Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire
Affichage des articles dont le libellé est deuil. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est deuil. Afficher tous les articles

mardi 10 septembre 2019

Avec toutes mes sympathies ~~~~ Olivia de Lamberterie

 


Comme tous les lecteurs j'imagine, j'ai été bouleversé par ce récit dramatique. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. Lorsque les trois sœurs frappent à la porte de leurs parents et qu'elles ne prononcent qu'un nom, Alex, seul mot qui franchit leurs lèvres tremblantes, il n'est besoin de rien d'autre pour dire le combat perdu. J'avoue à ce moment avoir eu des picotements autour de mes yeux d'étranger au drame.

Mais au-delà du récit de cette descente aux enfers d'un amour vivant, je m'interroge sur mon rôle, moi lecteur de ces lignes. Je me suis forgé la conviction que son auteure ne les avait pas écrites pour satisfaire mon voyeurisme. Alors en quoi en refermant cet ouvrage ai-je participé à une œuvre salvatrice ? Je l'ai peut-être trouvé à la page 225 de l'édition Livre de poche : "Et puis, de toute façon, parler avec qui ?"

Pas aux proches, ceux qui ont vécu le drame. Ce serait les entrainer dans le vortex de la perdition. Alors à qui ? A Moi ? Olivia de Lamberterie aurait donc choisi d'en parler avec moi. le plus parfait inconnu. Le réceptacle le plus innocent de toute l'histoire de cette famille unie. Moment d'intimité avec un quidam croisé au hasard des rayons d'une librairie. Lecteur anonyme, capable d'entendre ce cri vierge de tout écho. Cri à l'univers infini. Ultime révolte contre l'opiniâtreté d'un destin qui avait déclaré son intention. Emporter Alex. Où ? Olivia s'est longtemps posé la question. Avant de trouver la réponse, en fermant les yeux. Et le dénicher, lui son frère adoré, tapis au fond d'elle-même.

Plus que la disparition d'Alex, c'est son impuissance à contrecarrer le projet contre laquelle Olivia s'insurge. La préméditation. Alex, où le refus d'être ici et maintenant. Et demain. Refus d'être né. Quand bien même tout autour de lui n'est qu'amour. Femme, enfants, sœurs, père et mère, il n'est pourtant pas de cocon plus précieux, plus propice à faire prospérer la vie qu'une famille aimante. Harmonie, cohésion, solidarité, le destin a franchi les remparts les plus robustes.
Amour des autres mais détestation de la vie. Quelques décennies d'une vie en trompe l'œil et Alex a choisi de baisser le rideau en saluant les spectateurs médusés, impuissants, leur déclarant toutefois sa tendresse. A ceux qui ont accepté de poursuivre le chemin. A eux d'essayer de comprendre l'incompréhensible.

Refus d'être né qu'Alex répand à la face du monde, avec cet ouvrage réclamé, qui s'est finalement imposé à sa sœur. L'écriture est œuvre de solitude. Elle force à entrer en soi-même. A affronter les mots sans le secours de l'oreille compatissante ni le risque d'intervention de la volonté d'autrui. Seule façon de se gorger de sa souffrance sans indulgence. Sans remise de peine. Sans risquer de voir de petites joies quotidiennes sournoisement apaiser le chagrin. Accepter son chagrin, se l'imposer, c'est respecter. C'est aimer.

Il est des personnes chez qui l'instinct de mort est plus fort que l'instinct de vie. Comment le soupçonner dans ce petit bonhomme assis à côté de sa sœur sur la photo. Mais si elle fait passer ce message, son message, Olivia fait aussi comprendre sa colère à elle, sa révolte, sa détestation légitime de pareille évidence.

Lecteur tardif. Sympathies tardives. Mais n'est-ce pas ce tardif qui fait durer. Qui entretient le chagrin qu'on revendique, une façon de le préserver de la dilution dans l'insouciance des jours. J'aurais donc participé modestement à entretenir cette preuve d'amour.


mardi 5 mars 2019

D'autres vies que la mienne ~~~~ Emmanuel Carrère

 



"Mes filles ne se souviendront pas de moi."
Une mère atteinte d'un cancer vit ses derniers jours. Elle exprime son désespoir d'abandonner ses enfants si jeunes. Le désespoir de les savoir perdre le souvenir de l'amour qu'elle leur porte. Ce à quoi son ami et confident lui rétorque "on ne se souvient pas de nos parents et pourtant ils nous habitent."

Cet ouvrage, dans lequel tout est vrai nous dit Emmanuel Carrère, est un livre contre l'oubli. Mais pas seulement. Il est aussi un livre pour faire connaître sa mère à une petite fille dont elle n'aura pas le souvenir puisque celle-ci meurt dans les premiers mois de sa vie.

A quelques mois d'intervalle, Emmanuel Carrère a été le témoin de deux drames parmi les plus cruels qui puissent atteindre une famille. Des parents qui perdent leur fille unique dans le tsunami de 2003, pour le premier. La longue agonie d'une mère malade laissant trois petites filles, pour le second. Il s'est laissé convaincre d'écrire le calvaire de ces familles ordinaires que rien, comme de juste, ne prédestinait au malheur.

Il décide d'écrire les mots qui traduisent l'horreur. Celle de la première nuit après l'annonce de la nouvelle. La perte de l'enfant pour les uns, l'annonce de la condamnation pour l'autre. L'horreur d'un monde vide de ces êtres chers arrachés à l'amour des leurs. Sans imaginer l'écho que pourrait avoir son ouvrage, sans imaginer que de la cruelle vérité, de la violence des mots naîtra une forme de résilience. Résilience n'est pas oubli, mais le contraire de l'oubli.

Les cellules portent en elles la trace non substantielle de ceux qui nous ont fait. De ceux que l'on a faits. Cette trace invisible à tout examen, c'est le marqueur de l'amour. Diane, la petite dernière qui n'a pas connu sa mère le porte en elle.

Sa nounou, accablée elle aussi par la perte de son mari n'oublie pas non plus. Mais quand elle prend Diane dans ses bras, elle sourit à la vie. Continuer à vivre est mystérieux.
C'est écrit avec le style d'Emmanuel Carrère. Un style dénué d'allégorie, parfois cru et sans faux semblants, mais un style qui fait passer les émotions. C'est très réussi. Et gageons que c'est un ouvrage qui aura son importance pour celle qui n'a pas connu sa mère.