte ses héros à s'inspirer des éléments naturels pour y puiser force et beauté. Les symboles foisonnent dans des allégories sophistiquées et les litanies évocatrices qui peuvent rebuter le lecteur réfractaire à la méditation. Cette culture peut paraître hermétique à la nôtre, laquelle a fait table de rase de ses valeurs et traditions pour se fondre dans le grand malstrom de la société de consommation, abandonnant aux poètes romantiques la célébration de la nature. A l'instar du théâtre Nô, l'écriture de Mishima peut paraître manquer de rythme à qui ne s'intéresse qu'au factuel au détriment du décorum et de l'exhortation des sentiments portés par la seule gestuelle. Mais la démarche spirituelle qui pousse un homme à se sacrifier par le suicide rituel, le seppuku, justifie ce long processus de maturation de l'esprit afin d'imprégner le lecteur de la psychologie, des rites et traditions des idolâtres du faste impérial japonais.

Deuxième opus de la Mer de la fertilité, n'oublions pas que Mishima est dans son œuvre-testament en chemin vers la blancheur neigeuse du sommet de la vie.

(*) Voir Neige de printemps, premier opus de la tétralogie La mer de la fertilité.


mardi 7 août 2018

Belle du seigneur ~~~~ Albert Cohen


Belle du seigneur, superproduction de l'amour. Inadaptable au cinéma. Même si Glenio Bonder a tenté de relever le défi en 2013. La preuve que le tout puissant septième art a aussi ses limites. Inadaptable au cinéma car sans doute tout simplement inadaptable à la vie. Quelle réalité pour rivaliser en effet avec l'imagination débridée, intarissable, le talent démesuré d'Albert Cohen dans ce roman ? Hégémonie d'un esprit, seul capable de traduire l'inénarrable.

Plus de mille pages de digressions mentales les plus folles, pour dire le ressenti intime. Mille pages pour dire que les manifestations terrestres de l'amour ne sont pas l'amour, mais que "babouineries".

Quel réalisateur pour mettre en images les chapitres les plus forts de cet ouvrage ? le chapitre XVIII par exemple. Dix-sept pages dans l'intimité des pensées d'Ariane, sa nudité spirituelle. La beauté de ses émotions. La laideur de ses idiomes abêtissants qui tentent de mettre en mots des peur, espoir, colère, joie, et tant d'autres fulgurances qui jaillissent en cascade dans le plus complet désordre, la plus parfaite spontanéité. Au coeur de la mystérieuse alchimie qui fait naître des pensées d'un organe périssable. Dix-sept pages d'une grande bousculade sans la moindre bouffée d'air. Pas la moindre ponctuation. Quel acteur pour déclamer cette tirade ?

Phénomène curieux que le sentiment. Pourquoi lui, le seigneur ? Pourquoi elle, la belle ? Tous deux futurs morts. Quelle prouesse que de mettre en mots l'amour divin qui vient fondre en un seul, dans le même creuset, deux coeurs, deux esprits, deux âmes. La réunion des corps n'est qu'illusion. Le faire comprendre c'est le sommet du talent.

Quel réalisateur pour mettre en image le chapitre XXXV : "je vais vous séduire". Mais à cette fin je vais commencer par être odieux. Odieux sur cinquante-quatre pages. Vous donner mille raisons de me détester. De détester l'amour. L'amour terrestre. Vous convaincre que l'amour c'est bien quand on l'ambitionne. Le vivre c'est déjà le voir mourir.

Quel réalisateur pour mettre en image la frénésie de l'attente. L'éternité en une minute. Vingt-et-une pages pour languir, aux aguets d'un signe de vie, d'un signe d'espoir, d'une poignée de porte qui tourne. Les pages défilent dans un temps suspendu.

L'amour absolu, exclusif, égoïste, comme il doit être. Solitude à deux. L'amour se satisfera-t-il des exigences du corps ?

Résistera-t-il à l'érosion du temps, à la solitude dans laquelle il plonge ceux qui s'aiment dans un monde de cupidité, de haine ? 1936. La raison perdue, la raison et son cortège d'ennui, d'habitudes, de nécessités retrouvera-t-elle ses droits pour sauver les amants d'une félicité inconcevable pour des êtres de chair et de sang ? L'amour céleste résistera-t-il à son ennemi terrestre le plus féroce : la jalousie ?

Belle du seigneur, admirable de talent. Trop, peut-être. Tout est trop dans ce roman. Trop beau, trop éloquent, trop fort. Trop long aussi. Trop improbable, ces deux cœurs qui trouvent la connivence absolue. Tout est trop. Mais ce tout est si peu pour dire l'amour. Albert Cohen a dû se plier aux contraintes terrestres pour dire l'amour, mais on sent bien avec lui que ces mille pages auraient pu être dix Mille, cent mille, pour dire l'espoir dans l'amour. Albert Cohen nous fait comprendre qu'il n'a été que le vecteur d'une inspiration, d'une transcendance. Pour nous enseigner que l'amour est un concept trop haut pour être vécu ici-bas.

L'auteur abuse de son pourvoir de fascination. Il séquestre son lecteur. Narcissisme suprême de la main qui matérialise les divagations d'une imagination incontrôlée. Verve sophistiquée, féconde et intarissable. Logorrhée verbale stupéfiante des Mangeclous et consorts. Humour désopilant. Humour décalé dans ce drame de l'amour qui ne trouve d'assouvissement que dans la perspective de la mort. Ariane et Solal n'ont pas la force pour endurer celle de leur amour. Ils n'ont que leur pauvre corps périssable pour supporter l'amour infini. Malédiction de ne pouvoir vivre une bénédiction.

Roman trop long pour dire les manifestations de l'amour. Roman trop court pour dire l'Amour.

mercredi 14 septembre 2016

Des souris et des hommes ~~~~ John Steinbeck

 


Quelle curieuse manie que celle de Lennie d'aimer caresser le duveteux d'un pelage. Celui de la souris morte dans sa poche par exemple ou encore de ce chiot qui vient de naître. Fût-ce au péril de ce dernier. Mais il ne s'en rend pas compte. Lennie est un grand balourd simplet.

Et qu'en serait-il du soyeux de la chevelure d'une femme, un peu aguichante par exemple…?

George le surveille de près. Il l'a pris en affection et lui dicte sa conduite, même s'il l'énerve un peu. Parce que Lennie est un gentil, qui l'écoute et lui obéit. Le problème avec Lennie est qu'il ne connaît pas sa force. George sait surtout que Lennie ne mériterait de toute façon pas la sanction d'une de ses bêtises.

Les souris sont à la fois malicieuses et agaçantes, mais si attendrissantes. Les hommes quant à eux … on ne connaît que trop leurs vices. C'est pour cela qu'il faut protéger Lennie.

Magnifique roman, très court, de Steinbeck dont le titre est si bien choisi.