De grands maux de notre société moderne se sont donné rendez-vous dans les pages de cet ouvrage. L'intensité dramatique pèse sur le lecteur dès les premiers chapitres. Dans ses étendues dépeuplées, le Plateau de Millevaches est devenu refuge de solitudes, cœurs brisés et autres dépités que le tourbillon citadin, dans sa centrifugation impitoyable, a expulsé de ses rangs.
Cory s'est extirpée des griffes de son compagnon tortionnaire et manipulateur.
Elle a échoué dans la caravane de Georges, orphelin du cru, qui ne croyait plus
en l'intérêt d'une vie désertée par la perspective d'une tendre complicité.
J'ai retrouvé dans ces pages les personnages rustres, au visage buriné par la
dureté de la vie paysanne, obsédés par la précarité de leur condition et
parfois hantés par des souvenirs inavouables, qui avaient animé l'intrigue de
Grossir le ciel. Ouvrage qui m'avait fait découvrir ce style d'écriture si
particulier de Franck Bouysse. Style qui participe, peut être plus que
l'histoire elle-même, à l'intérêt de ces deux seuls ouvrages que j'ai lus de sa
bibliographie
Ce deuxième bain dans pareil univers d'allusions suggestives m'a toutefois
confirmé dans mon opinion que la sophistication peut être un grand piège. À
trop vouloir faire vibrer la corde sensible par la métaphore tarabiscotée, on
peut verser dans l'artificiel et rater son objectif, perdre en naturel et en
spontanéité.
Un autre facteur dévastateur est à mon sens l'obligation que se fait l'auteur
d'inclure dans son texte des termes parfaitement inaccessibles au commun des
autodidactes besogneux dont je suis un pur spécimen. Cet aveu me vaudra
peut-être quelques sourires compatissants, mais avant d'esquisser le rictus
moqueur du lettré de haut-vol, essayez-vous aux exemples que je vous livre. Ils
ont mis Google à la peine pour en exhumer la définition des tréfonds de ses
bases de données mondiales. Cette pratique laisse imaginer que l'ouvrage a été
travaillé à grand renfort d'encyclopédies spécialisées ouvertes à côté de
l'écritoire : érythrocytes, sot-l'y-laisse, ampoule hottentote, fétuque, dipneuste.
Et j'en passe. Auxquels il faut ajouter le lexique de la flore du Plateau dont
on n'imagine pas qu'elle puisse faire partie du vocabulaire des simples (les
hommes, pas les plantes) qui survivent dans ces contrées de solitude. Ça sent
le défi que l'on se lance entre amis pour placer dans la conversation des
termes improbables. Cet exercice de culture au forceps m'a fait perdre en
intérêt pour un ouvrage qui n'en manque pourtant pas.
Sans rancune, Franck Bouysse, mais attention quand même à la sophistication.
Cela peut faire disparaître en chemin les lecteurs au vocabulaire SMS qui ont
pourtant trouvé de l'intérêt à tes ambiances terroir-polar. Il y a quand même
un fonds d'humanité ouverte aux grandes préoccupations de notre société :
mourir dans la dignité, femmes battues, gloire déchue, qui aiguillonne notre
sensibilité.