Ils avaient quitté les vallées alpines, pourchassés qu'ils étaient par l'église de Rome. Elle avait fait d'eux des hérétiques. En cette première moitié du XVIème siècle les Vaudois avaient trouvé en Provence quelques décennies de répit à la traque dont ils étaient l'objet. Mais s'ils espéraient vivre leur foi en paix c'était sans compter sur l'obstination d'une église qui n'avait pas renoncé à purger cet abcès que représentait à ses yeux leur communauté.
Mais en dépit du pouvoir considérable qui était le sien en son temps de
monopole sur les consciences, l'Église n'avait pas les moyens militaires
d'éradiquer la dissidence. Elle souhaitait en outre dans sa grande perversité
s'exonérer des crimes que ne manquerait pas de provoquer la reconquête des
consciences à sa seule dévotion. Elle devait donc avoir recours au bras séculier
pour combattre les Vaudois dont la doctrine prêchant la pureté des évangiles
s'était propagée. C'était surtout une façon de faire oublier le commanditaire
et endosser au pouvoir temporel la responsabilité des dommages. Il fallait donc
convaincre François 1er que ce qu'elle qualifiait de déviance constituait un
vrai danger pour le royaume. L'argument était le risque de scission qui pouvait
faire basculer la Provence dans les bras de son ennemi juré, Charles Quint.
François 1er n'avait-il pas déjà goûté de ses geôles après sa défaire de Pavie.
Convaincu par les sbires du Pape de la nécessité de leur éradication, François
1er profita du transit de ses troupes vers le port de Marseille pour lancer une
grande offensive contre les Vaudois. Cela donna lieu à l'un des plus grands
massacres qu'ait connu la communauté vaudoise dans cette partie de la Provence,
aujourd'hui lieu de villégiature de fortunés : le Luberon. Les disciples de
Pierre Valdo en ce pays, où ils pensaient pouvoir jouir du fruit de leur labeur
et vivre dans la paix des évangiles furent passés au fil de l'épée sans
distinction de sexe ni d'âge. Non sans avoir imposé les derniers outrages à
tout ce qui pouvait assouvir les bas instincts de soudards qui pour la plupart
étaient d'ailleurs mercenaires loués aux possessions du Saint empire romain
germanique. La justice du roi était passée. Reste que cette page dramatique de
l'histoire de la Provence et de l'épopée vaudoise est à mettre au crédit de
celle qui prêchait charité, tolérance, pauvreté et chasteté, se gardant bien de
l'appliquer à elle-même, celle qui revendiquait la majuscule quand on
l'évoquait : la sainte Église catholique romaine.
Hubert Leconte nous
fait vivre tout au long de cet édifiant ouvrage à la fois les espoirs et le
climat de peur permanente dans lequel demeuraient les Vaudois. Il met en oeuvre
en parallèle dans son écriture un surprenant lyrisme poétique destiné à
glorifier la belle nature qui sert de décor à cette tragédie, et à évoquer
aussi l'amour que les Vaudois vouaient à la terre nourricière. Une beauté qui
en ce temps se payait au prix fort tant la tâche était rude pour tirer
subsistance de ces collines arides. Nous apprécions mal en nos jours fort heureusement
plus serein quant à la liberté de conscience le climat de peur régnant au
quotidien et faisant de ceux qui osaient promouvoir une doctrine rivale de
l'officielle des gibiers traqués. Nous apprécions mal la force d'une foi
chevillée à l'âme en ces temps où tout s'expliquait en Dieu et par Dieu, selon
un discours imposé par celle qui n'admettait ni contradiction ni concurrence en
la matière.
Communion avec la nature, solidarité confessionnelle, dans ce superbe ouvrage
fort bien documenté Hubert Leconte nous
rappelle à ces données d'un quotidien fait de labeur, de foi mais surtout de
peur. Cela donne ce splendide ouvrage, deuxième tome de l'épopée vaudoise à une
époque où régnait la loi du plus fort.
"Selon que vous serez puisant ou misérable les jugements de cour vous
rendrons ou blanc ou noir." La fable aurait pu s'appliquer aux Vaudois
malades quant à eux d'une peste qui n'était rien d'autre que leur fidélité à la
parole première des évangiles. Peste que leur sincérité, que leur foi.