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jeudi 3 mars 2022

Paris est une fête ~~~~ Ernest Hemingway



Paris, « la ville la mieux faite pour permettre à un écrivain d’écrire ». Voilà une belle déclaration d’amour adressée à notre capitale de la part d’un écrivain version Oncle Sam. Déclaration qu’on peut lire dans les pages de Paris est une fête. Si celle-ci est inscrite littéralement dans l’ouvrage, il en est une autre de déclaration d’amour, qu’il faut lire entre les lignes de cet ouvrage ou presque celle-là, c’est celle qu’il adresse à sa première femme, Hadley Richardson, avec qui il a vécu ces années parisiennes au lendemain de la première guerre mondiale. Merci monsieur le prix Nobel de littérature 1954 de faire de notre capitale le lieu souverain de votre inspiration dans votre carrière littéraire en devenir. Merci de rendre hommage à la mère de votre premier fils que vous n’avez gratifiée que de cinq années de vos empressements amoureux. (1922-1927)

Hemingway n’a encore rien publié lorsqu’il met en sommeil sa carrière journalistique et les revenus associés et s’apprête à faire vivre à sa petite famille des années de vache maigre sans savoir ce qu’il adviendra de ses heures passées à la table des bistrots parisiens à coucher sur le papier le fruit de son inspiration.

Paris est une fête tel qu’il est édité en 1964 n’est de toute façon pas l’ouvrage qu’aurait fait paraître Hemingway. Il a été constitué par ses héritiers, à titre posthume, de chapitres retrouvés dans la succession de l’auteur nobelisé. Avec des avant-propos, introduction et note de fin justifiant les choix opérés par eux pour sélectionner les chapitres dignes d’y figurer et les ordonnancer dans un ouvrage présenté aux admirateurs de l’écrivain globe-trotter et risque-tout.

 Aux yeux de ces inconditionnels l’ouvrage sera évidemment précieux tant il est intimiste, se vantant pourtant d’être « une œuvre d’imagination », priant son épouse du moment de comprendre la tournure qu’il a voulu donner à un ouvrage dont « elle en est l’héroïne, et seule personne en dehors de quelques riches dont la vie a bien tourné et comme il convenait. » Œuvre d’imagination qu’il est pourtant admis de prendre comme un récit auto biographique tant il est descriptif de la vie du jeune couple en proie aux privations, mais avides de rencontres en personnalités déjà reconnues du monde culturel installé : Francis Scott Fitzgerald, Gertrude Stein, Ezra Pound et James Joyce. Un couple qui dans la fougue de sa jeunesse ne veut voir en ce talent tout neuf se jetant à corps perdu dans l’écriture que les promesses d’un avenir florissant.

Mais à moi cet ouvrage ne fut pas une fête. Faut-il être un familier du solitaire inspiré pour apprécier cette juxtaposition de scènes de vie sans autre fil rouge que la consommation d’alcool qui imbibe chaque chapitre ? Ces textes sont certes révélateurs d’un personnage qui ne laisse personne gouverner sa vie, mais il y a dans son style la forme de suffisance quelque peu indigeste de celui qui est convaincu de son talent avant même que ne résonnent les trompettes de la renommée. Rappelons qu’il n’a que vingt-cinq ans lorsqu’il rédige ses brouillons. Mais sans doute devons-nous mettre cela sur le compte du caractère inabouti des brouillons sauvés in extremis de la disparition et publiés en l’état. Le fait est que cette écriture me fut très moyennement agréable à lire. Ce n’est qu’un ressenti personnel.

Paru en version originale sous le titre « A Moveable Feast », cette fête mobile a trouvé son point d’accroche en cette ville qui séduisit l’aventurier insatiable au point d’y fixer les années de son premier mariage. Première union de quatre pour laquelle je recommande l’ouvrage de Paula Mc Lain, Madame Hemingway, qui relate sous le titre Madame Hemingway cette liaison trop vite rompue. Paula Mc Lain récidiva avec le même bonheur d’écriture au profit de la troisième épouse, Martha Gellhorn, sous le titre La troisième Hemingway. L’écriture y est remarquable et le point de vue féminin face au monstre d’individualisme que fut notre nobelisé est une autre approche du personnage forcément différente de celle que peut laisser percevoir ce mari si sûr de lui.

lundi 7 février 2022

Sous le soleil de Satan ~~~~ Georges Bernanos

 

 

Ce n'est pas une crise de conviction qui torture l'abbé Donissan, sa foi lui reste chevillée au corps, mais bien une crise de conscience. Il se sait comme tout un chacun la cible de Satan, lequel est aux aguets du moindre défaut de la cuirasse du croyant, laissant les athées et autres agnostiques au désespoir de la sainte église.

Alors que Dieu reste définitivement muet et inaccessible, faisant dire à Saint-Exupéry qu'un dieu qui se laisse toucher n'est plus un dieu, Satan quant à lui sait prendre figure humaine pour séduire celui dont la foi vacille. Ce sont les traits de Mouchette la jeune dévergondée qui séduit Pierre et Paul et les détourne du droit chemin tracé par les évangiles, ou encore les traits du maquignon qui se propose de remettre l'abbé sur le bon chemin alors qu'il est perdu dans la nuit. L'abbé Donissan doit compter sur la voix intérieure silencieuse que fait vibrer sa foi pour contrecarrer ces tentatives de séduction, elles bien audibles, du mal incarné.

Cette lecture est à l'image de l'abbé perdu dans la nuit. Elle tourne en rond et revient inexorablement à son point central d'obsession. Faisant de cet ouvrage un sempiternel combat spirituel du croyant dans toute la candeur de sa conviction. Un combat intérieur qui rend les événements, car il y en a quand même, marginaux au regard de cette claustrophobie spirituelle obsédante.

Une torture de l'abbé que Bernanos a bien communiqué au lecteur baptisé que je suis, me faisant de la lecture de cet ouvrage un véritable supplice chinois. Mais Satan ne m'a pas convaincu à l'autodafé auquel il m'exhortait dans le tuyau de l'oreille, je me suis fait le devoir d'aller au bout de ce chemin de croix. J'ai fait ma BA de l'année en matière de respect du travail de l'écrivain.


samedi 13 novembre 2021

La ferme africaine ~~~~ Karen Blixen


 


On ne lit jamais deux fois le même livre. Cette deuxième lecture que je fais de la ferme africaine - la première remonte à 1994 - me fait découvrir l'ouvrage sous un autre jour. Ce n'est évidemment pas celui-ci qui a changé, mais bien moi. Les acquis de la vie font évoluer la personnalité et sa perception du monde. Il n'en reste pas moins que je l'ai apprécié autant que lors de ma première lecture, mais plus pour les mêmes raisons. J'ai le sentiment d'en avoir fait une lecture mieux imprégnée de l'état d'esprit de l'auteure mais a contrario plus critique.

La ferme africaine est avant tout l'histoire d'un échec. Peut-être même de plusieurs. le tout premier étant celui de la vie conjugale de l'autrice. Elle ne mentionne son mari qu'une seule fois dans le texte. Encore le fait elle pour évoquer son départ vers la frontière, missionné dans le cadre du conflit qui opposait le Kenya à son voisin sous domination allemande. Les faits relatés se déroulent à l'époque de la première guerre mondiale. Karen Blixen ne fait aucune mention de sa vie de couple dans l'ouvrage alors que c'est une entreprise qu'ils avaient lancée en commun. Un silence qui en dit long sur l'ambiance de la vie conjugale et les conduira au divorce en 1925.

Échec aussi et surtout de la survie économique de la ferme. Il faut dire que cette femme s'est retrouvée bien seule et sans réelle compétence pour faire vivre le projet. Échec enfin, mais dû à la cruauté du destin cette fois, de la relation qu'elle avait tissée avec ce jeune aristocrate et aventurier anglais, Denys Finch Hatton. Il s'est tué dans l'accident de son avion. On leur prêtait une relation amoureuse.


Mais le plus grand traumatisme n'a-t-il pas été pour elle la séparation d'avec tout le personnel autochtone qu'elle faisait vivre et travailler sur ses terres. Car si Karen Blixen les appelait « nègres », cette appellation n'avait pas dans sa bouche la connotation offensante qu'on lui affecte aujourd'hui. Elle avait construit avec eux une saine relation humaine qui était dépourvue de mépris pour leur condition. S'interrogeant elle-même sur l'impact de la colonisation qui provoquait chez les populations indigènes un véritable choc culturel en faisant se confronter des développements de sociétés humaines en complet décalage. Ne le dit-elle elle-même dans son ouvrage : « Mais nous-mêmes, où en serions-nous à ce moment-là ? Qui dit que ce n'est pas nous qui nous cramponnons aux nègres, retardons leur ascension, avec un désir passionné de retrouver la confusion, l'obscurité et la vie élémentaire ? »

Il y a un autre sujet en filigrane dans cet ouvrage, mais non moins évident, qui est celui de l'impact de la civilisation, avec tout ce qu'elle comporte d'appropriation des richesses naturelles, sur l'évolution de la faune et de la flore et conduit aujourd'hui à l'extinction des espèces. La conquête des territoires grignotant peu à peu et de plus en plus vite leur espace vital. Les safaris menés à l'époque en toute bonne conscience contre une ressource imaginée inépuisable n'avaient rien de safaris photos.

Le recueil de souvenirs de la ferme africaine, au-delà de la portée romanesque et nostalgique qu'a voulu lui donner son auteur, fait figure de réelle étude ethnologique des sociétés se confrontant dans leur niveau d'évolution, avec la grande interrogation sur la définition du terme de civilisation quant à la pureté de ses intentions. Quel est le sauvage : celui qui tue pour se nourrir ou celui qui tue pour afficher un tableau de chasse ?

Écriture plus critique disais-je en préambule, donc moins porté sur le côté splendeur de la nature et romantisme tel qu'a pu le mettre en images Sidney Pollack dans Out of Africa. Mais deuxième lecture qui m'a rapproché des intentions de Karen Blixen quant à la sincérité des sentiments qu'elle a voulu faire valoir dans cet ouvrage à l'égard du pays et des populations autochtones. Les rapports humains qu'elle avait établis avec ces dernières, s'ils n'étaient pas exempts de la connotation de supériorité de race qu'affichaient sans vergogne les colonisateurs, n'en étaient pas moins empreints de sens de la responsabilité et d'attachement. C'est ce que l'on comprend avec le souci qu'elle a eu avant de quitter le pays de replacer son personnel auprès d'une bonne maison.

Une constante à la relecture de cet ouvrage est le romantisme et la nostalgie qui émanent de ce récit autobiographique. du pain béni pour un réalisateur qui le porte à l'écran sur fond des somptueux décors africains du Kenya.

Vues



Citations (éditons Folio)

Page 115 - Le rêve, aussi doux que le miel qui fond dans la bouche, est l'enchanteur qui nous délivre du destin. Grâce à lui, nous connaissons la liberté, non pas celle du dictateur qui impose au monde sa volonté, mais celle de l'artiste libéré de vouloir. 

Page 149  - La notion de luxe est étrangère aux Kikuyus; dès qu'ils ont dépassé le stade où l'on meurt de faim, ils se trouvent riches.

Page 161 - C'était le récit de ce que Jogona Kanyyaga avait accompli, son nom serait désormais impérissable. La chair était devenue le Verbe et il vivait parmi nous plein de grâce et de vérité ! 

Page 161 - Je crois que devant le livre, la réaction a été partout la même et que rarement les hommes ont appliqué avec plus de conscience et de passion le principe de l'art pour l'art. 

Page 165 - L'importance du document, loin de s'affaiblir augmentait à chaque lecture. Le plus grand miracle pour Jogona était de voir ce document rester le même. Ce passé qu'il avait eu tant de peine à retrouver et à fixer, et auquel il découvrait un aspect différent  chaque fois qu'il l'évoquait, était fixé pour toujours, il s'offrait au regard dans sa forme définitive. Ce passé était entré dans l'histoire, mais une histoire sans ombre et sans variation.

Page 386 - Ceux qui s'imaginent que le nègre peut sauter directement de l'âge de pierre dans celui de l'automobile  oublient tous les efforts et toute la peine que nos ancêtres pour nous amener au point où nous sommes. 

Page 389 - Mais nous-mêmes, où en serons-nous à ce moment là  ? Qui dit que ce n'est pas nous qui nous cramponnons aux nègres, retardons leur ascension, avec un désir passionné de retrouver la confusion, L'obscurité et la vie élémentaire ? 


jeudi 2 septembre 2021

Une chambre à soi~~~~Virginia Woolf



Nous y voilà ! Enfin presque. En 1928 Virginia Woolf prédit que « dans cent ans les femmes auront cessé d'être un sexe protégé ». Protégé, à comprendre d'après ce que je viens de lire dans le sens de dominé. Je n'en suis guère étonné. Après Simone de BeauvoirBenoîte Groult, je poursuis mon parcours de découverte du combat féministe. Dernière expression que j'ai envie de convertir en combat égalitaire. Tant celles précitées n'ont eu de cesse de vouloir gommer la différenciation sexuelle pour que la femme trouve dans la société la juste place qui lui est due. Abolir toute hiérarchie de genre et devenir des égales. Ni plus ni moins.

C'est donc un espoir que formule Virginia Woolf dans Une Chambre à soi. Un espoir qui se dévoile au creux de ce pamphlet, lequel délivre aussi son lot de ressentiments. Un espoir timide et fragile comme la flamme d'une bougie dans le vent. C'est tout naturellement en sa qualité de femme de lettre que Virginia Woolf se penche sur le sort de la femme au travers du prisme de la production littéraire. Au XIXème siècle les femmes commencent seulement à se faire connaître en littérature. Bien sûr il y a eu au cours des siècles précédents des Jane AustenGeorge Eliot, Anne Finch, et autres sœurs Brontë pour ce qui est de la littérature britannique, mais Virginia Woolf clame haut et fort que le talent qu'elles ont déployé eut été décuplé si ces dames avaient disposé d'une chambre à soi. Expression choisie pour décrire les difficultés qu'ont eu ces auteures à faire éclater leur génie, tant les conditions matérielles, de temps mais surtout de solitude indispensable pour accueillir le fluide pur de l'inspiration leur étaient comptées. Jane Austen écrivait dans la pièce commune et cachait ses manuscrits à la vue des importuns. Se faire éditer était une autre difficulté. À l'indifférence, au mépris se substituait cette fois l'hostilité de la gente masculine qui maîtrisait le monde de l'édition. Virginia Woolf propose de relire Jane Austen en scrutant ces pans de talent qui ont été contraints. Allant jusqu'à conclure « Que pouvait-elle faire d'autre que mourir jeune, déformée et contrariée. »

Ce qui lui fait extrapoler que, la moitié du genre humain ayant été décrétée inférieure par nature, la femme de classe moyenne n'existe pas dans l'histoire. Citant Périclès pérorant que « la gloire pour une femme est que l'on ne parle pas d'elle. » C'est donc à une acrimonie rétrospective à laquelle se livre Virginia Woolf, s'inscrivant à la liste de celle qui ont eu le cran de critiquer le sort qui leur était réservé, parfois au prix de leur vie. Olympe de Gouge : « si une femme peut monter à l'échafaud, elle doit avoir le droit de monter à la tribune. »

Une lueur d'espoir donc dans l'esprit de Virginia Woolf lorsqu'elle écrit Une chambre à soi en ce tout début de XXème siècle. Y sommes-nous donc en 2021 ? Sur les 94 ouvrages dont Babelio dresse la liste pour cette rentrée littéraire, j'en ai compté 40 qui sont l'œuvre de femmes. 40 qui ont donc trouvé une chambre à soi pour s'isoler et donner libre cours à leur talent. Gageons qu'à la rentrée littéraire de 2029 on s'approche de la parité dans le domaine de l'édition. L'espoir de Virginia Woolf semble avoir été visionnaire en tout cas pour le temps nécessaire au rétablissement de l'équilibre. Quant aux domaines de la parité en politique, de l'égalité des salaires dans le milieu professionnel, de la répartition des tâches ménagères dans le couple, ce sont là d'autres sujets qu'il conviendra d'aborder après la rentrée littéraire de 2029. Une chose après l'autre. (Hum, hum...!)


samedi 17 juillet 2021

Jésabel ~~~~ Irène Némirovsky



Encore : ce mot peut être la supplique de perpétuation d'un bienfait. Il peut a contrario être assassin. Gladys est encore belle. Il y a dans cette phrase plus de passé que d'avenir. Gladys est au supplice. Sa jeunesse s'est enfuie. "Le souvenir de sa jeunesse l'emplissait d'une souffrance jalouse."

Plaire. Rendre brûlant de convoitise les hommes, jalouses les autres femmes. Susciter le désir à son paroxysme et ne jamais l'assouvir. Car assouvir c'est déchoir. Descendre de son piédestal et se noyer dans la multitude. S'immoler dans le plaisir. "On obtient toujours moins que l'on a rêvé."

"C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit.
Ma mère Jézabel devant moi s'est montrée,
Comme au jour de sa mort pompeusement parée.
Ses malheurs n'avaient point abattu sa fierté;
Même elle avait encor cet éclat emprunté
Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage,
Pour réparer des ans l'irréparable outrage."

Ces vers tirés d'Athalie, la pièce de Racine donnent leur titre à cet ouvrage. Ils illustrent tout le drame de Gladys. Vieillir, perdre l'éclat de sa beauté. Être privée du regard des hommes et le voir se détourner sur la fraîcheur de la jeunesse. Perdre l'exclusivité. L'âge venant, les outrages du temps la mortifient.

S'il en est qui s'enorgueillissent de leur descendance, elle déplore que sa fille envisage de convoler et faire d'elle une grand-mère. Quelle horreur. Grand-mère ! Elle ne peut entendre ce mot sans frémir. Elle a quarante ans quand sa fille meurt en couche faute de soins. Elle ira jusqu'à renier son petit-fils pour ne pas se voir affublée du statut de grand-mère. Devenir grand-mère graverait son âge dans ses traits et ferait fuir les galants.

Galdys a mis le sens de sa vie dans le plaisir de faire languir les hommes, jusqu'à la souffrance, dans le fantasme qu'elle suscite. L'impatience, l'attente, le désir. Être désirée encore et toujours. Gladys n'existe que dans les regards qui se posent sur elle. Sûre de son pouvoir, elle n'a jamais été jalouse. Ce n'est pas aimer auquel elle aspire, c'est d'être aimée. Elle est odieuse, de bonne foi, convaincue de la ferveur qui lui est due et dont elle se nourrit. Lorsqu'elle sera rattrapée par les conséquences de son égocentrisme méprisant, Gladys commettra le pire. L'ouvrage de d'Irène Némirovski commence par son procès. le procès d'un monstre d'égoïsme.

Fabuleux huis-clos dans la conscience torturée d'une riche et belle femme qui voit son pouvoir lui échapper. Roman psychologique d'un narcissisme exacerbé, cet ouvrage est passionnant par l'exploration qu'il fait de ce travers de la nature humaine. L'individu au centre du monde, sous les projecteurs de regards envieux. le culte du moi. Pourquoi faut-il attirer l'admiration de ses congénères pour exister ?

Je fais la connaissance d'Irène Némirovski avec cet ouvrage. Il m'encourage à explorer le reste de l'œuvre de celle qui n'est pas revenue d'Auschwitz. Une écriture accessible et profonde à la fois.

mardi 3 novembre 2020

La Mer de la fertilité, tome 1 : Neige de printemps ~~~~~Yukio Mishima


J'en suis averti, la tétralogie dans laquelle je m'engage en lisant Neige de printemps de Mishima est une oeuvre testament. le testament d'un homme qui n'est pourtant ni condamné par la maladie ni en âge suffisamment avancé pour envisager l'échéance ultime prochaine. Mais pourtant, ainsi que l'écrit Marguerite Yourcenar dans l'essai qu'elle a consacré à cet auteur fascinant – Mishima ou la vision du vide – c'est le testament d'un homme qui prépare son "chef-œuvre" : son suicide rituel.

Cette connaissance de l'acte irréparable est à la fois nuisible et profitable à pareille lecture. En refermant Neige de printemps, le premier tome de la mer de la fertilité, je sais déjà que j'irai au terme de cette splendide œuvre romanesque en me procurant les trois autres opus d'une tétralogie qui prend des allures de monument. Un monument érigé par celui-là même qu'il rappelle à notre souvenir.

Nuisible la connaissance de ce parcours testamentaire, parce que je sais déjà que mon esprit va inconsciemment chercher au fil des pages les indices du cheminement intellectuel vers une fin décidée. Cette quête inconsciente peut me faire reprocher un voyeurisme morbide. Mais profitable plus encore, je veux m'en défendre, sera cette lecture. D'abord parce que les deux autres ouvrages que j'ai lus de cet auteur – le Pavillon d'or, Confession d'un masque – me donnent la certitude de me confronter au talent pur, ensuite parce que ce chemin sur lequel je m'engage est celui qu'il veut faire parcourir à son lecteur dans une démarche initiatique consciente du but fixé.

Kiyoaki est jeune et beau. Satoko est jeune et belle. Ils sont les héros de Neige de printemps. Ils se savent attirés l'un vers l'autre. Mais ne savent pas encore à quel point l'un est devenu indispensable à l'autre. Ils pensent encore pouvoir jouer de leur libre arbitre et mettre leur amour à l'épreuve des codes moraux de la société aristocratique dans laquelle ils sont nés. Ils ne se rendront pas compte qu'un jour ils auront dépassé le point de non-retour.

Neige de printemps est d'une esthétique rare

Il est des fictions tellement bien apprêtées qu'on ne doute plus qu'elles aient été vécues par leur créateur. Des fictions qui mettent tous les sens du lecteur à contribution au point de lui faire vivre les événements, les personnages, au point de le gagner aux émotions de ces derniers. Neige de printemps est d'une esthétique rare. Beauté de la nature, beauté des sentiments, tout est porté par un style épuré, une écriture solennelle, débarrassée des impuretés accumulées par l'usage. Une performance d'auteur qui nous livre un distillat, un absolu de pensée.

D'aucuns pourraient éprouver certaines longueurs dans des épanchements descriptifs. Mais il n'est que de se souvenir que l'auteur est engagé sur un chemin funeste, que chaque regard est un regard d'adieu et qu'il vaut la peine de s'appesantir sur quelques merveilles de la nature quand elle est écrin d'un cœur qui souffre.

J'ai décidé de continuer le chemin avec Mishima, ce marcheur obstiné. Je vais donc me procurer les trois tomes qui pavent la fin de son parcours. Mais j'attendrai que covid veuille bien nous rendre notre liberté pour aller me procurer ces ouvrages dans ma librairie préférée. Je ne veux pas qu'elle baisse le rideau parce que j'aurais été pressé d'accompagner un auteur vers le bout de son chemin. Je ne veux pas qu'un clic de souris éteigne à jamais la vitrine d'un libraire. La vitrine de mon libraire c'est la vie dans la rue, c'est mon ouverture au monde.

vendredi 28 juillet 2017

Madame Hemingway ~~~~ Paula McLain

 

Solitaire qui n'aimait pas la solitude, Ernest Hemingway eut quatre épouses. Paula McLain s'est prise de sympathie pour la première d'entre elles, Hadley Richardson. Elle en a fait la narratrice de ce bel ouvrage, Madame Hemingway. C'est l'histoire romancée d'un épisode de la vie de cette femme avec celui qui accédera à la consécration suprême de son art en recevant le prix Nobel de littérature en 1954.

Journaliste, correspondant de guerre, écrivain, Ernest Hemingway n'a pas été aventurier que dans sa vie professionnelle. Celles qui ont partagé sa vie affective en ont fait les frais. Paula McLain a mis son talent d'écrivain au service de Hadley et lui fait revivre cette idylle de six années qui restera à jamais dans la mémoire de celle-ci comme l'épisode dramatique de sa vie.

Paris au lendemain de la première guerre mondiale, des expatriés américains se retrouvent au sein ce que l'une d'entre eux, Gertrude Stein, immortalisera sous l'expression de génération perdue. Une génération d'artistes et intellectuels qui tentent inconsciemment d'exorciser dans l'alcool et les fêtes le cauchemar de la grande guerre. Elle avait avalé leur jeunesse et fait tomber trop tôt sur leurs frêles épaules une maturité précoce nourrie d'angoisses. Ernest Hemingway qui a connu les affres de la guerre en Italie, dont il tirera L'adieu aux armes, se retrouve volontiers sous ce label. Il ne craint pas d'explorer l'absurdité de la condition humaine lorsqu'elle se livre aux horreurs qu'elle fomente.

Grand témoin des conflits du vingtième siècle, amateur de corridas, de courses de chevaux, de chasse, sa soif de sensationnel, de liberté s'est assouvie au détriment du bonheur de celles qui ont choisi de partager sa vie. Paula McLain nous dresse un portrait admirable de Hadley, femme simple et courageuse, d'une grande sincérité, peut-être un peu naïve, que rien ne prédestinait à quitter son Amérique natale pour s'enfoncer dans le drame avec cet homme, de six ans plus jeune qu'elle, qui trouve logique de vivre à trois quand on ne peut choisir entre deux amours. Paula McLain nous fait prendre fait et cause pour ce personnage désintéressé qu'elle sait rendre attachant lorsqu'elle partage la vie de galère du futur prix Nobel encore loin de la célébrité, dans un sordide deux pièces parisien.

Une histoire dramatique formidablement conduite par Paula McLain. Elle nous donne un autre éclairage sur la personnalité du célèbre écrivain. Il ne peut que baisser dans notre estime au sortir de ce roman, grisés que nous sommes de la notoriété qui auréole désormais sa carrière d'écrivain. La gloire de l'un n'irait donc t'elle pas sans l'avilissement d'autres restés dans l'anonymat ?

Avec son écriture souple et épurée, Paula McLain se garde bien de tomber dans l'emphase. Elle préserve ainsi l'authenticité des sentiments de cette femme restée fidèle en amour à l'égard d'un Hemingway avec qui elle correspondra jusqu'à l'ultime moment de sa vie.
On s'interroge toujours sur les raisons du choix d'un auteur pour le personnage de son roman. Beaucoup vous répondront que c'est en fait le personnage qui s'impose à l'auteur. Ce qui me fera dire que Madame Hemingway ne pouvait trouver plus belle plume pour sortir de l'anonymat. Car en donnant ce titre à son roman, elle confère une certaine exclusivité à cette union, et reconnaît sans doute en Hadley la plus légitime des épouses d'Ernest Hemingway. Celle qui n'a jamais douté du talent de son mari alors que le succès se faisait encore désirer.
Cette histoire romancée est un superbe moment de lecture.


dimanche 28 mai 2017

L'aviatrice ~~~~ Paula McLain

 


Fallait-il rendre justice à Beryl Markham, pour que Paula McLain lui consacre un ouvrage, au demeurant fort réussi à mon sens ? Mais lui rendre justice de quoi au juste ? De ne pas avoir eu avec son récit auto biographique, Vers l'ouest avec la nuit, le même accueil que Karen Blixen avec le sien devenu si populaire, La ferme africaine, adapté au cinéma sous le titre Out of Africa.

Ces femmes ont toutes deux vécu, au début du vingtième siècle, une vie d'aventure au Kenya, alors colonie britannique. Elles se sont beaucoup fréquentées, appréciées mutuellement. Elles ont même partagé le même amant. Mais ça, ce n'est pas le point commun qui aurait pu renforcer leur amitié.

On peut même affirmer que Beryl Markham aura autrement marqué l'histoire que Karen Blixen. Si cette dernière a passionné son public en sachant mettre par écrit son amour de l'Afrique, du Kenya en particulier, premier regard vraiment respectueux des peuplades qu'elles a côtoyées, Beryl Markham, qui cultivait la même passion pour ce pays et ses autochtones pour y être née, a quant à elle ajouté à son crédit des prouesses propres à battre en brèche le monde masculin de ce temps, dont le moins que l'on puisse dire est qu'il n'était pas enclin à voir des femmes lui damer le pion.

Elle a été la première femme à obtenir son brevet de pilote professionnel et surtout à avoir traversé l'Atlantique d'est en ouest. Exploit à laquelle rien ne la prédisposait, si ce n'est son formidable goût de l'indépendance, son courage à toutes épreuves, sa capacité à rebondir quand tout avait périclité, tant dans les domaines professionnel qu'affectif. Si la chance lui a souri, elle ne l'a dû qu'à son audace, son opiniâtreté et son mépris d'une mauvaise réputation dont les jaloux ont voulu l'affubler.

Avant de se lancer dans le pilotage d'aéroplanes, elle avait déjà fait ses preuves sur les terrains exclusivement réservés aux hommes, en réussissant comme entraîneur - mot que l'on ne peut toujours pas mettre au féminin sans verser dans un registre plus péjoratif - de chevaux de course.

Abandonnée comme elle par sa mère durant sa prime enfance, Paula McLain s'est sentie très proche de ce personnage atypique au point de nous livrer une magnifique biographie romancée dans laquelle les fresques paysagères et les récits d'aventure nous donneraient la nostalgie du temps des colonies, si ce dernier terme ne comportait pas en lui-même son propre discrédit. Cette auteure à l'écriture fluide et sans métaphore a su parfaitement mettre en valeur ce curieux mélange qui caractérisait Beryl Markham, une sauvageonne à la beauté pourtant féminine. Personnage qui n'a dû son succès qu'à sa philosophie certes primitive, apprise à courir pieds nus avec les autochtones, mais au demeurant plus humaine que celle qui avait cours dans les salons de la société coloniale, laquelle se qualifiait sans rougir de bonne société.

Le style agréable de Paula McLain me donne le goût d'inscrire à ma liste de lecture une autre biographie de son cru : Madame Hemingway.