A trop explorer les vices de l'espèce humaine, il faut
aujourd'hui avoir beaucoup d'imagination pour troubler l'amateur de polar. Avec
tout ce que la littérature du genre a pu lui mettre sous les yeux, la barre est
haute pour le faire frissonner. Les auto-tamponneuses ne suffisent plus, il
faut des grands huit vertigineux. Il faut lui couper le souffle à ce lecteur
blasé. Il ne faut plus seulement le surprendre, il faut le choquer, le
décontenancer, avec des mises en scène de crime sordides, des coupables improbables.
C'est le défi de l'auteur de polar moderne qui voudra ne pas décevoir les
inconditionnels du genre.
Le flic quant à lui doit rester un être doué de sensibilité. Un être avec ses
peurs et ses faiblesses. Un homme qui a une vie sentimentale, ou qui essaie en
tout cas. le métier ne lui facilite pas la tâche dans ce domaine. Aimer, être
aimé, quand on a une vie de famille en pointillé, qu'on est confronté
quotidiennement à la haine, la folie, la détresse, le chantage, c'est une
gageure. Comment ne pas faillir quand on laisse un enfant à la maison dans les
bras d'une femme qui elle-même tremble pour son compagnon dès qu'il franchit la
porte de la maison. Et peut-être même avant. Auquel s'ajoute la pression d'une
hiérarchie et de politiques qui veulent des résultats rapides et surtout pas de
vague. Les médias sont à l'affût.
Tout cela Bernard
Minier le maîtrise. Il a bien appréhendé ce contexte d'une vie de flic
de nos jours. Un funambule sur un filin au-dessus de la cage aux fauves. Un
autre défi est aussi pour l'auteur de polar celui de mettre en échec le lecteur
perspicace qui aura résolu l'enquête avant tout le monde. La surenchère dans
l'obscur est donc obligatoire. Au risque de prendre ses distances avec le
vraisemblable. Mais le crime ne relève-t-il pas toujours de l'invraisemblable ?
Pour remplir ces conditions, Bernard Minier fait
de cet ouvrage un huis-clos dans une vallée, coincé entre un éboulement qui
bloque la route d'accès et des habitants excédés, apeurés, prêts à en découdre
avec les autorités, sur fonds de réminiscence de lutte des classes. Des
meurtres y sont commis dans des conditions qui font froid dans le dos. Selon un
rituel qui met la police au défi d'en résoudre l'énigme. Cela donne un roman au
rythme soutenu qui n'offre pas de pause à ce commandant de police lequel sort
d'une affaire lui ayant valu la mise à pied. Difficile de ne pas sortir des
clous quand on est livré à des êtres qui ne connaissent quant à eux ni loi ni
barrière. Martin Servaz est donc dans cet ouvrage le spectateur averti de
l'action de ses confrères. Il piaffe de les voir patauger dans le bourbier
d'une affaire pour le moins alambiquée. Mais, même empêché par une procédure
qui traîne en longueur, il ne peut se retenir de s'impliquer. Quand on est
Martin Servaz, le récurrent de Bernard Minier,
on n'est pas habitué à rester sur la touche.
Depuis que j'ai découvert cet auteur je m'attache à scruter sa capacité à
dresser la fresque d'une société qui donne libre cours à ce que l'espèce
humaine a de plus vil. Une société dans laquelle les troubles psychologiques, la
déconnexion de la réalité rivalisent avec l'appât du gain, toute forme de
déviance y compris et surtout sexuelle pour susciter le crime. Cet ouvrage est
autant un tableau de notre société contemporaine qu'un polar. le trait est
certes un peu forcé, mais ne faut-il répondre à l'attente du toujours plus en
matière d'effroi. Il faut surprendre encore et toujours et surtout ne pas se
laisser doubler par le lecteur avant de lui livrer le coupable les menottes aux
mains. Encore un polar de bonne facture de la part de Minier.
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Ouvrages par genre
dimanche 4 décembre 2022
La vallée ~~~~ Bernard Minier
dimanche 30 octobre 2022
La chasse ~~~~ Bernard Minier
J'ai découvert l'univers de Bernard Minier tout récemment avec son ouvrage intitulé Sœurs. Cette première m'avait donné le goût d'explorer son œuvre. Je le fais avec cet ouvrage. Il confirme l'ancrage régional de la zone de compétence de son héros. Il y ajoute en prime cette fois l'ancrage dans l'actualité. Ouvrage très contemporain si l'on en juge par l'allusion récurrente à ce masque bleu sur le nez qui nous a étouffé pendant de longs mois mais que l'on garde encore à portée de main. Allusion au récent deuxième confinement dans cet ouvrage avec le lot de problèmes qui ont assailli tant de professionnels dont les tenanciers de bistrots et de restaurants qui ont très souvent leur rôle dans les polars.
Voilà un ouvrage qui ratisse large dans les maux de notre société moderne dont,
non le moindre, celui de l'insécurité. Le sujet nourrit le débat politique à
chaque élection, opposant les tenants de la ligne répressive à ceux de
l'éducative. le seul point commun les accordant étant le manque de moyens pour
mener à bien leurs actions.
La chasse est
donc dans cet ouvrage une chasse au délinquant. Une chasse à mort, orchestrée
avec une mise en scène destinée à frapper les esprits. Une chasse à laquelle se
livre un groupuscule de justiciers autoproclamés déplorant le laxisme de la
justice de ce pays, au constat du nombre de délinquants laissés en liberté pour
toutes les raisons que l'on peut imaginer, parmi lesquelles surement la
surpopulation carcérale.
Martin Servaz, le policier toulousain de Minier, a pris
du grade, de la maturité et acquis une notoriété qui en font de lui à la fois
un sujet d'admiration et une cible. La hiérarchie ne pardonne rien à ceux qui
ont placé haut la barre des résultats. Elle leur demande toujours plus. le
pouvoir politique quant à lui ne fait pas de sentiments. Il veut des résultats
qui servent ses ambitions. Pas de vagues surtout. C'est dans ce contexte que le
déjà célèbre commandant de Minier exécute
son rôle d'équilibriste entre vie professionnelle et vie privée. Vie privée
difficile à préserver quand on passe ses nuits traquer les truands. Vie privée
qui peut être point de faiblesse quand les truands se sentent pris dans les
serres du limier toulousain. On sait où trouver ta famille, Commandant !
Roman qui extrapole dans les problèmes de société. Peut-être un peu trop
d'ailleurs, parcourant la planète des grands maux de l'humanité. En
justification des menées transgressives de cette faction rigoriste qui
monopolise toute l'énergie du commandant et de son groupe d'enquête. Commandant
se reprochant parfois l'égoïsme de sa personne face à la détresse des
populations dans le besoin. Mais Martin Servaz reste inflexible au service de
la mission. Les tentatives de corruption n'ont pas de prise sur sa conscience
professionnelle, même lorsqu'il déplore être chaussé de semelles de plomb par
la paperasserie qu'impose son métier et l'énergie qu'il doit dépenser pour voir
finalement un avocat balayer d'un effet de manche des journées et des nuits de
traque d'un criminel notoire, pour vice de procédure.
L'épilogue de cet ouvrage est un peu trop convenu pour ce flic qui peine à
stabiliser sa vie sentimentale. La chasse n'en
reste pas moins un roman immersif pour son lecteur. Il partage les nuits
blanches et les casse-têtes de son flic sur la brèche 24/24. le rythme est
soutenu à l'initiative du commandant qui ne s'en laisse pas compter, stimulé
par une hiérarchie pressante comme il se doit. Les rebondissements sont
cependant assez prévisibles. On apprécie dans cette écriture le réalisme d'un
quotidien surchargé, le langage coloré du jargon argotique du milieu, le style
qui fait courir les yeux. Cela reste du très bon polar qui nous rappelle à lui
quand on a réussi à le poser. Il nous reprend alors très vite dans son intrigue
bien ficelée.