Mon univers de lecture ... ce qu'il m'inspire

samedi 31 janvier 2015

La vie devant soi ~~~~ Romain Gary

 


C'est un roman d'amour porté par des mots d'enfant. C'est un roman d'humour qui colporte une histoire triste. C'est Splendide.

La supercherie du pseudonyme a valu à Romain Gary un second prix Goncourt, ce que le règlement de la prestigieuse récompense n'autorise pas. Fallait-il qu'il se sache convaincu de la prouesse littéraire pour oser un tel pied de nez à la profession. Ô combien a-t-il eu raison !
Sans cet artifice, il aurait alors fallu inventer un autre prix. Un super prix, comme on dit de nos jours quand on est parvenu aux confins des possibilités de son pauvre vocabulaire. Un super oscar, pour ne pas laisser pareil ouvrage s'enfouir dans le grand fourre-tout des œuvres non primées.
C'est une performance que celle de tenir des propos d'enfant, de traduire une conception mentale naissante, l'ouverture au monde des adultes, sans trahir sa maturité, sa propre expérience de la vie.

La première moitié de cet ouvrage est un peu longue. La seconde nous la fait percevoir comme une nécessité pour bien amener et transmettre la teneur philosophique de cette œuvre. le bonheur, la religion, les différences, la vie et sa fin inéluctable, la quête de ses racines. Autant de thèmes qui se télescopent dans l'esprit de Momo. Fils de pute (sic), de père inconnu, il se raccroche à sa bouée, Madame Rosa. Il s'interroge sur la vie. Pourquoi ci ? Pourquoi ça ? Et déjà des certitudes sur la cruauté de l'existence.

Les différences. Des inventions d'adultes qui ont conduit madame Rosa dans les camps de déportation et qui font que Momo se refuse à sa condition d'enfant abandonné, de confession musulmane. Il a pourtant remarqué que quelques preuves d'amour, de la part de qui on ne les attendait pas, peuvent gommer beaucoup de différences justement. Mais voilà Madame Rosa ne va pas bien. Momo a bien perçu que son avenir affectif en dépend. Il sent bien que cet esquif qui le maintient à flot est en train de prendre l'eau.

Les confidences de Momo abordent des sujets graves avec une légèreté qui ne nuit pas au message, bien au contraire. L'humour naïf est le plus beau vecteur de vérité pour qui sait l'engendrer. Romain Gary nous en fait une démonstration éclatante dans cet ouvrage. Car l'humour est bien le ton général d'un bout à l'autre de ce récit. L'échange entre madame Rosa et Kadir Youssef venu récupérer son fils est une des plus belles pépites de cet exercice ô combien périlleux. Un chef d'oeuvre du genre.
C'est un livre que j'ai avalé dans un TGV qui avalait quant à lui les kilomètres vers Paris. Mes voisins de voiture ont vite compris que peine perdue était de me faire partager leur conversation. Cette merveille m'a souvent imprimé un sourire sur les lèvres et toujours inspiré de vraies émotions. J'espère trouver encore beaucoup de livres comme celui-là pour me voler le paysage vers …

Peu importe d'ailleurs, ce sera vers de belles lectures.


vendredi 23 janvier 2015

Le collier rouge ~~~~ Jean-Christophe Rufin

 


Dans l'atmosphère apaisée d'une campagne que la vie semble avoir abandonné, au lendemain de la déferlante meurtrière de 14-18, le temps est venu pour Jean-Christophe Rufin, au travers de cet ouvrage, de remettre en question certaines valeurs de la société du début du XXème siècle. N'ont-elles pas été prétextes à une des pages de notre histoire la plus méprisante de la vie humaine.

Nombre d'anciens poilus restaient muets sur ces années maudites. Ils savaient les mots impuissants à traduire l'horreur de leur cauchemar. Cette guerre n'avait pas seulement ôté la vie à des millions d'êtres humains, elle avait aussi tué le rêve chez ceux qui avaient survécu.

Rescapé de l'effrayante hécatombe, Jacques Morlac a choisi quant à lui le parti de ridiculiser les valeurs qui ont servi de justification au carnage. Une façon d'exprimer son aversion pour cette période de sa vie. Son comportement lui vaut inculpation. Unique détenu d'une prison de circonstance, il consume sa solitude.

Dans la confrontation avec le juge militaire qui instruit son affaire, il se retrouve exposé à ce qui a suscité sa rancœur : la lutte des classes transposée dans la hiérarchie militaire, les notions instituées en valeur et que le maréchal Pétain voudra remettre au goût du jour vingt ans plus tard : travail, famille, patrie.

Avec le talent de conteur qu'on lui connaît, Jean-Christophe Rufin nous délivre une thérapie psychanalytique de cette période de convalescence au sortir de la guerre. En fil rouge à la trame de ce roman, l'entêtement d'un chien dans sa fidélité servira de prétexte doctrinal à la confrontation homme-animal. Elle permettra au final, chez deux êtres que tout sépare, l'accusé et son juge, de trouver dans cette introspection de la nature humaine un terrain de conciliation.

Qui prête attention à la détresse d'un chien lorsqu'il s'époumone et s'affame à languir son maître. Quelle gratification viendrait récompenser sa fidélité, son amour, son désintéressement. Autant de valeurs instinctives en contraste de celles inventées par la nature humaine comme l'honneur, le patriotisme, la fierté, et qui servent en fait de masque à l'orgueil et à la cupidité.

L'orgueil justement. Un vice dont les animaux sont exempts. Il étouffe la spontanéité et les élans du cœur. Il va insidieusement faire passer à côté d'un bonheur pourtant à portée de main. Pervers et obstiné, il échappe au raisonnement. Il peut lancer les hommes les uns contre les autres et quand il essaime fomenter la guerre.

Aussi, contre toute attente, dans la confrontation de Jacques Morlac avec son juge, le remède aux atteintes à la symbolique institutionnelle pourra t'il naître de qui on ne l'espérait plus. Car l'espoir s'était assoupi dans les ténèbres de la guerre.

Une belle page de réflexion sur la nature humaine, avec pourquoi pas un regard attendri pour ces êtres qui ne récoltent qu'indifférence de sa part. La créature la plus prétentieuse aurait pourtant des leçons à glaner pour recouvrer un peu de sagesse en s'inspirant de l'authenticité de la nature animale. Une manière de remettre en question l'arrogante supériorité de l'intelligence humaine qui a pourtant été capable d'orchestrer l'horreur à l'échelle d'un continent.

Mais peut-être, au final, ne faut-il voir dans cet ouvrage que le prétexte à un hommage à ce compagnon de reportage de Jean-Christophe Rufin trop tôt emporté par la maladie ?


jeudi 15 janvier 2015

Artémisia : un duel Pour l'immortalité ~~~~ Alexandra Lapierre



Artemisia ! Une femme qui a voulu exister au moyen-âge quand tout aurait dû la réduire au sort de ses semblables. Quoi de plus extravagant à cette époque que de voir une femme briguer la renommée de ses congénères masculins ?

Cet ouvrage n'est pas une biographie. Ce n'est pas l'histoire d'une vie agencée dans une chronologie. C'est le récit d'un combat de toute une vie. Celui d'une femme artiste peintre qui se bat pour la reconnaissance de son art. Dans le XVIIème siècle italien, ce n'est pas un anachronisme, c'est une incongruité temporelle que tout veut écraser.

Le monde masculin d'abord, « à une époque où les filles appartiennent à leur père ». Un père ambivalent, lui-même artiste reconnu, qui veut trouver son prolongement dans sa descendance et craint en même temps de voir sa propre notoriété distancée. Ce monde masculin qui seul a pignon sur rue, règne sans partage sur la vie policée des citées De La Renaissance, dans tous les domaines y compris artistique.

Le monde chrétien ensuite avec sa dictature exercée sur tous les ressorts de la pensée, de l'expression. « Renoncez à la peinture et ne cherchez pas à connaître une autre science que celle du salut », lui clame son confesseur.

Une destinée cruelle enfin avec ce viol qu'elle subit et dont pourtant les us de l'époque la rendent coupable. « Tu aurais dû m'avouer ton crime le soir même » lui reproche son père. Une destinée cruelle aussi qui lui enlève trois enfants en bas âge et empêtre sa vie amoureuse dans le dilemme perpétuel : la soumission ou la quête de la gloire.

C'est par ses œuvres qu'Alexandra Lapierre découvre Artemisia Gentileschi. C'est en apprenant son histoire qu'elle décide de se lancer dans un exercice que tous lui déconseillent. C'est à la connaissance de la personne qu'elle sera conquise. On le sera aussi à la lecture de cet ouvrage.

Qui mieux qu'une femme pour évoquer le combat, traduire la sensibilité et la sensualité d'une autre femme, à la fois artiste talentueuse, épouse obligée, mère aimante et amante voluptueuse.

Au-delà de la qualité propre d'un ouvrage qui trouve ses élans romanesques, j'ai été confondu par l'énormité du travail de recherche et d'étude accompli pour aboutir à la publication d'un tel ouvrage. Cela transparaît de la première à la dernière page. le perfectionnisme, dont on se complaît à gratifier les femmes dans des comparaisons hâtives sans originalité, atteint chez Alexandra Lapierre des sommets. Force est de reconnaître, par qui veut formaliser son objectivité, le niveau de précision atteint dans les recherches historique, technique, artistique, sociologique et linguistique.

Mais plus que tout, au-delà de la conscience professionnelle de la biographe, il y a cette capacité, au travers d'une écriture florissante mais sans fioriture, à faire vivre une femme sensible, avec ses joies quelques fois, ses peines plus souvent, ses doutes, sa complexité, mais toujours l'opiniâtreté chevillée au corps.

Alexandra Lapierre nous dresse la fresque d'une femme dans son époque, avec ses ombres et ses lumières. Son ouvrage est magnifique. Comme le tableau d'un maître De La Renaissance italienne.

 

dimanche 4 janvier 2015

Au revoir là-haut ~~~~ Pierre Lemaitre




Frileux de nature avec les œuvres primées, j'ai laissé le temps faire son œuvre, la fièvre de la consécration retomber et, sans l'avoir consultée au préalable, la critique forger sa maturité avant de m'intéresser à cette œuvre. Je me suis même fait prier encore un peu. J'ai attendu la chaude recommandation d'une amateure avisée – on peut désormais l'écrire au féminin - pour me décider à découvrir cet ouvrage. Ma propre opinion n'aura été influencée que par cette ingérence, bénéfique au final, dans mes goûts littéraires.

Et là, le piège s'est refermé, plus possible de m'extraire de ce livre avant son épilogue.
La vie va tellement vite de nos jours qu'un événement chasse l'autre à peine survenu. Il est donc devenu primordial de ne pas céder à la précipitation et faire durer les aubaines de qualité. Celles qui émergent du lot. Il n'y en a pas tant que cela. Cela permet d'en reparler un an après sa parution et de prolonger son intérêt, alors que Lydie Salvayre a pris la place dans l'actualité. Je ne regrette pas d'avoir lu cet ouvrage en décalé et lui prédis une séduction durable, au-delà de la fièvre médiatique - dont on sait qu'elle est à la fois définitive et éphémère - qu'il a suscitée.

14-18, deux nombres réunis dans une expression qui ne dit plus son horreur. Pour les contemporains du XXIème siècle, ce n'est désormais plus qu'un index dans l'inventaire des cataclysmes. Une nomenclature qui banalise l'inconcevable. C'est sans doute ce qui a incité Pierre Lemaitre à écrire, en 2013, un ouvrage sur cette période noire de l'histoire de notre vieille Europe. Pour crier à la face du monde que les guerres, et celle-là en particulier, ne peuvent pas se réduire à une banale comptabilité de vies perdues.


14-18, ce ne sont pas des millions de morts, c'est une vie arrachée à l'affection des siens, des millions de fois.

Pierre Lemaitre choisit de nous remettre en mémoire l'horreur de cette boucherie planétaire au travers des yeux d'un soldat devenu spectateur de sa propre disparition. Parce qu'au sortir de cet enfer, en perdant son visage, sa voix, Edouard Péricourt est mort socialement, affectivement et même administrativement, puisqu'il n'a pas voulu que son nom reste attaché à cette gueule cassée. de son visage ne restent en effet que les yeux, pour voir la vie continuer sans lui. Sans espoir de réintégrer le monde de ceux qui peuvent encore pleurer. Il est devenu un monstre.

Autrefois fils de bonne famille, créatif, espiègle, en butte à un père sans amour, ce monstre n'a désormais plus qu'une issue : organiser et mettre en scène sa disparition physique. Finir le travail que la grande machine à tuer n'a fait qu'ébaucher. Mais avant de disparaître, il décide toutefois, en dernière facétie, de reprendre la main sur ce destin macabre et de berner cette société dans laquelle il avait peiné à trouver sa place et qui a fini par l'éjecter de ses rangs. Peu importe s'il doit se jouer de la compassion orchestrée par le souvenir patriotique. Car c'est bien la cupidité des puissants qui a organisé l'horreur absolue et fait se jeter les uns contre les autres la cohorte des humbles sous un déluge de fer et de feu. Des êtres simples que la raison des Etats a broyés comme une matière consommable. Cette raison-là peut perpétrer le crime en toute légalité, sous couvert de grands sentiments patriotiques.
Le point fort de cet ouvrage est l'analyse psychologique des personnages élaborée avec réalisme et lucidité, dans une intention satirique à peine voilée, à l'encontre de cette société archaïque du début du 20ème siècle qui vacille sur ces bases moralistes.

Cette grande guerre ne sonnera pas seulement le glas de toute une génération d'hommes dans la force de l'âge, mais aussi de l'ordre social rigide qui prévalait en Occident à cette époque. Edouard Péricourt, insoumis à son capitaine d'industrie de père du temps de sa jeunesse, sera le symbole de cette rébellion contre l'ordre établi. Sur son visage perdu, la valse des masques, confectionnés avec la complicité de Louise, sa petite voisine, représente autant de pied-de-nez à cette société qui a trop voulu contraindre sa créativité et son goût de la liberté.

Pierre Lemaitre construit avec brio une caricature de la société qui s'est fourvoyée dans la grande tragédie de cette guerre. Son style sobre et son vocabulaire accessible confèrent à cet ouvrage une simplicité taillée sur mesure pour ces êtres modestes, extirpés de leur foyer et jetés en pâture à la fureur des canons et de la mitraille. Il sait nous faire frissonner de terreur dans l'assaut de la cote 113, nous faire pénétrer le subconscient de ces pauvres bougres dépassés par la folie collective et qui ne peuvent émerger de leurs tranchées glauques que pour aller se faire tailler en pièces, au bon vouloir de la soif de gloriole d'un nobliau déchu. Il sait nous faire ressentir leur peur, leur résignation, leur révolte. Sans oublier non plus le penchant trivial de leur rusticité. En témoigne la relation de leurs ébats sexuels qui ne met pas exactement la femme à l'honneur. C'est peut être le seul sujet pour lequel l'auteur s'affranchit du vocabulaire pudique qui caractérise sa relation à la grande tragédie de 14-18.

Avec ce coup d'éclat Pierre Lemaitre nous fait la démonstration qu'il n'est pas prisonnier de son style littéraire de prédilection. On retiendra toutefois de l'auteur de polar sa capacité à nous tenir en haleine jusqu'à la dernière page et trouver à cet ouvrage un dénouement à la hauteur d'une intrigue fort bien construite.

jeudi 1 janvier 2015

Mémoire d'Hadrien ~~~~ Marguerite Yourcenar


 

"Un pied dans l'érudition, l'autre dans la magie, ou plus exactement, et sans métaphore, dans cette magie sympathique qui consiste à se transporter en pensée à l'intérieur de quelqu'un." C'est ainsi que dans ses notes Marguerite Yourcenar qualifie l'exercice qui l'a conduite à mettre sur pied cette magistrale œuvre philosophico-historique relatant la vie de l'empereur Hadrien. Dès les premières pages on perçoit l'incroyable densité d'une telle œuvre. Elle a consacré Marguerite Yourcenar dans son statut d'écrivain de renommée mondiale. A la seule lecture de cet ouvrage, on ne peut que convenir de la somme de savoir mise en œuvre dans chaque page, du perfectionnisme appliqué à chaque phrase, pour parvenir à cette métamorphose de l'auteure en son personnage.

L'exercice qui consiste à se glisser dans la peau d'un illustre héros de l'antiquité romaine pour lui faire évoquer ses mémoires est une prouesse aux multiples aspects. Tout d'abord parce que l'éloignement dans les tréfonds de l'histoire est comme chacun sait l'assurance de la raréfaction de la ressource documentaire fiable. Il suffit d'examiner l'ampleur des sources bibliographiques mises en œuvre, répertoriées en fin d'ouvrage, pour se rendre compte de l'exploit de pareille entreprise. Sans parler du socle d'érudition propre à l'auteure elle-même, indispensable pour aborder plus largement le contexte.

S'agissant par ailleurs d'une transposition de forme de pensée, comment imaginer et ne pas trahir, ou le moins possible, celle d'une époque aussi lointaine dans l'histoire, lorsqu'on l'évoque avec le recul et l'acquis culturel cumulé de plusieurs siècles ? Rappelons-nous aussi qu'une femme se met à la place d'un homme avec tout ce que cela comporte de compréhension du rapport à l'autre sexe. Sans oublier, s'agissant d'un héros qui fut homme politique du plus haut rang, la notion de prédilection au pouvoir que comporte un tel statut, pour une personne qui elle ne joue jamais que du pouvoir de sa plume.

Il est question enfin dans cette "magie sympathique" de mettre en œuvre une subjectivité à plusieurs visages. Quel degré d'honnêteté placer en effet dans les propos d'un personnage politique qui évoque sa propre histoire ? Quel degré de lucidité et de sincérité attribuer à un homme qui, se sachant condamné à brève échéance, voudra convaincre le dauphin qu'il s'est choisi de poursuivre son œuvre ? Quelle sensibilité lui coller à la peau quand les penchants souffrent des contraintes du statut, de contradictions et atermoiements personnels. Il y a là un subtil dosage que seule une formidable culture historique, comportant la domination des langues anciennes, peut autoriser.

C'est le premier ouvrage de Marguerite Yourcenar que je lis. Je l'avoue. Je reste médusé par l'érudition de cette grande dame de la littérature française et m'incline avec la plus grande humilité devant cette montagne de connaissances.