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mercredi 20 septembre 2023

La croix et le croissant ~~~~ François Taillandier

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« L'homme, sitôt sorti de ses routines habituelles et exposé à la nuit et à la solitude, est peu de chose, ou plutôt n'est rien. »

Cette citation empruntée à Marguerite Yourcenar dans Archives du nord exprime avec à-propos ce que des hommes, êtres de chair et de sang, ont ressenti quand, aux origines de l’édition, il leur a été demandé de laisser à la postérité la trace écrite du passage sur terre de leurs commanditaires. Des puissants bien sûr, pas des gueux. Des puissants tellement imbus d’eux-mêmes qu’ils voulaient que leur mort ne soit pas une mort aux yeux des générations à venir. Survivre par l’écrit. Leur vie fût-elle couverte d’opprobre et de sang. François taillandier tient son propos à l’époque des rois dits fainéants. Epoque qui vit à l’Orient l’émergence de la foi musulmane. L’histoire des hommes se lirait donc sur ces supports qui deviendront des livres. Ecrits de main d’homme, bien avant l’imprimerie.

Mais qu’est-ce que l’homme à l’échelle de l’éternité : rien. Marguerite Yourcenar le scande et répète à l’envi. Encore cet homme ne sait-il même pas ce qu’il fait sur terre. Ce qu’il était avant. Ce qu’il devient après. Et il passe sa vie à se vautrer dans le luxe et la luxure, à se livrer à des bassesses qui de peu le rabaissent encore. A s’entredéchirer avec ses congénères pour des peccadilles qu’il n’emportera pas au-delà de sa vie, n’en déplaise aux pharaons. Il passe en fait sa vie à se distraire de l’idée de la mort.

Alors quoi ?

Alors Dieu ! Oui, Dieu !

L’homme est trop petit à l’échelle de l’univers, à l’échelle du temps, trop vil à l’échelle du mystère qui préside à cet obscur éclair de conscience qu’est sa vie. Instant au cours duquel un esprit est venu se contraindre dans un corps de chair et de sang.

Alors Dieu ?

Oui Dieu ! Hors de toutes échelles de temps et d’espace. Hors de toute convoitise, de joie, de peine, de naissance et de mort. Dieu éternel. Être sans substance. Non-être donc. Non-être qui dépasse toute vie sur terre depuis l’amibe sortie de l’océan jusqu’à cet être vaniteux pétri de concupiscence en même temps que de peur qui se fait appeler homme. Dieu est la réponse à l’insignifiance. Alors plutôt que raconter l’homme, fût-il roi sur terre, autant prôner ce dépassement de tout, cette transcendance : Dieu.

Ecrire ce que des hommes qui se sont dits messagers de Dieu, récepteurs de la parole divine, prophètes, écrire ce que l’instance supérieure, mystérieuse, inaccessible, invisible leur a dit. Puisqu’Il s’est rendu audible à eux. Ce que les hommes, ceux qui se disent grands, voulaient faire transcrire de leur vulgarité dans autant d’ouvrages du même niveau sera avantageusement remplacé par la parole divine dans un seul ouvrage. Le LIVRE.

La croix et le croissant de François Taillandier nous dit la gesticulation de la créature intelligente, et pourtant bouffie de défauts, pour s’élever, dépasser sa si courte existence, si médiocre existence et trouver le salut. En Dieu !

Mais même en cette intention les hommes n’ont pas trouvé de collusion. Le LIVRE est devenu multiple. Et encore en est-il pour clamer que la parole divine ne peut être écrite. Elle ne peut être entendue que par des élus et colportée par le Verbe.

Pauvre homme, pris entre la Croix et le Croissant, et peut être encore d’autres symboles de religions, celles-là moins extraverties. Plus confidentielles, moins belliqueuses, ne revendiquant pas le monopole. Pauvre homme qui n’a pas entendu le message d’amour que prêchent toutes ces religions qui se revendiquent du Livre, en même temps qu’elles le foulent aux pieds.

Formidable ouverture sur ces notions de désarroi de l’homme en sa condition que celle de François Taillandier. Pauvre homme en quête de dépassement des bornes de sa vie. Dépassement qu’il a trouvé en Dieu. Dépassement qu’il a transcrit dans le Livre pour associer sa pauvre existence à celle de son créateur. Et survivre ainsi avec lui dans l’éternité.

J’ai retrouvé avec délectation la hauteur de vue de cet auteur sur la condition de l’homme livré au mystère de la vie.  Approche que j’avais découverte avec L’Ecriture du monde et que je m’impose de suivre dans le troisième volet de cette trilogie tant elle comble mon appétit de cette écriture érudite tout en restant accessible, sur ces questions que l’on qualifie de fondamentales.

samedi 25 février 2023

L'écriture du monde ~~~~ François Taillandier

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Par Ecriture du monde il faut entendre le monde tel qu'il se construit, tel qu'il se grave dans la mémoire du temps, sachant que « Dieu ne crée que de l'irréparable. La créature est une catastrophe. Et l'existence à laquelle il nous appelle, le destin de chacun, si humble soit-il, consiste à tenter de réparer le dégât d'être né. » Voilà pour Celui qui préside à nos destinées. Il en prend pour son grade avec cette assertion de François Taillandier.

Auteur que j'avais découvert et célébré l'écriture avec son excellente biographie d'Edmond Rostang. Découverte qui m'avait au passage imposé le devoir d'aller visiter la villa Arnaga au pays Basque. Ce que j'ai fait et qui m'avait transporté de ravissement. Je confirme mon goût pour ce genre d'écriture avec cet ouvrage.

Une écriture riche que celle de ce phraseur érudit, une écriture qui pondère des sentences devenues par le fait lourdes de sens, d'une portée invitant à la réflexion. A l'introspection même, lorsque comme tout un chacun on s'interroge sur le sens de la vie et le rôle de la religion face à cette question sans réponse, devenue pour le coup fondamentale. Des religions devrais-je dire d'ailleurs, car dans le domaine de la croyance, il y a pluralité, il y a divergence et contre toute attente intolérance. Et donc malheureusement affrontement.

François Taillandier a choisi deux personnages qui ont laissé leur cicatrice sur la terre dans cette époque succédant tout juste à la chute de l'empire romain et nous ouvre aux formidables bouleversements consécutifs et aux appétits que cela a pu faire naître chez des peuples jusque-là sous domination : Cassiodore, un homme politique lettré qui a servi sous le nouveau maître de ce qui n'est pas encore l'Italie du nord, le roi ostrogoth Théodoric. Et Théolinda qui devint reine des Lombards et jouera un rôle prépondérant dans la conversion de ces « barbares » à la foi chrétienne.

Ce premier tome d'une trilogie que je me fais l'obligation de compléter dans ma PAL ouvre ses premières pages en un temps où la religion chrétienne commence donc à installer ce qu'elle voudrait bien être un monopole sur le vieux continent. En ce sixième siècle de notre ère, elle commence à prendre le pas sur le paganisme, l'arianisme et ne s'attend pas encore à voir poindre une nouvelle concurrente. L'ouvrage se referme sur l'année 630 avec l'entrée de Mahomet à La Mecque à la tête de quelques milliers d'hommes, bien décidé à imposer le culte exclusif d'Allah.

Superbe fresque historique d'un temps pour lequel les références écrites sont rares et sujettes à caution. Tout le talent de l'auteur est dans la précaution qu'il prend avec ces références et dans la crédibilité du liant qu'il applique aux faits avérés.


lundi 31 janvier 2022

Edmond Rostand, l'homme qui voulait bien faire ~~~~ François Taillandier



Les siècles ne tournent pas avec les années zéro. Les siècles tournent avec des événements qui marquent les esprits. le 19ème s'est terminé dans la grande sauvagerie patriotique de 14, après que les terres du nord eussent été gavées de chair humaine. Edmond Rostand n'a pas voulu connaître le siècle nouveau enfanté par ce martyre des humbles. Il est mort en 1918. Il savait que la lame de boue gorgée de sang qui avait englouti le 19ème siècle avait emporté avec elle le "raffinement extrême, le luxe verbal et prosodique" du théâtre en alexandrins. "Rostand a sombré en même temps que la Belle époque."

Cyrano de Bergerac, l'Aiglon ou Chanteclerc, auront été le bouquet final d'une époque incarnée par celui qui avait été, très jeune, auréolé d'une popularité sans égal. Difficile de déchoir quand on a fait plus que tutoyer, plus qu'embrasser, quand on a incarné la gloire. Après le triomphe de Cyrano, de l'Aiglon trois ans après, Edmond Rostand avait bien perçu la gageure qui est celle de durer dans le succès. Ce n'est donc que 10 ans plus tard, après moult remaniements et atermoiements, qu'il se décide à lancer Chanteclerc, dans une débauche de décors, d'acteurs emplumés, de déclamations tonitruantes. Mais le siècle est sur le point de tourner, dans l'apocalypse, emportant avec lui la Belle époque et la poésie classique.

Les grandes œuvres sont des monuments qui jalonnent l'histoire de la littérature. Celles d'Edmond Rostand sont érigées à la croisée de courants littéraires. Le néo classicisme et son exubérance en l'art déclamatoire, devenu désuet, est supplanté par le surréalisme, plus déconcertant. Le figuratif et le démonstratif ont vécu. Place au suggestif. Chanteclerc, le fier et bucolique horloger des campagnes du 19ème siècle s'efface au profit du trivial et mécanique réveil matin. Le charisme n'est plus une valeur. L'algorithme ne sait pas le gérer.

Plus qu'une biographie du célèbre dramaturge, François Taillandier nous dresse un panégyrique de cet "éveilleur d'âmes" et de son œuvre. Véritable déclaration d'amour à l'adresse de celui qu'il n'hésite pas interpeler dans de grands élans de familiarité, "mon Edmond", le plaindre parfois, "mon pauvre Edmond". Il a enchanté sa jeunesse et le fascine toujours, regrettant du même coup n'être pas né à la bonne époque, n'avoir pu devenir un grand poète lyrique. N'avoir donc pu connaître celui qui "incarnait le prestige de la littérature, magnifiait l'idée du poète." Il dégage de sa personnalité trois caractéristiques qu'il développe avec force argumentations : le conformisme, dans ses jeunes années, la gravité, et la démesure.

"Je m'étais promis d'écrire ce livre."

Le temps était donc venu de faire cette déclaration à son idole de jeunesse, parmi d'autres illustres versificateurs sans doute. N'imaginons pas de calcul avec le centenaire de la mort de Rostand, il y avait jusqu'alors comme une retenue. Dès lors, par-delà le siècle, Edmond le lui commande. François Taillandier sent le moment venu de raviver une mémoire injustement élimée par les décennies oublieuses de "celui qui voulait bien faire" - sous-titre de cet ouvrage. S'interrogeant cependant toujours sur la raison de cette connivence d'outre-tombe. Cet ouvrage est donc bien la confession rétrospective "d'une passion singulière, anachronique, d'un gamin de quinze ans dans la France des années soixante." Il est un non conformisme à la biographie, en ce sens qu'il dévoile l'intimité de son auteur avec son sujet. C'est l'œuvre d'une passion. C'est ce qui le rend plus touchant que simplement historique.

Quand est venu le moment de faire parler le cœur, de dire le ressenti, la prose, plus apte à traduire les pensées, encore que, avoue son insuffisance et laisse la place à la poésie. "Le poète est un professeur d'idéal, de sens et de beauté."

Je n'arpenterai désormais plus la rue Edmond Rostand à Marseille avec le même regard. Je devrai à l'opération masse critique de m'avoir ouvert les yeux devant ce numéro 14, la maison natale du plus jeune académicien que la vieille dame du quai Conti dame ait compté sous sa coupole.