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mardi 26 octobre 2021

Berthe Morisot - le secret de la femme en noir~~~~Dominique Bona

 


On peut légitimement se demander pourquoi écrire une nouvelle biographie quand sept existent déjà sur le personnage choisi. Il faut être à mon sens persuadé d'apporter quelque chose de nouveau à la connaissance du sujet en question. Si ce n'est un fait, au moins un aspect resté inexploré de la personnalité. Quelque chose que la sensibilité de l'auteur mettra à jour. Dominique Bona n'avait-elle pas trouvé dans les précédentes biographies de Berthe Morisot l'éclaircissement du mystère que le regard de celle-ci oppose à ses contemplateurs. Car c'est à n'en pas douter ce regard à la fois insondable et mélancolique qui a intrigué Dominique Bona. Regard profond, désarmant, qu'Edouard Manet a si bien reproduit chaque fois que Berthe Morisot lui a servi de modèle.

Les artistes ont tous leur part d'ombre. du fond de laquelle ils vont puiser cette limpidité que fait jaillir leur inspiration. le talent consistant à abreuver les autres à cette source confidentielle. Berthe Morisot, artiste secrète s'il en est, n'exprimait jamais mieux ses intentions que dans sa peinture. Surement pas dans le bavardage, défaut bien féminin dont elle a été préservée selon Dominique Bona. Son art dévoilait à son entourage ce qu'en femme introvertie son cœur n'exprimait qu'avec circonspection.

Elle avait en son temps le double handicap d'être une artiste avant-gardiste dans un courant pictural, l'impressionnisme, qu'il était tout autant, et d'être une femme. Au XIXème siècle la femme était vouée à la frivolité et n'existait que lorsqu'elles devenaient mère de ses enfants. Berthe Morisot n'a pas dévié du chemin qu'elle s'était tracé. Elle a voulu être femme pour elle-même, et ne séduire que par son art. Exprimer ainsi ce que sa nature profonde ne savait dire qu'au bout de ses pinceaux. Femme et artiste au XIXème siècle, deux raisons de disparaître qui lui ont donné deux raisons d'exister.

Le mot mystérieux est celui qui revient le plus souvent dans les pages de Dominique Bona à l'écriture très agréable. Berthe Morisot augmentait le mystère du féminin d'un autre, celui de l'observatrice taciturne du monde qui l'avait vu naître et avec lequel elle ne communiquait bien qu'avec son art. Les confidents en paroles et en écrits étaient rares à cette femme dont le détachement aux choses du monde pouvait paraître froideur : sa sœur Edma, le poète Mallarmé, sa fille Julie. La femme inspirée par une muse qu'elle partageait sans doute avec celui qui l'a le mieux figée sur la toile, Edouard Manet, n'aura de cesse de vouloir s'en démarquer, se singulariser, mettant en œuvre une « peinture tantôt aérienne, tantôt aquatique, qui ne tient à la terre que par un fil. » le réalisme a vécu, Berthe Morisot veut peindre le mouvement, donne du flou au trait et ouvre la porte à l'abstrait.

C'est avec une grande acuité et une forme de communion que Dominique Bona scrute ce regard et tente de découvrir qui était la femme dissimulée derrière l'artiste ô combien prolifique. Elle avait fait métier de sa passion. Dans la chaleur énigmatique de ce regard merveilleusement restituée par Edouard Manet, elle cherche les reflets dorés qui dévoileront le secret de la femme en noir, sous-titre de son ouvrage, au regard tout aussi noir tourné vers son intérieur, dans une pudeur ténébreuse et fière. Superbe biographie d'une artiste dont Manet vantera la « beauté du diable », énigmatique sans doute parce que de sa personne émanait tous les antagonismes, chaleur du regard-froideur au contact, incommodant à qui aurait voulu lire à livre ouvert dans un visage fermé à la lecture des émotions.

Cette biographie de Dominique Bona n'en est pas une de plus. Elle en est une autre. Une approche différente d'un personnage par sa sensibilité et non pas par la chronologie des événements de sa vie. Une femme cherche à en comprendre une autre dans son époque, son environnement affectif, son obsession de peindre. Un travail de documentation fouillé autant que le regard est sondé pour décoder un personnage plus cérébral que sensuel. Beau document qui établit un rapport entre femmes, une autrice et son sujet, artiste à qui sans doute le bonheur a toujours échappé dans le douloureux accomplissement de la femme-artiste.


mercredi 7 octobre 2020

Sacrifices ~~~~ Pierre Lemaitre

 



Difficile de passer à côté de Pierre Lemaître quand il s'agit de littérature contemporaine. Après la valse des masques sur les gueules cassées d'Au revoir là-haut, avec Sacrifices je me suis confronté à l'univers tout aussi sombre et torturé de ses polars. Je sais qu'il y a des trous dans la raquette, que le goncourisé 2013 a produit plus que je n'ai lu, mais demain sera un autre jour.

J'ai commencé par la fin de la trilogie Verhoeven. Il me manque donc d'avoir lu les deux autres tomes pour mieux connaître le commissaire à la taille de nain. On apprend dans cet ouvrage que ce limier doit cette obligation de lever la tête pour croiser le regard des autres au tabagisme de sa mère. Cela ne nous dit pas pourquoi Pierre Lemaître a fait de son héros un nain. Sans doute parce qu'une taille de 1,45m imposera à celui qui en est affublé un surcroit de volonté et de détermination pour s'imposer à son entourage, mais aussi et surtout aux géants de la délinquance que son métier met sur sa route.

La nature a fait des différences, l'homme en a fait des inégalités nous dit Tahar Ben Jelloun. Inégalités qui requièrent des prouesses de caractère pour être combattues. Le commandant Verhoeven de la brigade criminelle semble ne pas en manquer tout en conservant une certaine sensibilité. Il faut dire que la vie ne l'a pas épargné en lui prenant sa bien aimée quatre ans auparavant. Avec Sacrifices, celle qui comble sa solitude de temps à autres est elle aussi menacée. Quel métier !

Ce flic, petit par la taille mais grand par la conscience professionnelle, n'échappe pas au sort des héros : il est solitaire. C'est donc dans un déficit de soutien qu'il devra conduire cette enquête dont il fait une affaire personnelle en dépit de la règle du métier selon laquelle un enquêteur ne peut travailler sur un cas qui le touche de près. le sentiment est forcément mauvais conseiller dans les affaires professionnelles. Verhoeven le sait mieux que quiconque. Il persiste. Il met sa carrière en jeu. Advienne que pourra, il se fait un devoir de coffrer le tortionnaire de celle qui partage sa vie. Autant que puisse être partagée une vie de flic.
Seul face à la hiérarchie. Seul face à la justice. Seul face aux truands. Mais au fait, pourquoi ces derniers ont-ils épargné celle qu'il tenait au bout de leur canon de fusil, au risque d'être reconnus, après l'avoir copieusement maltraitée au point de la rendre méconnaissable ? Verhoeven est seul pour échafauder les hypothèses. Seul mais déterminé.

Le temps est compté pour le flic qui se lance sur les traces des voyous sans avoir l'aval de la hiérarchie, policière autant que judiciaire. le roman est minuté. Les cruautés ne manquent pas au tableau. Autant physiques que psychologiques. Sans doute une marque de fabrique chez Pierre Lemaitre, chez qui la compromission se paye cher. A héros atypique, polar atypique. Anti héros serait-on tenté de dire. Pierre Lemaitre nous offre un beau baroud d'honneur pour ce flic qui ne veut pas d'une sympathie compatissante.

J'ai fait une infidélité à Adamsberg de Fred Vargas avec ce polar. Mais l'un comme l'autre me font prendre goût au polar. Nos yeux courent sur les lignes comme le flic aux fesses des truands. le suspens y est habilement dosé, la qualité des énigme, construction et dialogue n'a pas besoin des effets spéciaux qu'on se croit obligé de nous servir trop souvent désormais pour compenser certaines pauvretés. Avec un épilogue comme je les aime. Un épilogue qui ouvre l'avenir autant qu'il le ferme.