« Laissez-moi me rhabiller, gémissait-il. Y a mes enfants ». Lorsque les GI investissent la modeste maison du Bédouin et malmène le patriarche devant sa famille, plus que le sang qu'il a déjà vu couler à plusieurs reprises, c'est l'humiliation de son propre père qui va faire basculer la vie du fils de cette famille.
L'auteur démonte alors le mécanisme qui va métamorphoser ce jeune Bédouin, dont
on ne connaîtra pas le nom, de la « chiffe molle », tel qu'il se qualifie
lui-même, en un prétendant au suicide terroriste. Il décrypte pas à pas la
démarche de manipulation mentale des leaders des organisations terroristes,
depuis l'instant où ils ont repéré un candidat potentiel, l'être affaibli par les
circonstances de la vie, jusqu'au moment où ils le sentent prêt à franchir le
pas. Se barder d'explosifs et entrer en contact avec la cible.
Le style propre à Yasmina Khadra est
tout indiqué pour analyser la psychologie d'un personnage dans son parcours
mental sur le chemin de l'acte insensé. Ce style si particulier, fait d'un
florilège d'allégories, de métaphores, qui chacune traduisent autant de
ressentis. Mieux que tout diagnostic psycho-pathologique, un tel discours imagé
interprète parfaitement la construction personnelle du personnage dans cette
ascension vers la folie meurtrière.
Dans la bibliographie de Yasmina Khadra,
on trouve souvent en toile de fonds des contextes de guerre qui impliquent la
culture orientale. C'est cru et violent. Comme toujours la vie en pareilles
circonstances. C'est criant de vérité. Il y a comme un tourbillon qui emporte
malgré eux des personnages faibles et broyés par le destin. Mais c'est traité
sans misérabilisme.
Yasmina
Khadra fait toujours preuve d'impartialité dans le développement des
thèses qui opposent les belligérants. Les
sirènes de Bagdad lui donne toutefois l'occasion, au travers des
propos de ses personnages, de développer un anti américanisme à peine voilé.
Sans donner le moindre crédit au fanatisme aveugle, vingt ans après les faits
qui servent de cadre à ce roman, et à la connaissance de l'histoire de ce
conflit, on ne peut guère l'en blâmer. La motivation proclamée de cette guerre
n'a en effet jamais pu masquer les intérêts mercantiles non avoués. Mais Yasmina Khadra est
un être pétri d'humanisme. Il nous le prouvera en donnant ses limites au
fanatisme. Comme un message d'espoir.
Le scenario et son dénouement, insoupçonnable jusqu'à la dernière page, manquent certainement de crédibilité. Mais ce n'est pas ce qui me fait revenir vers cet auteur. Je retrouve avec plaisir, ce qui a capté mon intérêt dès la découverte de son écriture : le talent pour faire percevoir les sentiments par l'image, la force du verbe, la richesse du vocabulaire. Une fois de plus, je n'ai pas été déçu.