« Les hommes redoutent toujours le pouvoir féminin qu’ils
pressentent si supérieur au leur ». C’est une des rares citations de cet
ouvrage dans laquelle on peut dénicher une note de compensation en faveur des
femmes après des millénaires de domination par son congénère masculin. Car là
n’est pas le propos de Virginie Girod. Même s’il s’agit de faire le recentrage
de la réputation d’une femme colportée par tant de voix discordantes.
Avec l’érosion des sources historiques il y a deux autres raisons de mal connaître
la valeur et l’impact des femmes en politique. C’est qu’elles étaient femmes
justement d’une part. Que leur action politique ne pouvait se concrétiser que
par l’entremise d’un homme. Et que d’autre part, jusqu’à encore très récemment,
écrire était resté privilège masculin. Ce n’est pas Virginia Wolf qui le
contredira. Elle s’en expliquait dans Une chambre à soi. Il est donc évident
que dans pareils contexte et circonstances la voix des femmes ne pouvait être
que rapportée par celui qui n’avait aucun intérêt à déchoir de son piédestal.
Théodora ayant eu en son siècle un destin de femme, et même un destin tout
court pourrais-je dire pour ôter la notion de genre à cette allégation, un
destin donc hors du commun qui ne pouvait laisser personne insensible. Surtout
pas les hommes qui eurent à la connaître. Ils pouvaient l’aimer ou la détester
avec la subjectivité qui s’attache à chaque attitude, jamais rester
indifférents. Mais femme des tréfonds de l’histoire, sa vie, son œuvre ne sont
connues que de propos rapportés par des hommes. Au premier rang desquels son
contemporain Procope de Césarée (1), lequel ne lui vouait aucune admiration
bien au contraire. Se complaisant à supplanter l’intelligence politique qui fut
la sienne au profit de son passé moins reluisant, ne concédant à son avantage
que le charme de ses traits. Encore en faisait-il un atout pour servir son
appétit de pouvoir.
Dans cet ouvrage Virginie Girod fait le point sur les sources orientales mises
au jour depuis ce temps lointain contemporain de Théodora et de Procope. Elle
concède dans un chapitre en fin d’ouvrage « qu’écrire la biographie de Théodora
est une gageure. L’historien navigue entre les sources et les ouvrages qui lui
sont favorables ou hostiles. » Elle vient pourtant nuancer cette vision
manichéenne du personnage. La tentation de la solidarité féminine est absente
du portrait qu’elle essaie de peindre de la fille d’un dresseur d’ours devenue
impératrice. Même si la restitution d’une sensibilité féminine qui a longtemps
fait défaut à tous ceux qui ont évoqué le personnage jusqu’alors est un
éclairage appréciable de la part de cette spécialiste de l’antiquité. Comme
dans les deux précédents ouvrages que j’ai lus de sa main, je retrouve cette
volonté de rééquilibrage légitime et bien mené de la réputation d’un personnage
trop longtemps polluée par des sentiments opposés et exacerbés. Son tort n’a
après tout été que d’accéder au pouvoir en un temps où les femmes devaient s’en
tenir à leurs travaux d’aiguille.
Mais derrière toute cette histoire d’une « femme fatale, puissante, dont l’aura
n’a pas encore disparu mille cinq cents ans après sa mort », il y a une
histoire d’amour dont Virginie Girod se convainc de la sincérité. Celle qui a
uni cette femme « belle, intelligente, manipulatrice, dominatrice, déterminée »
à Justinien. Ils formèrent un couple fidèle et solidaire. L’empire byzantin
n’eut pas à souffrir de leur union, bien au contraire. A eux deux ils le
conduisirent à son apogée par la fortune de leur complémentarité. Et peut-être
même Justinien a-t-il duré au pouvoir que parce qu’il avait cette souscrit à
cette alliance tant décriée.
Bel ouvrage de Virgine Girod fort bien construit autour de cette « femme libre,
intelligente et insoumise [qui] pourrait être érigée en modèle. »
(1) Procope de Césarée né vers 500 et mort vers 565, est un rhéteur (avocat) et
historien byzantin dont l'œuvre est consacrée au règne de l'empereur Justinien.
(Source Wikipédia)
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dimanche 17 avril 2022
Théodora ~~~~ Virginie Girod
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