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mardi 5 janvier 2021

Les vivants au prix des morts

 



Il y a chez René Frégni une néfaste dichotomie, véritable écartèlement entre deux mondes qu'il voudrait pourtant bien concilier. Deux mondes aux antipodes l'un de l'autre : le monde de la violence et celui de la poésie. Pas forcément la poésie des grands du genre, celle dont le rythme imprimé aux vers nous fredonne une mélodie à l'oreille. Mais une poésie de mots sans autre ambition que de dire le bonheur de vivre, de s'éblouir d'un soleil radieux, s'emplir les poumons de la senteur de la garrigue, se réjouir du chant de oiseaux.

Ce combat, il y a quelques années de cela il se refusait à le savoir perdu. Il espérait toujours. Au point d'animer durant quelques années des ateliers d'écriture dans ces lieux de concentré de violence que sont les prisons. Fol espoir de ramener des égarés dans la voie de la bienveillance par la lecture, l'écriture. Par la magie des mots à qui l'on ferait dire en les libérant au bout de sa plume ce qui n'a pas pu franchir les lèvres. Ce qui n'a pas vu le jour faute d'avoir rencontré d'oreille compatissante.
Kader avait participé à ces ateliers d'écriture à la prison des Beaumettes à Marseille. C'est là qu'il a fait la connaissance de René. Lorsqu'il s'évade, il le contacte pour trouver refuge, le temps d'organiser sa disparition. René mesure la gravité de ce qu'il fait, pourtant il n'hésite pas. Il lui prête son appartement. Lui a trouvé un nid douillet chez la charmante Isabelle, institutrice à l'école des tout petits.

Mais un truand en cavale, c'est difficile à gérer. Il a la police aux trousses, mais pas seulement. Il y a aussi les rivaux. Et ceux-là ne connaissent que la loi de la violence. Quand René réalise cette évidence, il prend peur. Pour lui, mais aussi pour la charmante Isabelle qui est tellement loin de tout ça. Son bonheur est en danger. Il n'en dort plus.

C'est véritablement un ouvrage entre ces deux mondes, en parfaite opposition, les maux contre les mots, ou l'inverse, que nous délivre René Frégni, au point que sa force poétique s'en trouve altérée. Son aptitude à la contemplation dont il sait si bien nous faire profiter et mettre nos sens en éveil laisse très vite place à cette réalité envahissante du tumulte de la vie des hommes. Enfant des quartiers, de la rue, comme il se plaît à le rappeler, il a une indulgence particulière pour ceux qui n'ont pas eu comme lui l'opportunité de trouver le moyen d'exprimer leur ressenti profond par les mots. Broyés qu'ils ont été par une société corrompue et ceux qui la régissent, auxquels il attribue l'origine de tous les maux.

Mais que faire de ceux qui volent et tuent des innocents pour exprimer leur mal-être s'il ne faut pas les écarter de la société. René Frégni ne donne pas la solution. C'est le contre poids de son utopie humaniste à laquelle on ne peut qu'adhérer lorsqu'il clame de se satisfaire de la liberté dans les collines de Provence ou de la chaleur du coeur d'Isabelle.

samedi 14 novembre 2020

On ne s'endort jamais seul ~~~~ René Frégni



Il y a Marilou dans Elle danse dans le noir. Il y a Charlotte dans Sur les chemins noirs. Voici Marie dans On ne dort jamais seul. Et toujours cette mère qui fait défaut. Eternelle absente du tableau de l'amour. Souveraine absente qui galvanise l'amour paternel, lequel peine à combler le manque. Forcément. Un horrible manque pour qu'une petite fille puisse s'épanouir à la vie. Une petite fille dont le vocabulaire est amputé d'un mot. le plus beau. le plus essentiel : maman.

Aussi lorsque Marie disparaît et que l'enlèvement se confirme, c'est la terre qui se renverse, le ciel qui s'assombrit en plein jour. Pour son père, Antoine, Marie c'est tout : son univers, son avenir, son soleil. Marie c'est sa vie. C'est sa maman disparue.

Celui dont l'enfant a disparu n'a pas droit au désespoir. Désespérer c'est condamner. Aussi c'est avec une rage folle qu'Antoine sillonne Marseille en tous sens, s'agrippe à toutes les aspérités de la vie pour sortir du gouffre dans lequel il est tombé. Il harcèle la police. Il ne dort plus. Il sombre. Pas de désespoir, Il n'y a pas droit. Il sombre d'impuissance.

Jusqu'au jour où il rencontre Jacky Costello. Un ami d'enfance perdu de vue. Et pour cause. Dix ans de prison. La prison est aussi souvent présente chez Frégni que les collines aux senteurs de romarin. Costello c'est le mauvais garçon au grand cœur. Touché par la peine de son ami, il prend les choses en main. Il a des relations. Beaucoup de relations, dans toute la ville. Pas toujours des anges loin s'en faut, mais des fidèles. Il est respecté Costello dans le milieu. Et il a ses méthodes. Des méthodes que ne peut s'autoriser la police. Des méthodes un peu rudes pour faire parler ceux qui auraient pu justifier de leur droit de garder le silence aux yeux de la loi. Avec Costello, Antoine retrouve ses esprits, la tempérance, l'énergie de fouiller Marseille avec méthode cette fois. Il retrouve goût à la vie. La vie de Marie. La sienne reviendra avec.

Quand Frégni donne dans le genre polar, il n'est plus question de nostalgie contemplative d'une Provence chatoyante et nostalgique. le rythme est endiablé. Les coups pleuvent. On fréquente les bas-fonds de la ville, et surtout les confins de la légalité. On n'est plus dans le monde des atermoiements et de la tendresse. La justice est expéditive. On se laisse gagner par la rage de rattraper les malfaisants, les plus monstrueux des monstres, ceux qui s'en prennent aux enfants.

Sauf que, le rythme est tellement soutenu que le roman s'essouffle. L'épilogue tombe aussi franc et vite qu'un couperet. C'est un peu cousu de fil blanc. C'est une fin en surexposition, une élévation. Un tableau épique qui porte aux nues un lien indéfectible : l'amour d'un père pour sa fille. Celle qui restera toujours sa petite fille, Marie.

Le grand gagnant dans tout ça c'est l'élan qui relie un père à sa fille, le lien indéfectible de l'amour réciproque. le grand gagnant c'est aussi l'amitié en dehors des chemins de la légalité. Une amitié forgée dans la rue, souvent à coups de poings. Une fidélité à l'épreuve du temps et des vicissitudes de la vie. Même si ce roman est un peu expéditif on y retrouve une constante chez Frégni, le besoin d'aller chercher cette lueur cachée au fond de l'être qu'il faut savoir extraire comme un précieux minerai pour ne pas désespérer de l'espèce humaine.

 

samedi 3 octobre 2020

Les simples ~~~~ Yannick Grannec

 



Les plantes médicinales sont un prétexte en arrière-plan. Les simples de Yannick Grannec n'a rien d'un traité de botanique. Même si c'est bougrement bien documenté. C'est à n'en pas douter son écriture qui transporte le lecteur dans cet ouvrage. Cette écriture, elle est savoureuse, intelligente, piquante à souhait. Comme on l'aime quand il s'agit de brocarder qui mérite de l'être.

Que ce soit l'humaine nature dans ses défauts, d'autant plus grands lorsqu'elle a recours aux expédients de la religion pour combler les lacunes de son ignorance, sa peur de l'inconnu. Tout s'explique en Dieu, Satan et consort. Que ce soient les institutions lorsque la corruption en a contaminé les commis et fait d'eux les suppôts d'un démon qui a pour nom cupidité. Que ce soit la gent masculine quand elle a libéré sa semence et attribue à l'autre sexe la responsabilité de la tentation charnelle. Que ce soit la société quand elle hiérarchise les individus sur la base de leur seule naissance.

Yannick Grannec sait bien jeter à la face de tous les empuantis de vices les mots qui diront leurs quatre vérités. Elle sait bien leur concocter baume, onguent, potion, élixir et autre cordial et prescrire remède à leurs mauvais penchants. Cet ouvrage est un modèle de subtilité pour dénoncer avec les discernement et précaution de rigueur la perversion de l'esprit lorsqu'il a gagné en pouvoir, perdu en humanité.

Le verbe est moyenâgeux, autant qu'il sied au contexte. La gouaille est populaire autant qu'il faut appeler un chat par son nom. le discours se fait plus châtié quand le prétentieux se prévaut sa bonne extraction. le ton est sarcastique quand le puissant affiche son ascendant sur le gueux avec le mépris qui convient à l'adresse de l'affamé qui le restera toute sa vie du fait de sa seule naissance. L'humour est jubilatoire quand il faut souligner l'hypocrisie de ceux qui professent la vertu, se gardant bien de s'en appliquer les rigueurs. Il devient grinçant quand "les corbeaux et les serpents s'acoquinent" pour rendre non pas la justice mais leur justice.

En ce temps là, la science avait chaussé les semelles de plomb de la religion. L'Eglise, omnisciente et omnipotente, poursuivait de sa vindicte brûlante qui s'avisait de s'écarter de la vraie foi. Elle taxait volontiers d'hérésie qui se proposait de soulager les maux avec les simples, se substituant selon elle au pouvoir divin. Et l'évêque qui briguait quelque profit en lorgnant du côté de l'abbaye, la voyant prospérer de sa science empirique, accumulée depuis des siècles d'observation, se fait prendre la main. La machine s'emballe. L'inquisiteur, cet illuminé, ce fourbe, entre en scène. Et l'Eglise affichant son horreur du sang, par charité chrétienne sans doute, s'abrite derrière le temporel pour lui laisser mener à bien la question. Il n'y aura plus de gagnant.

Bien sûr les simples peinaient à aider les nourrissons à surmonter le traumatisme de la naissance, les femmes à ne pas mourir en couches, mais en ces temps d'obscurantisme ils étaient ce que la nature offrait de compensation à sa rudesse. A côté de chaque poison prospère son antidote. Sœur Clémence savait distinguer l'un de l'autre. Sœur Clémence s'est substituée au Seul qui a le pouvoir de guérir, Celui qui n'a jamais donné aucun signe et qui par son silence a laissé libre cours à toutes les appropriations, aux plus folles interprétations de ses paroles transcrites dans la Livre.
Qui l'a écrit ce Livre d'ailleurs ? "Les hommes, greffiers de leurs seuls désirs."

Superbe ouvrage. Superbe écriture. Bonheur de lecture.


dimanche 30 août 2020

Le trestoulat ~~~~ Henri Bosco



L'édition Folio du Trestoulas d'Henri Bosco comporte en fait deux nouvelles qui tiennent leur intrigue en des temps décalés. L'habitant de Sivergues est la deuxième.

Dans un Luberon aux relents de Provence non encore devenu ce lieu de villégiature aux allures de Toscane que l'on connaît aujourd'hui, les gens vivaient au rythme des saisons et aux caprices d'une terre avare de ses faveurs.

Le Trestoulas est un plateau où seuls poussent les cailloux sous le soleil brûlant de l'été. Il retrouve tout à coup de la valeur quand le ventre de la colline ouvre ses enrailles au Clapu, son propriétaire qui était sur le point de s'en défaire. Ce solitaire taiseux y a trouvé le moyen de faire rendre gorge à ceux qui avaient décidé de changer le cours de l'eau. Dans la mentalité et la culture villageoises on ne touche pas à impunément au jet de la fontaine et au miroir du bassin de la place du village qui depuis les temps immémoriaux avaient fait la prospérité du village.

Sivergues Vaucluse

Avec l'habitant de Sivergues, il est question d'un sujet tout aussi sensible. Au creux des replis des collines appelées ici pompeusement montagne, dans la succession des disciples de Jean Valdo sont venus autrefois se réfugier ceux de la religion réformée que l'officielle de Rome poursuivait d'une vindicte jalouse de ses prérogatives. Aussi, quand une cheminée exhale à nouveau les volutes qui témoignent d'un foyer rallumé au sein du village abandonné, c'est tout le voisinage qui s'inquiète du retour de la contagion et de son cortège de malédiction.

Avec une écriture aussi claire qu'imagée, Henri Bosco nous restitue ce parler du fond de l'âme de ces gens simples qui n'avaient que leur honneur et la fierté de ceux qui vivent de leur travail pour tout bagage. Deux nouvelles qui a leur lecture font chanter à nos oreilles les sonorités de l'accent provençal et resplendir à nos yeux ce qui vaut à cette région l'engouement dont elle jouit aujourd'hui.