Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

jeudi 30 septembre 2021

Le jeune homme au bras fantôme~~~~Hélène Bonafous-Murat

 




Dans le roman historique l'imagination est un liant qui agglomère les faits que l'histoire a laissés à notre connaissance. Au gré de l'auteur de donner à son intrigue la tournure que ne contrediront pas ces derniers. Hélène Bonafous-Murat se livre à cet exercice avec bonheur dans ce second roman historique de son cru. J'avais particulièrement apprécié La Caravane du Pape de sa main, le jeune homme au bras fantôme confirme le succès à mes yeux, tenant cette fois son intrigue entre deuxième république et second empire.

Dans ce roman au titre bien inspiré si le point de départ de l'intrigue est fidèle à un fait avéré, ainsi que l'autrice le précise en note de fin, il prend une tournure résolument plus optimiste que celle de la vie réelle de son héros. Après l'abattement qui n'a pas manqué de réduire le jeune homme amputé d'un bras lors d'une répression aveugle des troupes du Préfet, la chance aidant, ce dernier parvient à se construire vies professionnelle et affective porteuses d'espoir. L'espoir en ces temps de classes très cloisonnées étant surtout fruits du labeur et de volonté, voire aussi de malice. La chance étant dûment contingentée par les codes sociaux et moraux en vigueur.

La force de pareille œuvre est sa capacité à transporter son lecteur en des temps et lieux qu'il n'a pu qu'effleurer selon son assiduité en classe d'histoire. La mise en ambiance et situation est réussie avec cet ouvrage. Il dresse une fresque fidèle d'une Europe en pleine révolution industrielle avec ses acteurs de progrès mais aussi ses profiteurs et laissés pour compte. Un roman qui sent le cuir, l'encre d'imprimerie, les petites boutiques au comptoir en bois et fonds d'ateliers obscurs où l'on ne comptait pas ses heures pour boucler les fins de mois.

Au jeune homme au bras fantôme - jolie formule pour éluder le triste sort du manchot - il fallait une bonne dose d'intuition et de volonté pour espérer survivre et se construire un avenir. Hélène Bonafous-Murat a fait ce pari, cela donne une belle dynamique au roman sur fond de lutte des classes et espoir en le progrès industriel dans notre France du XIXème siècle. Un roman historique intéressant et crédible dont l'écriture n'est en rien empesée par les us et coutumes de l'époque. Une belle réussite.


samedi 11 septembre 2021

La redoutable veuve Mozart ~~~~ Isabelle Duquesnoy



 
J'ai décidemment un faible pour le style d'Isabelle Duquesnoy. J'aime sa spontanéité, sa verdeur dans le langage. Cela confère affirmation et truculence à ses personnages, de ceux qui ne se laissent pas marcher sur les pieds. Encore faut-il que je fasse la part des choses entre sa propre écriture et les propos qu'elle leur prête. Mais certainement les choisit-elle sachant les voir s'imposer à leur entourage par la seule force du verbe.

Ascendant qu'elle a exercé en premier lieu sur les deux fils qui lui sont restés des six enfants qu'elle avait mis au monde. Au point de les étouffer à les vouloir perpétuer le génie de leur père. « Voilà des années que tu me fais ployer devant le spectre de mon père, que tu compares ma musique à la sienne, que tu relèves sur mon visage les traces de sa figure » lui jeta à la figure le cadet de ses enfants survivants, excédé qu'il fut par la pression que lui appliquait sa mère.

Question caractère, avec la veuve Mozart on est servi. le personnage n'envoie pas dire par autrui ce qu'il a sur le coeur. Elle a survécu cinquante ans à son époux adulé. Celui dont elle revendiquait la jalouse propriété en en parlant jamais autrement qu'en l'appelant « Mon Mozart ». Surtout lorsqu'elle se heurtait à sa belle-famille, sans doute méprisante de l'alliance qui ne permit pas à Wolgang de mettre un pied dans la haute société. Constanze a consacré sa vie à entretenir sa mémoire et beaucoup plus que cela même, à lui bâtir la popularité que ses contemporains lui avaient boudée. Qui pourrait croire, connaissant aujourd'hui la renommée de ce génie de la musique, que Mozart est mort endetté jusqu'au cou.

Mozart serait-il tombé dans l'oubli si son épouse n'avait consacré le restant de ses jours à remuer ciel et terre pour faire valoir son génie. « Vienne ouvre ses bras mais ne le referme jamais. » Mozart a été inhumé à la fosse commune. Et remuer la terre Constanze l'a fait, des nuits entières à creuser le sol pour exhumer les restes de « son Mozart » et lui donner la sépulture qu'à ses yeux il méritait.

L'opiniâtre mère n'a jamais baissé les bras pour faire éclater le génie de son époux trop tôt disparu à trente-cinq ans. Elle a laissé en héritage à ses enfants, outre l'aisance financière qu'elle avait eu l'intelligence de constituer, la gloire d'un compositeur dont le talent est de nos jours une évidence. Des statues, des noms de places et de rues, une fondation, des festivals, un Mozart joué par les plus grands tant qu'il y aura des pianos et des violons : « La popularité universelle de Mozart, c'est moi » pouvait-elle se glorifier. À juste titre.

On se convainc à la lecture de cet ouvrage que cet acharnement n'était pas appropriation. Tant Constanze était imprégnée du génie de son époux et déçue de l'avoir vu partir dans la quasi indifférence de ses contemporains. Sans doute en seule motivation qu'il n'était pas noble. Les seuls dont on pouvait orner la sépulture de croix et plaque. Mozart à la fosse commune. Qui pourrait l'envisager aujourd'hui ? Époque maudite où les honneurs étaient dictés par le mérite d'être « bien né ». Quel beau mérite !

Constanze a consacré sa vie à rendre justice à celui qu'elle n'avait pas aimé pour son seul talent. Isabelle Duquesnoy nous apprend la sincérité de son amour pour l'homme. Elle nous dresse le portrait d'un homme simple, lui aussi original, facétieux et tout entier versé à son art.

Cet ouvrage m'a comblé. J'aime la façon qu'a cette auteure de nous embarquer dans le tourbillon d'une femme de caractère, une femme amoureuse, décidée à faire rendre gorge à ses pleutres de Viennois qui avaient dédaigné son époux de son vivant jusqu'à le laisser enterrer comme un gueux. Autant que son génie, c'est justice qu'elle voulait rendre à son époux. C'est le cadeau qu'elle fit à la postérité. Cadeau à ses inconditionnels de tous les temps qui de noblesse ne reconnaissent que celle du talent.


mardi 7 septembre 2021

Là où chantent les écrevisses ~~~~ Delia Owens

Voilà un ouvrage qui jouit d'une cote exceptionnelle sur Babelio et pas seulement. Il n'est ni plus ni moins que deuxième des meilleures ventes en poche après son succès en édition originale. Il ne m'a cependant pas touché à hauteur de cette cote, sans toutefois me déplaire. de la même façon que les amitiés ne se transmettent pas, l'engouement inconditionnel ne m'a pas gagné. Il y a entre un ouvrage et un lecteur une alchimie complexe qui s'apparente à l'inclination entre les êtres. J'ai bien peur que les lecteurs aient donné leur satisfécit en forme de soutien à la jeune fille abandonnée et rejetée par tous, plutôt qu'à la qualité de l'ouvrage proprement dite. Une forme de compassion orchestrée en rachat du comportement d'une société indigne. L'intrigue y est à mon goût très artificiellement construite et proche du naufrage dans le pathétique dégoulinant, en tout cas dans sa première partie. La phase qui concerne l'enquête sur la mort de Chase Andrews, l'accusation, le procès et l'épilogue sauvent l'ouvrage du misérabilisme définitif. La chute est surprenante et a quelque peu racheté l'ouvrage à mes yeux.

C'est le propre du genre romanesque que de s'affranchir du crédible pour se focaliser sur l'essentiel : la stimulation des émotions. Mais à trop vouloir en faire on aboutit à l'effet contraire, au risque de perdre en empathie pour un personnage lequel attire sur lui, il faut bien le reconnaître, tous les malheurs de la vie terrestre. L'auteure en fait une victime expiatoire de la forfaiture des autres, sans évidemment la moindre part de responsabilité de l'infortune qu'elle endosse à son corps défendant.

Mais à trop piétiner l'innocence, faisant de Kya une sauvageonne recluse en sa cabane avec la sollicitude des seuls animaux du marais, l'auteure s'est rendue compte à un moment qu'il fallait justifier le mauvais sort qui lui était réservé. Elle tente alors un rétro pédalage à faire admettre au lecteur qu'une mère puisse abandonner ses enfants répondant ainsi à une sourde prédisposition de toute espèce à transmettre ses gènes coûte que coûte, y compris en sacrifiant une génération. C'est assez indigeste.

La vie de la pauvre Kya est une surenchère d'atteinte à l'intégrité affective de la toute jeune fille, histoire de bien enfoncer le clou de la commisération : abandon, solitude, rejet, trahison amoureuse et pour finir, accusation de meurtre. Acharnement opiniâtre du sort. Heureusement que le bon Jumping est là pour éclaircir le tableau. Sauf que dans cette Amérique raciste des années 60 il est noir et ma foi fort démuni pour défendre le cas de la jeune Kya auprès de ses congénères blancs. le tableau resterait désespérément sombre si ce n'était quelques coups de baguette magique qui promeuvent la sauvageonne en naturaliste, artiste, auteur de renom.

La deuxième partie est plus crédible parce que moins nécessairement sordide. le suspense reprend ses droits. La justice suit son cours. L'avocat est vertueux et compétent. Avec la tenue d'un procès à l'américaine - objection votre honneur la question est tendancieuse et propre à orienter la réponse du témoin. Objection rejetée, poursuivez monsieur l'avocat général – le réalisme reprend ses droits. Anxiété de l'attente du verdict.

Alors bien sûr, il y a l'ode à la nature. Unanimement saluée à juste titre. C'est le côté terre nourricière savamment dépeint. Joliment dépeint. La poésie est au rendez-vous. Il contrebalance efficacement la dérive artificielle de l'intrigue. C'est la vie du marais. Avec Kya on hume les senteurs, on entend les bruissements animaux, le clapotis de l'eau, on ressent humidité et fraîcheur de l'aube. On voit le soleil percer les brumes sur le marais. La faune s'éveille. Les nocturnes se terrent jusqu'à la nuit prochaine. On se perd dans le marais avec délice, quand on est sûr de passer la nuit à l'abri. On fait confiance à la jeune Kya pour nous conduire à ses lieux d'intérêt, de fuite, de dissimulation, d'observation, de communion avec la nature. C'est le bon aspect du roman. Il est réussi. Il est inspirant.

Un roman de valeur inégale selon moi. Il perd à mes yeux une partie de son âme à vouloir forcer le trait de l'émouvant. La jeune Kya devient un bouc émissaire de commisération, elle y perd en humanité. C'est dommage parce que l'aspect communion avec la nature est plutôt réussi.


jeudi 2 septembre 2021

Une chambre à soi~~~~Virginia Woolf



Nous y voilà ! Enfin presque. En 1928 Virginia Woolf prédit que « dans cent ans les femmes auront cessé d'être un sexe protégé ». Protégé, à comprendre d'après ce que je viens de lire dans le sens de dominé. Je n'en suis guère étonné. Après Simone de BeauvoirBenoîte Groult, je poursuis mon parcours de découverte du combat féministe. Dernière expression que j'ai envie de convertir en combat égalitaire. Tant celles précitées n'ont eu de cesse de vouloir gommer la différenciation sexuelle pour que la femme trouve dans la société la juste place qui lui est due. Abolir toute hiérarchie de genre et devenir des égales. Ni plus ni moins.

C'est donc un espoir que formule Virginia Woolf dans Une Chambre à soi. Un espoir qui se dévoile au creux de ce pamphlet, lequel délivre aussi son lot de ressentiments. Un espoir timide et fragile comme la flamme d'une bougie dans le vent. C'est tout naturellement en sa qualité de femme de lettre que Virginia Woolf se penche sur le sort de la femme au travers du prisme de la production littéraire. Au XIXème siècle les femmes commencent seulement à se faire connaître en littérature. Bien sûr il y a eu au cours des siècles précédents des Jane AustenGeorge Eliot, Anne Finch, et autres sœurs Brontë pour ce qui est de la littérature britannique, mais Virginia Woolf clame haut et fort que le talent qu'elles ont déployé eut été décuplé si ces dames avaient disposé d'une chambre à soi. Expression choisie pour décrire les difficultés qu'ont eu ces auteures à faire éclater leur génie, tant les conditions matérielles, de temps mais surtout de solitude indispensable pour accueillir le fluide pur de l'inspiration leur étaient comptées. Jane Austen écrivait dans la pièce commune et cachait ses manuscrits à la vue des importuns. Se faire éditer était une autre difficulté. À l'indifférence, au mépris se substituait cette fois l'hostilité de la gente masculine qui maîtrisait le monde de l'édition. Virginia Woolf propose de relire Jane Austen en scrutant ces pans de talent qui ont été contraints. Allant jusqu'à conclure « Que pouvait-elle faire d'autre que mourir jeune, déformée et contrariée. »

Ce qui lui fait extrapoler que, la moitié du genre humain ayant été décrétée inférieure par nature, la femme de classe moyenne n'existe pas dans l'histoire. Citant Périclès pérorant que « la gloire pour une femme est que l'on ne parle pas d'elle. » C'est donc à une acrimonie rétrospective à laquelle se livre Virginia Woolf, s'inscrivant à la liste de celle qui ont eu le cran de critiquer le sort qui leur était réservé, parfois au prix de leur vie. Olympe de Gouge : « si une femme peut monter à l'échafaud, elle doit avoir le droit de monter à la tribune. »

Une lueur d'espoir donc dans l'esprit de Virginia Woolf lorsqu'elle écrit Une chambre à soi en ce tout début de XXème siècle. Y sommes-nous donc en 2021 ? Sur les 94 ouvrages dont Babelio dresse la liste pour cette rentrée littéraire, j'en ai compté 40 qui sont l'œuvre de femmes. 40 qui ont donc trouvé une chambre à soi pour s'isoler et donner libre cours à leur talent. Gageons qu'à la rentrée littéraire de 2029 on s'approche de la parité dans le domaine de l'édition. L'espoir de Virginia Woolf semble avoir été visionnaire en tout cas pour le temps nécessaire au rétablissement de l'équilibre. Quant aux domaines de la parité en politique, de l'égalité des salaires dans le milieu professionnel, de la répartition des tâches ménagères dans le couple, ce sont là d'autres sujets qu'il conviendra d'aborder après la rentrée littéraire de 2029. Une chose après l'autre. (Hum, hum...!)