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La lecture c'est parfois pour nous autres lecteurs
l'occasion de jeter un coup d'œil par le trou de la serrure, de se livrer à ce
vol d'intimité en satisfaction d'un penchant un tantinet voyeur. En quête de
l'affriolant qui manque peut-être à notre propre vie. Parfois a-t'on besoin
aussi d'un peu d'épouvante pour sortir de notre zone de confort, histoire de
malmener un quotidien par trop routinier. Et si en outre pour dépeindre le
monde comme il va, et déplorer ipso facto les mauvais penchants de notre humaine
nature, on aime le faire sur le ton de la dérision, alors c'est avec le regard
d'Isabelle
Duquesnoy qu'il faut scruter l'histoire.
Cette auteure que j'avais déjà eu l'occasion d'encenser de ma satisfaction
avec L'Embaumeur ou
encore La
redoutable veuve Mozart sait tourner les pages de la petite histoire
qui lorsqu'elles s'ouvrent et s'additionnent donnent sa majuscule à la
discipline. Et le lecteur de se pâmer d'aise, le sourire aux lèvres, à lire
celle qui nous conte les affres de nos congénères avec un humour aussi noir que
caustique, parfois même un peu glauque.
C'est un récit historique. Mais ça n'a rien d'ennuyeux, bien au contraire. Car
question humour noir Isabelle
Duquesnoy maîtrise la discipline. Avec la Voisin elle est parvenue au
sommet de son art. Il faut dire, pour minimiser son mérite, que le personnage
lui a facilité la tâche. La Voisin, de son vrai nom Catherine
Deshayes épouse Monvoisin, ne faisait pas dans la demie mesure avec
son verbe fleuri et l'emprise qu'elle avait sur sa clientèle huppée, mais pas
que. Elle a su faire prospérer son commerce, sombrant au fil du temps, de son
expérience et de sa notoriété grandissante du médical au divinatoire puis vers
le macabre.
Accoucheuse, avorteuse, devineresse, enchanteresse, prêtresse en messes noires,
devenue encore bien pire que tout ça, La Voisin s'enrichissait de la crédulité
et la cupidité de ceux qui arboraient visage et perruque poudrés. Mais elle
savait aussi prédire au pauvre lorsqu'il voulait savoir si la déveine de sa
naissance lui donnerait un jour quelque espoir d'une vie meilleure. Faux espoir
évidemment, car à cette époque les cloisons entre les classes sociales étaient
particulièrement étanches. Mais la Voisin savait faire miroiter des avenirs
meilleurs. Elle en avait fait son fonds de commerce. Son intelligence et sa
malice ont fait d'elle une des personnes les plus riches de son temps.
La Voisin, un personnage dont j'avais vaguement entendu le sobriquet sans
pouvoir en restituer plus que la savoir impliquée dans l'affaire des poisons.
Au temps du grand roi. Au temps où les bûchers illuminaient encore parfois les
places publiques à la délectation des contemporains assoiffés de macabre. Voilà
donc que grâce à Isabelle
Duquesnoy je la connais désormais par le détail cette personne haute
en couleur. Elle finit sur le bûcher, l'ouvrage commence par là. On ne touche
pas de la personne du roi, fût-ce par personne interposée sans prendre quelque
risque en cette époque de justice expéditive.
Votre conjoint(e) vous insupporte, votre amant(e) vous délaisse, vous n'êtes
plus en faveur à la cour, La Voisin est là pour vous venir en aide de ses
potions et imprécations. Au diable les scrupules et faiblesses. Naïveté,
crédulité, jalousie, La voisin sait jouer de tout cela et s'immiscer au plus
haut de l'Etat, pourvu qu'espèces sonnantes et trébuchantes tombent dans son
escarcelle. Et l'Etat on sait qui c'est au temps où l'astre solaire s'est
attaché à la personne du monarque. Alors La Voisin s'est brûlé les ailes,
forcément. Les ailes et le reste.
Isabelle
Duquesnoy nous présente ce personnage avec une écriture aussi
délectable que le personnage a pu s'élever dans le sordide. La fille de la
Voisin, Marie-Marguerite, intervient par chapitres alternés. Il faut dire que
la pauvre n'a bénéficié de l'héritage de sa mère que pour se soir fatalement
accusée de complicité. Et plaider du fond de son cachot son implication à son
corps défendant dans les forfaitures de sa mère. En peine perdue forcément.
A tourner les pages de la
chambre des diablesses on va crescendo d'effarement en effarement.
Mais ce n'est pas de la faribole, c'est de l'histoire. De l'histoire
merveilleusement racontée par cette auteure dont le seul nom m'a fait adopter
cette proposition de masse critique dont je remercie Babelio et les éditions
Robert Laffont de m'en avoir fait profiter. Savoureux moment de lecture.