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mardi 30 juillet 2019

Paysage perdu ~~~~ Joyce Carol Oates

 



"Je regrette, mais je suis incapable d'écrire sur Ray [son mari disparu] ici. J'ai essayé… mais c'est tout simplement trop douloureux, et trop difficile. Les mots sont comme des oiseaux sauvages – Ils viennent quand ils veulent, non quand on les appelle."

On imagine la lèvre tremblante d'émotion, les yeux qui retiennent des larmes, la main qui se fait hésitante sur le clavier à l'écriture de ces mots. Ce passage de Paysage perdu est un parmi d'autres qui m'ont fait avoir un coup de cœur pour cet ouvrage de Joyce Carol Oates. Ce qui est rare pour le genre auto biographique. On perçoit bien avec cet ouvrage que l'auteure à l'inspiration intarissable n'est plus dans la fiction. Elle est tout entière rentrée en sa mémoire. Elle cherche à recoller des souvenirs qui sont comme elle le déclare "un patchwork dont la majorité des pièces sont blanches" tant la mémoire est faillible.

Mais si le souvenir est infidèle, l'amour la possède toujours cœur et âme. Amour pour ses parents et grands-parents, pour son mari disparu, pour sa sœur atteinte d'autisme invalidant, incapable de communiquer avec son environnement. Et tant d'autres êtres adulés, comme cette amie d'adolescence qui a choisi de ne pas aller plus loin sur le chemin de la vie.

Chez les Oates, on ne parlait pas sentiments. On s'aimait sans le dire. Joyce Carol avoue à qui lui pose la question que c'est un livre qu'elle n'aurait pu écrire du vivant de ses parents. C'est un ouvrage dont le caractère intimiste est strictement contrôlé par la pudeur la plus intransigeante. Mais pas seulement, sa façon d'éluder certains sujets est pour elle une façon d'échapper à l'émotion qui ne manquerait pas de la submerger. Autre forme de pudeur chez une femme qui peut paraître plus intellectuelle que sentimentale.

Joyce Carol et son mari n'ont pas eu d'enfant. Cette analyste froide de la société a-t-elle trop exploré le mystère de l'expérience humaine pour ne pas vouloir l'infliger à une descendance. C'est là aussi un sujet qu'elle n'aborde pas dans son ouvrage. A trop écrire sur le mal, peut-être a-t-elle eu peur d'y livrer quelque innocence. La perception du monde des adultes par les enfants, une obsession chez elle ? Voilà un secret qu'elle gardera au fond d'elle.

Écrire pour Joyce Carol Oates, c'est sa respiration. Son œuvre est impressionnante. On identifie dans le récit de sa vie les sources d'inspiration qui ont été autant de points de départ de ses romans: la lutte des classes dans une société livrée au capitalisme intraitable, la pauvreté, la délinquance, le conflit des générations, le suicide des jeunes. Autant de fléaux dont elle avoue avoir été épargnée par l'amour qu'elle a reçu de la part des siens.

Sensibilité à fleur de peau dans cet ouvrage dont Heureux, le poulet de sa prime enfance, donne le la. Formidable éclairage sur l'œuvre gigantesque de Joyce Carol Oates, même si, bien qu'elle s'en défende, sa mémoire est plus sélective que faillible. La grande dame de la littérature américaine se livre, en gardant toutefois au fond de son cœur nombre de confidences attendues qui partiront avec elle. A moins qu'il faille les rechercher chez les personnages qu'elle a engendrés dans ses romans. Cet ouvrage est émouvant par le ton qu'elle lui donne dans un style parfaitement maîtrisé. C'est tout sauf un ouvrage à sensation.



jeudi 25 avril 2019

Carthage ~~~~ Joyce Carol Oates

 


Cressida est intelligente et douée pour les arts. Mais elle n'appartient pas au canon de la beauté de notre monde moderne sur médiatisé. Son complexe esthétique l'isole dans un mal-être silencieux qui ne s'exprime que par son engouement pour M.C. Escher, le dessinateur illusionniste aux perspectives hallucinantes.

En expert du trompe-l'œil, M.C. Escher enferme le spectateur de ses œuvres

 dans un labyrinthe spatial. Lui donnant à la fois l'impression d'apesanteur et de claustration dans un infini sans issue.

Cressida, l'intelligente, se convainc de désamour quand sa sœur Juliet, la belle Juliet, goûte au bonheur dans les bras du beau Brett Kincaid. Convaincue de demeurer incomprise, Cressida souffre et gâche ses talents.

"Il nous est nécessaire d'être farouchement aimé pour exister."

Traumatisme de la guerre, univers carcéral, peine de mort, mal-être d'une jeunesse harcelée par des images virtuelles mensongères, Joyce Carol Oates explore les aspects pervers de la société moderne. Elle a fort habilement construit ce magnifique roman comme un dessin de MC Escher. Un roman à tiroirs aux perspectives bouchées, digressions et confusion des époques pour gagner son lecteur au poison de l'enfermement.

Une souffrance sans remède, à moins de provoquer un électrochoc. Cressida disparaît. Un électrochoc qui pourra toutefois être plus autodestructeur que salvateur. Sauf à faire appel à la puissance du pardon.

Fabuleux roman à l'étonnant réalisme qui prouve l'immense talent de son auteure.


samedi 21 octobre 2017

Ce que j'ai oublié de te dire ~~~~ Joyce Carol Oates




Quelle force sournoise pousse l'adolescente vers le gouffre sans fond du mal-être. Jusqu'à faire le pas de plus qui l'arrachera à l'affection quelque fois, l'indifférence quelques fois aussi, mais là c'est quelques fois de trop, de ceux de son entourage.

Médusés, ils n'ont rien vu venir. Sauf quand ils y repensent. Elle avait un caractère bien trempé et menait le monde à sa guise. Mais voilà, c'était un rideau de fumée. Ils se sont fait avoir. Elle est partie sans leur dire au revoir.

Passé le choc, la vie reprend son cours. Bien obligé. Tink - c'était le nom qu'elle s'était donné - est devenue celle qui observe depuis l'autre côté de l'abîme. Elle se joue désormais de voir celles de ce qui fut son cercle d'amies se débattre avec la vie, ses frustrations et ses embuches. Ses joies ? Vous y croyez encore vous ?

Tink qu'aurais-tu fait en pareil cas ? Moi la vie ? Les garçons qui ne pensent qu'à ça, ma mère qui ne vit que pour son cinéma, ce père qui n'a pas voulu me connaître, je n'en ai plus rien à faire. J'ai eu le courage, moi ! Ou l'inconscience, peu importe.
Suicide de l'adolescent(e), c'est tabou. Oui, mais ça arrive. Trop souvent. Habile façon d'évoquer le sujet de la part de Joyce Carol Oates.