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mercredi 28 avril 2021

Les Amazones ~~~~ Jim Fergus

 


Les femmes blanches qui ont fait partie du programme FBI (femmes blanches pour les Indiens) ont rapidement été gagnées à la cause de ces derniers lorsqu'elles eurent fait connaissance avec le mode de vie et le sort qui était réservé au peuple indien par le gouvernement américain. Gagnées à leur cause au point de prendre les armes contre leurs congénères de race blanche, de devenir des amazones, à l'instar de ces femmes guerrières de l'antiquité.

Pour faire valoir leur loyauté aux tribus qui les avaient accueillies puis adoptées, leur donnant époux et progéniture, elles se sont liguées en une société féminine, qu'elles ont appelée Cœurs vaillants, et se sont faites fort de défendre bec et ongles ce qui était devenu leur nouvelle famille, quand la première les avait mises au ban de la société, trop engoncée qu'était cette dernière dans son puritanisme dévoyé. Fortes de leur nouvel environnement affectif, les amazones se sont surprises elles-mêmes du courage et de la férocité avec lesquels elles combattirent les tuniques bleues chargées dans le dernier quart du 19ème siècle de priver les tribus indiennes, au nom du gouvernement américain, de leurs autonomie et liberté, à commencer par leur moyen de subsistance : leur frère le bison.

Deux de leurs lointains descendants, tous deux de sang mêlé, se retrouvent de nos jours et, à partir de journaux transmis à la postérité par leur lointaines aïeules, se mettent en demeure de non seulement de réhabiliter leur mémoire mais aussi de défendre la cause de ceux qu'on a enclavés dans des réserves, livrés ainsi qu'ils furent à tous les vices que peuvent engendrer oisiveté et rancœur ancestrale.

Les fondements de la société américaine repose sur une constitution qui garantit la souveraineté du peuple et dont le préambule comporte notamment l'article suivant : "Toute personne née ou naturalisée aux États-Unis, et soumise à leur juridiction, est citoyen des États-Unis et de l'État dans lequel elle réside. Aucun État ne fera ou n'appliquera de lois qui restreindraient les privilèges ou les immunités des citoyens des États-Unis, ne privera une personne de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière ; ni ne refusera à quiconque relève de sa juridiction l'égale protection des lois." le tort des Indiens ayant donc été de naître sur une terre qui n'était pas encore les États-Unis d'Amérique et à ce seul constat de pouvoir être privés de leur vie et de leur bien à vouloir défendre la terre de leur ancêtres. Sauf à ce que leur anéantissement relève d'une procédure légale régulière.

La trilogie de Jim Fergus, même s'elle comporte quelques longueurs et redites, même si la romance force un peu le trait comme savent le faire les Américains dans leur épanchements sentimentaux, notamment dans ce troisième opus, serait-elle le signe que la société qui domine le monde a atteint une maturité suffisante pour faire son mea culpa quant à un passé pour le moins blâmable. Ou bien a-t-elle atteint un niveau de suffisance qui lui autorise de ne plus craindre les critiques ?

Le gagnant dicte sa loi de la même façon qu'il règle les questions de sémantique quand il s'agit de définir sauvagerie et civilisation.


dimanche 28 mars 2021

La vengeance des mères ~~~~~ Jim Fergus

 



"Même en enfer, on ne sait pas ce que c'est que la vengeance d'une mère".

La vengeance est-elle œuvre de justice ? Certes pas, nous répondront les êtres civilisés, membres d'une société policée. Nul n'a le droit de faire justice soi-même. Mais peut-on parler d'êtres civilisés quand ces derniers se livrent au génocide rétorqueront leurs victimes. Peut-on parler de société policée quand de nouveaux venus sur la terre ancestrale des premiers occupants se livrent à l'appropriation, se recommandant d'un dieu qui dans sa grande bonté accorde aux uns ce qu'ils volent aux autres, et les exterminent quand ils protestent ?

Faire souffrir l'autre plus qu'on a souffert n'est pas une réponse rationnelle à la douleur supportée. Mais il n'est plus question de raison quand la guerre méprise l'innocence. Quand elle massacre les enfants. C'en est déjà assez de voir leurs hommes périrent à défendre leurs familles et leurs biens, quand les enfants meurent dans leurs bras, le cœur débordant d'amour des mères devient cœur de pierre. La vengeance devient la seule réponse logique à la détresse. Elles ne connaissent alors plus aucune loi, plus aucune morale.

Aveuglées par la douleur, les mères n'ont plus qu'une perspective. Celui qui a touché à l'innocence de doit endurer plus qu'il n'a commis. La vengeance ne console pas. Elles le savent pertinemment. La vengeance est privilège de l'espèce humaine. C'est une honte qui réplique à une autre. Elle est affaire intime, sans autre bénéfice que la jouissance douloureuse. Elle est nécessaire. Un point c'est tout.

Les mères convaincues de vengeance deviennent alors plus féroces que quiconque. Plus rien ne les retient. Surtout pas l'idée de la mort. D'autrui comme de la leur. C'est la seule issue envisageable. La seule perspective de libération.

Dans cette suite à Mille femmes blanchesJim Fergus prend le parti des mères. La chaîne de la vie a été brisée par l'envahisseur blanc. Jim Fergus appartient aux descendants de ces hommes qui se disent civilisés quand ils anéantissent les autres qu'ils qualifient de sauvages. Ils nous proposent alors une nouvelle définition des termes. le sauvage est celui qui vit en harmonie avec la nature quand le civilisé sera celui qui est perverti par le pouvoir de l'argent.

Roman humaniste, célébration de la nature, repentir de ceux qui tuent aveuglément pour des biens matériels, Jim Fergus se livre au mea culpa d'une race à laquelle il appartient et qui a bâti sa prospérité sur le sacrifice de peuplades vivant en harmonie avec leur milieu naturel.

Pour écrire un roman choral, il est parti sur le principe de le faire à partir de journaux qu'auraient tenus ses protagonistes. On a un peu de mal à envisager pareille œuvre de solitude dans le contexte de promiscuité du mode de vie des tribus indiennes, dont elles se plaignent, et plus encore dans le contexte de guerre à laquelle les femmes blanches acquises à la cause cheyenne participent activement, puisque résolues à la vengeance. Mais acceptons-en l'augure. le genre romanesque autorise tous les artifices. C'est le genre de la liberté. La crédibilité se retrouve dans l'habileté à faire passer un message. Message que l'on perçoit bien dans la gêne de l'auteur à comptabiliser le gâchis humain sur lequel sa race a bâti sa prospérité. Pour quelle perspective ? La nature maltraitée prendra-t-elle le relai de la vengeance des mères ?


mercredi 27 janvier 2021

Mille femmes blanches ~~~~ Jim Fergus

 


Je fais partie de cette génération nourrie au folklore de la conquête de l'ouest : films de cowboys et d'indiens dans lesquels ces derniers étaient présentés sous le jour des méchants agresseurs d'innocents fermiers, la foi chevillée au corps, ne cherchant qu'à vivre chichement d'un labeur harassant. John Wayne et autre tunique bleue de service à la Metro-Goldwin-Mayer accouraient au galop au secours de ces infortunés au son du clairon en tête de la colonne de cavalerie. Pétarade et youyous des indiens sur leur chevaux bariolés. Les valeureux combattants en plumes et peinture de guerre roulent dans la poussière. Et ce qu'il faut bien appeler les colons repoussent la frontière un peu plus vers l'ouest, les Amérindiens un peu plus vers la sédentarité, celle-là même qui ruine leur culture. On n'arrête pas le cours de l'histoire, celle des blancs en tout cas. Et God bless America.

J'ai appris depuis à rétablir l'équilibre quant à la responsabilité de qui agresse qui. J'ai appris depuis que l'histoire de la plus grande démocratie de notre planète commence par ce qu'il faut bien appeler l'anéantissement d'une culture. Et le premier opus de la trilogie de Jim FergusMille femmes blanches, dont je sais d'ores et déjà que je lirai les autres, est un coup de projecteur sur un sujet que les Américains ont évidemment le plus grand mal à aborder. Leur mémoire collective occulte cet enfantement dans la douleur d'une société qui aujourd'hui domine le monde.

Jim Fergus se défend de parler au nom des Amérindiens. Il ne s'en attribue aucune légitimité. N'est-il pas lui-même descendant de ces aventuriers qui, débarqués sur la côte est, n'ont eu de cesse de réduire les territoire et mode de subsistance des indigènes à la peau rouge. Il le dit dans un français plus que correct au cours des divers entretiens de promotion de ses ouvrages sur nos antennes. Il se sent plus de légitimité à évoquer le sujet avec le point de vue des femmes, ce qui est surprenant pour un homme. Des femmes qu'il faut bien en l'occurrence qualifier de blanches, puisque héritières des expatriés du Mayflower.

Mille femmes blanches contre mille chevaux. Curieux marchandage proposé par les Cheyennes reçus à Washington par le Président Ulysse Grant. Ils avaient bien compris que leur survie était dans l'assimilation. Une manière pour eux de découvrir par le métissage la civilisation qui s'imposait à eux. de toute façon, c'était ça ou disparaître. le grand chef blanc de son côté y a vu tout de suite un double intérêt, le premier de se débarrasser de personnes devenues encombrantes puisqu'il leur enverrait des femmes extraites des prisons et asiles d'aliénés, le second de surseoir au climat de guerre inéluctable provoqué par l'appétit des colons qui lorgnaient toujours plus loin dans l'appropriation des richesses naturelles des terres indiennes. Les femmes en question devaient y gagner quant à elles leur liberté. Sombre machination de dirigeants d'une communauté d'individus qui se disaient civilisés à l'égard de ceux en qui ils ne voyaient que des sauvages.

Ce que n'avait pas imaginé le gouvernement c'est que lesdites femmes découvriraient une culture plus élaborée et vertueuse qu'il ne voulait le reconnaître. Elles finiront par prendre fait et cause pour leurs nouvelles familles. Ce que n'avait pas imaginé Little Wolf, le chef de la tribu cheyenne persuadé selon sa culture qu'une parole donnée est sacrée, c'est que l'homme blanc trahirait sa promesse. Et dans pareil contexte, une promesse non tenue par l'homme blanc, c'est une entorse à la dignité. Cela se terminera dans un bain de sang.

J'ai écouté Jim Fergus parler de ses romans. J'ai aimé son humilité et la forme de sagesse avec lesquelles il évoque ce sujet douloureux. On retrouve ces qualités dans son écriture. Beaucoup de précaution de langage pour à la fois ne rien renier d'un passé honni et ne pas se mettre non plus au ban d'une société dont il est issu. C'est une écriture consensuelle qui peine parfois à traduire l'horreur des massacres qu'il faut pourtant bien évoquer comme tels. Une écriture d'une grande pudeur laquelle ne verse jamais dans l'affectation même quand les événements se font dramatiques. Une écriture qui a aussi le mérite de traduire parfaitement la communion avec la nature à laquelle s'astreignent les Cheyennes. Harmonie et équilibre qui s'expriment par le respect des indiens vis-à-vis de leur milieu de vie, quand les hommes blancs font des cartons sur les bisons depuis les fenêtres du train. J'ai aimé ce point de vue des femmes qui contre toute attente trouvent chez les Cheyennes, de tradition matrilinéaire, plus de considération que dans leur milieu d'origine bouffi de code moraux empesés.

On "n'arrête pas le cours de l'Histoire" clament les nouveaux colons. Pour sûr qu'ils ne parlaient pas de la même histoire. Celle des Amérindiens s'est bel et bien arrêtée quand ils ont été parqués dans les réserves livrés aux vices de l'oisiveté, ayant dû laisser leurs grandeur et fierté entre prairies et collines en même temps que les terres dont on les dépossédait. Mille femmes blanches est un magnifique ouvrage servi par une écriture très séduisante.


lundi 11 janvier 2021

Le vieux qui lisait des romans d'amour

 


Excellente entrée en matière que celle de cet ouvrage qui me permet de faire la connaissance de l'auteur chilien Luis Sepulveda récemment disparu. Cette découverte est d'autant plus singulière que nous ne sommes pas habitués à applaudir la prose d'un ancien footballeur. Convenons que la dextérité de la balle au pied va rarement de pair avec celle de l'écriture.

Il faut dire que Sepulveda a une expérience de vie riche en péripéties, jusqu'à lui faire connaître les geôles de Pinochet et l'exil. Les pérégrinations qui ont émaillé cet éloignement de sa terre natale l'ont conduit dans la forêt amazonienne où il a partagé pendant un an la vie des amérindiens Shuars, plus connus en nos contrées européennes sous le vocable de Jivaros. C'est la source de l'inspiration de ce petit ouvrage dans lequel on découvre en l'auteur un militant de la cause des minorités ethniques qui ont vu leur terres ancestrales envahies par des colons assoiffés de richesses. Et le pillage continue au grand mépris de faune et flore locales.

C'est le combat de la sagesse contre celui de l'avidité que nous propose Luis Sepulveda avec l'aventure dans laquelle le vieux Antonio José Bolivar se trouve embarqué à contre coeur. Parce que lui ce qu'il aime c'est les romans d'amour qu'il a découverts depuis qu'il sait lire. Sans doute ces livres qu'il se fait prêter, lit et relit, sont-ils pour lui une diversion au mauvais côté de la vie des hommes dont il a le spectacle pitoyable sous les yeux.

Une forme de conte qui permet à l'auteur d'aborder un thème qui lui est cher, et à moi de découvrir une belle écriture. Avec comme souvent derrière un texte qui paraît anodin une réalité lourde de sens quant à la nature humaine et son avenir.


dimanche 4 février 2018

Dalva ~~~~ Jim Harrison

 



"Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça." C'est Dalva qui nous parle en ces mots. Elle n'imagine pas que sa vie puisse intéresser qui que ce soit. Et pourtant !

Dalva maudit ce destin qui lui a fait perdre les trois hommes de sa vie. Son père, trop tôt emporté par la guerre. Duarne, le père de son fils, jeune indien Sioux qui n'a pas trouvé sa place dans le monde des blancs. Et ce fils qu'elle n'a pu aimer que le temps de sa grossesse. Arrivé trop tôt dans sa vie, il a été confié à une famille d'adoption dès son premier cri.

Dalva trompe son désenchantement dans des aventures sans lendemain avec des hommes qui profitent des grâces de son corps sang mêlé, magnifiquement modelé par le lointain métissage d'un de ses aïeuls avec une indienne. Elle a confié à Mickael, l'un de ses amants et narrateur d'un chapitre de ce roman à deux voix, la tâche de reconstituer l'histoire de cette famille à laquelle elle appartient. A un autre celle de retrouver ce fils qu'elle n'a pas pu voir grandir. S'il est encore de ce monde, ce dernier décidera alors lui-même s'il veut ou non connaître sa mère biologique. Personne ne possède jamais un enfant. Il n'appartient qu'à lui-même.

Dans le pays où les distances se mesurent en heures de route ou de vol, les directions se désignent par les points cardinaux, l'histoire se rappelle à ses habitants avec d'autant plus d'acuité que son origine est récente, à peine quatre siècles. Et qu'elle commence par un génocide. La mémoire n'a pas d'effort à faire pour la revivre cette histoire, mais pour qui a le courage de scruter ce passé, l'horizon est tendu d'un voile noir. Jim Harrison est de ceux-là. Il n'a de mots assez durs pour se mortifier de cet héritage : "Si les nazis avaient gagné la guerre, l'holocauste aurait été mis en musique, tout comme notre chemin victorieux et sanglant vers l'Ouest est accompagné au cinéma par mille violons et timbales."

Les origines de Dalva ont croisé celle des indiens Sioux. Cette trace dans ses gènes lui confère une affinité accrue avec le peuple disséminé. Et plus que connaître l'histoire de sa famille, elle veut la comprendre. Comment un ancêtre a-t-il pu prendre le parti d'un peuple martyrisé et en même temps s'enrichir, et plus encore, se rabattre sur le christianisme pour justifier sa cupidité ? Il y a comme "un lest empoisonné qui pèse sur une partie de son coeur."

Jim Harrison rejette les tripatouillages mentaux dont est friande la civilisation moderne à d'autre fin que de détourner les esprits d'une quelconque culpabilité. Il raconte la vie de ses contemporains comme elle est, regrettant toutefois ce qu'ils en font, déplorant l'échec de l'éducation pour éliminer "la loufoquerie fondamentale de l'esprit américain".

Seule la terre perdure, les êtres passent. Jim Harrison est en symbiose parfaite avec la nature. Elle le verse à sa contemplation, fasciné qu'il est devant le spectacle de la terre, écrin de la vie des hommes dont ils font pourtant si peu de cas. Somptueux décor qui le transporte en méditation, inépuisable source d'inspiration dans la compagnie de ceux qui vivent la terre sans l'avilir d'orgueil et de cupidité, les animaux. Il y a toujours des chevaux, des chiens, dans la proximité de ses personnages.

C'est la délivrance brute et spontanée de cœurs qui se confessent plus qu'ils ne se confient

Cet ouvrage est écrit comme se raconte l'histoire dans la conversation. Un fouillis d'idées traversent l'esprit du narrateur et donne lieu à de longues tirades de monologues décousus où s'enchaînent pêle-mêle des événements parfois sans rapport les uns avec les autres. le rythme est tel qu'il n'est point de place pour l'apitoiement. C'est la délivrance brute et spontanée de cœurs qui se confessent plus qu'ils ne se confient. C'est un style pauvre en conjonctions propres à faire rebondir le récit et entretenir le suspens. L'esprit se vide de ses pensées dans un flot que ne retient aucune pudeur.

Les enfants doivent-ils se culpabiliser des méfaits de leurs ascendants ? Dalva veut comprendre qui pleure en elle.

Formidable texte sur les traces que l'histoire grave dans les gènes des générations.

Formidable ode à la nature qui doit en digérer une autre, humaine celle-là, leurrée par ses chimères.