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vendredi 2 février 2024

Les enfants sont rois ~~~~ Delphine de Vigan

 




"La première fois que Mélanie Claux et Clara Roussel se rencontrèrent, Mélanie s'étonna de l'autorité qui émanait d'une femme aussi petite et Clara remarqua les ongles de Mélanie, leur vernis rose à paillettes qui luisait dans l'obscurité. "On dirait une enfant" pensa la première, "elle ressemble à une poupée" songea la seconde.

Même dans les drames les plus terribles, les apparences ont leur mot à dire."

A travers l'histoire de deux femmes aux destins contraires, Les enfants sont rois explore les dérives d'une époque où l'on ne vit que pour être vu. Des années Loft aux années 2030, marquées par le sacre des réseaux sociaux, Delphine De Vigan offre une plongée glaçante dans un monde où tout s'expose et se vend, jusqu'au bonheur familial.

jeudi 11 janvier 2024

Ce qu'ils disent ou rien ~~~~ Annie Ernaux



Cet ouvrage est construit comme le désordre des réflexions qui se bousculent dans l'esprit d'une adolescente. Comme toute elle doute, elle rêve, elle déteste. À commencer par elle. Ses parents aussi à qui elle ne veut surtout pas ressembler. Ressentant néanmoins au fond d'elle-même qu'ils lui sont essentiels. Plus tard peut-être. Pour l'heure, elle ne supporte plus leur petitesse, leur verbiage qu'elle connaît d'avance, leurs tics et manies qui l'insupportent. Ils ne sont que des empêcheurs de vivre.

Les garçons ne souffrent pas du mal-être qui la taraude elle. Elle en est sûre. Ils sont d'une bêtise à pleurer. de toute façon, ils ne pensent qu'à une chose. Les graffitis dans les toilettes du collège le prouvent.

La construction et l'écriture de cet ouvrage participe grandement à l'illustration du chaos qui bouleverse l'esprit de la jeune fille. La transformation de son corps la projette dans le torrent impétueux de la vie sans plus savoir à quoi se raccrocher pour retrouver ce sentiment de sécurité que lui était jusqu'alors son foyer familial.

Cette confusion recherchée rend ce moment de lecture laborieux, mais tellement vrai. Il faut le prendre comme une prouesse de l'auteur à restituer ce que tout un chacun a connu dans cette période sa vie. Sauf peut-être ces balourds de garçons qui ne doutent de rien. Eux au moins ont un but. Moche, mais un but quand même. Quant aux parents, Ce qu'ils disent ou rien.

mercredi 20 septembre 2023

Veiller sur Elle ~~~~ Jean-Baptiste Andréa

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Qui est cette Elle sur qui il faut veiller ? Elle, a poussé Mimo à se cloîtrer dans un monastère, sans toutefois y prononcer des vœux. Sous la plume de Jean-Baptiste Andréa, il nous conte sa vie ses dernières heures venues. Mimo, c'est Michelangelo Vitaliani. Il a deux handicaps dans la vie. Celui d'être né dans une famille pauvre, mais surtout celui d'être différent. Il est de si petite taille qu'on le traite de nain. Mais il a un atout énorme. Celui de son art. Il est un sculpteur au talent inouï. Au point de rivaliser avec l'autre Michelangelo, le grand, l'auteur de la Pietà qui trône en la basilique Saint-Pierre du Vatican à Rome.

Elle, ce pourrait être Viola. Elle est la fille de la grande et richissime famille Orsini de laquelle sont issus plusieurs papes. Mais comment un nain, qui plus est de basse extraction, pourrait-il seulement lever les yeux sur pareille descendance. Aussi fantasque fût-elle ? N'a-t-elle pas l'idée de voler avec une aile de sa fabrication.

C'est pourtant ce qui arrive. Parlera-t-on d'idylle entre ces deux personnages ? Pareille union abonderait à l'expression du mariage de la carpe et du lapin. Mais une idylle quand même, oui. En forme d'amitié amoureuse. Parfois orageuse, mais toujours fidèle. Une de celle qui ne trouve d'assouvissement que dans l'espoir. Espoir d'on ne sait quoi. Sans cesse relégué, aussi fuyant que la ligne d'horizon.

A moins que l'assouvissement de cette idylle, ce ne soit cette sculpture, cette caresse au marbre pur qui a façonné un visage si doux. Le visage de la Vierge, si parfait qu'il est sacrilège aux yeux de l'Eglise. A la mémoire du grand Michel-Ange. La Pietà de Mimo fait de l'ombre à celle du maître. Aussi a-t-elle a été confinée en un lieu que très peu connaissent.

Mimo, Viola, un amour qui a trouvé son accomplissement, son triomphe dans l'immobilité d'un visage aux traits divins. Un visage de marbre. Un visage à la beauté céleste, inaltérable. Comme l'amour quand il n'a pas été corrompu par les bassesses de la vie terrestre.

Un roman à la puissance romanesque prodigieuse, porté par une écriture aussi fluide que les traits du visage de la Pietà. Celle de Mimo.



Ramuntcho ~~~~ Pierre Loti

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Pierre Loti l'écrivain voyageur a jeté l'ancre au Pays Basque. Pays dont il tombe amoureux, pas seulement pour ses paysages, mais aussi pour ses habitants dont il apprécie le caractère bien trempé. Il les apprécie au point d'y fonder une seconde famille avec une femme du cru qui lui donnera quatre garçons dont un certain Raymond. Qui en basque se dit Ramuntcho.

Au pays basque il y reviendra régulièrement. Il y fit l'acquisition d'une maison sur les rives de la Bidassoa dans laquelle il a voulu vivre ses derniers jours. Son engouement pour cette contrée lui a inspiré ce roman, Ramuntcho. Plus que dans tout autre il dévoile sa sensibilité propre.

L'énergie romanesque de son ouvrage s'en trouve enrichi d'une prose aux élans poétiques. Sa plume s'alanguit dans des envolées mélancoliques à rendre jaloux les romantiques. Mais l'amoureux contemplatif reste un être lucide. Il ne perd de vue que la vie n'a rien d'un tapis de rose. Que les amours et les amitiés sont souvent contrariées par les événements, les codes moraux, les intérêts. Ramuntcho, le contrebandier qui ne craint pas les douaniers, le joueur de pelote qui fait l'admiration de tous en fera l'amère expérience.

Le regard de Gracieuse – on appréciera le choix du prénom - la belle qui avait conquis le coeur de Ramuntcho, s'éteint doucement dans l'ombre d'un couvent dans lequel l'a fait enfermer sa mère. Jusqu'au dernier chapitre on brûle de savoir si Ramuntcho réveillera ce regard et attisera à nouveau son bonheur du souffle de l'amour.

Pierre Loti est un poète éveillé dont le réalisme teinte les oeuvres d'austérité. Son acuité dans la perception du monde le retient de dresser un tableau idyllique de la vie. Ses amertumes lui donnent l'occasion de donner quelques coups de griffes à la religion qui pour le coup est plus une prison qu'un secours.

Chacun de ses personnages dévoile un peu plus son auteur. L'homme d'action quelque peu fantasque qui s'enflamme pour un lieu, une personne, sans cesse attiré par des ailleurs espérés plus doux, n'en finit pas de se chercher. le bonheur lui file entre les doigts comme le sable des plages. Autant que lui a pu filer sur les mers d'un bout à l'autre du monde, s'attachant à une japonaise, une turque, une basque, un matelot breton. Si peu à son épouse légitime. Ramuntcho n'est pas d'elle. Mais le roman est touchant.


jeudi 17 août 2023

Pêcheur d'Islande ~~~~ Pierre Loti

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Pêcheur d'Islande c'est avant tout un œil contemporain sur les personnages et les scènes que son auteur imagine. le texte est donc dépourvu d'anachronismes de langage ou de culture dans ce qu'il décrit de la vie des gens. Ces gens, il les fréquente, il connaît leur mode de vie. On dirait aujourd'hui que leur vie fut très rude et on aurait tendance à susciter la commisération à leur endroit. Mais pour l'écrivain contemporain du XIXème siècle, ce mode de vie n'était rien d'autre que commun.

Pêcheur d'Islande c'est un aussi un œil d'expert sur le monde de la mer. Pierre Loti a eu une carrière de plus de quarante années dans la marine, dont vingt passées à bord des bateaux sur toutes les mers du globe. La mer il la connaît mieux que quiconque. L'immobilité d'une mer plate dans la brume qui désespère le marin aussi bien que ses furies qui menacent de l'envoyer par le fond.

Mais Pêcheur d'Islande c'est aussi l'œil d'un observateur averti. Avant d'écrire, Pierre Loti, alors Julien Viaud, s'est fait connaître de son entourage par ses dessins de paysages et de personnages. À commencer par son ami Pierre le Cor dont il a peint le corps en posture de statue grecque. Dessin qui interroge sur la relation que l'auteur a entretenu avec ce dernier. Relation qui fait l'objet d'un ouvrage que Pierre Loti a intitulé Mon frère Yves.

Enfin Pêcheur d'Islande c'est aussi et surtout l'œil d'un scrutateur des sentiments humains. Il sait les mettre en mots avec ce talent qui lui a valu un succès précoce dans sa carrière littéraire. Ce personnage fantasque a tout exploré. Les océans du globe comme les cœurs de ses contemporains. Ceux qui étaient aspirés par la ligne d'horizon aussi bien que celles dont le regard se perdait sur cette ligne quand le retour des campagnes de pêche était annoncé. Elles languissaient le retour d'un mari ou d'un fils que la mer ne leur rendrait peut-être pas.

Pierre Loti est quelque peu passé de mode, c'est dommage. Son écriture est tranquille et précise à la fois dans ce qu'elle traduit de sa perception des autres. Elle n'incite pas seulement au voyage, elle incite à la fréquentation de ses personnages dans leur intimité, dans la simplicité de leurs caractères avares de paroles. Avec ses mots, peut-être plus qu'avec ses dessins il a su dresser une très belle fresque de ses contemporains tous horizons et cultures confondus.

jeudi 20 avril 2023

Le mas Théotime ~~~~ Henri Bosco

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J'ai bien peur que notre rapport à la nature ne nous autorise plus aujourd'hui la pleine compréhension de l'état d'esprit de ces gens dont la vie en dépendait directement. Ils vouaient alors à la terre un attachement respectueux dans une relation presque charnelle. Elle monopolisait la quasi exclusivité de leurs préoccupations, usait la force de leur corps. Ils en espéraient de quoi subsister.

Dans le Mas Théotime, Henri Bosco nous convie chez ces gens, sur leurs terres. Défendant bec et ongles chaque arpent de leur propriété ou de leur fermage. La force de son verbe nous dit l'âpreté d'une vie de labeur à endurer la rigueur des saisons, à surveiller le temps, à craindre pour la récolte.

Il fait partie de cette génération d'écrivains qui à l'inspiration allie maîtrise de la langue, fonds d'érudition authentique, références littéraires sous-jacentes et font de chaque phrase de leur texte une ambassadrice de leur ressenti. Ils produisent une écriture qui analyse les caractères jusqu'à l'indiscrétion, dépeint les décors avec la précision du figuratif. Parfois même un peu trop quand elle s'appesantit sur le détail à longueur de page. On a perdu l'habitude de ces exercices dont le fond est sublimé par la forme.

Henri Bosco est de ceux-là. Au mutisme des taiseux il sait puiser les états d'âme. Au regard répandu sur la parcelle ensemencée il sait faire dire la prière silencieuse d'une moisson généreuse. Prière adressée à ce dieu devant qui ils courbent l'échine, qu'ils visitent en son église le dimanche, en ruminant une sourde rancœur tant il est avare de ses faveurs, mais prudente tant son courroux est craint.

Chez les gens de la terre le sentiment a peu de place dans la journée de travail. L'amour est accessoire. Il ne fait pas le poids dans la balance quand les intérêts sont en jeu, les alliances imposées. Aussi ne s'exprime-t-il que part regard à la dérobée et rougeur au visage.

Le mas Théotime est le théâtre d'un amour qui ne s'exprime pas. Un amour chaste, qui se contente de la présence de l'autre. Dans l'écrin de la nature sauvage de Provence le mas Théotime est un ilot de pierre qui voudrait s'emplir du bruit de la vie des hommes. Mais les cœurs plus arides que les collines environnantes ne disent pas leur espoir. La terre, cette amante ombrageuse ne partage pas les attentions. Elle boit la sueur des hommes jusqu'à ce que vidés de force et d'espoir elle les ensevelisse dans le souvenir des vivants.

Le mas Théotime c'est une écriture précise qui saisit son lecteur, l'imprègne, en fait un témoin de la vie des hommes d'un autre temps. Celui où l'homme honorait cette nature qui bruissaient des chants et battements d'ailes de milliers d'oiseaux et la campagne embaumait d'autant de senteurs. Une écriture qui dit la courbature des corps à la peine, la satisfaction du travail accompli quand le soleil descend sur l'horizon. Mais aussi la frustration des cœurs.

mercredi 12 avril 2023

Ce que nous confions au vent ~~~~ Laura Imai Messina

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Il y a au Japon à l’égard des événements catastrophiques, séismes, tsunamis, une certaine prédisposition d’esprit qui s’apparente à la fatalité. Comme une contrepartie à payer à la fierté de vivre dans le pays du raffinement. Aussi, lorsque survient l’un de ces événements qui emporte son lot de vies humaines, ce n’est ni la rébellion ni l’invocation de sanction divine qui prévaut, encore moins les lamentations, c’est l’acceptation mélancolique et l’idée de poursuivre le chemin entrepris avec eux, par la pensée.

C’est la raison d’être du téléphone du vent que M. Suzuki a installé dans je jardin sur la colline de la baleine. Il n’est relié à aucun réseau. Il n’est relié qu’aux esprits des disparus. Les épargnés des catastrophes peuvent venir y parler à leurs défunts. Les entretenir de ce quoi est fait leur quotidien désormais sans eux. Réconfort ultime mais pas illusoire.

Comment continuer à vivre après. C’est à cet enseignement auquel nous convie Laura Imai Messina dans cet ouvrage fort bien conçu et écrit. Une leçon de résilience avec la pudeur nippone. Rien de larmoyant, encore moins d’apitoyant dans cet ouvrage. De l’intelligence sensible, de la retenue, pour continuer à vivre. Et par exemple faire retrouver la parole à une petite fille demeurée silencieuse depuis la disparition de sa mère.

Magnifique ouvrage fort bien construit et écrit avec des mots de tous les jours. Les mêmes mots que lorsque qu’ils étaient encore là. Il ne faut rien changer. Seulement être prudent avec les sentiments.


vendredi 12 août 2022

Le grand monde ~~~~ Pierre Lemaitre

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J'ai la certitude que, dans le même temps où je poste sur Babelio ces petites phrases qui ne feront jamais de moi un candidat à l'édition, Pierre Lemaître est à sa table de travail pour nous concocter la suite de cet ouvrage que j'ai absorbé goulument. À sa table de travail, du côté de ce Fontvieille où ne tourne plus beaucoup les ailes de moulin mais où je suis obligé de croire que descend encore de l'azur limpide l'onde pure qui a inspiré un autre conteur. Celui-là même qui nous fit entendre la plainte d'une chèvre guettée par le loup.

Dans leur naïve croyance en une justice en ce bas monde, ceux qui ont lu le grand monde se disent qu'on ne peut en rester là. Ce n'est pas possible. On ne peut pas jeter aux oubliettes la mémoire de ceux, et surtout celles, qui l'ont été physiquement. Pierre Lemaitre ne va tout de même pas les renvoyer à une justice divine dont on ne connaît les rigueurs que de propos imaginés par des prêcheurs en mitre et chasuble. Il y aura donc une suite au Grand monde.

Car monsieur Lemaitre sait mieux que quiconque que l'humaine nature qui a fomenté tant de guerres, tant de subterfuges pour nourrir sa cupidité va lui donner du grain à moudre pour faire languir des lecteurs naïfs à quémander amour et justice. Pour qu'enfin l'honneur de la créature se glorifiant immodestement d'intelligence soit sauf, avant que de se présenter devant Celui qui l'a créée. Si l'on en croit le scénario imaginé par une croyance laquelle veut battre en brèche les tenants de la raison.

Auteur n'a jamais si bien porté son nom. Est-ce par malice de la généalogie que Lemaitre s'écrit en un seul mot et escamote l'accent circonflexe. Car il pourrait bien se dire le maître de l'intrigue, du romanesque ce monsieur. Utiliserait-il un pseudonyme qu'il pourrait reproduire la supercherie mise en oeuvre par un ancien qui avait la vie devant soi pour leurrer l'Académie. Car nous le savons tous, le Goncourt c'est à la fois une bénédiction et une malédiction. La gageure étant de vivre après. Et vivre pour un écrivain, c'est écrire. C'est être lu. C'est être à la hauteur de l'attente suscitée par la consécration.

Aussi disons-le tout net, pour nous adresser des fictions qui s'insèrent si bien dans les replis de l'histoire sans que des coïncidences assassines viennent raccrocher les faits les uns aux autres, en tirant à rebours les fils de l'écheveau pour nous ramener en ce lendemain de la grande boucherie où la valse des masques tentait de dissimuler la monstruosité de ceux qui avaient perdu figure humaine, pour nous adresser des fictions qui glissent si bien sous nos yeux écarquillés et s'insinuent dans nos esprits à leur faire oublier le quotidien morose, pour tout cela, pour nous ses lecteurs anxieux d'une suite, sans doute aussi dépourvue de vertu que la nature humaine est bouffie de suffisance, Lemaitre pourrait s'écrire le maître.

Et me voilà donc piégé à guetter la suite. Ça s'appelle le talent ou je n'y connais rien.

dimanche 5 juin 2022

Bretzel & beurre salé ~~~~ Margot et Jean Le Moal




Cathie Wald n'est pas seulement une étrangère venue s'installer dans le village, elle a acquis la belle demeure de la pointe de Kerbrat au nez et à la barbe d'un notable local qui la briguait. Voilà deux bonnes raisons de lui déclarer une guerre qui comme toutes divisera acteurs et spectateurs et ajoutera aux querelles de clocher d'un Locmaria, fictif celui-là, en pays de Cornouaille.

La flammekueche vient faire concurrence à la galette au sarrazin avec l'arrivée de cette continentale décidée à ouvrir un restaurant. Les rancœurs y verront un théâtre tout désigné pour faire plier celle qui a osé s'implanter de la manière la plus convaincante, avec ses moyens financiers. Un client parmi les plus en vue du village trouvera la mort par empoisonnement lors d'une soirée choucroute.

Les enquêteurs les plus perspicaces ne seront pas les officiels bien connus. Ce qui paraît-il est une caractéristique de ce sous-genre du polar que je découvre : le cosy crime. Dont on nous dit dans la célèbre encyclopédie en ligne que « le sexe et la violence se produisent hors scène, le détective est un détective amateur, et le crime et la détection ont lieu dans une petite communauté socialement intime. »

Ouvrage qui fait du bien pour distraire son lecteur. Une lecture légère qui le fait se prendre d'empathie pour le héros d'autant plus facilement qu'il ne se fait pas trop de souci quant à son sort à l'épilogue. Lecture détente pour la torpeur de l'été, quand on veut faire une pause dans la morosité ambiante qu'entretiennent avec opiniâtreté nos médias désormais omniprésents dans notre vie.

C'est crédible et respire l'authentique régional. Il paraît qu'il y aura une suite. C'est comme ça que naissent les séries. Après le succès d'un coup d'essai.


mardi 31 mai 2022

L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux ~~~~ Nicholas Evans



J'ai longtemps hésité à lire cet ouvrage. J'avais trop peur de me rendre spectateur de séances de thérapie douce entre l'homme et l'animal. Mais je me suis rendu compte à la lecture de cet ouvrage qu'il est aussi et surtout une histoire d'amour et que l'homme qui murmure à l'oreille des chevaux sait aussi le faire à celle des dames. Et que la sauvegarde de l'animal blessé pourrait bien mettre en péril celle d'un ménage jusque-là harmonieux.

La morale de l'Amérique puritaine saura-t-elle faire valoir ses droits ? Je connais désormais le dénouement de ce roman que j'ai apprécié dans toutes ses pages. J'ai désormais hâte de rattraper mon retard et voir ce que le cinéma a fait de son adaptation avec Robert Redford, séducteur s'il en est.

 

L'amour au temps du choléra ~~~~ Gabriel Garcia Marquez


L'amour au temps du choléra aurait pu s'intituler l'amour à l'épreuve du temps. Car c'est bien longueur de temps que nous fait vivre Gabriel Garcia Marquez avec ce roman d'une incroyable densité romanesque. L'amour serait-il lui aussi une maladie, comme le choléra, une menace sur la vie des gens.

Amour à l'épreuve du temps, mais aussi du qu'en-dira-t-on. Quand d'aucuns voudraient prétendre qu'à partir d'un certain âge l'amour devient indécent. Amour à l'épreuve de l'assiduité du lecteur aussi, de la part d'un auteur qui veut le faire s'imprégner de l'alanguissement du soupirant éconduit. Il faudra au lecteur à la fois affronter la vie d'un couple légitime livré à son quotidien dont on sait combien il est un tue-l'amour et endurer l'attente résignée d'un amoureux qui ronge son frein.

Mais le style est là pour soutenir l'intérêt quand les événements se font désirer pour relancer l'intrigue. L'écriture de l'auteur nobelisé est là avec toute sa puissance au service de l'oeuvre romanesque. Une écriture sûre de son fait, érudite tout en restant accessible. Une écriture d'une remarquable précision qui dissèque les caractères, analyse les émotions et livre au lecteur l'intimité de ses personnages ainsi mise à nue. Véritable effeuillage psychique qui dévoile leur palette sentimentale à l'épreuve des codes moraux d'une société dans son époque. Comme un écorché de psychologie humaine pour nous faire endurer une vie d'asservissement à la passion.

Avec L'amour au temps du choléra on n'est pas aux confins du fantastique comme dans Cent ans de solitude, on est au plus profond de l'être, à tenter de palper ce secret qui fait qu'une personne s'éprend d'une autre. Amour indifférent à l'érosion du temps. Attendant son heure, même si dans la bonne société en ce début de XXème siècle il fait détourner le regard lorsqu'il s'expose dans la grande maturité. L'alanguissement ne décourage pas son lecteur lorsqu'il est soutenu par la formidable écriture de Gabriel Garcia Marquez.


vendredi 15 avril 2022

Femmes en colère ~~~~ Mathieu Menegaux


Parole contre parole. Pour une femme qui a été violée, n'a pas porté plainte et fait constater le forfait par un examen médical aussitôt après l'agression, c'est la quasi-certitude de déboucher sur un non-lieu. C'est ce qui arrive Mathilde Collignon dans ce roman de 
Mathieu Menegaux. Aussi, lorsqu'elle se rend compte que ses agresseurs resteront impunis, c'en est trop pour elle. Lui vient alors l'obsession de se faire justice elle-même.

Selon la loi de notre pays la légitime défense ne peut se concevoir que proportionnée et simultanée de l'agression subie. Dès l'instant où elle l'exerce en temps décalé, Mathilde Collignon devient justiciable. C'est son procès que nous vivons dans cet ouvrage.

S'il est un lieu éminemment secret, c'est bien la salle de délibéré d'une cour d'assise. Sa porte en est gardée tout le temps que dure la séance de délibéré. le silence sur les débats est imposé par la loi à chacun des jurés ad vitam aeternam. Même et surtout à l'égard des proches. Ils auront prêté serment.

Avec cet ouvrage Mathieu Menegaux nous ouvre ce saint des saint et nous rend auditeur du délibéré du procès de Mathilde Collignon. Il nous instruit par la même occasion sur les règles qui régissent cette procédure si codifiée, si particulière, à laquelle tout un chacun peut se voir convier à partir du moment où il est inscrit sur les listes électorales.
Un huis clos qui n'est pas sans rappeler le film de Sidney Lumet : Douze Hommes en colère.

Au-delà du rôle pédagogique très intéressant que revêt la forme de cet ouvrage, il ouvre le débat sur ce sentiment légitime d'une victime lorsqu'elle réalise que ses agresseurs ne seront pas sanctionnés. L'analyse des sentiments et réactions de chacun des jurés est fort bien restituée, notamment selon qu'ils sont homme ou femme, mais aussi citoyens ordinaires désignés comme jurés ou magistrats. Ils forment ce jury d'assise lequel ne sortira de la salle de délibéré que lorsqu'il aura répondu aux questions retenues lors de l'audience, avec les règles de majorité qui s'attachent à chaque type de question : Coupable ou non des chefs d'accusation retenus ? Quelle sentence dans la limite de ce que prévoit le Code Pénal ?

Même s'ils forment un collège de justice réuni dans la même pièce,
chacun se retrouve finalement seul avec sa conscience. La même solitude gagne l'accusée dans l'attente du délibéré. Elle était une bonne mère de famille, une professionnelle reconnue dans son métier, aimée et respectée de tous. Et maintenant elle attend de savoir si elle va voir grandir ses filles. Les voir arrachées à son amour de mère. Privées de ses gestes d'affection du quotidien. Pour combien de temps. Quelle part de leurs jeunes années sera occultée de sa mémoire.

Un ouvrage qui, subtilement organisé en chapitres alternés, prend une tournure de thriller psychologique. C'est profitable et absolument passionnant.

vendredi 8 avril 2022

Les oiseaux chanteurs ~~~~ Christy Lefteri



Voilà un ouvrage qui, autant que la biographie qu'il dresse, fait le point sur tout ce qui a été publié à propos de cet étonnant personnage qu'a été Agrippine, la mère de Néron.

Et voilà encore que je présente encore une femme relativement à un homme. Mais dans ce cas c'est un peu obligatoire. Car à l'époque où vécut cette femme ambitieuse et courageuse, ses semblables du deuxième sexe n'avaient pas voix au chapitre en matière de politique et gouvernance. Loin s'en faut, quelles que fussent leurs qualités et capacités. Pourtant dans les deux domaines précités, Agrippine pouvait en remontrer à beaucoup de ses congénères masculins.

Si je devais traduire en trois mots l'impression que me laisse cet ouvrage de Virginie Girod, ce serait objectivité, exhaustivité et crédibilité. Tout cela évidemment dument soupesé relativement à ma culture en histoire qui si elle se targue d'une réelle appétence en la matière est sans commune mesure avec ce que me confirme ce second ouvrage que je lis de la main de Virginie Girod.

Dans le rapport sexiste qui de tous temps a opposé homme et femme avec la relation de domination que l'on sait depuis que la faute originelle a été attribuée à cette dernière, Virginie Girod fait la part des choses avec, à mes yeux, une grande objectivité entre l'intelligence et la possibilité laissée à celui ou celle qui en était doué de la faire valoir. On ne trompera personne en affirmant pour ce qui est du faire valoir que nos consœurs ont eu à contourner l'obstacle en faisant plus largement usage de leur charme. Qualité physique dont, selon Virginie Girod, Agrippine a eu à user avec plus de modération que ce que l'histoire a bien voulu colporter. L'objectivité est une disposition d'esprit d'autant plus difficile à soutenir qu'il est illusoire de prétendre juger une époque avec les critères psycho sociaux et moraux d'une autre. Dans la Rome Antique une femme aussi intelligente qu'elle fût ne pouvait faire valoir cette qualité en la transposant en décisions et actions que par le truchement d'un homme. Pour Agrippine cet homme ce fut Néron, son fils. Les autres, ses époux en particulier, n'ayant été que des marches pour accéder au pouvoir. Néron, né Lucius Domitius Ahenobarbus, fut malheureusement pour elle un mauvais levier pour faire valoir son intelligence politique. Mauvais au point de provoquer sa perte de la plus cruelle façon.

L'exhaustivité que j'évoque n'a rien à voir avec l'épaisseur d'un ouvrage qui ne négligerait aucun détail de la vie de son sujet. L'exhaustivité je la trouve dans la somme considérable de notes, tables, organigrammes généalogiques et références ajoutés par l'auteure en fin d'ouvrage, lesquels témoignent de l'étendue des connaissances de cette dernière dans sa discipline, du formidable travail de documentation mené à bien, de l'inventaire historiographique foisonnant ayant trait à cette femme hors du commun.

Cette objectivité, ce formidable travail d'étude et de construction de son ouvrage présentent à mes yeux d'amateur de la discipline une grande crédibilité dans chacune des allégations qui construisent cet ouvrage. Cette crédibilité, Virginie Girod la doit à l'analyse critique fouillée qu'elle fait des sources laissées à notre connaissance par l'érosion du temps. Il y a celles des contemporains d'Agrippine : Pline l'ancien, Sénèque, celles des historiens décalés mais ayant eu peu ou prou accès aux archives du palais : Suétone, Tacite, Don Cassius, et tous ceux plus tardifs qui n'ont fait qu'exploiter et interpréter les premiers. Profitant au fil des siècles de l'avancée des recherches et progrès dans les sciences afférentes : archéologique, numismatique, épigraphique, ethnographique, neuro sciences et tant d'autres. L'analyse critique qu'elle fait des différentes sources prenant en compte le contexte dans lequel les auteurs rédigeaient leurs ouvrages, tel un Suétone qui voulait plaire à son mentor Hadrien, un empereur de la dynastie succédant aux julio-claudiens, les antonins ou encore un Tacite « qui se montrait un impitoyable moraliste » vis-à-vis de femmes lorsqu'elles sortaient de leur rôle décoratif.

C'est donc mis en confiance par ces qualités que j'attribue aux deux premiers ouvrages que je lis de la main de Virginie Girod que je vais faire connaissance avec Théodora, l'impératrice de Byzance qui a fait ses premières armes dans le plus vieux métier du monde.

mardi 15 mars 2022

Il était une lettre ~~~~ Kathryn Hughes


Plus ambassadrice qu'avocate de la cause féminine, Kathryn Hughes construit un roman dans lequel elle fait se croiser les destinées de deux femmes auxquelles le bonheur s'est trop longtemps refusé. Deux époques, deux générations, deux souffrances.

A la veille de la seconde guerre mondiale il est encore déshonorant pour une famille d'apprendre la grossesse d'une de ses filles hors mariage. Y compris si le responsable de cet état, puisqu'il faut l'appeler ainsi dans pareil contexte, veut assumer sa charge nouvelle de père. En intention en tout cas pour ce qui concerne l'intrigue de ce roman. Christina, fille d'une famille de Manchester dont le père est un médecin respecté, ayant fauté sera donc écartée par lui de sa famille. Son enfant confié à l'adoption à l'âge de trois ans auprès d'une famille américaine, aux grands chagrin et désespoir de sa mère.

Dans les années soixante-dix, Tina, jeune épouse sans enfant, trouve cette lettre dans laquelle un homme déclare à son amante vouloir être un bon mari et un bon père. Tina s'interroge sur le devenir de cette lettre qui semble n'être pas parvenue à destination. Elle-même sous la coupe d'un mari violent et manipulateur trouve dans cette lettre matière à se divertir de sa propre souffrance. Autant que la tyrannie de son mari le lui autorise, elle se met au défi de trouver les correspondants que cette lettre semble ne pas avoir réunis.

Ni accusateur ni empesé de mièvrerie, cet ouvrage se veut évocateur de deux situations de souffrance de femmes livrées à l'hégémonie du sexe dit fort au détriment de sa congénère. L'une et l'autre, que presque deux générations séparent, doivent assumer seules la culpabilité d'une dérive ou d'un déboire amoureux. La première, une grossesse hors mariage, la seconde, l'échec d'une union pervertie par le vice alcoolique. Cette dernière imaginant réunir deux coeurs sincères qu'un accroc du destin a tenus éloignés. Cherchant inconsciemment apaisement à son propre déboire conjugal dans la réparation au bénéfice d'autrui d'un mauvais coup du sort.

Bien écrit, bien construit, ce roman dépourvu d'acrimonie donne le ton juste. Sans le décrire concrètement il veut ramener le curseur de la culpabilité de l'échec de parcours amoureux vers son véritable responsable. Rétablir un équilibre corrompu depuis la nuit des temps, époque où le rapport au monde dépendait de la force physique. Roman féministe qui ne dit pas son nom mais le fait bien comprendre, à juste raison. Kathryn Hughes porte une belle parole de femme dans un roman dont on a trop envie d'évoquer le dénouement. Mais gardons-nous bien de divulgacher comme disent nos cousins canadiens. Bien qu'en relisant le prologue on se dit qu'il y a du bonheur à se repasser la fameuse morale de Candide, à cultiver notre jardin.


 

samedi 6 novembre 2021

La tache ~~~~ Philip Roth

 


Histoire d'un abandon

Il y a dans la psychologie de nos amis américains cette spontanéité à déclarer les sentiments laquelle laisse libre cours à l'exhibition de leurs états d'âmes. Alors qu'une pudeur imbécile nous retient, nous natifs du vieux continent, de déclarer notre amour à ceux qui nous sont chers.

La contre partie étant cette déferlante de sentimentalisme, des contenus mentaux conscients et inconscients qui nous porteraient à croire qu'ils ne pensent rien de plus que ce qu'ils disent, quand nous disons si peu de ce que nous pensons. Les « je t'aime papa, je t'aime maman » de Tanguy (celui des films d'Etienne Chatilliez) sont dans sa bouche du fils attaché au nid familial un américanisme de comportement qui écorche les oreilles de ses parents bien franchouillards de mentalité.

Lorsque cette propension à l'épanchement se porte sous la plume d'un écrivain, au demeurant fort talentueux tel que Philip Roth, elle ne nous laisse rien ignorer des arrière-pensées de ses personnages au risque de sombrer dans la logorrhée rédactionnelle. C'est ce qui m'a rebuté et fait abandonner cet ouvrage. Il est clair qu'avec cet a priori je passe à côté du thème principal de cet ouvrage lequel s'attache à dénoncer les maux de l'Amérique moderne, mais soit, le confort de lecture est une notion subjective.

Cela n'enlève rien à mes yeux au talent de l'auteur dont l'art est de mettre en page le flot de pensées que lui commande l'onde limpide et pure de son inspiration, ce que salueront à juste titre les inconditionnels. Sauf que l'abondance et le désordre qu'il applique à la construction de son ouvrage m'ont découragé d'aller plus en avant que les 164 pages sur lesquelles j'ai fait l'effort de me tenir éveillé. Ce n'est pas une affaire de chronologie. On arrive à la reconstituer. C'est une affaire d'ordonnancement des réflexions. Et là j'avoue avoir calé.

D'autant que mon esprit mal tourné m'a fait imaginer que, la notoriété acquise comme c'est le cas pour Philip Roth, peut tenter un auteur de se livrer à certaines libertés vis-à-vis de son lectorat propres à le malmener un peu, histoire de mettre son assiduité et sa fidélité à l'épreuve. Une forme de provocation, de stimulation pour jauger sa capacité à s'affranchir du figuratif trop commun, trop évident pour se frotter à l'abstrait plus élitiste.

J'ai fait donc valoir le droit imprescriptible du lecteur selon Daniel Pennac et abandonné Philip Roth au tiers du gué. J'avais bien entendu retrouvé l'écriture simple et claire qui m'avait fait aller jusqu'au bout de Un homme du même auteur, mais l'analyse des caractères m'a paru cette fois sombrer dans les sables mouvants du remplissage. Il est vrai que le premier ouvrage qui m'avait fait découvrir l'auteur ne comptait que 190 pages.

Mais qui sait peut-être qu'un jour serai-je devenu moins trivial et apte me remettre en selle avec un écrivain dont la notoriété n'autorise de déconvenue qu'au fin lettré. La tache a quand même été promu prix Médicis étranger et meilleur livre de l'année 2002 par le magazine Lire. Excusez du peu.

Aussi pour ne pas me fâcher définitivement avec la littérature américaine, c'est avec l'attrape-cœur de J. D. Salinger que je tente ma réconciliation. Peut-être ferai-je part de mon sentiment dans les pages de Babelio. J'aurai grandi un peu d'ici là car je me soigne, je lis.


mercredi 6 octobre 2021

Balzac et la petite tailleuse chinoise ~~~~ Dia Sijie

 


C'est un ouvrage très autobiographique que nous adresse Dai Sijie avec Balzac et la petite tailleuse chinoise. Il a bien connu cette période de l'histoire de la Chine restée inscrite sous le nom de révolution culturelle. Il en a été la victime. Période catastrophique pour le pays qui a connu la fermeture de ses universités et l'exil de ses intellectuels - catégorie de la population qualifiée de bourgeoise et ennemie de la révolution - vers les campagnes pour leur rééducation par le prolétariat paysan.

On comprend alors que ce narrateur intervenant à la première personne et dont on ne connaîtra pas le nom ne peut être que l'auteur lui-même. Dans le dénuement qui leur fut imposé, à lui et son ami Luo, comme à tous ceux qui ont subi cette humiliation, ce qui leur pesait le plus n'était pas tant la dépossession de leurs biens que la privation de l'accès à la culture. Culture occidentale en particulier, jugée perverse et contraire à l'esprit d'une révolution engagée sous la vigilance des gardes rouges.

Aussi, lorsqu'ils apprennent qu'un exilé comme eux a réussi à soustraire à la vigilance de leurs rééducateurs une valise contenant des ouvrages d'auteurs classiques, dont Balzac, cette dernière devient un graal à conquérir. Cette perspective leur donne toutes les hardiesses pour étancher ce qui était devenu une soif irrépressible : lire. Lire autre chose que la littérature autorisée à dominante politique, au premier rang de laquelle le petit livre rouge de Mao. Ils sont prêts à toutes les ruses pour y parvenir, avec la pleine conscience des risques qu'ils prennent à la transgression de l'interdit. La révolution culturelle a fait son lot de victimes dont le nombre est à l'échelle de la population chinoise.

Les deux amis n'ont plus qu'une obsession : s'abreuver à cette source qu'est à leurs yeux la valise contenant les livres interdits. Et en partager le bienfait avec celle qui a conquis leur coeur : la petite tailleuse chinoise. Dai Sijie fait alors de cet ouvrage une forme de conte qui donne une certaine légèreté à l'entreprise de nos deux jeunes assoiffés, même si l'insouciance devient inconscience. Lire les auteurs classiques devient pour eux comme une respiration, une bouffée d'oxygène qui vient éclaircir ce brouillard d'obscurantisme que le système répressif a répandu sur le pays.

J'ai reconnu l'écriture moderne et accessible qui m'avait conquis avec L'évangile selon Yong Sheng du même auteur. Elle évoque sans ambages cette période sombre de l'histoire de la Chine. Une écriture sage, sans violence, qui ne sombre pas dans le discours politique pour dire le désarroi de l'opprimé mais fait comprendre que l'accès à la connaissance est une nourriture tout aussi essentielle que celle qui remplit l'estomac. Un bien bel ouvrage.


mardi 7 septembre 2021

Là où chantent les écrevisses ~~~~ Delia Owens

Voilà un ouvrage qui jouit d'une cote exceptionnelle sur Babelio et pas seulement. Il n'est ni plus ni moins que deuxième des meilleures ventes en poche après son succès en édition originale. Il ne m'a cependant pas touché à hauteur de cette cote, sans toutefois me déplaire. de la même façon que les amitiés ne se transmettent pas, l'engouement inconditionnel ne m'a pas gagné. Il y a entre un ouvrage et un lecteur une alchimie complexe qui s'apparente à l'inclination entre les êtres. J'ai bien peur que les lecteurs aient donné leur satisfécit en forme de soutien à la jeune fille abandonnée et rejetée par tous, plutôt qu'à la qualité de l'ouvrage proprement dite. Une forme de compassion orchestrée en rachat du comportement d'une société indigne. L'intrigue y est à mon goût très artificiellement construite et proche du naufrage dans le pathétique dégoulinant, en tout cas dans sa première partie. La phase qui concerne l'enquête sur la mort de Chase Andrews, l'accusation, le procès et l'épilogue sauvent l'ouvrage du misérabilisme définitif. La chute est surprenante et a quelque peu racheté l'ouvrage à mes yeux.

C'est le propre du genre romanesque que de s'affranchir du crédible pour se focaliser sur l'essentiel : la stimulation des émotions. Mais à trop vouloir en faire on aboutit à l'effet contraire, au risque de perdre en empathie pour un personnage lequel attire sur lui, il faut bien le reconnaître, tous les malheurs de la vie terrestre. L'auteure en fait une victime expiatoire de la forfaiture des autres, sans évidemment la moindre part de responsabilité de l'infortune qu'elle endosse à son corps défendant.

Mais à trop piétiner l'innocence, faisant de Kya une sauvageonne recluse en sa cabane avec la sollicitude des seuls animaux du marais, l'auteure s'est rendue compte à un moment qu'il fallait justifier le mauvais sort qui lui était réservé. Elle tente alors un rétro pédalage à faire admettre au lecteur qu'une mère puisse abandonner ses enfants répondant ainsi à une sourde prédisposition de toute espèce à transmettre ses gènes coûte que coûte, y compris en sacrifiant une génération. C'est assez indigeste.

La vie de la pauvre Kya est une surenchère d'atteinte à l'intégrité affective de la toute jeune fille, histoire de bien enfoncer le clou de la commisération : abandon, solitude, rejet, trahison amoureuse et pour finir, accusation de meurtre. Acharnement opiniâtre du sort. Heureusement que le bon Jumping est là pour éclaircir le tableau. Sauf que dans cette Amérique raciste des années 60 il est noir et ma foi fort démuni pour défendre le cas de la jeune Kya auprès de ses congénères blancs. le tableau resterait désespérément sombre si ce n'était quelques coups de baguette magique qui promeuvent la sauvageonne en naturaliste, artiste, auteur de renom.

La deuxième partie est plus crédible parce que moins nécessairement sordide. le suspense reprend ses droits. La justice suit son cours. L'avocat est vertueux et compétent. Avec la tenue d'un procès à l'américaine - objection votre honneur la question est tendancieuse et propre à orienter la réponse du témoin. Objection rejetée, poursuivez monsieur l'avocat général – le réalisme reprend ses droits. Anxiété de l'attente du verdict.

Alors bien sûr, il y a l'ode à la nature. Unanimement saluée à juste titre. C'est le côté terre nourricière savamment dépeint. Joliment dépeint. La poésie est au rendez-vous. Il contrebalance efficacement la dérive artificielle de l'intrigue. C'est la vie du marais. Avec Kya on hume les senteurs, on entend les bruissements animaux, le clapotis de l'eau, on ressent humidité et fraîcheur de l'aube. On voit le soleil percer les brumes sur le marais. La faune s'éveille. Les nocturnes se terrent jusqu'à la nuit prochaine. On se perd dans le marais avec délice, quand on est sûr de passer la nuit à l'abri. On fait confiance à la jeune Kya pour nous conduire à ses lieux d'intérêt, de fuite, de dissimulation, d'observation, de communion avec la nature. C'est le bon aspect du roman. Il est réussi. Il est inspirant.

Un roman de valeur inégale selon moi. Il perd à mes yeux une partie de son âme à vouloir forcer le trait de l'émouvant. La jeune Kya devient un bouc émissaire de commisération, elle y perd en humanité. C'est dommage parce que l'aspect communion avec la nature est plutôt réussi.


lundi 7 juin 2021

L'évangile selon Yong Sheng ~~~~ Dai Sijie

 



Ce qui surprend à la lecture de cet ouvrage c'est le décalage entre la légèreté de l'écriture et la gravité du sujet traité. Le style mis en œuvre par Dai Sijie pour écrire cet ouvrage, en évocation de l'histoire de son grand père, est souvent assimilé à celui d'un conte. Cet aïeul a pourtant connu un sort aux antipodes de ce que relate habituellement le genre. Le nouveau régime fort montant en Chine en ce milieu du 20ème siècle, se légitimant comme émanation du peuple, a réservé à ceux qu'il avait classés parmi les ennemis de la révolution humiliation, torture physique et mentale en forme de lavage de cerveau. C'était rentrer dans le rang ou mourir. le rang étant celui d'un peuple sorti vainqueur de la longue marche conduite par Mao Ze Dong.

Le grand timonier n'admettait d'autre culte que celui orienté vers sa personne. Pas étonnant donc que Yong Sheng, représentant d'une minorité religieuse, chrétienne en l'occurrence, devenu de ce fait ennemi public numéro un soit livré en pâture à un petit peuple revanchard, nourri aux promesses d'une prospérité inédite par le nouvel homme fort de la Chine. La révolution culturelle était en marche et comme dans tout régime autoritaire "chaque mot pouvait être une balle tirée dans la tête de l'ennemi, un poignard à lui planter dans le cœur". Les mots : la seule arme du prêche, des sermons que Yong Sheng s'ingéniait à écrire pour guider ses ouailles sur le bon chemin qu'il leur désignait, celui de la foi chrétienne.

Ce grand père de Dai Sijie devenu pasteur par la volonté de son propre père a vécu son calvaire des années durant comme le Christ sa passion, avec la conviction obstinée que ce sort misérable lui était réservé par Dieu pour le rachat des péchés de ce bas monde. Il a accepté souffrances et trahisons des siens sans formuler la moindre plainte, le moindre esprit de revanche, en rédemption des fautes de ses congénères. Le style sobre et affable employé par l'auteur venant en confirmation de la volonté de Yong Sheng de pardonner à ses tortionnaires. L'épilogue nous confirme dans le pacifisme, la générosité et le sens du sacrifice du pasteur. Sans rejoindre les idées de ses tortionnaires, il n'émet jamais aucune parole de malédiction à leur encontre.

Ce conte triste comporte ses symboles. Tel cet arbre sacré en chine, l'aguillaire. Il en devient un personnage à part entière de l'ouvrage. Planté à la naissance de Yong Sheng, il est devenu l'arbre du pasteur et manifeste sa présence sur l'ensemble du récit. Brûlé lors de l'incendie de la maison du pasteur, tel le Phénix il renaît de ses cendres en allégorie de survivance d'une foi qui commande à l'esprit. A cet arbre sont prêtées des vertus non pas magiques, cette notion ayant une connotation par trop païenne, mais miraculeuses, propres à tempérer les ardeurs vindicatives. Comme un apaisement provoqué par l'ombre de sa ramure. Il était devenu aux yeux de Yong Sheng le symbole de la religion chrétienne.

Un autre symbole est celui des sifflets que fabriquait le père de Yong Sheng, et ce dernier aussi sur le tard. Accrochés au plumage des oiseaux ils jouaient une forme de symphonie aérienne rythmée par le battement de leurs ailes. Harmonie de l'homme et de la nature que la révolution culturelle a un temps étouffée sous la chape de plomb qu'elle avait répandue sur le pays. Symphonie qui a timidement fait entendre à nouveau ses mélodies à la mort du grand timonier.

Belle écriture aux élans délicats que celle de Dai Sijie pour nous conter, on en convient au terme de cette lecture, une histoire douloureuse, inspirée de la vie de son ascendant. Au-delà du dogme, de la croyance c'est le courage, l'abnégation, la force de la foi et pourquoi pas aussi une solidarité filiale qu'il a voulu souligner à l'égard de ce personnage englouti par le ressentiment de ses congénères, eux-mêmes aveuglés par l'endoctrinement, en un temps où la personne humaine ne valait pas la balle qui lui ôterait la vie.

vendredi 28 mai 2021

Le lion ~~~~ Joseph Kessel

 


Dans la première moitié du 20ème siècle, la petite Patricia vit avec ses parents dans une réserve animalière au Kenya. Elle s'est vu confier l'élevage d'un lionceau devenu orphelin dès les premiers jours de sa vie. Elle s'est inévitablement éprise de l'animal. Devenu adulte, il n'a bien sûr plus rien de la charmante peluche qu'elle avait choyée mais conserve pour celle qui lui a donné le biberon un attachement dont on ne sait trop ce qu'il peut augurer s'agissant du comportement d'un grand fauve. Sa mère est horrifiée de la voir partir dans la brousse retrouver l'animal qui ne ferait qu'une bouchée de Patricia. On le serait à moins.

...la relation que peut tisser un être humain avec un animal en général, un fauve en particulier...
Cet ouvrage est pour Joseph Kessel prétexte à engager le débat sur la complexité de la relation que peut tisser un être humain avec un animal en général, un fauve en particulier. Celui-ci ne reste jamais qu'une proie potentielle pour un prédateur parmi les plus puissants. Ce roman est une approche de la psychologie animale quant aux sentiments que d'aucuns sont tentés de lui prêter, quand d'autres ne voient en l'animal qu'une bête capable d'émotions commandées par l'instinct, servi par les sens en éveil, dont l'odorat est souvent le plus fin chez l'animal, et armé de crocs et griffes redoutables.

S'agissant d'un ouvrage publié en 1958, à une époque où l'écrivain a atteint sa maturité littéraire, on y trouve une étonnante sensibilité du baroudeur qu'a été Joseph Kessel dans l'approche de la psychologie enfantine. Approche aussi de l'étude des mœurs, traditions et coutumes des peuplades autochtones, les Massaïs en particulier. L'accession à l'âge adulte pour un garçon de cette ethnie comportait la mise à l'épreuve de son courage dans l'affrontement avec le lion.

Une lecture en 2021 ne manque pas de mettre au jour des archaïsmes de langage comportant des expressions désormais bannies, faisant référence à des postures de colonisateurs qui prêtent aujourd'hui à la culpabilisation. La promotion de la négritude au rang de culture par Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire ne lui a pas encore ôté sa connotation péjorative dans l'esprit des ex colons.

...relation insolite et inquiétante d'une petite fille avec un grand fauve...

J'ai beaucoup apprécié cet ouvrage pour l'authenticité qui caractérise son environnement tant humain que du point de vue historique. La description des mœurs, des ambiances et paysages est servie par une écriture concrète, efficace, certes peu métaphorique et qui ne verse pas dans la sensiblerie, laquelle s'avérerait décalée du contexte. Le narrateur en séjour au sein de la famille de Patricia a un œil neuf et impartial sur la situation provoquée par cette relation insolite et inquiétante d'une petite fille avec un grand fauve. L'épilogue rehausse la narration, lui conférant une intensité dramatique quelque peu attendue mais répondant à une certaine logique de ce que l'on connaît des comportements commandés par les culture et tradition, mais aussi par l'instinct.