Ce n’est pas seulement une biographie d’Olympe de Gouge que
nous propose Benoîte Groult, c’est surtout un recueil de ses idées de femme
lucide sur la condition de son sexe. L’autre sexe ainsi que le qualifie Simone
de Beauvoir. Celui qui depuis l’aube des temps vit dans l’ombre de la mâle
domination. Idées qu’Olympe de Gouge a traduites en d’innombrables textes
placardés dans la capitale ou adressés aux tenants du pouvoir dans la frénésie
de son combat. Idées qu’elle a aussi mises en scène dans les pièces de théâtre de
son cru.
Des idées très avancées sur son temps. En ce sens qu’il n’était
pas prêt à les recevoir. Mais de toute façon très en retard sur ces millénaires
d’apparition de l’humanité sur terre. On dirait aujourd’hui qu’elles étaient
très modernes ces idées. Sans doute pour dire qu’elles nous semblent encore
d’actualité.
Son tort a été de les clamer haut et fort ces idées, à la
face de ceux qui, bien qu’eux-mêmes initiateurs de procès en crimes contre le
peuple devenu souverain, avaient oublié que le peuple est constitué pour moitié
de femmes. Ils n’étaient donc pas prêts à faire leur propre procès pour avoir
tenu sous le joug celle à qui ils ont imposé leur supériorité, forcément
usurpée. Olympe de Gouge a cru pouvoir initier une autre révolution dans la Révolution.
Elle ne réclamait ni plus ni moins que le droit de monter à la tribune
puisqu’on lui opposait celui de monter à l’échafaud.
Emancipation de la femme, plaidoyer pour le droit au divorce
à son initiative et un statut équitable pour les enfants naturels, mais aussi abolition
de l’esclavage, création d’une caisse patriotique, forme de sécurité sociale qui
ne disait pas encore son nom, d’un théâtre national en contre-poids d’une
Comédie Française monopolisant la création, ouverture de maternité offrant de
bonnes conditions sanitaires aux femmes en couche, le tout porté par une
déclaration universelle des droits de la femme, tels étaient ces idées
d’avant-garde étouffées par des millénaires de soumission. Une révolution qui dans
sa grande naïveté irait au bout de celle engagée en 1789. Une révolution que
les tenants du pouvoir du moment ont travesti en contre-révolution, afin de ne
rien perdre des prérogatives qu’ils venaient de s’arroger à grand renfort de
têtes coupées. La monarchie était tombée mais pas le patriarcat.
On n’en attendait pas moins de Benoîte Groult dont on
connaît la pugnacité en termes de combat pour que non seulement notre siècle
connaisse enfin l’équilibre, mais aussi pour que s’établisse la reconnaissance
de l’usurpation de statut au bénéfice du seul mâle. Que soient moqués ceux qui
se sont rendus illustres aux yeux de leur congénères en proclamant des sentences
du style : « Il y a un principe bon qui a créé l’ordre, la lumière et
l’homme. Et un principe mauvais qui a créé le chaos, les ténèbres et la
femme. » (Pythagore au 5ème siècle avant notre ère).
Bel hommage de Benoîte Groult à celle dont le courage,
poussé à l’inconscience, l’a fait monter à l’échafaud, sans renier ses
convictions, convaincue de son bon droit. Ce que Benoîte Groult restitue bien à
la lecture de son texte, c’est la solitude de cette femme dans son combat.
Abandonnée par son père naturel auprès d’une famille d’adoption, elle forgea elle-même
sa propre culture, mena seule son combat pour que soit réservée à la femme une
autre condition que celle destinée à élever les enfants de son époux. Elle n’a pourtant pas trouvé le levier propre
à soulever l’enthousiasme de ses contemporaines. Même son propre fils
l’abandonna à son rêve d’une société juste et équilibrée.
Les deux premiers ouvrages que j’avais lus de la main de
Benoîte Groult avait forgé mon engouement pour cette auteure. J’ai été comblé de
pouvoir, grâce à elle, faire la connaissance de cette femme d’autant plus
méritante que son combat fut solitaire à une époque où l’on ne risquait rien moins
que sa vie pour faire valoir ses idées.