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samedi 25 février 2023

La chambre des diablesses ~~~~ Isabelle Duquesnoy

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La lecture c'est parfois pour nous autres lecteurs l'occasion de jeter un coup d'œil par le trou de la serrure, de se livrer à ce vol d'intimité en satisfaction d'un penchant un tantinet voyeur. En quête de l'affriolant qui manque peut-être à notre propre vie. Parfois a-t'on besoin aussi d'un peu d'épouvante pour sortir de notre zone de confort, histoire de malmener un quotidien par trop routinier. Et si en outre pour dépeindre le monde comme il va, et déplorer ipso facto les mauvais penchants de notre humaine nature, on aime le faire sur le ton de la dérision, alors c'est avec le regard d'Isabelle Duquesnoy qu'il faut scruter l'histoire.

Cette auteure que j'avais déjà eu l'occasion d'encenser de ma satisfaction avec L'Embaumeur ou encore La redoutable veuve Mozart sait tourner les pages de la petite histoire qui lorsqu'elles s'ouvrent et s'additionnent donnent sa majuscule à la discipline. Et le lecteur de se pâmer d'aise, le sourire aux lèvres, à lire celle qui nous conte les affres de nos congénères avec un humour aussi noir que caustique, parfois même un peu glauque.

C'est un récit historique. Mais ça n'a rien d'ennuyeux, bien au contraire. Car question humour noir Isabelle Duquesnoy maîtrise la discipline. Avec la Voisin elle est parvenue au sommet de son art. Il faut dire, pour minimiser son mérite, que le personnage lui a facilité la tâche. La Voisin, de son vrai nom Catherine Deshayes épouse Monvoisin, ne faisait pas dans la demie mesure avec son verbe fleuri et l'emprise qu'elle avait sur sa clientèle huppée, mais pas que. Elle a su faire prospérer son commerce, sombrant au fil du temps, de son expérience et de sa notoriété grandissante du médical au divinatoire puis vers le macabre.

Accoucheuse, avorteuse, devineresse, enchanteresse, prêtresse en messes noires, devenue encore bien pire que tout ça, La Voisin s'enrichissait de la crédulité et la cupidité de ceux qui arboraient visage et perruque poudrés. Mais elle savait aussi prédire au pauvre lorsqu'il voulait savoir si la déveine de sa naissance lui donnerait un jour quelque espoir d'une vie meilleure. Faux espoir évidemment, car à cette époque les cloisons entre les classes sociales étaient particulièrement étanches. Mais la Voisin savait faire miroiter des avenirs meilleurs. Elle en avait fait son fonds de commerce. Son intelligence et sa malice ont fait d'elle une des personnes les plus riches de son temps.

La Voisin, un personnage dont j'avais vaguement entendu le sobriquet sans pouvoir en restituer plus que la savoir impliquée dans l'affaire des poisons. Au temps du grand roi. Au temps où les bûchers illuminaient encore parfois les places publiques à la délectation des contemporains assoiffés de macabre. Voilà donc que grâce à Isabelle Duquesnoy je la connais désormais par le détail cette personne haute en couleur. Elle finit sur le bûcher, l'ouvrage commence par là. On ne touche pas de la personne du roi, fût-ce par personne interposée sans prendre quelque risque en cette époque de justice expéditive.

Votre conjoint(e) vous insupporte, votre amant(e) vous délaisse, vous n'êtes plus en faveur à la cour, La Voisin est là pour vous venir en aide de ses potions et imprécations. Au diable les scrupules et faiblesses. Naïveté, crédulité, jalousie, La voisin sait jouer de tout cela et s'immiscer au plus haut de l'Etat, pourvu qu'espèces sonnantes et trébuchantes tombent dans son escarcelle. Et l'Etat on sait qui c'est au temps où l'astre solaire s'est attaché à la personne du monarque. Alors La Voisin s'est brûlé les ailes, forcément. Les ailes et le reste.

Isabelle Duquesnoy nous présente ce personnage avec une écriture aussi délectable que le personnage a pu s'élever dans le sordide. La fille de la Voisin, Marie-Marguerite, intervient par chapitres alternés. Il faut dire que la pauvre n'a bénéficié de l'héritage de sa mère que pour se soir fatalement accusée de complicité. Et plaider du fond de son cachot son implication à son corps défendant dans les forfaitures de sa mère. En peine perdue forcément.

A tourner les pages de la chambre des diablesses on va crescendo d'effarement en effarement. Mais ce n'est pas de la faribole, c'est de l'histoire. De l'histoire merveilleusement racontée par cette auteure dont le seul nom m'a fait adopter cette proposition de masse critique dont je remercie Babelio et les éditions Robert Laffont de m'en avoir fait profiter. Savoureux moment de lecture.




 

samedi 11 septembre 2021

La redoutable veuve Mozart ~~~~ Isabelle Duquesnoy



 
J'ai décidemment un faible pour le style d'Isabelle Duquesnoy. J'aime sa spontanéité, sa verdeur dans le langage. Cela confère affirmation et truculence à ses personnages, de ceux qui ne se laissent pas marcher sur les pieds. Encore faut-il que je fasse la part des choses entre sa propre écriture et les propos qu'elle leur prête. Mais certainement les choisit-elle sachant les voir s'imposer à leur entourage par la seule force du verbe.

Ascendant qu'elle a exercé en premier lieu sur les deux fils qui lui sont restés des six enfants qu'elle avait mis au monde. Au point de les étouffer à les vouloir perpétuer le génie de leur père. « Voilà des années que tu me fais ployer devant le spectre de mon père, que tu compares ma musique à la sienne, que tu relèves sur mon visage les traces de sa figure » lui jeta à la figure le cadet de ses enfants survivants, excédé qu'il fut par la pression que lui appliquait sa mère.

Question caractère, avec la veuve Mozart on est servi. le personnage n'envoie pas dire par autrui ce qu'il a sur le coeur. Elle a survécu cinquante ans à son époux adulé. Celui dont elle revendiquait la jalouse propriété en en parlant jamais autrement qu'en l'appelant « Mon Mozart ». Surtout lorsqu'elle se heurtait à sa belle-famille, sans doute méprisante de l'alliance qui ne permit pas à Wolgang de mettre un pied dans la haute société. Constanze a consacré sa vie à entretenir sa mémoire et beaucoup plus que cela même, à lui bâtir la popularité que ses contemporains lui avaient boudée. Qui pourrait croire, connaissant aujourd'hui la renommée de ce génie de la musique, que Mozart est mort endetté jusqu'au cou.

Mozart serait-il tombé dans l'oubli si son épouse n'avait consacré le restant de ses jours à remuer ciel et terre pour faire valoir son génie. « Vienne ouvre ses bras mais ne le referme jamais. » Mozart a été inhumé à la fosse commune. Et remuer la terre Constanze l'a fait, des nuits entières à creuser le sol pour exhumer les restes de « son Mozart » et lui donner la sépulture qu'à ses yeux il méritait.

L'opiniâtre mère n'a jamais baissé les bras pour faire éclater le génie de son époux trop tôt disparu à trente-cinq ans. Elle a laissé en héritage à ses enfants, outre l'aisance financière qu'elle avait eu l'intelligence de constituer, la gloire d'un compositeur dont le talent est de nos jours une évidence. Des statues, des noms de places et de rues, une fondation, des festivals, un Mozart joué par les plus grands tant qu'il y aura des pianos et des violons : « La popularité universelle de Mozart, c'est moi » pouvait-elle se glorifier. À juste titre.

On se convainc à la lecture de cet ouvrage que cet acharnement n'était pas appropriation. Tant Constanze était imprégnée du génie de son époux et déçue de l'avoir vu partir dans la quasi indifférence de ses contemporains. Sans doute en seule motivation qu'il n'était pas noble. Les seuls dont on pouvait orner la sépulture de croix et plaque. Mozart à la fosse commune. Qui pourrait l'envisager aujourd'hui ? Époque maudite où les honneurs étaient dictés par le mérite d'être « bien né ». Quel beau mérite !

Constanze a consacré sa vie à rendre justice à celui qu'elle n'avait pas aimé pour son seul talent. Isabelle Duquesnoy nous apprend la sincérité de son amour pour l'homme. Elle nous dresse le portrait d'un homme simple, lui aussi original, facétieux et tout entier versé à son art.

Cet ouvrage m'a comblé. J'aime la façon qu'a cette auteure de nous embarquer dans le tourbillon d'une femme de caractère, une femme amoureuse, décidée à faire rendre gorge à ses pleutres de Viennois qui avaient dédaigné son époux de son vivant jusqu'à le laisser enterrer comme un gueux. Autant que son génie, c'est justice qu'elle voulait rendre à son époux. C'est le cadeau qu'elle fit à la postérité. Cadeau à ses inconditionnels de tous les temps qui de noblesse ne reconnaissent que celle du talent.


samedi 1 septembre 2018

L'embaumeur ~~~~ Isabelle Duquesnoy

 



Les vacances sont pour certains l'occasion de lire plus. Ces dernières ont été pour moi l'occasion de lire moins. Je ne regrette cependant pas les soirées entre amis qui m'ont volé quelques heures de lecture. Ce que je regrette en revanche c'est d'avoir par trop fragmenté la lecture de L'embaumeur d'Isabelle Duquesnoy. Le découpage en épisodes trop nombreux fait perdre en substance de son contenu à un ouvrage. Et quand on parle de substance, pour ce qui concerne L'embaumeur on ne s'attend à rien de bien ragoutant. Heureusement qu'Isabelle Duquesnoy a su redonner de la truculence et de l'humanité à ce récit qui aurait pu sombrer dans le nauséabond.

Ce n'est en effet pas impunément que l'on participe à l'éviscération de cadavres. Les remugles de décomposition exhalent tout au long des chapitres qui le relatent. Mais avec son verbe fleuri, Isabelle Duquesnoy nous aide à supporter ce qui a fait la fortune de Victor Renard. Il est devenu embaumeur. Cette activité fera toutefois aussi son infortune. Cet ouvrage est en fait sa propre plaidoirie devant des juges qui quant à eux resteront muets. Son crime ? On l'apprendra dans les dernières pages de l'ouvrage selon la subtile construction de son auteure.

Fiction raccrochée à l'histoire, la grande. Isabelle Duquesnoy y fait référence dans des notes de bas de page. On y découvre les pratiques de la profession en apprenant que cette dernière n'avait pas pour seule vocation de rendre les corps présentables au jugement dernier, mais aussi et tout autant de calmer les craintes de ceux qui avaient la hantise d'être déclaré mort un peu trop vite et enterré tout de go. Victor Renard a fait fortune à exploiter cette crainte, pour ceux qui en avaient les moyens en tout cas en cette fin de XVIIIème siècle.

Découverte surprenante à faire à la lecture de cet ouvrage, pour ceux qui comme moi sont vierges non seulement de signe astrologique mais aussi de toute étude de l'histoire de la peinture, cette étonnante technique qui consistait à utiliser les viscères desséchés et mis en poudre pour fabriquer des pigments de peinture. Pigments d'autant plus précieux que leur pourvoyeur tenait un rang élevé dans la société. Quelques bruns soutenus, fixés sur certaines toiles de maîtres, furent ainsi obtenus du broyat de viscères de personnages de famille royale. Il y a plus exaltant en matière d'art.

Mais l'aspect technique du métier ne sert que de toile de fond à la vie de Victor Renard. La vraie substance de l'ouvrage est plus incommodante encore. C'est dans ses déboires en amour que Victor Renard trouve grâce à nos yeux. Au premier rang desquels l'amour maternel dont il n'a pas été gratifié. La détestation que sa mère lui voua valut à cette dernière, en juste retour, le désir de la voir un jour sous son scalpel à lui extraire les tripes du corps. Quelque peu déroutant comme sentiment filial.

Victor Renard n'en est pas moins un humaniste malchanceux. Il sait très bien à qui attribuer les déboires de sa triste destinée. Aussi a-t-il préféré embellir la mort plutôt que de croire en l'impossible amour, y compris avec celle qu'il a épousée. Encore moins en l'amour d'un dieu qu'il ne connaît pas. Philanthrope à l'égard de qui le mérite, il n'a pas craint de s'adjoindre en son commerce les services d'un esclave affranchi dont ses contemporains affirmaient qu'il avait l'âme plus noire que sa peau.

Magnifique roman de par son style, sa subtile construction qui nous laisse mijoter entre les mains de l'embaumeur avant de nous faire entrevoir la raison de la plaidoirie. Roman duquel on peut accessoirement extraire quelques fragments pour consolider sa culture historique. Mais surtout roman du désamour. La froideur cadavérique et ses exhalaisons fétides sont la manière la plus efficace pour imager une vie sans amour maternel.

Roman que je garde sur mes étagères pour me promettre une relecture, plus avertie et assidue celle-là.