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Ouvrages par genre
mardi 27 février 2024
jeudi 11 janvier 2024
Ce qu'ils disent ou rien ~~~~ Annie Ernaux
Les garçons ne souffrent pas du mal-être qui la taraude elle. Elle en est sûre. Ils sont d'une bêtise à pleurer. de toute façon, ils ne pensent qu'à une chose. Les graffitis dans les toilettes du collège le prouvent.
La construction et l'écriture de cet ouvrage participe grandement à l'illustration du chaos qui bouleverse l'esprit de la jeune fille. La transformation de son corps la projette dans le torrent impétueux de la vie sans plus savoir à quoi se raccrocher pour retrouver ce sentiment de sécurité que lui était jusqu'alors son foyer familial.
Cette confusion recherchée rend ce moment de lecture laborieux, mais tellement vrai. Il faut le prendre comme une prouesse de l'auteur à restituer ce que tout un chacun a connu dans cette période sa vie. Sauf peut-être ces balourds de garçons qui ne doutent de rien. Eux au moins ont un but. Moche, mais un but quand même. Quant aux parents, Ce qu'ils disent ou rien.
lundi 4 décembre 2023
Le fantôme de Philippe Pétain ~~~~ Philippe Collin
La France de Vichy, sujet
éminemment délicat à évoquer aujourd’hui encore. Il faut du doigté à un auteur
pour aborder avec impartialité cette page sombre de l’histoire de notre pays.
Dans Le fantôme de Philippe Pétain, Philippe Collin fait le point sur ce brûlot
de la mémoire collective de notre pays. Cette période au cours de laquelle
Philippe Pétain fut chef de l’État Français, depuis qu’il s’était vu remettre
les pleins pouvoirs en 1940, jusqu’à la défaite de l’Allemagne nazie, évoquant en
inévitable conclusion les dernières années du maréchal après son procès en 1945.
Il est aussi question comme de juste de la posture du général de Gaulle
vis-à-vis de son ancien chef. Attitude qui lui inspira cette expression comme
de Gaulle en avait le secret : « la vieillesse est un naufrage. »
Pétain avait 84 ans en 1940.
Philippe Collin est parvenu à
dépassionner le sujet en conduisant ce qu’on pourrait appeler une forme d’instruction
à charge et à décharge, interviewant des spécialistes de l’époque parmi les
plus éminents. Il destine à nous autres lecteurs d’un autre temps un recueil de
ces entretiens rendu d’autant plus vivant et passionnant qu’il s’offre à nous
sous forme d’un débat s’affranchissant de la stricte chronologie. Il s’agit d’analyser
comment un personnage, porté haut dans le cœur des Français de l’époque pour
avoir été le vainqueur de Verdun, a pu être conduit à commettre l’impensable.
Une belle réussite que cet ouvrage autorisé par une mémoire encore vive mais
avec déjà un recul suffisant.
mercredi 29 novembre 2023
La fabrique des pervers ~~~~ Sophie Chauveau
En amateur d'histoire que je suis j'apprécie les œuvres de Sophie Chauveau tant
du fait du formidable travail de documentation avec lesquelles elles sont
construites que de la qualité d'écriture qui les met en pages. Je suis en train
de lire Diderot,
le génie débraillé de sa main. J'avoue rester ébahi de la précision avec
laquelle elle peut y détailler la vie du père de l'Encyclopédie.
Mais las, depuis que j'ai lu celui pour lequel j'écris ces modestes
lignes, La
fabrique des pervers, je perçois les œuvres de Sophie Chauveau sous
un autre angle. En effet, quand tant d'autres auraient pu sombrer à assumer un
passé intime empoisonné, Sophie Chauveau s'est
elle réfugiée dans le travail pour produire des œuvres de
grande valeur historique et littéraire. Ce passé intime est celui de l'enfance
pervertie par l'abus sexuel d'un parent.
Si les autres ouvrages peuvent être imaginés comme ceux de la fuite et de
l'oubli par le travail, La
fabrique des pervers serait donc pour son auteure celui de la
thérapie. Enfin.
Mais aussi et peut-être surtout un livre en forme d'espoir pour les autres
victimes de pareille souillure de la part de personnes supposées garantir à
l'enfant la sérénité dont il a besoin pour s'épanouir. Des victimes qui n'ont
pas encore pu se libérer par la parole. Un livre pour leur dire que l'on peut
en revenir. A condition de bien parvenir à faire reporter la faute sur les
vrais coupables : ceux qui commettent le crime d'inceste. Un livre pour ne pas
assumer les torts de mauvaise action ou de passivité, fussent-ils ceux de
parents.
Mais aussi encore un livre de mise en garde pour des victimes potentielles de
ce crime, de leur entourage proche qui se rendrait tout autant condamnable en
fermant les yeux. le huis-clos familial est le contexte dans lequel une victime
potentielle est la plus vulnérable. Ecartelée qu'elle est entre la part d'amour
qu'elle éprouve à l'égard de ses parents et la part de rejet que lui inspire ce
qu'elle ne comprend pas encore comme une agression mais bien comme une
anormalité dans la relation filiale.
Il faut dire que Sophie Chauveau a
de qui porter le poids de l'indignité s'agissant de la famille dont elle est
issue, au sein de laquelle des relations coupables se sont entretenues durant
des générations. Profitant d'époques où la voix de l'enfant était étouffée par
des codes sociaux et moraux qui ne l'instituaient pas en tant que personne. Au
grand avantage de pervers qui jouissaient quant à eux de leurs pulsions sans
crainte ni retenue et donnaient de la personne une idée déshonorante.
Bravo à Sophie
Chauveau pour cette libération et pour l'espoir qu'elle procure à qui
n'est pas encore parvenu à émerger d'un passé gangrené par de tels
comportements, faisant de l'enfant un objet d'assouvissement et non un adulte
en devenir.
mercredi 20 septembre 2023
Ce qu'ils n'ont pu nous prendre ~~~~ Ruta Sepetys
🌕🌕🌕🌕🌚
L’écriture de Ruta Sepetys, au travers de son formidable
Hôtel Castellana, m’avait donné le goût d’approfondir ma connaissance de cette
auteure et de son œuvre.
Elle semble s’être focalisée sur les régimes tyranniques. Le
second ouvrage de sa main que je viens de refermer traite d’une période qui est
chère à son cœur puisqu’il s’agit de la main mise par Staline sur le pays
d’origine de sa famille : la Lituanie. Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre
est son premier roman.
A la lecture de celui-ci, j’ai éprouvé une légère déception.
Je l’ai trouvé en dessous d’Hôtel Castellana en termes d’écriture. Moins abouti
dans sa construction, l’inclusion de la fiction dans les événements historiques,
bien que l’auteure paraisse néanmoins plus impliquée personnellement. On
ressent à cette lecture une grande compassion pour toutes ces personnes sans distinction
d’âge, de sexe et de condition qui ont eu à subir les affres de la déportation
en Sibérie, et pour cause.
S’il n’y avait pas, comme ce fut le cas pour la solution
finale mise en œuvre par les nazis, « d’industrialisation » de la
mort, les conditions de détention dans le froid intense, la faim, les maladies évidemment
non soignées, l’épuisement par le travail aboutissaient au même résultat. Ruta
Sepetys met l’accent sur l’indifférence des gardiens, qui avaient eux leur
confort sous les yeux des détenus, quant à la souffrance et la déchéance
physique de ces derniers. Aux conditions de vie terribles, l’isolement total
dans les immensités sibériennes, le sentiment d’oubli du reste du monde et l’incertitude
complète de l’avenir participaient grandement à anéantir psychologiquement les
détenus. Ruta Sepetys le rend très bien.
Cet ouvrage est bâti sur la base de témoignages souvent indirects, les rescapés ayant eux aussi presque tous disparu à l’époque où elle met son ouvrage en chantier. Cela reste toutefois un excellent roman de rappel à la mémoire de ces pauvres anonymes broyés par un système totalitaire inhumain. Ce genre d’ouvrage a toujours sa justification et plus encore lorsque la mémoire directe s’efface.
Veiller sur Elle ~~~~ Jean-Baptiste Andréa
🌕🌕🌕🌕🌕
Qui est cette Elle sur qui il faut veiller ? Elle, a poussé
Mimo à se cloîtrer dans un monastère, sans toutefois y prononcer des vœux. Sous
la plume de Jean-Baptiste
Andréa, il nous conte sa vie ses dernières heures venues. Mimo, c'est
Michelangelo Vitaliani. Il a deux handicaps dans la vie. Celui d'être né dans
une famille pauvre, mais surtout celui d'être différent. Il est de si petite
taille qu'on le traite de nain. Mais il a un atout énorme. Celui de son art. Il
est un sculpteur au talent inouï. Au point de rivaliser avec l'autre
Michelangelo, le grand, l'auteur de la Pietà qui trône en la basilique
Saint-Pierre du Vatican à Rome.
Elle, ce pourrait être Viola. Elle est la fille de la grande et richissime
famille Orsini de laquelle sont issus plusieurs papes. Mais comment un nain,
qui plus est de basse extraction, pourrait-il seulement lever les yeux sur
pareille descendance. Aussi fantasque fût-elle ? N'a-t-elle pas l'idée de voler
avec une aile de sa fabrication.
C'est pourtant ce qui arrive. Parlera-t-on d'idylle entre ces deux personnages
? Pareille union abonderait à l'expression du mariage de la carpe et du lapin.
Mais une idylle quand même, oui. En forme d'amitié amoureuse. Parfois orageuse,
mais toujours fidèle. Une de celle qui ne trouve d'assouvissement que dans
l'espoir. Espoir d'on ne sait quoi. Sans cesse relégué, aussi fuyant que la
ligne d'horizon.
A moins que l'assouvissement de cette idylle, ce ne soit cette sculpture, cette
caresse au marbre pur qui a façonné un visage si doux. Le visage de la Vierge,
si parfait qu'il est sacrilège aux yeux de l'Eglise. A la mémoire du
grand Michel-Ange.
La Pietà de Mimo fait de l'ombre à celle du maître. Aussi a-t-elle a été
confinée en un lieu que très peu connaissent.
Mimo, Viola, un amour qui a trouvé son accomplissement, son triomphe dans
l'immobilité d'un visage aux traits divins. Un visage de marbre. Un visage à la
beauté céleste, inaltérable. Comme l'amour quand il n'a pas été corrompu par
les bassesses de la vie terrestre.
Un roman à la puissance romanesque prodigieuse, porté par une écriture aussi
fluide que les traits du visage de la Pietà. Celle de Mimo.
mardi 18 juillet 2023
mardi 27 juin 2023
Hôtel Castellana ~~~~ Ruta Sepetys
🌕 🌕 🌕 🌕 🌕
jeudi 1 juin 2023
L'appel de la tribu ~~~~ Mario Vargas Llosa
"Le monde romanesque n'est que la correction de ce
monde-ci" nous dit Albert Camus dans L'homme révolté.
A explorer l'œuvre de Mario Vargas
Llosa, voilà une assertion que l'on peut mettre au crédit de l'œuvre de ce
dernier. de la même façon qu'avec cet ouvrage dans lequel le prix Nobel de
littérature convoque sa tribu, ceux-là même qui ont concouru à la genèse de sa
pensée politique, à l'instar d'un Albert Camus il sait revêtir le
costume du philosophe. Philosophie qu'il applique ici à la politique avec
cet ouvrage autobiographique dans lequel il nous décrit l'évolution de sa
pensée en la matière. Comme pour beaucoup, la maturité formant l'homme, elle a
évolué de l'utopique vers le pragmatisme libéral.
Libéralisme dont il nous détaille sa conception. Se défendant de le réduire à
une recette économique des marchés libres, l'orientant vers une « doctrine
fondée sur la tolérance et le respect devant la vie, d'amour de la culture, de
volonté de coexistence avec l'autre et sur une ferme défense de la liberté
comme valeur suprême. » Mais selon lui, le libéralisme ne fonctionnant qu'avec
des convictions morales solides l'intervention de l'Etat peut s'avérer
nécessaire selon un dosage subtil qui devra écarter toute tentative d'hégémonie
du collectif sur l'individu. L'écueil étant cet étirement vers les extrêmes que
le discours populiste tente de faire, à droite comme à gauche.
Evoquant au passage le paysage politique français, qu'il connaît bien pour
avoir séjourné en notre pays, Mario Vargas Llosa met en avant le fait
que les belles intentions affichées au fronton de nos édifices publics peuvent
comporter leur lot de contradiction. « Ainsi pour établir l'égalité, il n'y
aurait d'autre remède que de sacrifier la liberté, d'imposer la contrainte, la
surveillance et l'action toute puissante de l'Etat. Que l'injustice sociale
soit le prix de la liberté et la dictature celui de l'égalité – et que
fraternité ne puisse s'instaurer que de façon relative et transitoire, pour des
causes plus négatives que positives, comme celui d'une guerre ou d'un
cataclysme qui regrouperait la population en un mouvement solidaire – est
quelque chose de regrettable et difficile à accepter. » Mais selon lui, ignorer
ces contradictions serait plus grave que de les affronter et c'est sans doute
la raison de son engagement en politique, non seulement dans son œuvre mais
aussi dans ses actes. N'a-t-il pas été candidat, certes malheureux, à
l'élection suprême en son pays en 1990.
Dans l'appel de la tribu, Mario Vargas Llosa invite les penseurs
politiques qui ont concouru à forger sa conviction, depuis le précurseur de la
pensée libérale au 18ème siècle, Adam Smith, jusqu'à
des Raymond
Aron et Jean-François
Revel au 20ème siècle. Intellectuels qu'il situe parmi les derniers
célèbres pour l'originalité de leurs idées et leur indépendance, nos
contemporains du 21ème siècle étant quant à eux plus préoccupés de leur image
et du spectacle qu'ils donnent en apparaissant dans les médias.
Romancier philosophe ou philosophe romancier, quelle que soit l'étiquette que
l'on collera au personnage on ne peut être qu'emporté par l'érudition du
personnage et le talent qu'il met au service d'un humanisme lucide, vertu en
laquelle il voit la sauvegarde de toute société.
L'homme est un animal politique selon Aristote, Mario
Vargas Llosa l'a bien entendu et n'est pas resté spectateur des choses de
ce monde. Avec cet ouvrage il nous offre l'occasion de mieux comprendre
l'univers dans lequel évolue beaucoup de ses personnages romanesques. Sachant
qu'avec lui de chaque roman il faut tirer une philosophie.
L'ouvrage foisonnant de substantifs en « isme » demande un effort
d'implication. Il est révélateur de la puissance conceptionnelle du personnage,
de ses hauteurs de vue lui permettant dans ses romans de disserter sur la
complexité de l'animal social qu'est l'homme. Sa force étant de garder un
discours à la portée de son lecteur le plus humble, sans toutefois amoindrir la
force du message.
jeudi 20 avril 2023
Le mas Théotime ~~~~ Henri Bosco
J'ai bien peur que notre rapport à la nature ne nous
autorise plus aujourd'hui la pleine compréhension de l'état d'esprit de ces
gens dont la vie en dépendait directement. Ils vouaient alors à la terre un
attachement respectueux dans une relation presque charnelle. Elle monopolisait
la quasi exclusivité de leurs préoccupations, usait la force de leur corps. Ils
en espéraient de quoi subsister.
Dans le Mas Théotime, Henri Bosco nous
convie chez ces gens, sur leurs terres. Défendant bec et ongles chaque arpent
de leur propriété ou de leur fermage. La force de son verbe nous dit l'âpreté
d'une vie de labeur à endurer la rigueur des saisons, à surveiller le temps, à
craindre pour la récolte.
Il fait partie de cette génération d'écrivains qui à l'inspiration allie
maîtrise de la langue, fonds d'érudition authentique, références littéraires
sous-jacentes et font de chaque phrase de leur texte une ambassadrice de leur
ressenti. Ils produisent une écriture qui analyse les caractères jusqu'à
l'indiscrétion, dépeint les décors avec la précision du figuratif. Parfois même
un peu trop quand elle s'appesantit sur le détail à longueur de page. On a
perdu l'habitude de ces exercices dont le fond est sublimé par la forme.
Henri Bosco est de ceux-là. Au mutisme des taiseux il sait puiser les
états d'âme. Au regard répandu sur la parcelle ensemencée il sait faire dire la
prière silencieuse d'une moisson généreuse. Prière adressée à ce dieu devant
qui ils courbent l'échine, qu'ils visitent en son église le dimanche, en
ruminant une sourde rancœur tant il est avare de ses faveurs, mais prudente
tant son courroux est craint.
Chez les gens de la terre le sentiment a peu de place dans la journée de
travail. L'amour est accessoire. Il ne fait pas le poids dans la balance quand
les intérêts sont en jeu, les alliances imposées. Aussi ne s'exprime-t-il que
part regard à la dérobée et rougeur au visage.
Le mas Théotime est le théâtre d'un amour qui ne s'exprime pas. Un amour
chaste, qui se contente de la présence de l'autre. Dans l'écrin de la nature
sauvage de Provence le mas Théotime est un ilot de pierre qui
voudrait s'emplir du bruit de la vie des hommes. Mais les cœurs plus arides que
les collines environnantes ne disent pas leur espoir. La terre, cette amante
ombrageuse ne partage pas les attentions. Elle boit la sueur des hommes jusqu'à
ce que vidés de force et d'espoir elle les ensevelisse dans le souvenir des
vivants.
Le mas Théotime c'est une écriture précise qui saisit son lecteur,
l'imprègne, en fait un témoin de la vie des hommes d'un autre temps. Celui où
l'homme honorait cette nature qui bruissaient des chants et battements d'ailes
de milliers d'oiseaux et la campagne embaumait d'autant de senteurs. Une
écriture qui dit la courbature des corps à la peine, la satisfaction du travail
accompli quand le soleil descend sur l'horizon. Mais aussi la frustration des cœurs.
mardi 4 avril 2023
Giono, furioso ~~~~ Emmanuelle Lambert
J'ai adoré cet ouvrage
de la main d'Emmanuelle Lambert. Elle évoque la vie de Jean
Giono sans en dresser la froide biographie. Sa vie et son œuvre
dois-je préciser, ou plutôt sa vie à partir de son œuvre. Ses ouvrages les plus
connus comme ceux restés presque confidentiels. Ces derniers surtout dans
lesquels elle est allée dénicher les pans les plus intimes de la personnalité
de l'écrivain. Ceux qui à défaut de briguer la célébrité dévoilent des dessous,
des travers aussi bien que des qualités étouffées par la pudeur. Comme cet
amour qu'il vouait à son père, sans jamais le dire ou l'écrire, ou celui dirigé
vers son ami Louis dont la guerre a enseveli l'innocence dans la boue des
tranchées. Autant de sentiments qu'il faut trouver entre les lignes, ou dans ce
regard un brin malicieux de son auteur.
Emmanuelle Lambert fait naître une intimité avec son sujet. Elle s'adresse à
lui dans cet ouvrage, lui témoigne son assentiment quand il se déclare
pacifiste après la première guerre mondiale, écologiste avant l'heure quand il
voit ses contemporains mépriser les campagnes, mais elle l'admoneste aussi
quand il a une position beaucoup plus ambigüe durant la seconde guerre
mondiale. Mais toujours elle admire l'auteur. Elle aime celui qui sait parler
au cœur, trouver et arranger les mots qui font vibrer l'être intérieur. Elle
l'intronise comme l'un des plus grands stylistes de la langue française.
Formidable ouvrage fait d'une écriture riche, érudite et sincère. Un ouvrage
très personnel quand Emmanuelle Lambert entremêle des pans de sa propre vie
dans sa démarche à la rencontre d'un Giono qu'elle est allée dénicher
dans ses murs à Manosque. Regrettant que les palmiers qui font le décor de
certaines photos de l'auteur soient dévorés par le parasite qui a gagné toute
la Provence. C'est une partie de Giono qui se dissout dans le
temps. Son ouvrage à elle a lui aussi ses tournures poétiques et allégoriques
qui lui confèrent la chaleur de l'amitié. Si ce n'est plus. Ouvrage d'une
passionnée à l'égard d'un écrivain pétri d'émotions. Avec cette pointe
d'amertume à l'égard de l'espèce à laquelle il appartenait quand elle se
fourvoyait dans la guerre ou dans la destruction de son milieu de vie. Très bel
ouvrage, incitatif à se précipiter vers ceux de son sujet pour se frotter à
l'âpreté des caractères de personnages qu'il a si bien dépeints.
Interventions ~~~~ Michel Houellebecq
« On arrive parfois, partiellement (j'insiste sur « parfois » et « partiellement ») à communiquer par l'écriture des choses qu'il serait impossible à communiquer autrement ; et ce qu'on écrit n'est souvent qu'un faible écho de ce qu'on avait imaginé d'écrire. »
Interventions - Michel
Houellebecq - éditions J'ai Lu page 458.
Cet ouvrage se présente comme un recueil de réflexions que l'auteur a eu
l'occasion de se faire, d'entretiens qu'il a tenus avec untel ou un autre sur
la période allant du début des années 90 au confinement du covid en 2020. Il a
le grand mérite de faire parler son auteur non plus par personnage interposé –
comme dans ses romans - mais par lui-même. le « Je » est bien celui de MH.
Cela fait de cet ouvrage un éclairage très intéressant quant à son auteur pour
celui qui, comme j'ai pu le faire, a lu nombre d'ouvrages (exceptées les œuvres poétiques)
de sa main. Auteur qui ne laisse pas son lectorat indifférent, c'est sa marque
de fabrique. MH a su se faire des adeptes, dont je suis et pas seulement pour
les allusions à connotation sexuelle qui foisonnent dans ses pages, mais aussi
des ennemis. Mais n'est-il pas vrai que celui qui n'a pas d'ennemis, n'a rien
fait dans sa vie.
Car pour se faire des ennemis il suffit de bannir du discours hypocrisie et
faux semblant ; en un mot de bannir ce que MH exècre par-dessus tout : le
politiquement correct (page 213). Tendance de l'époque qui fait que plus
personne ne parle de sincérité et préfère se couler dans un moule formaté par
des codes de convenance consensuels et creux.
« Je n'ai pas envie de me laisser emmerder par les humanistes » clame MH (page
320). En particulier ceux qui formatent l'opinion et font que plus aucun
discours n'est de vérité, mais lissé, standardisé, un peu comme les images
qu'on nous déverse désormais à flot continu, lesquelles sont tellement
nettoyées par la crème anti âge numérique qu'elles n'ont plus grand-chose à
voir avec la réalité.
On avait compris, et il le scande dans cet ouvrage, que son combat est celui de
la liberté d'expression qu'il défend bec et ongles. Dût-il pour attirer
l'attention parler crument des choses que d'aucuns n'osent même évoquer à voix
basse en prenant garde d'être entendu. La provocation est aussi un moyen de
réveiller les esprits anesthésiés par ledit langage politiquement correct. Car
si le discours de convenance est une belle vitrine il cache au chaland le
contenu de l'arrière-boutique : un monde gouverné par « l'attractivité érotique
et l'argent » au credo de chacun pour soi. Et Dieu pour personne désormais,
depuis que Nietzsche a
annoncé Sa mort et que Sa créature, bien qu'elle soit « un animal social de
type religieux » se divertit de sa condition de mortel par la fête.
Notre monde, notre société, notre temps, ils ne les aiment pas. Pas plus que
lui-même d'ailleurs. (Page 217) Mais il aime la littérature qu'il consomme sans
modération. Ses envolées et ses références philosophiques nous font comprendre
que sa culture n'est pas comme la confiture qu'on étale d'autant plus qu'on en
a peu, sa culture à lui est bien consistante. Cet ouvrage le confirme au point
que l'hermétique à toute philosophie s'en trouvera à la peine.
MH aime aussi se savoir lu. Quel écrivain dirait le contraire ? Aimé ou détesté
peu importe. Il y a toujours un message qui passe et lui survivra quand il sera
entré dans l'histoire. Avec cette ambiguïté de ne pas avoir d'estime de soi et
vouloir en même temps marquer la postérité.
Il est un autre combat que la personnalité et les écrits de MH confirment dans cet ouvrage, c'est celui du respect de la vie, de la personne humaine, fût-elle réduite au sommeil profond végétatif. La société qui prône la jouissance de la vie doit aussi en assumer les déficiences. Jusqu'au bout du bout et ne laisser qu'au Mystère (puisque Dieu est mort) qui préside à nos destinées le droit d'y mettre un terme.
Et de plaider quand même parfois pour son prochain – et pourquoi pas son lecteur : « L'homme est un être de raison – si on veut, cela arrive de temps en temps. Mais il est avant tout un être de chair et d'émotion : Il serait bon de ne pas l'oublier. » (Page 441).
De religion, de toutes les religions il est forcément beaucoup question dans cet ouvrage. Quand on parle de philosophie, la religion n'est jamais très loin pour tenter de lui reprendre la vedette. Aussi parmi les interventions sur le sujet, j'ai eu un faible pour la citation des Frères Karamazov qui n'a pas échappée à MH lorsque « Dostoïevski s'en prend à l'Église catholique, en particulier au pape et aux jésuites. Revenant sur terre, le Christ est aussitôt emprisonné par les autorités ecclésiastiques. Le grand inquisiteur, venant lui rendre visite dans sa cellule, lui explique que l'Église s'est très bien organisée sans lui, qu'ils n'ont plus besoin de lui – et que, même, il les dérange. Il n'a donc d'autre choix que de le faire exécuter à nouveau. » (Page 422).
L'adepte de MH sera, avec cet ouvrage confirmé dans son inclination. Son détracteur pourra moduler sa répugnance avec ces Interventions qui si elles nous confirment que l'auteur aime bien bousculer son monde, n'en restent pas moins au-dessus de la ceinture.
jeudi 30 mars 2023
Trois guinées ~~~~ Virginia Woolf
🌕 🌕 🌕 🌗 🌚
1938, la guerre n'est déjà plus une hypothèse. le monstre d'outre Rhin fourbit ses armes. Virginia Woolf publie Trois guinées. La guerre est pour elle entre autres préoccupations une obsession. Autant que celle du statut de la femme dans la société humaine. Statut qui, s'il dédouane cette dernière de la responsabilité de la guerre, a contrario de son congénère mâle, ne l'exonère pas des dommages de cette calamité. Dommages qu'illustrent pour elle les photos « de cadavres et de maisons en ruine » venues d'Espagne, lequel pays fait déjà l'expérience du totalitarisme et son lot de conséquences néfastes.
Dans Trois guinées, Virginia Woolf répond à la lettre d'un homme
lui demandant, en désespoir d'envisager lui-même une issue heureuse à la
période de tension que connaît l'Europe, comment éviter la guerre. Mais sans
doute ne s'attend-il pas à recevoir une réponse laquelle n'a rien d'un
réconfort ou d'un espoir.
Une réponse mettant en cause le patriarcat dans sa responsabilité de la
situation qui va conduire l'Europe au désastre. le patriarcat, cette moitié
mâle de l'humanité qui a mis sous le joug l'autre moitié en instituant sa
suprématie depuis l'origine des temps. Suprématie usurpée qui fait
enrager Virginia Woolf. Même si en Angleterre les femmes ont obtenu le
droit de vote en 1918, cette ouverture à la démocratie est encore loin de leur
ouvrir les portes des universités et des carrières professionnelles, ne
laissant encore aux femmes, selon Virginia Woolf, comme perspective de
promotion sociale que le mariage et la maternité. Suprématie que la religion
chrétienne, en contradiction avec la parole du Christ n'a pas su abolir, bien
au contraire. Alors que les femmes quant à elles et de par leur
complexion peuvent faire naître et prospérer une société égalitaire et
pacifiste.
Virginia Woolf enfonce le clou. Dix ans après avoir publié son fameux Une
chambre à soi, ouvrage qui l'a cataloguée parmi les militantes féministes. Elle
a inventé le « psychomètre », instrument imaginaire propre à mesurer la force
émotionnelle émanant de la personne et sa responsabilité dans les situations
qu'elle engendre.
« Quel mot peut désigner le manque de droits et de privilèges ? Allons-nous une
fois de plus faire appel au vieux mot de « liberté » ?
La « fille de l'homme cultivé », expression que Virginia Woolf invente,
revient en leitmotiv dans cet ouvrage. Cette « fille de l'homme cultivé » est
son spécimen étalon de l'être privé de droits et de privilège et par là
assujetti à une tyrannie sexiste que Virginia n'hésite pas à comparer à la
tyrannie totalitaire en train de gangréner l'Europe. Alors que si la femme se
trouvait à parité de statut et de droit avec son frère elle serait à même
de bâtir et faire prospérer une société de justice, d'égalité et de liberté.
« Les filles des hommes cultivés qu'on appelait contre leur gré des «
féministes »… luttaient contre la tyrannie du patriarcat, comme vous luttez
contre la tyrannie fasciste. »
Virginia Woolf est à ce point obnubilée par ce déséquilibre fondamental
entre les sexes, que de sexe, au sens charnel du terme, il n'est nullement
question dans son discours. Au point de l'avoir fait cataloguée de frigide par
ses détracteurs. Sans doute à court de répondant à la lecture de ce que cette
femme ose publier de ses récriminations émancipatrices. Dans trois guinées,
elle nous assène un discours dont la redondance des idées peut paraître
fastidieuse. Il témoigne de son obsession du déséquilibre fondamental qui prive
ses consœurs de ces justice, égalité et liberté si chère à la femme qu'elle
est. Ce martèlement accusateur tente de traduire son exaspération, celle de
voir l'humanité courir à sa perte du seul fait de son manque de sagesse et sa
cupidité à mettre au crédit de la moitié dominante. Et de clamer que « seule la
culture désintéressée peut garder le monde de sa ruine. »
Exaspération qui virera au désespoir au point que Virginia, un jour de 1941,
emplira ses poches de cailloux pour s'avancer dans la rivière. Et de fermer à
jamais les yeux devant l'ampleur des horreurs du fascisme, dont le patriarcat
assume selon elle la responsabilité.
lundi 23 janvier 2023
Le prince aux deux visages ~~~~ Gilbert Sinoué
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A qui aurait pu adhérer au mythe qu’ont voulu échafauder les diverses sources littéraires et cinématographiques autour de l’auteur des sept piliers de la sagesse, Thomas Edward Lawrence, plus connu sous le nom que lui a attaché le film de Davis Lean, Lawrence d’Arabie, Gilbert Sinoué recommande de considérer la légende avec précaution.
Il y a en effet de son point de vue matière à enquête pour déterminer à quel degré la légende aurait fait d’un personnage illuminé un héros au seul artifice que le décor, l’époque et l’acteur choisi pour sa ressemblance auraient produit un effet supérieur au naturel.
Les décors des mille et une nuits, les chevauchées dans le désert, le regard au bleu insondable de Peter O’Toole, la lutte des tribus arabes pour s’extraire du joug de l’Ottoman, n’y avait-il pas là tous les ingrédients pour forcer le romanesque. Au point de magnifier un mythomane à qui le contexte historique chaotique de la première guerre mondiale aurait quelque peu lâché la bride sur le cou, son pays étant plus préoccupé par les fronts de l’Artois et de la Somme.
Ou bien faut-il y voir de la part de Gilbert Sinoué, dont on connaît les racines égyptiennes, quelque compte à régler avec ces nations, dont l’Angleterre et la France, qui ont tracé des frontières à l’emporte-pièce et sont par-là responsables du malaise faisant du Moyen-Orient, et à n’en pas douter pour longtemps, une poudrière ?
Ce qui est sûr c’est que David Lean, du haut des cieux qui l’abritent désormais, doit bien regretter le ternissement de l’image de son héros devenu dans les mots de Gilbert Sinoué un personnage pathétique, dépourvu de sensualité pour ne pas dire asexué tant il avait la phobie du contact des corps. Une sorte de pantin frustré et nihiliste qui « devint victime de la légende qu’il avait lui-même entretenue. »
Le grand spécialiste du Moyen-Orient qu’est notre auteur franco-égyptien a quelque peu trempé sa plume dans l’acide pour déchoir celui que le cinéma a érigé en héros. Il fut donc à ses yeux la vitrine de ce qui ne restera jamais qu’un symbole de l’impérialisme britannique. Et l’auteur de clore par une citation qu’il tire du film de John Ford, L’homme qui tua Liberty Valance, : « Si la légende est plus belle que la réalité, publie la légende. »
Le regard rêveur et énigmatique du héros a pris un voile, troublant encore un peu plus les mirages du désert.
lundi 5 décembre 2022
Divine Jaqueline ~~~~ Dominique Bona
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Pour avoir déjà pu apprécier l'écriture de Dominique
Bona, je me préparais au plaisir de retrouver son style séduisant rehaussé
d'érudition en portant mon choix sur cet ouvrage. Il me ferait connaître un
personnage dont je n'avais jusqu'à ce jour jamais entendu parler, et pour
cause.
La cause étant que mon univers de vie et mon rayonnement sont à des
années-lumière de celui de cette célébrité qu'est Jaqueline de Ribes. Aussi
puis-je affirmer dès lors, en refermant cet ouvrage, que si un jour quelqu'un
de mal inspiré s'avisait d'écrire ma biographie, à côté de ce que je viens de
lire le rendu aurait la consistance de celle d'un être disparu de la mort
subite du nourrisson.
La qualité de pareil ouvrage doit autant au sujet de cette biographie, qu'à son
auteure. À personne exceptionnelle il fallait un auteur, et en l'occurrence une
auteure, qui soit à la mesure. Dominique Bona était toute désignée
pour cet exercice ô combien périlleux, Jaqueline de Ribes étant encore de ce
monde. La question se pose alors de savoir s'il s'agit d'une biographie ou de
mémoires. La subjectivité change de camp selon le cas.
La joie de retrouver Dominique Bona dans son exercice favori qu'est
la biographie a cette fois été tempérée. Si le style est toujours aussi
brillant, le sujet m'a quelque peu blasé. Des descriptions à n'en plus finir,
de tout ce qui peut mettre en valeur une silhouette de rêve et la mettre en
scène au cours de galas, bals, dîners, réceptions, dans une forme de fuite en
avant vers la séduction. Ce qui fait de cet ouvrage un véritable défilé de mode
sous les yeux ébahis, si ce n'est envieux, des spectateurs de l'élégance faite
femme et superbement retranscrite par Dominique Bona. Une fuite en avant,
mais pourquoi pas aussi une forme de revanche sur le désamour dans lequel l'a
abandonnée une mère dédaigneuse de sa descendance.
L'ouvrage devient plus intéressant lorsque Jaqueline de Ribes se lance
elle-même dans l'aventure de la création en fondant sa propre marque. Sous l'œil
pour le moins avisé, excusez du peu, mais néanmoins attendri des déjà grands de
la profession : Dior, Saint-Laurent, et consorts. Entreprise dans laquelle elle
se voit couronnée de succès artistique, mais pas financier.
Sujet et mise en forme font de cette biographie un ouvrage d'une esthétique
rare, certes empesé d'un narcissisme exacerbé, mais qui réconcilie avec l'a
priori défavorable que peut laisser planer une naissance favorisée par le
milieu et la beauté, tant Jaqueline de Ribes s'est investie pour sublimer et
faire rayonner au travers de sa personne, au-delà de la femme, la féminité.
La prouesse de l'auteure étant de ne pas faire assaut de superlatifs comme en
déploie trop souvent les discours au vocabulaire indigent mais de mettre en œuvre
dans son propos le même luxe que celui qui fait briller son sujet de mille feux
à la face du monde. Car l'univers de Jaqueline de Ribes est tout sauf étriqué,
sauf commun, sauf modeste. Ce qui la qualifie le mieux dans ce que j'ai compris
de son personnage est sans doute cette phrase que Dominique Bona a
extraite des nombreux entretiens qu'elle a eus avec la Divine Jaqueline : « Je
suis née un 14 juillet, j'ai mis évidemment un peu de révolution dans la
maison, j'espère avoir mis aussi un peu de feux d'artifice. »
mardi 30 août 2022
Nos secrets trop bien gardés ~~~~ Lara Prescott
Nous sommes dans les années cinquante en pleine guerre froide. Le monde est partagé en deux blocs : l'Est sort de l'ère Staline mais n'a pas encore gagné sa liberté, les goulags sont toujours la villégiature des opposants au régime ; l'Ouest dans l'euphorie de l'après-guerre fait l'apprentissage de la liberté au rythme du jazz qui gagne l'Europe avec son swing enjôleur. Boris Pasternak vient de mettre le point final à son roman phare, le docteur Jivago. Se pose alors à lui le problème de le faire éditer. le régime soviétique décrète l'ouvrage sacrilège à l'idéologie socialiste et son auteur de facto ennemi du peuple.
Boris Pasternak voit quant à lui dans son ouvrage sa chance de
perpétuation au-delà des querelles politiques et du clivage majeur qu'il
induit. Un éditeur italien lui propose de le faire paraître à l'Ouest,
Pasternak accepte quel que soit le sort qui lui sera réservé par le régime
présidé alors par Khrouchtchev dont le sourire à la tribune n'est pas encore
celui de la détente.
Lara Prescott a organisé son ouvrage à l'imitation du monde d'alors, CIA,
qu'on ne présente plus, contre NKVD, le commissariat du peuple aux affaires
intérieures de l'URSS. Par chapitre alterné le lecteur est seul habilité à
franchir le rideau de fer pour d'un côté jouir de la légèreté occidentale ou de
l'autre frémir sous la chape de plomb du régime communiste.
Le concept m'avait tenté lorsque j'ai trouvé cet ouvrage sur l'étal du
libraire. Sa lecture m'a été moins heureuse. Autant l'événement de la parution
de cet ouvrage, qui avec le reste de son oeuvre a valu à Pasternak
l'attribution du prix Nobel de littérature en 1958, est passionnante, autant
l'approche qu'en fait l'auteure vue du côté occidental est assommante.
Dans le pool de dactylos de son agence américaine la CIA sélectionne parfois
quelques-unes de ses agents féminins. C'est là que la sévérité du sujet choisi
par Lara Prescott s'enlise dans les futilités de la vie quotidienne.
Des pages, des chapitres entiers évoquent les péripéties sentimentales de ces
dames avec tout ce que cela comporte d'efforts de séduction, de tergiversation
devant la garde-robe, de minauderies, jalousies et autres ragots entre
concurrentes. Le contraste est peut-être voulu pour opposer des modes de vie
aux antipodes l'un de l'autre, mais le résultat est que l'Est avec l'histoire
de Pasternak et son éditrice et amante est captivante alors que les efforts de
la CIA pour récupérer l'ouvrage original et le faire diffuser en URSS souffrent
de chapitres entiers qui éloignent du sujet et plombent l'ouvrage à mes yeux.
Même si l'écriture reste agréable, j'ai souffert des longueurs que provoquent la
description détaillée des futilités de la vie quotidienne comme savent si bien
le faire nos amis américains dont la spontanéité les pousse aux épanchements.
Le Docteur Jivago a été autorisé en URSS en 1985, vingt-cinq ans après la
disparition de son auteur. Le prix Nobel de littérature qu'il s'était vu
contraint de refuser a pu alors être reçu par son fils. Boris Pasternak a
réussi à titre posthume le défi qu'il s'était lancé de faire paraître cet
ouvrage. Il savait qu'il serait sa seule chance de survivre à sa propre mort,
sous les yeux de millions de lecteurs qui l'ont lu et le lisent encore. Mais au
final, la seule qui ait eu à pâtir de cette aventure littéraire est sa chère
éditrice Olga Vsevolodovna Ivinskaïa. Son amour et sa fidélité pour Pasternak
lui valurent deux séjours au goulag. Une pensée pour elle aussi, disparue en
1995. Cet ouvrage est aussi un hommage à ces femmes courageuses. C'est un autre
bon point à son actif, et non le moindre.
mardi 15 mars 2022
Il était une lettre ~~~~ Kathryn Hughes
samedi 12 mars 2022
La tableau du maître flamand ~~~~ Arturo Perez-Reverte
Julia est restauratrice de tableaux. Elle se voit
confier, en préparation de sa vente, la célèbre toile d'un maître flamand du
XVIème siècle : la partie d'échecs. Ses travaux lui font découvrir, dissimulée
sous les couches de peintures et vernis anciens, une inscription latine
soumettant une énigme concernant la mort d'un des trois personnages représentés
sur la toile. Présentée sous la forme d'une question concernant la prise d'un
cavalier, elle se persuade que cette énigme se résout par le calcul des combinaisons
offertes aux joueurs. Avec son ami et confident César l'antiquaire elle fait
appel à un joueur expert pour élucider le mystère.
La vente du tableau donne lieu à des conflits d'intérêt opposant les parties
prenantes, famille du propriétaire, galerie d'art, commissaire-priseur. Deux
personnes de l'entourage de Julia sont assassinées. Un mimétisme machiavélique
suggère à l'assassin de faire valoir
ses identités et motivations au travers d'une énigme se superposant à celle de
la toile du maître flamand.
Ce roman qui s'engage dans une forme d'enquête rétrospective sur la base de
l'énigme proposée par le maître flamand devient thriller contemporain avec une
montée en puissance très lente de l'intensité dramatique. La peur gagne Julia.
Elle se persuade d'être la prochaine victime du meurtrier sans comprendre la
raison de cet acharnement autour d'elle.
Arturo Perez-Reverte échafaude
un roman érudit quant aux domaines dans lesquels il intègre son intrigue, en
particulier le monde de l'art pictural, son histoire et ses techniques. Point
n'est besoin par ailleurs d'être joueur patenté pour se prendre au jeu de ces énigmes
qui s'imbriquent au travers des siècles. L'idée est intéressante.Pourtant l'émergence du fait divers contemporain dans l'enquête sur l'énigme
proposée par la toile du maître flamand est très artificielle et ouvre
inévitablement sur un dénouement pour le moins tiré par les cheveux.
C'est dommage d'une part parce qu'on se laisse volontiers prendre au jeu de l'enquête initiale laquelle fait appel à l'histoire et à la technique des échecs, d'autre part parce que la documentation est fouillée et le socle historique appréciable. C'est donc un thriller intéressant par l'intérêt qu'il suscite au départ, la qualité de son écriture et sa culture, ces dernières n'étant pas forcément des attributs du genre, mais un thriller qui fait long feu avec un dénouement assez décevant.
Citation
Le joueur d'échecs lut à haute voix :
- La phrase que j'écris en ce moment est celle que vous lisez en ce moment... - Il regarda Belmonte, surpris.
- Oui, et puis ?
- C'est tout. J'ai écrit cette phrase il y a une minute et demi et vous venez de la lire, il n'y a que quarante secondes. En d'autres termes, mon écriture et votre lecture correspondent à des moments différents. Mais sur le papier, ce moment et ce moment sont indubitablement le même moment... Donc la phrase est à la fois vraie et fausse ... Ou est-ce le concept de temps que nous laissons de côté ? ... N'est-ce pas un bon exemple de paradoxe ?
vendredi 11 mars 2022
Le miracle Spinoza ~~~~ Frédéric Lenoir
Évoquant son ouvrage majeur alors en préparation,
L'Ethique, édité finalement à titre posthume, Spinoza écrivait lui-même, dans
une lettre adressée à son ami Henry Oldenburg, qu'il avait délibérément choisi
un mode d'exposition de ses pensées qui en rendrait la lecture aride. Le titre
complet de son ouvrage se libelle d'ailleurs ainsi : L'Ethique démontrée selon
la méthode géométrique.
Me voilà conforté dans mon intention de faire connaissance
avec le personnage et sa philosophie avec l'aide d'un "traducteur".
Quelqu'un qui me rendrait accessible la pensée du célèbre philosophe, lequel
jouit en ce début de siècle d'un engouement nouveau auprès de la part de ses
congénères contemporains, mais pas seulement.
D'aucuns expliquent cet engouement d'une part par le fait que Spinoza affichait
des pensées très en avance sur son temps, au point de trouver de nos jours un
écho singulier dans les milieux intellectuels et politiques. Il affichait un
courant de pensée progressiste, tolérant, sachant se démarquer avec prudence,
donc intelligence, des modèles imposés par un pouvoir politique autocratique,
dont on sait qu'en son temps il était fermement contraint par le religieux.
L'autre aspect de ses textes qui le rend lisible aujourd'hui est plus
inattendu. Le mode de raisonnement et de construction de ceux-ci, selon un
principe interactif de renvois à de multiple références étayant la
démonstration du philosophe, se prêterait particulièrement à la modélisation
informatique. C'est le principe du lien hypertexte que l'on pratique
abondamment et inconsciemment de nos jours en parcourant les pages web,
lesquelles ont évidemment fleuri que lors de ces dernières décennies. Le
Magazine littéraire de décembre 2017 publiait un article sur cette analogie
constructive qui attendait le clic de souris pour naviguer de pages en volumes
hébergés de par le monde, se substituant au contenant physique forcément plus
lourd à manipuler.
C'est donc avec le Miracle Spinoza de Frédéric Lenoir que je me suis ouvert à
celui qui a eu le cran de s'opposer à l'intelligentsia de son temps peu encline
à la contradiction. Un temps où l'opposition de conscience pouvait avoir des
conséquences pour le moins brûlantes. Du cran il fallait en avoir au XVIIème
siècle pour fondre Dieu dans la Nature, laquelle pour le coup prend la
majuscule. Prôner immanence contre transcendance. Du cran pour n'accepter que
ce qui aura été démontré par le raisonnement, y compris s'il faut restreindre
le champ de ses certitudes, mais surtout refuser de se faire dicter des
croyances. Autre similitude avec notre époque contemporaine qui ne reconnaît
plus d'autorité statutaire, réclamant à quiconque veut s'imposer de faire ses
preuves.
Reconnaissons bien pourtant que, presque quatre siècles après que Spinoza nous
a montré le chemin, la raison qui commande de ne pas écouter ses passions pour
accéder au bonheur n'a pas encore gagné le combat. Loin s'en faut. Dans une
société devenue consumériste, à l'intoxication commerciale agressive, le
décodage algorithmique de la pensée du grand philosophe ne suffira pas à nous
faire trouver la joie dans le dénuement, la béatitude dans la détermination
intime. L'intelligence ne suffit donc pas au raisonnement. Il lui faut ce supplément
d'âme pour faire comprendre à cette entité de matière spirituelle, qu'on ne
peut appeler créature puisque Dieu est part d'elle comme de toute chose,
théorie du monisme chère à Spinoza, qu'elle est en train de scier la branche
sur laquelle elle est assise.
Dans le genre développement personnel, Frédéric Lenoir m'a donc aidé à monter
quelques marches depuis les sous-sols obscurs de mon ignorance. Son ouvrage
salué par les plus éminents est à la portée de tous. Je l'en remercie d'autant
plus que je me reconnais assez bien dans la traduction qu'il nous fait de la
philosophie du grand penseur déterminé mais pacifique. de là à la décrypter
dans le texte ? Persévérance et longueur de temps entretiennent bien des
espérances. Je lis encore et toujours.
mardi 8 mars 2022
Extérieur monde ~~~~ Olivier Rolin
Je me suis accroché jusqu'à ce que je lise à la page 115, de la part de l'auteur lui-même, Olivier Rolin : "je sens que je perds des lecteurs". Là, effectivement, j'ai lâché prise. En terme scientifique : le module de la force centrifuge a dépassé celui de la force centripète. Le lecteur-électron de la galaxie librairie-de-quartier que je suis a été éjecté, Extérieur monde.
Objectif atteint, ne resteront que les plus forts, les vrais, ceux qui sont
capables de s'accrocher au noyau de la planète Rolin, de rester concentré dans
la tourmente. Je me suis accroché à tout ce qui pouvait passer à ma portée.
Mais non. Il a eu raison de moi. Je ne suis pas de taille à suivre le
globe-trotter dans ses pérégrinations extraites en fouillis des soixante
carnets d'une vie de sédentaire de l'instabilité.
Après la page 115, j'ai papillonné. J'ai certes retrouvé quelques situations et
paysages connus au hasard, page 227. Sarajevo. J'ai un peu bougé moi-aussi,
mais je n'ai pas été jusqu'à lire Les Misérables au Pôle nord. En fait je
n'aime pas me faire brinquebaler. Je préfère tenir le volant.
J'ai eu encore quelques tressaillements nerveux, mais quand on m'a demandé ce
que je lisais, et que je n'ai su dire si j'étais au Soudan, à la Terre de feu,
dans une librairie de Shanghai ou les bras d'une colombienne, alors là j'ai expiré.
Depuis les cieux où j'ai retrouvé le calme, j'adresse mes plus vifs regrets aux
Éditions Gallimard et à Babelio, les remercie vivement pour m'avoir adressé cet
ouvrage dans le cadre de l'opération masse critique. Je fais quand même le
serment d'y revenir, mais à petite dose. J'aurai alors l'impression de tenir le
volant.
Enfin chapeau quand même. Je confirme, le monde est trop petit pour lui. Extérieur
monde.