Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

dimanche 30 octobre 2022

La chasse ~~~~ Bernard Minier

 


J'ai découvert l'univers de Bernard Minier tout récemment avec son ouvrage intitulé Sœurs. Cette première m'avait donné le goût d'explorer son œuvre. Je le fais avec cet ouvrage. Il confirme l'ancrage régional de la zone de compétence de son héros. Il y ajoute en prime cette fois l'ancrage dans l'actualité. Ouvrage très contemporain si l'on en juge par l'allusion récurrente à ce masque bleu sur le nez qui nous a étouffé pendant de longs mois mais que l'on garde encore à portée de main. Allusion au récent deuxième confinement dans cet ouvrage avec le lot de problèmes qui ont assailli tant de professionnels dont les tenanciers de bistrots et de restaurants qui ont très souvent leur rôle dans les polars.

Voilà un ouvrage qui ratisse large dans les maux de notre société moderne dont, non le moindre, celui de l'insécurité. Le sujet nourrit le débat politique à chaque élection, opposant les tenants de la ligne répressive à ceux de l'éducative. le seul point commun les accordant étant le manque de moyens pour mener à bien leurs actions.

La chasse est donc dans cet ouvrage une chasse au délinquant. Une chasse à mort, orchestrée avec une mise en scène destinée à frapper les esprits. Une chasse à laquelle se livre un groupuscule de justiciers autoproclamés déplorant le laxisme de la justice de ce pays, au constat du nombre de délinquants laissés en liberté pour toutes les raisons que l'on peut imaginer, parmi lesquelles surement la surpopulation carcérale.

Martin Servaz, le policier toulousain de Minier, a pris du grade, de la maturité et acquis une notoriété qui en font de lui à la fois un sujet d'admiration et une cible. La hiérarchie ne pardonne rien à ceux qui ont placé haut la barre des résultats. Elle leur demande toujours plus. le pouvoir politique quant à lui ne fait pas de sentiments. Il veut des résultats qui servent ses ambitions. Pas de vagues surtout. C'est dans ce contexte que le déjà célèbre commandant de Minier exécute son rôle d'équilibriste entre vie professionnelle et vie privée. Vie privée difficile à préserver quand on passe ses nuits traquer les truands. Vie privée qui peut être point de faiblesse quand les truands se sentent pris dans les serres du limier toulousain. On sait où trouver ta famille, Commandant !

Roman qui extrapole dans les problèmes de société. Peut-être un peu trop d'ailleurs, parcourant la planète des grands maux de l'humanité. En justification des menées transgressives de cette faction rigoriste qui monopolise toute l'énergie du commandant et de son groupe d'enquête. Commandant se reprochant parfois l'égoïsme de sa personne face à la détresse des populations dans le besoin. Mais Martin Servaz reste inflexible au service de la mission. Les tentatives de corruption n'ont pas de prise sur sa conscience professionnelle, même lorsqu'il déplore être chaussé de semelles de plomb par la paperasserie qu'impose son métier et l'énergie qu'il doit dépenser pour voir finalement un avocat balayer d'un effet de manche des journées et des nuits de traque d'un criminel notoire, pour vice de procédure.

L'épilogue de cet ouvrage est un peu trop convenu pour ce flic qui peine à stabiliser sa vie sentimentale. La chasse n'en reste pas moins un roman immersif pour son lecteur. Il partage les nuits blanches et les casse-têtes de son flic sur la brèche 24/24. le rythme est soutenu à l'initiative du commandant qui ne s'en laisse pas compter, stimulé par une hiérarchie pressante comme il se doit. Les rebondissements sont cependant assez prévisibles. On apprécie dans cette écriture le réalisme d'un quotidien surchargé, le langage coloré du jargon argotique du milieu, le style qui fait courir les yeux. Cela reste du très bon polar qui nous rappelle à lui quand on a réussi à le poser. Il nous reprend alors très vite dans son intrigue bien ficelée.


jeudi 27 octobre 2022

Lady Elisabeth ~~~~ Alison Weir

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Qui veut abattre son chien dira qu'il a la rage. C'est à peu de chose près le raisonnement qu'a tenu Henri VIII d'Angleterre pour se séparer de deux de ses six épouses qu'il fit exécuter. La rage ayant été avantageusement remplacée dans le propos par les motifs d'inceste et d'adultère, voire de trahison, plus adéquats pour faire condamner une femme, justifiant ainsi d'atteinte à la dignité royale.

C'est par l'enfance d'une de ses filles, celle qui devint la reine Elisabeth première du nom, qu'Alison Weir nous fait pénétrer l'intimité de cette famille pour le moins singulière, les derniers de la dynastie Tudor.

Excellent et volumineux ouvrage qui ne manquera pas de ravir l'amateur d'histoire. Il est roman quand il comble les oublis de d'histoire, il est biographie quand il s'appuie sur les faits que cette dernière a retenus. Le talent d'Alison Weir étant de passionner son lecteur en mettant l'accent sur la sensibilité de celle qui est encore adolescente quand il lui faut affronter la rudesse d'un père autoritaire, les affres de la politique et la convoitise d'hommes en quête d'un bon parti. Et plus tard la rancœur d'une sœur ne partageant pas ses choix religieux. Ouvrage fort bien documenté qui est tout sauf la mise en forme d'une ennuyeuse chronologie.

Elle a choisi de relater la vie de celle qui aurait pu être princesse si la primauté n'avait été donnée au descendant mâle pour assurer la succession royale, le candidat fût-il né après sa sœur. C'est donc reléguée au rang de Lady, d'où le titre de l'ouvrage, après la mort par décapitation de sa mère Ann Boleyn, qu'Elisabeth vécut une enfance à l'avenir incertain, y-compris quant à sa propre survie. Le lecteur vit cette période de son existence comme un suspense même si ses connaissances en histoire le rassurent sur le sort de la jeune femme. Elle n'en devint pas moins souveraine d'un royaume qui n'avait alors encore rien d'un Royaume-Uni.

La menace la plus évidente sur son sort ne venait pas d'éventuel concurrents mais bien de sa propre sœur Marie lorsque cette dernière eut accédé au trône après la mort de son frère Edouard VI. Toutes deux ayant adopté des religions antagonistes en ces temps d'obscurantisme. Elisabeth eut le tort de se situer sur la voie la plus déviante du dogme officiel de Rome au point d'embrasser la Réforme. La ferveur catholique de Marie étant telle qu'elle alimentait volontiers les buchers auxquels elle condamnait sans scrupule les réfractaires à la soi-disant « vraie foi ».

Cet ouvrage se conclut avec l'accession au trône de celle qui régna en Angleterre sous le qualificatif de reine vierge. Il est fort bien écrit et décrit avec talent les épreuves que dut subir Elisabeth pour accéder au trône de son pays. Alison Weir nous fait percevoir les doutes de la jeune fille qui ne manquait pourtant ni de force de caractère ni d'ambition. Elle dut endurer de grands moments de faiblesse et de solitude tant elle craignit pour sa vie, livrée au bon vouloir de sa propre sœur. Ouvrage d'histoire dans lequel le romanesque a toute sa crédibilité et rend la discipline plus digeste. Une grande réussite à mes yeux.